Nom : Athael (autrefois, Reynaard)
Prénom : Kyon
Titre : Seigneur Chevalier, Ser
Age : 37 ans
Sexe : homme
Race : humain
Métier : Chevalier
Compétences : Warlord/Destroyer/Glad (à terme)
Combat : Bâton de combat (lance GP), épée à deux mains. Voudrait apprendre à se battre avec deux épées.
Alignement : Loyal neutre
Langues parlées : Commun, Elfique, et de vagues notions de sombre grâce à son ancienne amante, Reincha.
Description physique : Haut de six pieds et six pouces, sa carrure était encore impressionnante avant son départ pour Gracia, mais plus de 3 ans dans les geôles gracianes et la maladie en ont fait un homme malingre. Son visage creusé laisse apparaître une cicatrice sur la pommette gauche en forme d'étoile. Son port de tête toujours altier laisse supposer une éducation de nobliaud, mais son état nuit à sa prestance. Ses longs cheveux d'un blanc éclatant sont devenus cassants, pailleux, et il porte une barbe courte, habituellement finement taillée. Ses yeux sont fermés la plupart du temps, du fait d'une vieille blessure l'ayant privé de sa vue.
Caractère : Dans son état normal, Kyon est un homme dont la tempérance est la première qualité. Diplomate avant tout, il entretenait de bonnes relations avec des représentants de toute espèce avant son soudain départ pour Gracia, motivé par des rumeurs y envoyant son ancien mentor, Melchior, l'homme qu'il pourchasse en vain depuis des années. L'évocation de cette personne est le seul sujet qui mette le chevalier dans une certaine furie.
Autres : Il a été privé de sa vue au cours d'un combat contre une mage, et garde les yeux fermés presque tout le temps, même au combat.
Situation financière : Il dispose d'une fortune conséquente, en plus de celle de la famille Athael.
Comportement social : Noble dans son éducation, bien qu'il ne connaisse pas ses origines exactes.
Type d’éducation reçue : Aristocratie.
Popularité et/ou influence : Il conserve certaines connexions dans bien des villes.
Pensée politique : Oligarchique, il pense qu'un seul roi ne peut unir toutes les contrées du continent.
Croyances :
Einhasad : Foi conséquente
Gran Kain : Image du père maudit
Eva : Respect
Shilen : Respect teinté de compassion
Sahya : sans opinion
Pa’agrio : Respect et intérêt pour la force de son peuple
Maphr : sans opinion
Relations extérieures :
Elfes : Confiance, de prime abord, mais se fait une opinion après quelques mots seulement
Humains : laisse sa chance à chacun
Kamaels : avait déjà perdu la vue lors de sa première rencontre, mais il les reconnaît à leur ton strict généralement. Sans opinion
Nains : Une certaine confiance d'entrée. Un de ces très bons amis, Yelkin, était un paladin de Maphr.
Orques : Sait forcer leur confiance et leur amitié, mais garde sa confiance au premier abord.
Sombres : Accorde sa chance à chacun, tout en restant méfiant tant qu'il n'a pas pleinement confiance.
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Le feu dansait dans la lame de l'épée de Kyon. On eut dit que les flammes de l'enfer pourléchaient déjà les épaules du guerrier. Le rire de Sylienne le sortit brutalement de ses songes :
« Il te plaît ton nouveau jouet hein ? ».
Les sourcils haut levés en point d'interrogation de l'homme firent comprendre à l'épéiste qu'ils ne s'étaient pas compris. Elle désigna du menton l'épée que venait tout juste d'acquérir le combattant. Il lui répondit par ce sourire las et distant dont il s'était fait une spécialité, ce sourire triste et énigmatique qui donnait systématiquement à son interlocuteur le sentiment que, si physiquement Kyon se trouvait bel et bien devant lui, son âme quant à elle était loin, comme protégée des troubles qu'affrontait à chaque instant un aventurier.
Une nouvelle fois les pensées de Kyon ne s'embarrassèrent plus de son environnement. Le chemin accompli ces dernières semaines dépassait tout ce qu'il aurait pu imaginer, et pourtant il lui restait encore tant à apprendre et à faire... Il n'y a encore que peu de temps, il gisait dans une mare de sang, attendant une mort qui ne voulait pas encore de lui. Sa vie d'avant l'avait préservé des turpitudes qu'entraîne une vie l'épée à la main. Tout ce qu'il savait, il ne le devait qu'à un homme, son précepteur, son tuteur, son mentor, son maître. Melchior. Cet homme, qui l'avait recueilli après que les siens eurent disparus, alors que Kyon n'était encore qu'un enfant. Il n'avait jamais vraiment su ce qui leur était arrivé ni même s'ils étaient vivants ou si leur disparition était due à leur trépas.
Melchior lui avait offert une éducation à laquelle, en tant qu'orphelin, il n'aurait jamais pu aspirer, lui avait appris le rudiment du maniement des armes, et lui avait permis de connaître les règles de noblesse que seuls des jeunes gens issus de grandes familles pouvaient prétendre connaître. Les orphelins ne manquaient pas à cette époque, et Kyon s'était longtemps demandé pourquoi Melchior avait choisi de s'occuper de lui plutôt que d'un autre enfant.
Puis vint ce jour, ce jour où Melchior finit par lui avouer qu'il connaissait son père :
« Tu es un homme désormais, Kyon, c'est pourquoi j'estime qu'il est temps que tu apprennes la vérité sur ton père. »
Il est vrai que les années aidant, Kyon n'avait plus grand chose à voir avec l'enfant famélique que Melchior avait ramené voilà presque une éternité au château de Lord Arlond, un seigneur chez qui Melchior disposait d'une grande influence.
« Ton père et moi avons combattu maintes fois côte à côte, je dois bien avouer que plus d'une fois s'il ne m'avait pas aidé face à nos ennemis, je ne serais pas là pour te raconter sa destinée. »
Melchior s'assit sur un siège immense orné de gravures restituant avec une rare magnificence des scènes de combat. Il portait une armure que le forgeron du château avait faite à sa mesure. Melchior était quelqu'un qui avait toujours paru immense à Kyon, et même aujourd'hui, alors que le jeune homme dépassait son mentor de plus d'une demi-tête, l'extraordinaire charisme de Melchior le faisait paraître bien plus grand qu'il ne l'était. Il était rare que Melchior portât cette armure, hors temps de guerre, et Kyon comprit bien vite que Melchior ne comptait pas seulement lui parler de son père.
« Prépare-toi, nous sortons. Prend une arme, le chemin sera long là où je veux t'emmener. Il est possible que nous ayons à nous battre. »
Kyon se leva et prit un bâton de combat que lui avait offert Mérodon, le fils du forgeron, il y a quelques mois pour l'anniversaire de son arrivée au château. Melchior avait toujours regretté que Kyon se sente plus à l'aise pour combattre avec un simple bout de bois qu'avec une épée, bien qu'il sache assez bien manier celles-ci. Celui-ci crispa d'ailleurs sa main, comme en signe de désapprobation, sur le manche de son épée à 2 mains qu'il avait symboliquement baptisée, avec cette ironie qui lui était propre « Extrême onction ». Ils se levèrent alors et rejoignirent la cour du château, où une escorte de 4 gardes les attendait. Melchior continua son explication chemin faisant.
« Ton père et moi nous sommes perdus pendant des années, jusqu'au jour où je l'ai retrouvé dans un village qui avait vraisemblablement été dévasté par une armée entière. Il semblait à la hâte et te portait dans ses bras. Bien que nous ne nous fûmes plus vus depuis des années, il te confia à moi, en me demandant de t'apprendre à devenir un guerrier de valeur, et quand tu serais devenu un homme apte à te battre, de t'amener auprès de lui, afin que tu le rejoignes. Il m'a dit que je saurais où le trouver. Je pense qu'il avait raison.».
La route qu'ils empruntèrent n'était pas si dangereuse que son maître eut bien voulu le dire, et le bô de Kyon n'eut pas même une fois à être ôté du dos de son porteur, dont l'excitation était telle qu'il ne s'en soucia guère.
Ils arrivèrent dans un port dont Kyon ignorait jusqu'à l'existence, et au sujet duquel Melchior ne semblait pas enclin à la discussion. Ils embarquèrent et ne restèrent que peu de temps, une heure, deux peut-être sur ce bateau avant d'arriver au port de L'Île Qui Parle. Kyon ne s'étonna pas d'arriver ici, il savait que Melchior y avait mené maints combats de par le passé. En revanche, il fut surpris de constater qu'aucun des 4 gardes ne lui était familier, le château ne recevant que rarement de nouvelles recrues. Il reconnut toutefois, au prix d'un gigantesque effort de mémoire, les traits de l'un des gardes, le plus petit des quatre, mais il fut incapable de se souvenir de son nom. Son regard était terrifiant de bêtise, ses yeux tombants à demi fermés souffrant en plus de la profondeur de leur renfoncement, et cette idée de limitation intellectuelle était extrêmement renforcée par la mâchoire prognathe et les épaules voutées du spécimen. Cet individu était l'un de ses camarades d'école d'armes, et lui et Kyon en étaient plusieurs fois venus aux mains lors de leur petite enfance, et il lui revint alors en mémoire que son frêle adversaire était devenu la risée de ses camarades tant leurs rixes furent déséquilibrées.
Cette idée choqua dans un premier temps Kyon, qui n'avait bien évidemment pas gardé un excellent souvenir de ce garçon aussi belliqueux que vindicatif, mais il estompa bien vite ses doutes en prenant conscience que ce garçon devait avoir bien changé pour rejoindre un corps tel que la garde du château, qui demandait de grandes qualités physiques, et auxquelles Kyon lui-même doutait de répondre. De plus, il avait été choisi par Melchior lui-même pour les accompagner dans ce déplacement que le tuteur semblait considérer comme délicat, et c'était là bien plus de raisons qu'il n'en fallait pour que le jeune homme se sentit en confiance au sein de cette escorte. Qui plus est, les autres membres de l'escorte semblaient avoir, à la vue de leurs cicatrices apparentes, une déjà longue expérience du combat. Il aperçut alors sur la joue de son ancien ennemi une cicatrice infime mais malgré tout perceptible en forme d'étoile. Il se remémora alors leur première bataille d'enfant. Cette cicatrice était son oeuvre ou plutôt celle d'une bague qu'il avait toujours portée en pendentif jusqu'à ce jour où, probablement par jalousie, cet enfant avait voulu lui dérober ce bien si précieux aux yeux de Kyon, seul souvenir, selon les dires de Melchior, de sa famille disparue. Il se souvenait encore du bruit de la chair s'ouvrant sous la violence de son poing gauche, de la sensation chaude du sang de son adversaire couvrant sa main, de celui-ci s'effondrant sous le coup, de...
« Attention! »
La voix de son mentor le tira brusquement de ses souvenirs. La femelle orque arrivait déjà sur eux, un marteau de guerre gigantesque à la main. Kyon n'esquissa pas l'ombre d'un mouvement pour éviter le coup qui arrivait déjà sur lui. Il ne dut son salut qu'à l'intervention de son ancien ennemi, qui, se jetant sur lui avec une force insoupçonnable l'écarta de la trajectoire du marteau qui s'en vint frapper en plein visage un des membres de leur escorte qui s'effondra sur le coup. Les 2 autres se ruèrent à l'assaut de cet ennemi. Le premier, un elfe grand, gracile aux traits vaguement androgyne parvint à peine à contenir son adversaire avant de n'être projeté au loin par une charge du monstre déchainé. Le second quant à lui était un colosse comme Kyon en avait rarement vu au cours de sa vie. Il assuma la force que son corps semblait receler et sembla vraiment poser des problèmes à la bête, parant avec une certaine aisance ses coups, et parvenant même à le frapper deux fois, tout d'abord au sternum, puis à l'épaule. Kyon assistait au combat, pétrifié au sol, comme si cette scène ne se passait pas devant ses yeux. Son ennemi d'enfance se releva alors que la bête venait de se saisir du colosse à la gorge, le soulevant aussi aisément que s'il s'était agi d'une plume. Melchior stoppa ses troupes revenant déjà à la charge d'un simple :
« Ecartez-vous. ».
Kyon n'eut pas même le temps de voir la lame s'abattre sur l'orque. Elle non plus visiblement. Le colosse retomba au sol, suffoquant, les yeux exorbités par l'étreinte que le bras du monstre avait exercée sur sa gorge, bras désormais au sol, l'«extrême-onction» ayant laissé quelques dernières secondes au monstre estropié pour qu'il puisse prendre conscience de son erreur. Son cri déchira les tympans de Kyon, mais pas ceux de Melchior qui se planta face au monstre et, en le regardant droit dans les yeux, lui planta son épée dans le bas-ventre, esquissa un sourire et, en un geste aussi vif que l'éclair, remonta son arme jusqu'à la gorge du monstre dont les viscères ruisselèrent sur le colosse qui suffoquait encore, quelques tâches de boyaux d'orque sur sa tenue étant probablement le cadet de ses soucis à ce moment-là.
Melchior releva Kyon avec ce sourire du père satisfait de voir son fils apprendre la vie :
« Alors, tu sais désormais ce que cela fait de devoir la vie à quelqu'un? »
Kyon planta ses yeux dans ceux de son tuteur et lui répondit :
« Il y a bien longtemps que je le sais » et, se tournant vers celui qui lui avait probablement sauvé la vie
« Je vous remercie, Garde...? ».
Son ancien ennemi sembla préférer écourter les politesses
« Cela n'a pas d'importance. Continuons, Seigneur je vous prie. »
Melchior opina du chef, comme heureux d'entendre enfin la voix de la raison. L'androgyne se rapprocha du groupe, visiblement secoué par le choc reçu, mais vivant.
« Quel est l'état des troupes, Erasthe? » demanda Melchior.
« Moi ça va », s 'empressa de répondre l'elfe, estimant visiblement plus importante sa personne que la vie de ses petits camarades, « j'ai probablement quelques côtes cassées mais ça va. Kraill aussi ça devrait aller » ajouta-t-il en désignant le colosse qui parvenait tout juste à reprendre son souffle « enfin si l'on excepte le fait qu'il va empester jusqu'à la fin du voyage ça devrait aller. Par contre, Northel... ». Il désigna du menton la dépouille du malheureux que même sa mère n'aurait pas reconnu, tant le marteau de guerre de l'orque s'était enfoncé profondément dans ce visage dont les mouches avaient d'ores et déjà fait un excellent garde-manger.
« Ça, ça devrait être toi » ajouta-t-il à l'intention de Kyon que la culpabilité rongeait déjà.
« Encore une remarque de ce genre, et ça ce sera toi... » lui répondit Melchior en désignant le cadavre dépecé de l'orque, « mais on peut faire un mélange des deux si tu préfères? »
Kyon ne se souvenait pas d'avoir déjà vu une seule personne prise d'une telle terreur :
« P...P..Par..donnez-moi je ne voulais pas.... »
« Je m'en fous. », le coupa Melchior « le voyage n'est pas fini. Vous règlerez éventuellement vos comptes une fois que j'aurais tenu ma promesse. »
Cette dernière réflexion choqua quelque peu Kyon, qui ne s'attendait pas à être si peu soutenu par son mentor, mais il comprenait qu'il avait fait une erreur, et que son maître put estimer qu'il devait payer ses fautes. Les sourires de l'androgyne et du colosse lui confirmèrent cette idée. Seul celui qui l'avait sauvé ne semblait pas spécialement enchanté à cette idée, ce qui fit se dire à Kyon que le temps changeait bien les êtres.
Toujours est-il qu'ils se remirent en route quelques lieues encore. L'attaque de l'orque avait en fait eu lieu peu avant qu'ils n'atteignissent leur but.
« C'est ici. » se contenta de dire Melchior, impassible comme souvent. Kyon fut le seul à s'avancer.
Le village. Ce village de son enfance dont il ne lui restait que quelques bribes de souvenirs était devant ses yeux. Tout du moins ce qu'il en restait. Melchior n'avait pas menti, on eut dit qu'une armée entière l'avait dévasté. Les maisons étaient pour ainsi dire rasées, et leurs vestiges déjà recouverts de mousse, la nature ayant repris ses droits en ce lieu où l'homme s'était tu.
« Mais... Mon père? »
« Suis-moi. »répondit simplement Melchior. Il emmena son élève auprès d'un chêne centenaire et lui demanda de s'en approcher. Celui-ci s'exécuta. Alors il vit.
Un squelette décharné était crucifié à 5 mètres de hauteur. La croissance de l'arbre avait fait que l'écorce s'était développée tout autour du cadavre, ainsi le squelette ne s'était-il pas effondré au fil du temps.
Kyon resta prostré devant le cadavre de son père, puis se retourna :
« Mais tu m'avais dit que je devais rejoindre mon... »
Le premier coup vint de son ennemi d'enfance, dans les yeux duquel il devina une extase insensée à perforer l'épaule de ce poing qui l'avait marqué à vie. Kyon s'effondra. Son mentor s'approcha alors de lui :
« Ton père était un immense guerrier comme ce monde n'en connaitra probablement plus. J'avais le plus grand respect pour ce chevalier, et ce fut un honneur sans égal pour moi que de lui prendre la vie. »
Sa voix était calme, et le respect qu'il pouvait avoir à l'égard de cet homme que Kyon avait à peine connu ne souffrait contestation. Mais la haine et l'incompréhension envahissait Kyon au point que son épaule transpercée de part en part ne le faisait guère plus souffrir qu'une éraflure. Melchior reprit, son regard toujours vissé à celui de son disciple.
« Le destin a voulu que ce soit moi qui lui prenne la vie, mais la vie, je lui la devais, tu le sais. Cela dit, il est en ce monde des divergences d'intérêts qui surpassent toutes formes d'amitié ou de compassion. Punir une trahison fait partie de cela. Je l'ai tué. Le contraire aurait pu être vrai. Sans doute ai-je eu un peu de chance », avoua-t-il difficilement, bien conscient qu'en quelques mots il éraflait l'image lisse d'être invincible qu'il avait su développer. Les autres se regardèrent, surpris.
« Toujours est-il que cet homme croyait en son sang, c'est à dire en toi. Juste avant que je ne lui porte le coup de grâce, il m'a fait jurer au nom de notre amitié passée, de te laisser une chance de venger la mort de ton père. C'est ce que j'ai fait. »
Kyon le regardait toujours droit dans les yeux, ce que peu de personnes osaient faire avec Melchior, et porta la main à son épaule ensanglantée :
« Tu trouves? Est-ce cela pour toi un combat à la loyale ? »
Il reçut pour première réponse un coup de poing dans le ventre, ce qui fit tressaillir l'ennemi d'enfance de joie, et eut accessoirement pour effet de projeter le jeune homme contre l'arbre, quelques mètres au dessous des restes de son père.
« Tu n'es qu'un rat ! Je t'ai appris ce que tout guerrier a à savoir, et parfois même ce que peu de personnes savent encore ! Je t'ai offert une éducation exemplaire, appris à combattre avec tous les types d'armes existants ou peu s'en faut, et toi tu es malgré tout resté un faible, un rien du tout, un insecte, ne prenant du plaisir au combat qu'en menant celui-ci avec un bout de bois ! » hurla-t-il à Kyon en arrachant la lanière qui maintenait le bô dans le dos du jeune homme. « Ceci n'est pas une arme ! » rajouta-t-il en jetant à quelques mètres de lui l'unique moyen de défense de son élève. « Tu es indigne de ton père ! J'ai tout fait pour faire de toi un adversaire digne de moi, mais tu ne le seras jamais. En fait tu ne seras jamais digne de te battre. »
À ces mots, Melchior reprit son calme.
« J'ai fait ce que j'avais à faire. Mais si je ne peux pas satisfaire aux dernières volontés d'un ami à cause de toi, je voulais qu'il sache pourquoi. C'est pour cela que je t'ai amené ici. »
Sans encore comprendre pourquoi, et malgré ce qui aurait pu lui apparaître comme un acharnement du sort à son égard, Kyon comprenait tout parfaitement bien et restait lucide face aux propos de Melchior. Le jeune homme se releva péniblement et se contenta de dire :
« C'est une arme. Ce «bout de bois» est MON arme. »
Mais Melchior ne l'écoutait déjà plus.
« Ton père comprendra. Je n'ai pas le droit de tuer un individu aussi faible que toi. Nul n'a jamais vu Le Dragon s'attaquer à un souriceau. »
Il s'adressa aux autres, d'une voix calme et monocorde :
« Finissez-le. »
Kyon venait à peine de parvenir à se relever, qu'une rafale de coups s'abattit sur lui. Il vit Melchior partir au loin comme désintéressé par le sort certain de son élève. Kyon, dans un élan de fierté, lui hurla :
« C'EST MON ARME !!! ET JE TE LE PROUVERAI !!! »
« Tu prouveras plus jamais rien... »
Le colosse puant venait d'entrer dans la partie. Ses coups étaient effectivement aussi puissants que son corps le laissait entendre, à tel point que dès le premier coup, Kyon sentit le goût âcre du sang lui emplir la gorge. Le deuxième et le troisième achevèrent de le sonner, le quatrième le projeta à plusieurs mètres de là, et il retomba lourdement sur le sol.
« Bon vous ne voulez pas qu'on en finisse ? » demanda Erasthe l'androgyne, qui semblait s'ennuyer profondément à ce petit jeu du cirque.
« Tu te rappelles de moi, hein ? Tu t'en rappelles de ça ? » demanda l'ennemi d'enfance en désignant la cicatrice en forme d'étoile. « Toute ma vie je porterai un signe de toi ! Nos destins sont liés ! Tu comprends maintenant pourquoi c'est moi qui te donnerai la mort ? Tu te souviens de moi ? »
À ces mots, il sortit sa dague, une toute petite dague qui avait presque donné envie de rire à Kyon sur le moment, et ouvrit la pommette droite de Kyon en forme d'étoile, la même cicatrice que celle qu'il avait. Sous la douleur, Kyon se surprit à tourner la tête. Il comprit alors que le destin plaidait sa cause. Son bô était à quelques centimètres de sa main droite. S'il devait mourir ici, il mourrait dignement.
« Je me souviens de toi. » dit-il à son bourreau.
Un éclair passa dans le regard de son ennemi.
« Je me souviens de toi... Je t'ai battu si souvent... On oublie difficilement ses passe-temps favoris. Tu veux que je te le rappelle ?»
Cette phrase fit entrer son ennemi dans une colère noire hurlant au visage de Kyon en le secouant par le col :
« ET COMMENT TU VAS ME FRAPPER??? TON PAUVRE BRAS N'EST PLUS VRAIMENT EN ÉTAT !!! »
Il frappa de toutes ses forces l'épaule blessée de Kyon qui sous l'effet de la douleur se contorsionna, se saisit de son bô, regarda son ennemi dans les yeux comme l'avait fait Melchior avec l'orque et lui dit :
« Le droit, si. » et il lui asséna un coup d'une violence telle sur la tempe que son meilleur ennemi tomba raide mort.
Il se releva comme il pouvait, ses deux autres adversaires le chargeant déjà. D'une esquive, il évita le coup de hache du colosse puis tourna le dos à l'androgyne qui fondait déjà sur lui, son épée longue et fine déjà prête à lacérer Kyon, qui faisait face au géant brandissant sa hache. L'androgyne ne se méfia pas, le jeune homme blessé lui tournant le dos. Comme s'il savait comment Érasthe comptait attaquer, il esquiva d'un mouvement de hanches son coup d'épée, se saisit de son poignet et se servant de l'élan de son adversaire, transperça le colosse, croyant son adversaire trop affaibli, en plein coeur avec la lame de l'androgyne. Un jet de sang éclaboussa Érasthe et son adversaire. Kyon, avec une vivacité extrême, se retourna, fit le tour de l'androgyne et se servit de son bô pour l'étrangler.
« Tu crois avoir gagné ? »
L'androgyne retourna son épée longue contre lui et transperça son propre corps ainsi que celui de Kyon qui s'effondra. La plaie, compte-tenu de l'épaisseur de la lame, ne devait pas être très importante, il n'empêche que la lame l'avait traversé de part en part. Il avait déjà perdu beaucoup de sang, et n'en revenait pas lui-même de ce qu'il était parvenu à accomplir malgré son état. Il gisait, quasi inerte, dans une mare composée de son sang et de celui de ses ennemis qu'il était parvenu à abattre. Il tourna la tête et ne put retenir une larme. Tant d'efforts pour rien... Erasthe s'était relevé, et titubait, l'épée à la main, prêt à achever le travail que lui avait confié Melchior, préférant affronter la mort que le courroux du guerrier. Kyon voulut se relever, se servant de son bô comme d'une béquille, mais il retomba aussitôt, le moindre effort accentuant sa perte de sang. Il ne parvint qu'à se mettre à genoux, attendant la mort. Celle d'Erasthe ne tarderait sans doute plus non plus, mais il lui resterait sans doute assez de temps pour porter le coup de grâce à Kyon.
« Melchior s'était trompé semble-t-il, tu auras finalement été un digne adversaire... » dit-il avec toutes les difficultés du monde.
Il arriva devant Kyon.
« Mais c'est bel et bien fini maintenant. Ne m'en veux pas. Ça n'a rien de personnel. »
Il leva son épée haut au dessus de lui et se préparait à porter le coup de grâce à Kyon, qui ferma les yeux. Ceux d'Érasthe s'écarquillèrent lorsqu'il sentit le goût du sang emplir sa bouche. Avant qu'il n'ait pu faire le moindre mouvement, la main de Kyon était entrée en lui par la plaie qu'Erasthe s'était lui-même faite au ventre. D'un coup rapide, sec, il avait rentré son avant-bras entier dans le corps de son adversaire jusqu'à en atteindre le coeur qu'il tenait dans sa main à présent.
« Ne m'en veux pas, c'est strictement personnel. » dit-il à l'androgyne. Il serra de toutes les forces ce coeur jusqu'à sentir la viande broyée entre ses mains, puis, comme son adversaire s'écroula, il s'évanouit...
Kyon ouvrit les yeux, sans avoir la moindre idée de combien de temps il avait pu rester à errer dans les limbes. Le soleil, déjà haut dans le ciel, lui cuisait le visage et ses membres étaient comme paralysés tant la douleur était grande. Il sentit alors la terrible chaleur d'habitude si réconfortante du soleil s'estomper, puis tout à fait disparaître. Il put enfin distinguer quelque chose, la lumière l'aveuglant jusque-là. C'était une silhouette relativement grande, vêtue d'une cape qui flottait au gré de la légère brise qui brassait la chaleur ambiante. Un frisson parcourut l'échine de Kyon. C'était la mort, sans aucun doute, qui venait l'emmener avec elle. Elle tendit la main vers lui. Il se sentit libéré et voulut lui tendre la sienne en retour. Ce simple effort le transit de souffrance, et il s'écroula. La silhouette se rapprocha alors et lui dit :
« Eh bien ! Je ne pensais pas trouver encore qui que ce soit de vivant ! Par quelle sorte de monstre vous êtes vous faits massacrer ? »
Si la mort s'exprimait avec un tel manque d'élégance, il préférait encore rester ici à souffrir... Il plissa les yeux afin de pouvoir mettre un visage sur cette voix. C'était un homme aux cheveux couleur lavande, d'une certaine bonhommie, avec un regard sévère et des traits marqués. Et cette main tendue ne l'était pas pour quelque funeste voyage, mais bien au contraire pour lui offrir 2 fioles remplies d'un liquide bleuâtre. Kyon bégaya :
« Je... je... vous... »
« C'est rien. », le coupa l'homme. « Tu as eu plus de chances que tes compagnons. Tu as sûrement une bonne raison d'être en vie. Je ne fais que forcer le destin... »
C'était un croisé à en juger par sa tenue, et visiblement, il n'avait rien compris à ce qui s'était passé ici. Kyon ne put s'empêcher d'esquisser un sourire, ce qui lui provoqua une terrible douleur dans la pommette droite. Il se souvint alors du coup de dague. L'homme posa les fioles à coté de Kyon :
« À quelques lieues au nord se trouve une cité... J'y serai si tu as besoin d'aide. Pour l'instant remets-toi un peu.» L'épéiste fit demi-tour et commença sa route. Kyon voulut dire quelque chose, mais n'y parvint pas. Tandis qu'il partait, l'homme aux cheveux lavande lui dit :
« Nettoies tes plaies avec ça. Je te préviens, ça te brulera plus qu'une pipe à l'eau de vie. Bois ce qui reste, ça devrait te permettre de tenir jusqu'à la prochaine cité. »
Kyon prit faiblement la première des 2 fioles et versa un peu du liquide sur sa plaie à l'épaule. S'il avait pu hurler, on l'aurait sans doute entendu jusqu'aux contrées les plus reculées. Il sentit à nouveau la lame se planter, puis ressortir de sa chair. Puis, plus rien. Sa peau s'était lentement refermée et en un instant la douleur disparut comme elle s'était décuplée. Incrédule, Kyon se frappa doucement l'épaule, puis plus fort. La douleur était presque entièrement partie, seule demeurait la cicatrice. Il répéta l'opération et vida la fiole sur son ventre, ce qui lui provoqua spasmes et vomissements, comme seules réponses possibles à la douleur, puis son dos, serrant les dents pour ne pas hurler. Il prit la seconde potion, soigna sa plaie au visage et but ce qu'il restait comme le lui avait conseillé cet homme. Ses forces lui revinrent en un instant, et Kyon put enfin se relever et regarda autour de lui. Le combat avait été d'une violence rare. Le jeune guerrier se le remémora en regardant les corps de ses malheureux adversaires. Cet ennemi d'enfance... Le colosse... L'androgyne... Il regarda le ventre ouvert d'Érasthe et une envie de vomir lui vint. Il détourna les yeux. Il n'aurait jamais imaginé que, quand bien même sa vie fut-elle en danger, de tels actes de violences eurent pu être le fait de sa personne. Il sentit des larmes commencer à lui bruler les yeux. En un instant, il avait tellement changé... Il se reprit, puis prêta attention à un bruit dont il n'avait réalisé la présence que depuis un court instant, un petit ruissellement qui lui indiquait qu'il devait se trouver non loin d'un court d'eau. Se laissant guider par son ouïe, il s'éloigna quelque peu du lieu du massacre et, titubant, marchant comme un vieillard, presque, découvrit un petit ruisseau dont les tumultes formaient de petites flaques tout autour de son lit. Kyon s'approcha de l'une d'elles et regarda son reflet... Il avait bien triste allure... Ses vêtements étaient maculés de sang, et ses mains étaient désormais celles d'un meurtrier, toutes rouges et gluantes qu'elles étaient. Jamais il n'avait ôté la vie à quelqu'un jusqu'alors. Il approcha son visage de la flaque. Ses longs cheveux blancs avaient viré au châtain rougeâtre, tout rassemblés en paquet qu'ils étaient, sous l'effet de la coagulation du sang. Il s'approcha encore un peu. Sur sa pommette droite une fine cicatrice en forme d'étoile à 4 branches, la même qu'il avait provoqué sur le visage de son vieil ennemi durant son enfance, venait perturber l'harmonie de ses traits.
« Destins liés, hein ? » dit-il en y repensant."J'aurais pensé que la potion efface les marques... » se dit-il, à demi déçu.
Une mèche de cheveux s'échappa de derrière son oreille et s'en vint briser le reflet, ramenant Kyon à la raison.
« Je ne vais pas faire le difficile non plus... J'ai déjà de la chance d'être en vie. »
Il retourna sur les lieux de la tuerie, et récupéra la dague de son adversaire :
« Melchior... Tu me veux combattant à l'épée ? Eh bien, je te tuerai par l'épée. »
Il regarda cette petite dague ridicule :
« Autant commencer par la base... » dit-il tout haut.
Il fouilla les poches de ses victimes et trouva quelques milliers d'adenas.
« C'est tout ce que vous étiez payés pour me tuer ? Je pensais valoir un peu plus à ses yeux... » maugréa-t-il.
« Qu'importe... Cet argent est mien désormais.» dit-il en empochant les pièces d'or, puis il retourna au ruisseau, se déshabilla et se mit à genoux face au courant malgré le froid que le cours d'eau avait conservé en dépit de la chaleur du soleil.
«Une cité, donc... Autant essayer de ne pas en effrayer les habitants... »
Il se lava tant bien que mal, puis prit ses vêtements et les nettoya comme il pouvait. Une fois que le résultat fut à peu près convenable, il les mit à sécher sur un rocher, puis s'allongea lui-même au soleil, qui, après tout, n'était pas si désagréable que cela. Au bout d'une heure, il se rhabilla, rassembla ses affaires et retourna auprès de l'arbre. Ses forces lui étaient en grande partie revenues, bien qu'il se sentît encore un peu faible. Évitant les cadavres, il se mit à genoux devant son père et, comme si celui-ci pouvait l'entendre, dit :
« Vous avez eu raison de me faire confiance, Père. Je jure sur mon honneur, qu'un jour viendra où je vengerai votre mort. Mais il est trop tôt. Je ne veux pas mourir en vain. J'ai encore beaucoup à apprendre avant de venir à bout d'un adversaire tel que lui. Mais je fais ici le serment de vous venger. » Il se leva et, avait-il rêvé, il crut bien voir les feuilles de l'arbre s'enorgueillir d'un vert plus vif, et il les entendit comme tressaillir. Son père l'avait entendu, il en était convaincu. Il ne put retenir un sourire. Il se retourna, prêt à prendre la route, et vit une jeune fille aux cheveux verts lui faire face, l'épée à la main :
"C'est... c'est toi qui a fait ça ? » demanda-t-elle d'une voix mêlant crainte et colère.
Kyon se défendit à peine :
"Ils m'ont attaqué."
"Tu plaisantes j'espère ? Tu n'as pas l'ombre d'une blessure !"
"C'est pourtant la vérité."
La jeune épéiste resserra son poing sur le manche de son épée.
"Tu es un meurtrier... Et donner la mort ne mérite que la mort..."
"Attends !!! Je..."
Trop tard...La jeune fille se jetait déjà sur lui l'arme à la main. Il esquiva l'attaque, prit le poignet de la jeune fille qu'il retourna contre elle, la serra contre lui et, appuyant la lame de sa propre épée contre la gorge de celle-ci, lui murmura à l'oreille :
"Je te jure que je dis vrai."
La jeune fille se débattait.
"J'ai été attiré ici par un homme qui m'a fait croire que je pourrais retrouver mon père, et ces hommes qui étaient notre escorte m'ont attaqué de fourbe manière. Je ne suis pas un meurtrier. Je ne voulais pas mourir."
En prononçant ces mots il appuya la lame sur la gorge de la jeune fille.
"Et tu vas me faire croire qu'ils ne t'ont même pas touché ? Tu n'es même pas blessé !"
"Un homme m'a offert des potions. Sans lui, je serais probablement comme eux à présent."
Il se retourna avec elle toujours sous son étreinte et ils firent face à l'arbre.
"Regarde là-haut."
Hésitante, elle s'exécuta.
"Tu vois cet homme ?"
"Le squelette ?"
"C'est mon père. L'homme qui l'a tué est celui qui a payé ceux-ci pour qu'ils m'abattent", dit-il en désignant les cadavres, "et si tu ne me crois toujours pas, accompagne-moi jusqu'à la cité la plus proche. C'est là-bas que se trouve l'homme aux cheveux lavande qui m'a aidé. Et puis reconnais que si j'étais un meurtrier, ta tête joncherait déjà le sol..."
"Attends... Tu as parlé d'un homme aux cheveux lavande?"
« Oui. »
« À quoi ressemblait-il ? »
« Un guerrier, taille moyenne, le visage plut… »
La jeune fille sembla soudain se détendre :
« C’est Abedissi !!! »
« Pardon ? »
« C’est Abedissi, un ami à moi. Je dois le rejoindre. »
« Oh… »
« Tu peux me lâcher maintenant, s’il te plaît ? Je ne t’attaquerai pas, c’est promis. »
Kyon hésita un instant, puis accepta.
« Oui… »
Il libéra sa captive, récupéra son bô au sol et sans un mot s’éloigna de l’arbre.
« Dans ce cas-là, si tu es prête… »
« Je t’accompagne ! »
Il se retourna, entendit un cri derrière lui, fit volte face prêt à dégainer sa modeste lame, et eut juste le temps de rattraper la jeune fille aux cheveux verts avant qu’elle ne s’effondrât dans une mare de sang à moitié séché.
« Comment as-tu fait ton compte ? »
« Je… j’ai trébuché sur… euh… »
Elle désigna le corps du colosse, pourtant difficile à ne pas voir. Elle se releva :
"Au fait ! Je ne me suis pas présentée ! Je m’appelle Sylienne. Il paraît que je suis un peu maladroite… »
Elle tira la langue en signe de connivence.
« Et toi ? »
« Moi, je ne suis pas maladroit », fit Kyon dans un sourire.
« Mais non !!! Ton nom ? »
« Je m’appelle Kyon Reyd... Hum... Kyon simplement...»
Voyant que le guerrier n’avait pas forcément envie de développer, elle enchaîna sur un « Très bien ! On y va ? » enjoué avec un regard interrogateur à l’attention du guerrier.
« Je te suis », répondit-il simplement, en se mettant en route...
Les premiers jours suivant son arrivée sur L'Île Qui Parle, Kyon les passa l'épée à la main en compagnie de la jeune Sylienne. De toute évidence, l'ami de Sylienne qui avait été d'un si grand secours à Kyon ne semblait pas avoir très envie de se montrer, ou était déjà parti.
"Mais enfin tu es sûre que ton ami a dit qu'il t'attendait sur cette île ?"
Sylienne haussa les épaules :
"Bien sûr ! Je te rappelle que tu l'as croisé toi aussi. Il était convenu que nous nous retrouverions au village..."
Kyon semblait plutôt convaincu que son ami était soit mort, soit parti, mais Sylienne s'obstina. Kyon avait à peine dormi deux heures depuis qu'il avait eu à tuer 3 hommes. Chacune de ses nuits n'était qu'une succession de cris, de visions sanguinaires et du visage de Melchior impassible disant : "Finissez-le." Il eut un sourire doux pour la jeune fille et lui dit :
"Sylienne, tu devrais te rendre au village, et interroger les habitants au sujet de ton ami. Il parait peu probable que personne ne sache rien. De mon coté je vais tâcher d'explorer l'intérieur des terres."
Le jeune homme semblait sûr de lui, aussi la guerrière n'hésita pas une seconde et acquiesça. Kyon se retourna, et s'engouffra dans cette forêt verdoyante qui s'ouvrait devant ses yeux clairs...
Il n'avait pas réellement espoir de retrouver Abedissi dans cette forêt, mais n'avait pu encore extérioriser toute sa rage et tout son mal-être face à la traitrise de Melchior, sa vie. Kyon avait du tuer des êtres vivants et intelligents, des humains de ses propres mains, pour que lui ne le soit pas... Il s'éloigna du village aussi vite qu'il le pouvait courant sans direction précise juste pour être seul... Sa vie entière n'était qu'un mensonge. Il s'effondra au pied d'un arbre une nouvelle fois, laissant parler enfin son coeur, il se laissa aller aux larmes. Il entendit soudain une voix... Méprisante, la sombre se tenait quelques mètres derrière lui et lança :
"Eh bien... En plus d'être faible les humains sont pleurnichards... Cela va de paire, remarque..."
Kyon lui répondit avec toute l'amabilité du monde :
"Garde tes préjugés raciaux pour toi sorcière, je n'ai que faire de tes sarcasmes et n'ai pas besoin d'une vipère de ton genre... Retourne ramper sous terre..."
Kyon se retourna, et entendu soudain une incantation dans une langue qu'il ne connaissait pas. Il fit volte face, et vit une boule de feu immense arriver sur lui. Il se saisit de son bouclier et se protégea, déjà complètement ébloui, de la masse d'énergie qui formait une immense bulle de lumière autour de lui... Il garda les yeux fermés hurlant sous la douleur qu'ils lui faisaient ressentir mais même fermés, tout était blanc pour lui, comme si un douloureux voile nacré était passé sur ses yeux clairs si expressifs. N'en pouvant plus de douleur, aveuglé par cette attaque il finit par jeter son épée, celle-là même dont Sylienne vantait l'élégance la veille au soir, à l'aveuglette, plus ou moins au hasard en direction de la provenance de cette boule d'énergie, et entendit soudain ce bruit du métal ouvrant la chair et le crissement du même métal arrêté dans sa course par un os... La seconde d'après la chaleur de la boule d'énergie se dissipa, et il entendit son adversaire s'écrouler lourdement. Il avait eu à tuer une nouvelle fois, mais c'est la chance qui avait guidé sa main. Il resta ainsi, prostré, aveugle, pendant plusieurs heures, espérant que la vue finirait par lui revenir... Le voile blanc peu à peu s'assombrissait, pour finalement devenir tout à fait opaque au bout de quelques heures. Plongé dans la nuit noire, loin de tout, Kyon finit par s'endormir...
Lorsqu'il se réveilla enfin, il prit conscience de la situation. Il se frotta les yeux, dans l'espoir naïf de lever ce voile de ce simple geste, puis ne put retenir un hurlement de rage envers le destin... Comment un combattant inexpérimenté tel que lui, aveugle de surcroit, pourrait un jour égaler le plus grand combattant qu'il ait jamais vu? Il se leva, trébucha, tomba sur le cadavre de celle dont il avait enlevé la vie quelques heures plus tôt... A tâtons, il chercha son épée pataugeant dans le sang de sa victime, jusqu'à enfin la trouver... Il prit la décision de rentrer au village, puis se ravisa, réalisant qu'il ne savait pas où il était, et ne pouvait plus se servir de ses yeux pour se guider... Il avança à tâtons, se servant de son épée pour distinguer à l'avance les obstacles qui pouvait s'offrir à lui. Il trébucha maintes fois, se relevant systématiquement, avec la rage de vivre au coeur, vivre tant qu'il n'aurait pas pu tenir sa promesse, et laver son honneur. Malgré tout, il refusait de ne plus y croire.
Il entendit soudain un grognement en face de lui, puis un bruit de pas coursant vers lui. Il resta tétanisé une seconde, puis se ressaisit et décida de la seule solution possible, l'affrontement avec ce monstre, quel qu'il soit. La fuite, compte tenu de son handicap, n'étant même plus une option pour lui. Il se concentra, et lorsqu'il sentit le monstre devant lui, frappa, provoquant un hurlement terrible de la bête qui avait été visiblement touchée. Content de la souffrance du monstre, il resta malgré tout calme et attentif, et sentit un léger courant d'air partir brutalement vers la droite... Il comprit que c'est de ce coté que la bête allait frapper et para avec son bouclier, puis contre attaqua, frappant et ouvrant la tête de la bête d'un coup vif. Il comprit alors. Le destin lui imposait simplement une épreuve de plus, mais l'étoile qui veillait sur lui le garderait en vie tant que sa mission ne serait pas accomplie... Il eut un sourire doux amer, puis après réflexion, prit la décision de rester dans cette forêt aussi longtemps qu'il le lui faudrait pour apprendre à vivre avec son handicap...
L'apprentissage ne se fit pas sans difficulté. Mille fois il chut, hurla de rage, ne parvenant pas à se servir du vent pour ressentir tel ou tel obstacle, ou ratant avec son épée la cible qu'il avait choisie. Il réapprenait la chasse contre de modestes adversaires avant tout pour se nourrir, mais surtout, pour redevenir autonome.
Il resta en tout 6 mois seul, dans cette forêt à réapprendre son corps sans ses yeux tout d'abord, puis au fur et à mesure que le temps passait, il remarqua qu'il parvenait à distinguer les fortes sources de lumière, puis les ombres.
A la fin de cette période, il prit la décision de retourner au village. Il se sentait meilleur combattant qu'il ne l'avait jamais été voyant. La moindre sensation, un effluve, un son, une variation d'un courant d'air même, rien ne lui échappait. Il rentra au village et prit la décision de devenir, malgré, ou grâce à son handicap, un membre de la Chevalerie, quitte à mentir aux membres de cet ordre, il le devait pour la mémoire de son père. Il était prêt.
Les gifles que lui infligeait la mer déchainée ne faisaient guère plus d'effet à Kyon qu'un simple courant d'air. Sur la proue, les marins de cuisine vomissaient tout ce qu'ils avaient eu à offrir à leurs tripes, se tenant aux rebords pour ne pas tomber dans ces eaux tourmentées. Kyon ne bougeait pas. Il restait là, assis, enveloppé dans cette immense cape pour se protéger un minimum de la tempête, son épée à deux mains appuyée sur le sol du bateau qui tanguait à en chavirer. Recroquevillé sur lui même, il attendait que cet interminable voyage vers Gludin en finisse, son visage, tout comme ses yeux de manière permanente, fermés, ne laissant filtrer la moindre expression de souffrance, haine, fatigue ou même langueur. Un homme vint s'asseoir, tachant de ne pas choir face aux mouvements du bateau, auprès de lui.
"Eh bien... Tu sembles en meilleur forme que la dernière fois mon ami..."
Kyon tourna la tête, sembla légèrement hésiter avant que son visage ne se laisse gagner par un mince sourire :
"Vous... C'est un plaisir d'entendre votre voix. Je vous pensais mort à vrai dire. Votre amie désespérait tellement de vous trouver..."
"Elle te croit mort toi aussi... J'avoue que je le croyais aussi... La dernière fois que je t'ai vu, tu n'avais... pas très bonne mine..."
L'homme éclata d'un grand rire sonore.
"Oui, mais grâce à une aide extérieure... Je m'en suis sorti... Je ne vous ai même pas remercié. Je vous dois beaucoup je pense."
L'homme hésita un instant :
"Tu sais bien que cela n'aurait rien changé... je me suis contenté d'accélérer les choses tout au plus."
Kyon tendit la main d'un geste sûr et confiant vers son ancien bienfaiteur :
"Votre amie vous l'aura sans doute dit, mais je me nomme Kyon. Vous êtes Abedissi, c'est bien cela ?"
L'homme observa un silence, serra la main fermement, puis répliqua :
"Moui oui.... Mais... Tes yeux... Il ne m'avait pas semblé que tu aies été blessé aux yeux... Pourquoi les gardes-tu donc ainsi clos ?"
Kyon raconta ses pérégrinations et le sort que connut sa vue durant le reste de la traversée à Abedissi. Il lui raconta son arrivée sur l'île, la trahison de Melchior, son père, la magicienne et ses rêves de chevalerie. Arrivé à bon port, il réalisa qu'il n'avait plus parlé à qui que ce soit depuis des mois.
"Et vous ? Pourquoi donc avez-vous pris ce bateau ?"
L'homme soupira légèrement puis se contenta de répondre, se saisissant de son épée :
"Fortune et gloire l'ami... Et quelques comptes à régler aussi..."
Ils se rendirent ensemble du port à la cité de Gludin. Là, Kyon s'excusa, et se rendit sous les indications d'un nain au clan guerrier le plus proche. Au bout de plusieurs heures de requête, il parvint enfin à obtenir une brève entrevue avec le grand maître Ramos, maitre es chevalerie dans la ville de Gludio.
"Eh bien." dit celui-ci d'un ton ferme, "on me dit qu'un jeune combattant, prétendant ne pas même avoir de nom, demande à me voir, comme s'il était tout naturel que je reçoive n'importe quel va-nus-pieds se baladant avec une ridicule épée en bois... Qui es-tu, jeune téméraire ?"
Kyon mit un genou à terre, inclina la tête et dit le plus respectueusement du monde :
"Messire, je me nomme Kyon, autrefois Kyon Reydaarn, mais c'est un nom que je ne saurais porter à présent."
Il laissa une petite seconde s'écouler, puis reprit :
"J'étais l'élève d'un mercenaire ayant servi sur ces terres en compagnie de mon père, qui, selon ses dires, était un chevalier. Hélas, je ne connais pas même son nom. Mon mentor s'appelait Melchior Reydaarn. Lui et mon père combattaient probablement côte à côte."
"Le nom de ce guerrier ne m'est pas inconnu en effet. Mais je crains de ne pas connaître tous les camarades qu'il a pu se faire sur les champs de bataille. Je regrette, mais je ne peux pas t'aider à retrouver ton père."
Comme le maître Ramos se retournait pour s'en aller, Kyon se releva, et les yeux toujours clos, et se saisit avec respect mais fermeté du poignet de l'homme d'âge mûr, ce qui eut pour effet de provoquer l'arrivée des gardes alentours.
"Messire..."
Kyon se tenait face au maître, les yeux clos, le visage fermé et sévère. Le maître fit signe à ses hommes.
"Mon but n'est pas de retrouver mon père. Il est mort comme un chevalier doit mourir, je pense. Mais je veux honorer sa mémoire. Je veux que vous fassiez de moi un chevalier."
La réponse du maître fut sans appel :
"Tu as visiblement des lettres et tu connais les règles de notre ordre, bien que ta fougue puisse te porter préjudice. Ton maître a bien fait son travail. Mais nous n'acceptons pas les handicapés en notre sein. Je dois te demander de partir."
Kyon se retourna fit quelques pas vers la sortie, puis sortit calmement son épée à deux mains, se retourna à nouveau et lança :
"Bien. Alors je défie l'un de vos gardes. Si je suis vaincu, vous n'entendrez plus parler de moi. Dans le cas contraire, je pense que la démonstration sera faite que je n'ai aucun handicap sur eux... J'aurais donc droit au même enseignement."
Maître Ramos fronça les sourcils, s'empourpra, avant de sembler soudainement serein et d'éclater de rire :
"Bien... J'accepte tes conditions mais en rajouterai une. Si la preuve de ta faiblesse est faite, tu devras quitter Gludin sur le champ, sous peine de mort pour avoir brandi ton arme en présence du Maître de L'Ordre de chevalerie de Gludin. Après tout, ta volonté semble honorer un désir bien fort de devenir chevalier."
Kyon acquiesça, ses mains légèrement moites resserrant le pommeau de son épée, mais son visage impassible ne trahissant pas le moins du monde le doute qui l'habitait.
La voix d'un garde retentit :
"Messire, j'aimerais me charger de cet effronté, si vous me le permettez."
"Très bien, Mesnar... Kyon, ton défi est donc lancé à Mesnar. Si vous êtes prêts, soldats..."
Mesnar grommela un "moui", tandis que Kyon acquiesçait.
Mesnar se lança vers "le pauvre petit aveugle, dont il n'allait faire qu'une bouchée" un large sourire aux lèvres, mais ce sourire se figea lorsque sa course fut arrêtée par le choc des lames des deux combattants l'une contre l'autre. Mesnar eut un petit saut de recul, qui permit à Kyon de contre-attaquer. Mesnar à nouveau dut reculer pour éviter la lame de Kyon qui frôla son armure à hauteur de son ventre au point de faire crisser la lame contre le métal de l'armure luxueuse de Garde que portait Mesnar. Ses yeux affolés essayèrent de regarder ceux de Kyon, toujours protégés par ses paupières closes. Il para l'attaque suivante du combattant aveugle, puis cessa de le mésestimer pour se concentrer sur le combat. Les deux combattants s'affrontèrent pendant plusieurs longues minutes avant que Mesnar n'entrevit une brèche dans la défense de Kyon, le jeune combattant ayant légèrement trop relevé son épée pour lui porter un coup. Mesnar, d'un coup puissant lança son épée vers le flanc gauche de Kyon qui tourna sur lui-même dans un pas sur la droite accompagnant ainsi le mouvement de l'épée de son adversaire, son armure d'os se brisant sous l'impact, puis acheva son tour en arrêtant sa lame à quelques centimètres de la gorge de Mesnar qui ne bougea plus. Le visage toujours fermé du jeune homme n'exprimait toujours aucune souffrance, bien qu'il ait été touché, Mesnar le savait.
Un long silence accompagna cette image de Kyon, bras tendu, la lame toute proche de la tête de son adversaire, et Mesnar prostré, un genou à terre, sachant que le moindre mouvement pouvait lui coûter plus cher qu'une défaite en combat singulier. Au bout de quelques secondes, ce silence, faisant l'instant encore plus figé que la position des protagonistes ne le rendait déjà, fut brisé par trois claquements de main répétés. Le maitre Ramos semblait avoir été distrait par ce spectacle.
Kyon rabaissa sa lame, Mesnar se releva, tout deux rangèrent leurs épées en leurs fourreaux et Mesnar tendit la main vers Kyon, celui-ci la serrant immédiatement.
"Je dois reconnaître que tu possèdes une certaine intelligence du combat et que tes yeux ne semblent pas vraiment te manquer. C'était dangereux de rabaisser ta garde pour pouvoir esquiver, surtout dans ta situation, mais tu as su jouer avec l'échec intelligemment. Ta volonté est visiblement inflexible. Soit là demain au lever du jour. Et ne t'attends pas au moindre traitement de faveur du fait de ta cécité. Tu devras travailler encore davantage."
Kyon acquiesça, fit une révérence devant son maître, puis quitta le bâtiment, toujours sans montrer la moindre émotion.
Un garde s'approcha du maitre et dit doucement :
"Messire... Vous savez que cette décision pourrait être préjudiciable à notre ordre ? Que se passerait-il si demain tous les pieds-bots, les estropiés et les sourds du royaume venaient afin de devenir chevalier ?"
Maitre Ramos regarda par la fenêtre :
"Croyez-vous vraiment que tous les estropiés du Royaume puisse battre un de mes gardes en combat singulier, et en épargnant sciemment sa vie qui plus est ?"
Le garde ouvrit la bouche, puis la referma, ne sachant que répondre.
"Si tel est le cas, c'est la garde en question qu'il me faudrait changer..." dit maitre Ramos en regardant Kyon laisser s'échapper dans la rue un flot de sang contenu dans sa bouche jusque-là, se tenant les côtes, un filet de sang ruisselant entre ses doigts.