Il était une fois...
« Une histoire ! Une histoire ! Une histoire ! »
Les enfants, tous installés au coin du feu par une froide nuit d'hiver, n'avaient de cesse de réclamer la venue du grand-père pour qu'il leur raconte l'histoire du soir comme ils en avaient l'habitude.
« Alors les enfants, quelle histoire vous voulez que je vous raconte ce soir ?! »
Le grand-père tomba lourdement dans son fauteuil, tendant ses vieilles mains caleuse vers le feu pour les réchauffer, écoutant les multiples réponses des enfants. Après un débat bref mais animé, les jeunes nains se mirent d'accord pour écouter, une fois de plus, la saga de Brynja, dite Cheveux de sang.
« Quoi ?! Encore ?! » lança le vieux nain sur un ton désespéré.
Il allait devoir narrer les exploits de cette naine une fois de plus. Après tout ça faisait plaisir aux petits, et c'était au moins la centième fois, alors une fois de plus ou de moins...
« Vous êtes sûr que vous ne voulez pas plutôt entendre les aventures de mon ancêtre Thorm le Pourfendeur d'El... » Coupé net, il n'eut pas le temps de finir sa phrase que les enfants râlaient déjà.
« Oh non ! Pas Thorm ! Pas ce vieux schnock ! Ses histoires sont d'un ennui mortel...
« D'accord, d'accord ! » céda-t-il, « Mais avant, prenez tous un Thorm's Original*. J'ai bien dit un ! Je ne veux pas d'histoire avec vos parents ! »
D'un coup d'un seul, et semblant doté d'une agilité surnaturelle pour son âge, il sorti, comme par magie, un bocal de ces fameux bonbons du dessous de son fauteuil. Il va sans dire que le contenant de ces douceurs couleur caramel passa rapidement de petites mains en petites mains et se retrouva vide en moins de deux. Tous les préparatifs étant parés, l'histoire pouvait commencer.
« Il était une fois une jeune naine nommée Brynja Scaith. Les Scaith étaient une famille de forgerons renommés, aussi lui fût il prodigué un enseignement d'artisan, ainsi que de guerrier vu la propension à partir à l'aventure dont ont fait montre nombre de ses ancêtres. La jeune naine n'était pas des plus assidues à suivre son enseignement de la forge, mais avait le culot de tout de même plutôt bien s'en sortir. Quant à son entraînement guerrier, il en allait tout autrement. Elle ne manquait pas une seule séance, fusse-t-elle malade comme un chien, et excellait à manier boucliers, haches et masses, et même les épées dans une moindre mesure. »
Le vieillard s'arrêta un instant pour reprendre son souffle et sa salive, et il constata, non sans une certaine satisfaction renouvelée chaque soir, que l'ensemble de son jeune auditoire était déjà pendu à ses lèvres. Il continua donc son récit :
« Voyez vous les enfants, le problème quand quelqu'un réussi comme ça, c'est que souvent il cristallise la jalousie des autres qui s'exprime souvent de deux manières : l'admiration et l'envie. Des admirateurs elle en avait, elle les fuyait même quand ils devenaient trop envahissants. Des envieux il y en avait aussi malheureusement, et c'est ce qui provoqua son malheur ! » termina-t-il en mimant une mine déconfite.
Il observa les réactions des bambins qui ouvraient grand les yeux et prenaient un air étonné, comme s'il s'agissait de leur première écoute et, content de son petit effet, il reprit de plus belle :
« Brynja était méprisée par les jaloux et souvent insultée. Du fait de sa taille un peu supérieure à la moyenne, on la traitait de « Bâtarde », de « Demi-Humaine ». Loin de se laisser faire, elle leur rendait bien lors des séances d’entraînements ou ils encaissaient quelques coups de bâtons bien sentis. Le point culminant de cette rivalité eut lieu lors d'un examen en art de la forge ou le Maître Forgeron demanda les plans et la fabrication d'une arme complexe. De jeunes nains complices détournèrent l'attention de Brynja, prétextant avoir besoin d'aide en la suppliant, pendant qu'un autre faussait ses plans et sabotait son travail. Découvrant la supercherie qui lui coûta son examen, elle rentra dans une rage folle. Les esprits s'échauffèrent et il fut rapidement question de faire un duel. Un funeste intervenant proposa dans l'excitation et la colère un duel à mort ! Ni le coupable ni Brynja ne se démontèrent et tous deux relevèrent le défi. »
Le vieux savait qu'on arrivait à un point critique de l'histoire, et comme il s'y attendait, son auditoire juvénile ne pipait mot. Il se lança alors dans la suite du récit.
« L'ennui c'est que le duel à mort n'avait pas été approuvé par le conseil... Mais ça n'arrêta pas les deux rivaux qui s'affrontèrent à la hache et au bouclier entourés et encouragés par une foule de jeunes nains prenant déjà les paris. Le rival de Brynja portait des coups de hache comme un enragé. La naine se contentait d'encaisser les coups sans pouvoir riposter, semblant se faire dominer depuis le début. Le bouclier fini par se briser et Brynja posa un genou à terre, épuisée, attendant le coup de grâce de son ennemi ! Alors que son ennemi portait le coup final, elle se releva et esquiva le coup en assénant une riposte d'une violence rare. La hache fendit le crâne comme... »
L'ancien s'interrompit en voyant le regard mauvais d'un des parents qui gardait une oreille sur l'histoire, se ravisant, il poursuivit :
« Bon bref, beaucoup de sang éclaboussa et on dit que les cheveux blonds de Brynja en ressortirent teintés d'un rouge sombre de façon permanente, d'où son surnom de Cheveux de sang. Bien entendu, le conseil ne pouvait laisser passer pareille entorse à la loi. Ils décidèrent donc, et en toute justice, de valider son rang de Maître Forgeron mais aussi de la bannir du village ! »
Comme à chaque fois, les petits exprimèrent leur indignation avant de laisser le grand-père continuer son histoire.
« On sait peu de choses sur ce passage de sa vie, si ce n'est qu'elle rejoignit la grande ville la plus proche où elle effectua diverses basses besognes. Elle fit preuve de débrouillardise et son caractère travailleur l'aida grandement à survivre. Jusqu'au moment où elle se fit embarquer malgré elle dans une arnaque par un infirme qui avait pour but de détrousser un nain soit-disant fortuné qui buvait souvent à la taverne. Et c'est là que mon ancêtre Thorm le généreux fit son entrée dans cette histoire ! »
Ignorant les huées et autres soufflements des enfants quant à l'entrée de ce nouveau personnage dans l'histoire, le nain âgé s'empressa de rajouter :
« Bien sûr Thorm, n'étant pas fin saoul, déjoua rapidement le piège et attrapa Brynja. Étant plus intelligent que ce qu'il laissait paraître d'ordinaire, il comprit rapidement la situation et, au lieu de se plaindre aux autorités ou de se faire justice lui même, il choisit de tendre la main à la jeune naine et de lui offrir une nouvelle vie... »
Le feu était presque éteint maintenant et le nain constata que presque tous les enfants tombaient de fatigue. Il était l'heure d'aller se coucher et de garder la suite de l'histoire pour plus tard. Il envoya donc les enfants au lit et rentra lui même dans le sien tant bien que mal avec ses articulations douloureuses, espérant avoir encore le temps de conter la suite de la saga de Brynja.
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