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Quelques leçons de Nécromancie…
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Leçon Première : Les os maudits
L’endroit était désert, dans l’air flottait le parfum habituel du vent des plaines, ramenant à leurs narines le parfum vicié, mais non moins exquis pour qui sait l’apprécier, de la mort dans son plus simple apparat. Lorsque la petite expédition s’était présentée aux portes du grand cimetière d’Aden, la nuit était tombée depuis quelques heures déjà. Ils savaient ce qu’ils faisaient, nul garde n’était en faction cette nuit là, trop occupée qu’était l’armée d’Aden à fêter l’arrivée au pouvoir d’un nouveau roi qui, bien qu’étant originaire de Rune, promettait à la cité de nombreuses années de prospérité. C’est donc dans le plus grand silence, respectueux et méfiant, que les trois visiteurs nocturnes s’engagèrent dans l’artère principale. Autour d’eux, les bruits feutrés des êtres familiers des cimetières parvenaient à leurs oreilles attentives. Ils les imitèrent, se fondant tout à fait dans l’obscurité des pierres tombales, dressées vers le ciel comme le bras du mourant s’élève dans un dernier espoir. Ils n’avaient nul besoin de lumière, deux d’entre eux connaissant par cœur ce qui était pour beaucoup la dernière demeure.
Après de longues minutes, les trois personnages arrivèrent à destination. Les tombes fraîches de la matinée. Les dalles de pierres n’avaient été que librement posées, recouvrant les derniers défunts adéniens. La femme du groupe, emmitouflée dans une cape aux teintes bleues-nuit, montra du doigt deux tombes.
« Caleb, s’il vous plait. »
La silhouette masculine la plus massive s’avança vers les deux tombes et, aidé d’une barre à mine et de son expérience, il fit glisser chacune des dalles sur le côté. Les trois individus masquèrent le bas de leurs visages afin d’atténuer la puanteur cadavérique. Alors la femme s’avança vers le premier trou béant, jetant un regard à l’intérieur. Se redressant, elle retira sa cape ample qui risquait de la gêner. L’homme adulte s’écarta, dégainant ses épées et commença sa ronde ennuyeuse.
« Observe bien chacun de mes faits et gestes », murmura la femme, alors qu’elle descendait dans les entrailles peu profondes de la terre meuble. La seconde silhouette, fluette, se pencha au dessus d’elle afin d’obéir à l’ordre qu’elle venait de recevoir. La femme rousse avait posé ses pieds de part et d’autre de l’humble cercueil de bois pauvre. Elle dégaina une petite masse, assez légère pour n’être tenue qu’à une main, et, d’un geste appliqué, elle fendit le bois, frappant sans force mais là où il fallait. Elle écarta contre les bords de la tombe « la porte » qu’elle venait de créer, dévoilant le cadavre. Avec respect, elle en tira le linceul. C’était une jeune femme, d’à peine vingt années.
« Il te faudra noter l’âge et le sexe de l’individu. En l’occurrence, il s’agit d’une femme de vingt ans. »
Elle dénuda le cadavre, la peau blanche de la jeune femme semblait recueillir en son sein la lumière argentée de l’astre qui brillait au dessus de leurs têtes, avant qu’un lourd nuage noir ne vienne les plonger à nouveau dans l’obscurité presque totale.
« Plus important encore, tente de connaitre les causes du décès. »
Elle glissa un doigt sur le ventre dur et froid de la jeune femme. La peau avait été distendue, des marques violacées vrillaient son bas ventre, sous le nombril.
« Celle-ci est morte en couche. Mais je triche, je le savais avant de t’amener ici. Si tu dois attacher de l'importance à ce qui te semble être des détails... C'est qu'il s'agit d'une question de qualité. Il te faut préférer les os jeunes, pour éviter de tomber sur un os trop fragile, voir abîmé. Les jeunes hommes, particulièrement, possèdent les os les plus robustes. Quant à la cause de la mort, il s'agit plus d'une question d'hygiène. Le corps peut bien mourir, les maladies elles, peuvent survivre. Ainsi donc, ne manipules pas un corps dont tu n'es pas sûr de la cause de la mort. »
La femme se pencha de nouveau vers la défunte, rengainant sa masse, lui préférant alors un petit couteau à la longue lame effilée. Sur la dite lame, quelques symboles avaient été gravés, elle lui expliqua qu’il s’agissait de runes anciennes visant, à l’époque, à protéger le Nécromancien. Aujourd’hui, néanmoins, nul ne croyait plus à l’utilité de ces symboles, force était de constater la forte mortalité dans le milieu.
En quelques coups de couteau, la femme avait fendu la peau dure du corps sans vie à des endroits stratégiques pour la désosser. Néanmoins, elle se contenta de n’extraire qu’un tibia qu’elle posa sur la pierre hors du tombeau. Puis elle recouvra le corps de ses vêtements, autant que faire se peut, suivit de près du linceul et referma le cercueil proprement. L’homme massif revînt pour l’aider à sortir de son trou et la dalle fut reposée.
« Maintenant, écoutes bien. La leçon d’aujourd’hui, tu l’auras deviné, porte sur l’os maudit. Tu peux naturellement t’en procurer à plusieurs endroits ici, mais ils ne seront jamais aussi bons que si tu prends le temps de les fabriquer toi-même. »
La femme à la chevelure flamboyante étala entre eux, assis à genoux près de la tombe, son matériel. Il y avait l’os, bien sûr, recouvert encore une fine pellicule de tissu humain, mais également une paire de gants de peau très spéciale ainsi que deux fioles qu’elle porta à l’attention de son apprenti.
« Ceci, c’est de l’Osenbois, une poudre particulière que tu ne dois jamais faire entrer en contact avec un imprévu. Ta peau, notamment, ou pire tes yeux. Bref, uniquement les os. Tu en trouveras facilement au marché noir, vendu surtout par des sombres, car cette poudre est récupérée sur les troncs des arbres des terres maudites, en particulier. Tiens, prends la seconde, elle est pour toi.»
Elle se munit des gants épais et déboucha la fiole. Tenant l’os d’une main, la fiole de l’autre, elle laissa une faible quantité de poudre se déverser. Il s’agissait d’une poudre blanche, semblable à une sorte de farine très fine, sans odeur. Elle frotta l’os avec, après avoir reposé la fiole et l’avoir rebouchée. Une fois le tibia tout à fait enduit, elle le reposa sur le sol afin que son élève puisse constater les changements qui allaient s’opérer.
L’os, en effet, s’assécha brusquement. La chaire qui s’y cramponnait encore quelques minutes auparavant, fut balayée par le vent sous forme d’une fine couche poussiéreuse. La vie se vidait littéralement de l’os.
« Régente, pourquoi utilisons-nous des os maudits et non pas des os normaux ?
- Un os normal contiendra toujours une forme de vie en son sein. Comme un objet, il se nourrit de l’essence de celui à qui il a appartenu pour conserver à tout jamais le souvenir de cette personne, bien après sa mort. N’as-tu jamais entendu parler des objets aux pouvoirs si extraordinaires qu’on les croit possédés de l’âme de leur ancien propriétaire ? Je pense notamment à tous ces grimoires dangereux ayant été en la possession de mages puissants… »
Le jeune garçon hocha la tête, les yeux rivés sur l’os. Au bout de quelques instants, plus aucune réaction chimique ne l’anima et la femme en conclut que c’était bon.
« A présent, tu disposes d’un os pur. Comme s’il n’avait jamais appartenu à un être vivant. Je parle bien d’être vivant, car en théorie, tu n’aurais pas besoin d’un os humain pour pratiquer ta magie. Seulement les humains seulement possèdent en eux une sorte de magie, et leurs os y sont habitués. Nous allons donc pouvoir les préparer sans qu’ils se fendent où qu’ils nous bloquent tout simplement. »
Elle secoua l’os entre deux doigts gantés puis le prit à pleines mains, se concentrant dessus. A peine quelques secondes plus tard, l’os se gorgea d’une magie noire profonde et intense que le jeune homme, d’où il était, pouvait ressentir. Elle répondit à son regard interrogateur :
« Pourquoi utilisons-nous des os maudits pour notre magie. La réponse est simple. Tu as sans aucun doute déjà remarqué à quel point cet art peut nous dévorer, physiquement et mentalement. Hé bien ces os servent de réserves de magie. Nous pouvons les charger de magie et les conserver ainsi des années et des années sans qu’ils ne la laissent s’échapper. Il suffit de les rompre pour que la magie se déverse, mais également d’un sort que tu connais déjà : Le pique mortel. Il s’agit de focaliser la magie noire extraite vers une cible. D’où son nom, un pique, puisqu’il est question de concentration. Ce sort ne demande que très peu d’énergie puisque la majorité est contenue dans chaque os. Il est donc très important de bien préparer son matériel afin d’éviter les mauvaises surprises. Dans les premiers temps, tu ne seras pas capable d’en préparer beaucoup et il y aura des ratés, c’est certain. Mais entraînes toi bien, et tu y parviendras. »
Elle lui laissa l’os ainsi qu’une fiole pleine d’Osenbois. Puis elle attacha à nouveau sa cape à son cou après avoir retiré ses gants en peau avec délicatesse. Elle les lui offrit également.
« Te voila parer pour le reste de la nuit. »
D’un mouvement de la tête, elle lui désigna la seconde tombe. Puis elle tourna les talons vers l’allée centrale du cimetière. Avant de disparaître, elle lui lança :
« N’oublies jamais. Respect, délicatesse, concentration et foi. Voila les outils essentiels. Traite ce corps comme tu traiterais le tien. A toi, maintenant.»