[bghumain] Snäw.

Ici se trouvent les BGs des héros décédés, paix à leurs âmes.

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Snäw
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[bghumain] Snäw.

Message par Snäw » ven. 23 mars 2012 à 23h16

Spoiler:
Nom : Inconnu.
Prénom : Snäw.
Surnom :
Titre :  —
Age : 16 ans.
Sexe : Masculin.
Race : Demi-Elfe (dominance humaine).

Métier : Tanneur.
Compétences : Épéiste à double lames / Archerie.
  • Combat : Maîtrise de la chasse.
    Magie : Ne maîtrise que les rudiments des arcanes sylvains.

Alignement : Loyal/Neutre.
Langues parlées : Commun, elfique.

Situation financière : Riche.
Comportement social : Marginal / Vagabond.
Type d’éducation reçue : Stricte.
Influence : Artistes contemporains.
Pensée politique : Oligarchique.

Croyances :
  • Einhasad : Respectée.
    Gran Kain : Craint.
    Eva : Respectée et priée.
    Shilen : Crainte.
    Sahya : Respecté et prié.
    Pa’agrio : Respecté.
    Maphr : Respecté.

Relations extérieures : 
  • Elfes : +++
    Humains : +++
    Kamaels : --
    Nains : ++
    Orques : ++
    Sombres : ---
Dernière modification par Snäw le sam. 24 mars 2012 à 16h10, modifié 8 fois.

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Livre I - Chapitre I.

Message par Snäw » sam. 24 mars 2012 à 13h38

Livre I.


Chapitre I — La Débâcle.
[ image externe ]


Partie 1.
Une montagne aux courbes dangereuses surplombait fièrement la plaine enneigée, laissant sa peau être soulevée à son sommet par quelques bourrasques. Les serpentins de neige virevoltaient pendant un instant éphémère dans les airs avant de s'écraser durement au sol, trahissant la violence du vent. L'infini blanc semblait en proie au climat peu clément de cette fraîche soirée, où le soleil avait déjà prit la fuite en se terrant derrière un mont voisin. Seul le cri du blizzard résonnait en écho dans la vallée, se répercutant contre les parois rocheuses pour mourir dans le ciel quelques fragments de seconde plus tard.

Mais soudainement, un autre bruit retentit. Plus violent. Plus fort.
Telle une détonation.

Prémisse d'un soudain mouvement vers le sommet de la montagne, le bruit se mourut plus loin alors que la silhouette — simple point obscur en cette immensité immaculée — dévalait la pente. Roulant dans la neige à grande vitesse, comme ne parvenant à s'arrêter dans cette chute vertigineuse, elle continuait sa descente la menant inexorablement à une mort certaine. Un arbuste se dressa alors sur son chemin, la laissant le percuter de plein fouet. La capuche s'arracha alors dans une gerbe de sang provoquée par le fouettement des branches rudes contre le visage du jeune homme, l'entaillant profondément au niveau de la joue. Ce choc le fit voltiger quelques brefs instants dans les airs avant de s'écraser brutalement à nouveau dans un bruit de craquement sinistre. La chute reprit alors de plus belle, laissant le corps débarouler dans des mouvements incontrôlés, comme amputé de vie. La cape se fit alors coincée quelques mètres plus bas par un lichen recouvrant une branche morte au sol. Brutalement arrêté dans sa descente, les habits se déchirèrent pour laisser le corps continuer dans sa lancée. Mais une main ensanglantée se saisit alors d'un geste vif d'un pan de tissus pendant pour stopper la chute, ne laissant qu'un corps mou pendre au bout d'un simple espoir. Le visage ecchymosé et lacéré du jeune homme se vit alors prendre vie par deux yeux vairons s'ouvrant avec peine, comme se remettant difficilement de la dégringolade entreprise quelques instants plus tôt. Avec les maigres forces lui restant, celui-ci attrapa avec son autre main le lambeau de sa cape pour avoir une meilleure prise, mais celle-ci se déchira davantage. Inexorablement, le lin se fendait dans un craquement résonnant comme un requiem, et la survie de l'homme ne semblait plus que dépendre d'une poignée de secondes. Il serra alors les dents, laissant apparaître du sang qui se mit à couler du bord de ses lèvres gelées, avant de se hisser. Chaque mouvement semblait le tuer davantage, autant au niveau de son corps meurtri qui hurlait à l'agonie que le pan de tissu ne supportant cet effort. Mais il luttait, poussant des hurlements à chaque avancée de sa main tractant son corps plus loin, résonnant en écho avec le bruit de déchirement de plus en plus fort et continu. Puis, dans un élan désespéré, il s'élança pour envoyer sa main plus loin et attraper du bout de ses doigts la branche. Du sang coula alors sous sa paume, victime de la pression exercée de sa peau contre le lichen glacé.

Il poussa alors un ultime râle, avant de s'évanouir.

Partie 2.
Il se réveilla alors en sursaut, se rattrapant de justesse dans un mouvement de panique à la branche. Emporté par son sommeil, il avait lâché lentement sa prise pour finalement être sortit de sa torpeur par le sentiment de chute naissant. Mais malgré ce réflexe salvateur, rien n'était encore sauvé pour l'homme.

Péniblement, il parvint à se retourner pour s'asseoir convenablement dans la neige, éradiquant ainsi le fait de tomber une nouvelle fois. Ses habits, autrefois de manufacture correcte, n'étaient à présent plus que des haillons souillés de neige ensanglantée. Sa peau, quant à elle, avait prit un teint violacé inquiétant — étrange alchimie entre une hypothermie naissante et ecchymoses. Encore sous le choc, son corps ne cessait de tressaillir de froid et de peur, ne laissant que ce pauvre corps martelé trembloté dans cet infini blanchâtre.

Il osa alors un bref regard au dessus de lui pour contempler le sillon de sa précédente chute vertigineuse. Pris de tournis en voyant celui-ci, il détourna rapidement les yeux pour enfouir son visage entre ses bras. Inspirant et expirant péniblement, celui-ci tentait de rassembler ses idées afin de parvenir à se calmer et faire le point sur la situation. Rien n'était fini, et il le savait.

Un bref regard en aval et il comprit que la plus grosse partie de la descente de la montagne avait été déjà réalisée. Mais il n'était pas assez fort pour se permettre d'entamer la fin du chemin le menant jusqu'à la plaine, sous peine de quoi le moindre faux pas pourrait alors être fatal. Un souvenir lui frappa alors soudainement l'esprit. D'un geste vif, il agrippa le pan de sa cape déchirée encore accrochée à la souche pour la fouiller. Il la palpa frénétiquement pendant quelques instants avant de finalement sentir quelque chose qui le figea. Rapidement, il retourna celle-ci pour voir sa gourde encore présente, transparaissant à travers le tissu de la poche déchirée. Il s'en saisit et la porta à lui, avant de remarquer que celle-ci était fendue et que l'eau ne cessait de s'en écouler. Il entre-ouvrit alors ses lèvres en dessous pour en boire une gorgée, sachant que ses dernières gouttes lui seraient précieuses. Malgré cela, l'homme se permit de recracher le liquide une première fois pour retirer ce goût de fer dans sa bouche à cause du sang. Puis, il tendit la langue une nouvelle fois pour s'abreuver des dernières gouttes jusqu'à ce que sa gourde soit entièrement vide.

Dans un élan de colère, il lança cette dernière plus loin pour la laisser débouler plus bas jusqu'à disparaître.

Ce mouvement lui arracha alors un cri de douleur, et il comprit que son corps n'était pas seulement lacéré, mais aussi brisé à différents endroits. Son flan le lançait avec atrocité, l'obligeant à plaquer sa main contre, pour tenter de calmer la douleur – en vain. Il passa alors ses mains humides sur le visage, tentant une nouvelle fois de faire le point. Avec cet état, il ne parviendrait pas à atteindre en toute sécurité le bas de la montagne, mais s'il demeurait ici, il allait mourir de froid, de ses blessures, d'infections ou encore de déshydratation. Il était peine perdu d'essayer d'aller mieux ou même de se guérir — il n'en avait ni les capacités matérielles ni magiques. Son histoire semblait s'inscrire dans une impasse.

Mais le destin ne voulait pas lui laisser le choix.

Un bruit lourd retentit derrière lui, le sortant de ses pensées. Il lança un regard par dessus son épaule pour apercevoir une immense silhouette qui commençait à descendre de la montagne.

Il l'avait retrouvé.

Partie 3.
Le colosse des neiges fixait sa proie pétrifiée et blessée en aval, continuant sa descente en plantant profondément ses pieds dans la neige. Son poids assurant sa prise, celui-ci ne semblait souffrir du vent encore présent ou même de l'inclinaison de la pente vertigineuse. Du haut de ses deux mètres, la créature arborait un physique impressionnant, fait de muscles imposants et tendus. Légèrement trapu, son déplacement lent et saccadé donnait encore plus d'ampleur à sa puissance, laissant ses deux épaules avancée l'une après l'autre avec conviction. Ses yeux, aux prunelles sanguines, ne cessaient de fixer sa proie alors que sa lèvre inférieure sautillait frénétiquement sous la rage. Deux crocs d'une vingtaine de centimètres sortaient de sa bouche, laissant imaginer la force massive de sa mâchoire et les dégâts que pourrait causer la moindre morsure. Sa peau, quant à elle, demeurait recouverte d'une épaisse fourrure grisâtre où quelques branches et autres insectes se seraient fait piéger.

A sa vision, le jeune homme tressaillit. Il tenta de se relever, instinctivement, mais son flan le lança si brutalement qu'il s'écroula au sol lourdement. Il manqua de glisser à nouveau, mais à peine eut-il descendu une poignée de centimètres qu'il enfonça profondément ses doigts dans la neige pour se retenir. Couché au sol, agité de douleurs le frappant comme des éclairs au niveau de la taille, il ne pouvait qu'observer entre deux mèches blondes trempées son bourreau avaler la distance. Sa respiration demeurait haletante, suffocante, alors que le froid de la neige semblait l'enlacer pour l'emprisonner en ses bras. Le troll des neiges eut alors une sorte de rictus, repliant légèrement ses lèvres tout en agitant brièvement son museau — il semblait se délecter de voir sa proie piégée comme un vulgaire rat.

Au fur et à mesure que le colosse approchait, le sol se mit à trembler sous ses pas, rendant la prise de l'homme difficile. Les soubresauts semblaient résonner en écho avec son cœur au sol, comme si ses propres battements le soulevaient à chaque fois. Une poignée de mètres les séparait encore, et le jeune homme se mit à réciter frénétiquement et silencieusement des psaumes à une entité supérieure. Puis, laissant sa vie à la bonne grâce du destin, il relâcha sa prise.

Son corps se mit alors à glisser le long de la montagne sous la surprise du troll. Celui-ci accéléra le pas pour tenter de rattraper le fugitif alors que ce dernier prenait de la vitesse, à son grand dam. Il regardait le monstre s'éloigner petit à petit dans le tumulte de neige qui s'agitait devant ses yeux sous son passage, avant qu'un rocher ait raison de lui. Le choc fit que son corps dévia de sa trajectoire, lui faisant faire une cabriole douloureuse avant de dévaler la pente comme un vulgaire rocher s'écroulant. Instinctivement, l'homme tenta de se retenir à quelque chose, mais toutes ses prises cédaient sous la lancée. Bien que fin, la vitesse alliée à son poids semblait le rendre lourd comme de la roche; et rien ne semblaient parvenir à bien vouloir tenir assez pour le ralentir ne serait-ce qu'un minimum. Pris au dépourvu, il se saisit instinctivement de sa dague encore dans son fourreau tout en se retournant face contre la neige. Il la planta de toutes ses forces, espérant pouvoir percer la couche blanchâtre pour atteindre le sol et l'arrêter. Mais cela n'était que vain, laissant la lame trancher la neige comme une simple feuille. Pourtant, il s'accrochait à celle-ci, comme si elle demeurait son unique espoir. Les yeux clos, aveuglé par la neige, tout se rattachait à présent à une simple arme forgée de ses propres mains. Tout.

Soudainement, il sentit une légère secousse agiter sa main pour se répandre tout le long du bras. Sous les vibrations, ses doigts commencèrent à lâcher la prise instable, que cela soit par son humidité dû à la neige que ses soubresauts. Le jeune homme comprit alors que sa survie dépendait de sa prise. II puisa dans ses dernières ressources pour saisir de toutes ses forces la dague qui semblait gratter le sol dans un sifflement strident. L'instant sembla lui durer de longues minutes, où chaque effort pour perdurer l'attache était une souffrance incommensurable. Puis, la lame se figea alors d'un coup sec, plantée, laissant le corps de l'homme lâcher sa prise sous le choc pour débouler en contre-bas. A son grand étonnement, il ne roula que quelques mètres avant de s'arrêter sur une surface plane où il glissa quelques instants.

Il ouvrit les yeux. Il était dans la plaine.

Partie 4.
Bien que vivant, cette dernière chute semblait avoir eut raison de lui. Son corps refusait de bouger, et ses yeux se voilaient lentement mais sûrement. Il tentait de garder conscience, de ne pas céder sous les assauts de la douleur, mais ses réserves étaient à présent épuisées. Il entendait un son sourd autour de lui, résonnant avec une sonorité étrange à ses oreilles sifflantes. Il savait que son prédateur continuerait de le pourchasser jusqu'à son trépas, et que ces bruits violents n'étaient autre que ses pas approchant. Il voulait relever la tête pour le voir arriver, mais il ne parvenait à accomplir cet acte pourtant mineur. Lentement, il commença à accepter son destin.

Laissant sa tête retombée contre le sol, il admirait de ses yeux embués la plaine enneigée et parfaitement plane s'étendant devant lui. Sa joue brûlait sous la froideur de la neige, mais il s'en moquait. Il ne voulait que regarder cette nature une dernière fois, avant de rejoindre l'obscurité. La lumière diaphane de la lune donnait à cet endroit pourtant simple, une dimension féérique.
Il sentit alors les vibrations sous son corps, lui rappelant que son bourreau ne devait être plus qu'à quelques mètres de lui. Il soupira une dernière fois et s'apprêta à fermer les yeux sur la vie, lorsqu'un bruit l'interpella. A chaque secousse, un bruit étrange résonnait dans son oreille couchée sur la neige. Était-ce son imagination, ou son ouïe lui jouant de vils tours ? D'un mouvement de main, il balaya la neige devant lui en serrant les dents sous l'effort.
Sa découverte lui fit l'effet d'une décharge lui parcourant tout le corps.

Oui, il allait mourir. Mais maintenant, il savait qu'il pourrait le faire dignement.
Il ramena son visage devant lui, laissant le bas de la montagne apparaître devant ses yeux. Les secousses étaient de plus en plus fortes, ravivant les douleurs et blessures de tout son corps à chaque vibration. Mais il tenta d'en faire abstraction : il était animé d'une nouvelle force. Le jeune homme leva davantage le menton, laissant les courbes du mont devant lui se dévoiler de plus en plus. Il vit alors sa dague plantée une poignée de mètres plus loin dans la neige, encore intacte. Il posa alors ses deux mains devant lui et se fit glisser de quelques centimètres en serrant les dents sous l'effort. Il devait l'atteindre. Il se le devait. Rassembler ses dernières forces pour cet ultime effort. Il continuait de se trainer, usant à chaque fois de ses muscles endoloris qui hurlaient au supplice. Il avançait. Peu à peu. Lentement. Sûrement trop lentement. Les secondes étaient comptées avant que le troll arrive à sa portée, et chaque avancée avalait une seconde de plus en se dirigeant vers lui. Mais il devait attraper la dague avant son arrivée, coûte que coûte.
Il parvint finalement à moins d'un mètre de la dague. Il leva le bras et tenta de l'atteindre, mais ses doigts ne passèrent qu'à quelques centimètres de la garde. Il grinça des dents alors que les secousses sous son corps lui indiquaient que le troll des neiges ne se trouvait à présent plus qu'à une poignée de mètres. Dans un dernier effort, il poussa avec son pied pour gagner quelques centimètres. Son bras se saisit de l'extrémité de la lame.

Il osa un sourire.
Jusqu'à ce que la garde lui reste dans la main, amputée de la lame.

Les secousses s'arrêtèrent soudainement, alors que l'homme fixait la garde dans sa main. Tout espoir s'était envolé. Il leva alors légèrement les yeux pour apercevoir les deux pieds du prédateur devant lui, armés d'ongles cassés et tranchants. Plus aucun bruit ne retentissait. Seule la respiration du troll qu'il n'osait regarder soufflait à ses oreilles, avec un rythme parfaitement soutenu et répété. La fin était imminente. Mais il ne pouvait accepter de la concevoir ainsi.

L'homme prit alors avec rage la lame plantée dans la neige et amputée de sa garde, se tranchant la main sous la pression dans des giclées de sang. Il fit un brusque mouvement en arrière une fois attrapée, évitant de justesse un coup de la bête qui semblait vouloir l'achever. Le choc du poing colossal du monstre fit vibrer le sol tout autour de lui, alors que l'homme se laissa glisser jusqu'au bas de la montagne. La résonance du coup retentit dans toute la montagne, se répétant en écho pour aller se mourir plus loin. La créature, visiblement à bout de nerfs contre cette proie ne voulant accepter sa mort, poussa un râle avant de braver à nouveau la courte distance les séparant.

Le jeune homme se dressa alors sur ses genoux, affrontant avec dignité son prédateur qui était déjà devant lui. Il planta ses yeux dans les siens, prouvant en un regard déterminé que jamais il lui fera l'honneur de se laisser faire si aisément. La bête avança alors d'un pas, prêt à apposer le couperet de sa main sur la tête du jeune homme. Celui-ci affaissa alors sa lame dans un hurlement pour planter cette dernière brutalement au sol.

Un grincement strident retentit alors tout autour d'eux. Le troll, désemparé, jeta un regard circulaire avant de découvrir la fatalité.

Sous cette couche de neige, la plaine était trompeuse.
Et dans un bruit assourdissant qui résonna dans toute la vallée telle une explosion, la glace se brisa sous les deux corps pour les laisser tomber dans les eaux sombres du lac gelé. Et disparaître dans ses profondeurs, à la libre merci des abysses.

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Chapitre II.

Message par Snäw » sam. 24 mars 2012 à 15h31

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Chapitre II — Ôde à Ariane.
[ image externe ]

Un aigle, sur un rocher, contemple l’horizon béat.
Un aigle défend le mouvement des sphères.
Couleurs douces de la charité, tristesse,
lueurs sur les arbres décharnés, lyre en étoile d’araignée,
les hommes qui sous tous les cieux se ressemblent sont aussi bêtes sur la terre qu’au ciel.
Et celui qui traîne un couteau dans les herbes hautes, dans les herbes de mes yeux,
de mes cheveux et de mes rêves, celui qui porte dans ses bras tous les signes de l’ombre,
est tombé, tacheté d’azur, sur les fleurs à quatre couleurs.


[Paul Eluard.

Partie 1.
Le corps dénudé de l'homme reposait sur le tapis de feuilles cendrées, couché sur le ventre pour embrasser la terre-mère. Abandonné en cette forêt ancestrale, il demeurait encadré par de très nombreux arbres qui perdaient peu à peu leurs feuilles, s'écoulant comme de la pluie. Tout demeurait calme. Aucun bruit, ni même un mouvement. Le paysage semblait être figé dans un espace temps, emprisonné dans les mains du destin.

Puis, un vent se mit à souffler, se déplaçant tel un serpent au sol entre les arbres, faisant virevolter les feuilles sur son chemin. S'immisçant à grande vitesse dans le dédale forestier, il s'approchait tel un prédateur du corps inerte au sol avant de le frapper de plein fouet. Comme subissant un lourd choc, la dépouille de l'homme s'éleva du sol en même temps que les feuilles autour de lui avant de se figer dans les airs. Pendant quelques instants, il demeura immobile, sans que le moindre cheveux ne s'agite — aux mains de Chronos, le temps s'était arrêté.

Soudainement, Il relâcha la bride, laissant le corps et la végétation voletant autour de lui s'écraser dans un bruit étouffé. Il ne suffit alors que d'une poignée de secondes pour que le jeune homme poussa un râle en se réveillant, comme reprenant de l'air après une longue apnée. Apeuré, il lança des regards craintifs tout autour de lui pour voir où il se trouvait alors que son esprit restait embué. Où était-il ? Comment était-il arrivé ici ? Son cœur s'emballa, laissant son pouls frapper avec ardeur à ses tempes pour résonner en écho dans son crâne. Tel un animal effrayé, il se recroquevilla sur lui-même en position de fœtus dans ce tapis rougeâtre de feuilles automnales. Il ne remarqua même pas sa nudité, accablé par toutes ses questions qui martelaient son crâne avec violence. Il ne ressentait rien. Ni les douleurs de son corps qui le torturait encore quelques instants plus tôt lors de sa fuite, ni même la douceur du vent sur sa peau. Il semblait être cloitré dans une autre dimension, amputé de tout ressentit. Seule la pensée avait encore le droit d'exister.

Le jeune homme releva le menton pour observer les feuilles et l'herbe tout autour de lui, ainsi que les puissantes racines des arbres incrustant profondément leurs marques dans la terre meule. Abasourdi, il tenta de caresser les brindilles devant ses yeux de la paume de sa main mais ne ressentit aucune sensation. Une pensée lui transperça alors l'esprit.

Était-il mort ?

Bien qu'abasourdi par cette idée qui semblait se concrétiser petit à petit dans sa psyché, il comprit alors que tout cela n'était autre que son imagination. « Peut-être est-ce Ça, les Abysses » s'osa-t-il penser. Et s'il avait raison ?
Prenant appui sur ses deux mains, le jeune homme se releva alors, dévoilant la musculature d'une insolente jeunesse. Imberbe, fin et élancé, son adolescence était visible, mais quelque peu voilé par la musculature déjà présente pouvant porter à confusion sur son âge. Bien que faisant plus d'un mètre quatre-vingt, il semblait bien minuscule et fétiche entouré de ses immenses pins s'élevant jusqu'au ciel à perte de vue. Mais celui-ci ne se décontenança pas, inspirant fortement avant de passer la main dans ses cheveux blonds pour les remettre en place. Un regard circulaire lui affirma qu'il était seul dans cet endroit mystérieux, surement abandonné à son propre sort pour l'éternité. Il s'accorda une pause. Il fallait faire le point.

Il était tombé dans le lac gelé. Et il était mort. Aucune autre issue possible à cela. Il ne possédait pas la force physique pour nager, et l'eau était tellement froide qu'il se souvint alors qu'il ne possédait aucun souvenir de sa noyade — « Si glaciale qu'elle me tua sur le coup », pensa-t-il. Il était évident qu'il n'avait pu s'en sortir. Et même s'il était parvenu, inconsciemment et avec une force miraculeuse, à sortir de l'eau, il n'aurait pu se traîner jusque dans une forêt dans cet état. L'idée que quelqu'un ait pu le repêcher ne lui frôla aucunement l'esprit, puisque le moindre signe de civilisation demeurait à plusieurs dizaines de kilomètres de sa chute. Oui, il était mort, c'était une évidence. Mais alors, pourquoi se retrouvait-il ici ? Bien que n'ayant jamais pensé à ce qu'il se passe « après la mort », son esprit n'aurait jamais imaginé cela. Un néant infini. Voilà comment il s'imaginait la suite logique des choses : un repos éternel. Alors, pourquoi ? Était-il ici car il n'avait pas réussi à accomplir quelque chose avant sa fin, tel un purgatoire ? Ou alors était-ce bien le véritable visage des Abysses ?
Il plaqua les mains sur son visage pour se frotter les yeux, tentant de faire le vide. Toutes ses pensées commençaient à le torturer, et il savait que s'il devait vivre toute une éternité ainsi, il demeurait préférable de ne pas se ronger l'esprit sous peine de sombrer dans la folie.

Un nouveau regard autour de lui, puis il s'approcha d'un arbre immense qui ne se trouvait qu'à quelques pas. Tout d'abord, il fut déboussolé de ne ressentir aucune sensation sous ses pieds nus, lui créant un léger blocage. Puis, il se fit à l'idée et reprit son court chemin. Apposant sa main sur la peau dure du végétal, il osa lever la tête pour regarder de ses yeux vairons sa magnificence. Puis, avec un calme méthodique, il reprit son exploration autour de l'écorce afin de trouver la mousse qui devait certainement le joncher. Son instinct de chasseur ne l'avait pas oublié, et il savait que le nord serait toujours un meilleur choix de direction que se perdre dans ce paysage certainement interminable. Une fois trouvée, il se mit alors à marcher dans la direction indiquée par la mousse en prenant bien soin de ne pas dévier. Ce n'est qu'au bout de plusieurs minutes qu'il s'aperçut que les arbres alentours étaient recouvert d'une mousse indiquant un autre sens. Déboussolé par cette découverte, il fit le tour de plusieurs arbres afin de confirmer cela. La réponse se fit sans appel : dans ce monde là, les points cardinaux ne semblaient aucunement exister.

Il poussa un long soupir avant de se laisser glisser contre un tronc pour se lover entre ses racines.
Le temps allait-il lui rendre sa liberté ?
Partie 2.
Il attendit pendant de longues heures au pied de l'arbre, et déjà les premiers signes de faiblesse de son esprit devinrent palpables. L'absence de sensation commençait à le tourmenter, ne cessant de caresser l'herbe, les feuilles et même l'écorce en espérant pouvoir ressentir la moindre chose. Mais rien n'y faisait ; ses sens n'existaient plus. Seules la parole, l'ouïe et la vue semblaient encore intactes, alors que le toucher avait disparu en même temps que l'odorat. Pour ce dernier, il ne s'était rendu compte de cela que quelques minutes plus tôt en remarquant que les effluves forestiers qu'il appréciait tant du temps de son vivant étaient absentes. Et plus qu'il n'aurait pu le penser, ses carences se faisaient de plus en plus virulentes à supporter.

Une forêt interminable, seul et amputé de ce qui pourrait nous rappeler le goût de la vie. Il ne pouvait à présent plus que se concentrer sur ses pensées, en voyant sa fin d'une façon continue, et en hurlant sa rage vainement. Le Purgatoire avait un goût d'Enfer.
Il tentait vainement de trouver le sommeil, mais même lui semblait avoir prit la fuite de ce monde démentiel. Avec rage, il frappa sur la racine devant lui en s'avouant vaincu par l'absence de quelconque sensation ou même de blessure. Même sa colère ne pouvait être exprimée à sa juste valeur.

Le jeune homme laissa sa tête retomber en arrière pour contempler les branches au-dessus de lui, ainsi que le toit de feuilles. Il admira alors la lumière filtrer à travers, offrant des voiles fantasmagoriques où de la poussière virevoltaient parfois en son sein. Il décocha un sourire. Peut-être était-ce ainsi la clef de la survie : se contenter des choses futiles et de la beauté de la terre-mère, pour ombrager les mauvaises pensées. Mais soudainement, un bruit le sortit de sa contemplation. Il regarda à sa droite. Il n'y avait rien, que la forêt à perte de vue. Et pourtant, il était sûr d'avoir entendu un bruit. Les prémices de la folie avaient-elles commencé leur travail ? Il tendit l'oreille à nouveau et ne perçut le moindre son. Mais il continuait de demeurer attentif, bien que les minutes défilaient dans le mutisme le plus total. Ce son, c'était à quoi il s'accrochait, pour espérer trouver un soupçon de vie dans ce monde. Il s'y accrochait, comme le condamné s'accroche à l'espoir.

« Snäw… »

Le bruit qu'il perçut distinctement le fit tressaillir. Il avait bien entendu un son, et c'était de surcroît une parole le nommant. D'un geste vif, il se releva en prenant appui sur les racines pour courir en direction de la voix. Mais celle-ci s'était déjà tue, et le jeune homme fut contraint de s'arrêter dans la peur de trop s'éloigner et de ne plus l'entendre. Cette voix… Il l'avait déjà entendue, quelque part. Elle lui avait rappelé sa propre identité qu'il avait oublié dans le tumulte. Snäw. Tel il était.

« Snäw… »

Il tourna à nouveau sa tête dans une direction opposée, où il vit une ombre disparaître derrière un arbre pour ne jamais en ressortir. La voix était à présent plus proche, et il en perçut davantage les sonorités. Et cela lui provoqua un frisson dans le dos. Oui, il connaissait cette voix, mais son esprit semblait dresser un mur pour ne pas s'en souvenir. Pourtant, son corps semblait vouloir trahir sa psyché — lui, amputé de toute sensation jusqu'à maintenant avait ressentit ce frisson. C'était un signe. Il en demeurait certain. Il fonça alors en direction de l'arbre où l'ombre s'était volatilisée, laissant ses pieds nus écraser les feuilles sur son passage. Arrivé à portée, il déposa sa main sur le tronc et pivota autour pour tenter de retrouver l'étrange entité. Rien.

Un autre bruit attisa alors son attention, à peine plus loin. Il détourna le regard pour voir une silhouette de femme lui tourner le dos, aux cheveux d'un roux flamboyant tombant en cascade. Son cœur s'arrêta alors pendant quelques instants, subjugué par le charme qui exaltait de ses courbes. Il avança d'un pas, la respiration haletante, pour s'approcher davantage d'elle. Un parfum enivrant l'enroba peu à peu à mesure de sa progression, l'enlaçant pour l'envoûter au point de ne pas lui faire remarquer qu'il venait de recouvrir l'odorat. Enfin à proximité, il contempla les cheveux de la jeune femme s'entortiller dans des boucles parfaites, où transparaissait derrière une nuque à la peau laiteuse. Avec hésitation et tremblements, il leva sa main pour la déposer sur son épaule.

Partie 3.
La jeune femme, après un long silence, se retourna alors. Snäw recula d'un pas en voyant un visage amputé de toute forme, ne laissant qu'une peau tendue et uniforme. Horrifié par ce spectacle, il trébucha sur une racine qui le fit tomber au sol alors que la créature tendait ses mains dans sa direction. Soudainement, les cheveux roux s'enflammèrent pour ne laisser qu'un brasier ardent s'agiter, alors qu'un hurlement strident retentit dans la tête du jeune homme. N'eut-il que le temps de poser la main sur ses oreilles pour tenter de faire taire cette voix antérieure qu'un véritable spectacle d'horreur se dessina sous ses yeux.

Sous les pieds de la jeune femme, toute l'herbe se mit à disparaître pour s'enflammer. Du feu sortit des serpents constitués seulement de flammes qui rampèrent tout autour d'elle pour embraser la végétation luxuriante. Le jeune homme, voyant l'enfer s'approcher dangereusement de lui, se releva en hâte pour fuir. Il entendit alors le vent siffler à ses oreilles alors que tout autour de lui commençait à brûler, faisant de la forêt une fournaise inégalée. Le paysage défilait devant ses yeux, comme un film interminable tout juste saccadé par des troncs qu'il dépassait. Le souffle court, il continuait sa course à travers les bois, slalomant entre les arbres léchés par les flammes. La chaleur devint insupportable, alors que la fumée et les cendres prirent possession de l'air ambiant. Malgré sa vitesse, il ne semblait parvenir à fuir cette calcination qu'il sentait déjà le consumer. Un craquement retentit à ses côtés, et il eut juste le temps de sauter en avant pour effectuer une roulade dans l'herbe afin d'éviter un serpent de flammes qui venait de bondir sur lui. Ce dernier s'écrasa contre un tronc qu'il trancha en deux tout en l'embrasant.

L'homme se releva, reprenant difficilement son souffle. L'air n'était plus que souffre, et chaque respiration devenait davantage un supplice qu'une quelconque aide. Il releva la tête pour reprendre la route mais découvrit avec stupeur être d'ores et déjà prisonnier des flammes. Un tronc s'était abattu devant lui et se dressait tel un mur enflammé infranchissable, alors que la fournaise grignotait du terrain devant lui. Il s'effondra à genoux, la respiration commençant à lui manquer tant l'air était chaud. Son corps nu ruisselant de sueur se mit être agiter de spasmes sous sa toux qui tentait d'aspirer encore un peu d'air pur. Ses mains s'affaissèrent sur le sol, prenant un ultime appui pour supporter la virulence de l'incendie, lorsqu'une étrange lumière apparue devant lui. Ses mains se mirent à briller d'une étrange lueur immaculée, inondant très vite tout autour de lui de sa clarté vive et aveuglante. A peine eut-il le temps de fermer les yeux que celle-ci se dissipa pour laisser apparaître dans les mains de l'homme un arc et une flèche fait de lumière. A la fois paniqué et subjugué par ce qu'il venait de se passer, il n'eut le temps de réfléchir qu'une voix douce et rassurante résonna en son esprit. La simple sonorité sembla figer le temps tout autour de lui, l'apaisant et lui offrant une force nouvelle qui lui embrasa le cœur.

« Hebo estel, coneg nín. »

La voix se tut alors, laissant le jeune homme être ravalé par la réalité. Il remarqua alors que les flammes n'étaient plus qu'à quelques centimètres de lui. Sans même réfléchir, il banda l'arc de lumière en fermant son œil bleuté pour ne laisser que le verdâtre scruter en travers des flammes sa cible. Puis, il relâcha la corde, laissant la flèche siffler dans les airs pour pourfendre le mur de flammes et le faire s'écarter sur son sillage. Au grand étonnement du jeune homme, le projectile laissait derrière son passage un fil lumineux blanc alors qu'il se faufilait entre les branches pour disparaître dans la pénombre. L'éphèbe, sans laisser sa réflexion dominer ses actes, s'empressa de bondir à travers le voile percé de flammes pour reprendre sa route en se laissant guider par l'étrange fil. Le cri de la silhouette enflammée ne cessait de résonner dans son esprit, lui transperçant les tempes, mais il ne lâchait prise dans sa fuite. Les flammes gagnaient du terrain, mais il était porté par un souffle nouveau. Il savait que la liberté et la sauvegarde étaient au bout de ce maigre fil de lumière. Son fil d'Ariane.

Au détour d'un arbre, alors que sa course demeurait haletante, deux mains s'emparèrent de lui pour l'happer.

( Justification Archer. )
Dernière modification par Snäw le sam. 24 mars 2012 à 23h18, modifié 3 fois.

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Snäw
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Chapitre III.

Message par Snäw » ven. 30 mars 2012 à 19h53

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Chapitre II — Fenêtre sur rue.
[ image externe ]

Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur,
Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ?
A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ?
As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ?
Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ?
T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre
De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître
Un passant, à travers le noir cercueil mal joint,
Attentive, écoutant si tu n'entendais point
Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ?
Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre,
En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas !
Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ?


[Victor Hugo.

Partie 1.
L'air glissa le long des lèvres bleutées de l'homme, embrassant pendant quelques instants leur froideur. Puis, s'immisçant en sa gorge desséchée, il continua son chemin dans un murmure jusqu'à ses poumons qui se gonflèrent alors petit à petit. Ceux-ci, serrés comme de vulgaires fruits ayant subis les assauts du temps, prirent de l'ampleur avec beaucoup de mal. Comme d'ores et déjà putréfiés, chaque mouvement semblait les écarteler et provoquer des craquellements sur leur surface. Mais petit à petit, malgré l'effort, ils atteignirent une taille raisonnable avant d'entreprendre un rythme régulier de palpitation.

Le jeune homme ouvrit grand la bouche en se cambrant, prenant une grande aspiration bruyante. Les yeux écarquillés, il demeure quelques brèves secondes dans cette position avant de se laisser retomber, semi-inconscient. Son cœur semblait s'emballer, à la fois tourmenté par la peur et la surprise. L'air, quant à lui, parvenait difficilement à satisfaire sa respiration difficile. Chaque aspiration et expiation était bruyante et visiblement douloureuse, mais il se fit violence pour tenter de se calmer. A peine eut-il eut le temps de tempérer son organisme en ébullition que ses yeux furent agressés par la lumière vive qu'il semblait n'avoir vu durant de longs siècles.

Après un léger cri, il se permit de faire le point les yeux clos. Il ressentait chaque battement de son cœur, chaque souffle qu'il aspirait et expirait, chaque tressaillement de cils. Il était vivant. Mais pourtant, cela était impossible. Il était mort. Emporté par ses blessures, noyé dans l'eau sombre du lac, et étreint par les lacérations du froid. Oui, il avait succombé. Alors, qu'en était-il ? Était-ce encore un rêve, qui s'enchaînait sans enchevêtrement au précédent ? Non, c'était impossible. La douleur était réelle — il la sentait gouverner tout son corps, jusqu'au bout de ses orteils. La forêt, quant à elle, était amputée de tout. Aucune douleur, aucun ressenti, aucune émotion. Ce n'était le cas ici. Alors, qu'en était-il ? Était-il tout simplement chez lui, à avoir rêvé de tout cela lors d'une nuit bien agitée ? Cette pensée l'emplit d'espoir. Mais il devait en être sûr.

Après une grande aspiration, il décida de mouvoir sa main pour écouter les pulsations de son cœur. Mais la surprise le glaça, provoquant un frisson qui remonta tout le long de son échine. Aucune force. Le moindre doigt de sa main refusait de bouger, comme paralysé. Il tenta alors son autre bras, ou même sa jambe, mais rien de bien plus concluant. La vérité lui traversa alors l'esprit : il était entièrement paralysé. Pourtant, il se sentait bel et bien en vie. La réponse tomba alors tel le couperet d'une guillotine sur la tête du condamné : il était handicapé. Et ce, sûrement à vie.
Cette pensée l'assomma. Il sentit les pulsations de son cœur résonner contre ses temps alors que des vertiges assénaient son esprit, malgré ses yeux toujours clôt. Tout semblait tourner autour de lui, comme si sa couche était prise dans une tornade qui ne semblait jamais vouloir s'arrêter.

Il tourna alors la tête et laissa la gerbe en sortir, vomissant tout son estomac pourtant vide. Il demeura ainsi, la tête sur le côté et les lèvres entre-ouvertes, attendant que cela se finisse. Sa trachée subissait des sauts qui se répercutait par des râles gras et obscènes. Finalement, son corps sembla lui accorder un temps de répit et le vomissement s'interrompit. Bien que peu stable, la pièce semblait toujours légèrement tourner — et il ressentait cela à travers tout son corps. Il ouvrit alors lentement les yeux, alors que le goût nauséabond parfumait sa bouche et laissait un filet qu'il ne parvenait à essuyer au bout de ses lèvres. La lumière, ainsi positionnée, semblait moins vive. Le jeune homme parvint alors à les entre-ouvrir un peu, puis totalement, offrant à ses prunelles vairons une décoration entièrement floutée dont il ne percevait les détails. Pourtant, devant son regard voilé se trouvait une source de lumière opaque. Un encadré lumineux dans ce monde fantasmagorique et ténébreux. Elle représentait l'espoir dans ce moment douloureux.

Une simple fenêtre.

Partie 2.
Il se réveilla à nouveau, et put ouvrir les yeux sans mal. Il ne mit longtemps à comprendre qu'il s'était évanoui. Se contentant du peu de bonheur qu'il pouvait bénéficier, il se surprit à ressentir un pincement au cœur en voyant que le tournis s'était dissipé, que le goût du vomi avait disparu de sa bouche, et que ses yeux pouvaient à présent s'ouvrir sans douleur. La couverture avait été remonté, et il remarqua assez stupéfait que sa bille avait été lavé de son visage et du haut de son torse. Cela lui fit l'effet d'un véritable éclair. Quelqu'un s'était occupé de lui. Quelqu'un. Il n'était donc pas seul ! Il sentit à nouveau son cœur s'emballer, mais il tâcha de vite se calmer en fermant les yeux pour faire le point. Oui, il n'était pas seul. Et visiblement, cette personne ne lui voulait du mal puisqu'elle prenait soin de lui. Un brigand ou un scélérat l'aurait simplement achevé, ou même tué. Cette pensée le rassura, et il s'accorda un soupire de satisfaction. Il devait maintenant comprendre, et enlever cette zone de flou qui embuait son esprit afin d'éviter de mettre au supplice autant son corps que son esprit.

Il ouvrit à nouveau les yeux afin de savoir où il était. Le premier coup d'œil lui montra qu'il était dans une petite chambre aux murs de bois, possédant une taille assez conséquente pour trahir une aisance financière de son hôte. Le lit dans lequel il était couché se trouvait à une des extrémités, collé à un mur en son centre. Ainsi, il pouvait dominer toute la pièce et faire face à une porte en bois de l'autre côté. Les draps, remontés jusqu'à son coup, était immaculé et sentait la lavande. Ils avaient été lavé récemment. Il se surprit à apprécier la douceur du tissu — visiblement du coton — sur sa peau dénudée. Il s'accorda même de fermer les yeux quelques instants afin d'en apprécier chaque moment. Bien que paralysé, son corps demeurait encore sensible à la caresse. Cela était déjà ça. Le jeune homme ne put se retourner, mais il devina que sa tête était posée sur un épais coussin molletonneux. Un nouveau regard permit de cerner plus de détails de la pièce. Outre la porte en face de lui, incrustée au milieu du mur, il remarqua deux armoires identiques de chaque côté de celle-ci possédant chacune trois tiroirs. A leur surface reposait ce qui s'apparentaient à des sets de table, tissés dans une matière blanche pour arborer un motif rappelant l'art elfique. Il remarqua que les deux broderies n'étaient, quant à elles, non identiques. Pendant un instant, il se surprit à réaliser que chacun des motifs voulait dire quelque chose, mais son angle de vue ne permettait d'en voir tout le contenu. Il abandonna pour continuer son exploration. Au milieu de ses sets se trouvait pour chaque armoire un pot de fleurs, contenant du lys blanche. Il n'en sentait l'odeur à sa distance, mais il imaginait leur agréable odeur. Pendant quelques instants, il se surprit à se sentir en sécurité. De telles odeurs lui rappelaient la forêt — certainement le seul lieu où il se sentait en sécurité. Et malgré l'imagination, son esprit était bien à lui rappeler ce souvenir plaisant. Le premier bon souvenir que son cerveau semblait vouloir lui offrir depuis bien longtemps, d'ailleurs.

Le reste de la pièce n'était grandement orné. Un tableau était présent sur le mur de droite — mur qui réalisait derrière la longueur de la pièce. Il ne parvint tout de suite à savoir ce qu'il représentait, mais cru reconnaître le village des chasseurs. Sur le mur d'en face, au même niveau du tableau de son opposé, il vit une fenêtre. La fenêtre qu'il avait précédemment. Bien que propre, son teint semblait opaque, offrant une lumière diffuse qui pouvait tout aussi bien apparaître chaleureuse qu'inquiétante. Si bien qu'il ne parvint malgré la lueur à définir si dehors, le soleil affichait la matinée, le zénith ou encore le crépuscule. Il se contenta d'en conclure que c'était la journée, et cela lui suffit. Au bord droit de l'encadrement de la fenêtre se trouvait un rideau qui avait été vraisemblablement tiré afin de permettre à la lumière d'entrer. Il saluait l'initiative.
Il remarqua alors que le sol était fait lui aussi de bois, par le biais de blanches imbriquées. Il aperçu un coin d'un tapis blanc sortir de sous son lit pour laisser apparaître à ses yeux qu'une courbe arrondie. Il devina alors que celui-ci devait se trouver sous sa couche et dépasser de chaque côté. Rien d'autre n'attira son regard. Il scruta alors le plafond — lui aussi en bois, qui était d'ailleurs visiblement du chêne blanc étant donné sa teinte, comme tout le reste de la pièce — afin de méditer. Il demeurait chez un homme ou une femme, visiblement aux moyens aisés, qui appréciait les petits cottages ou maisons de campagne. Il était sensible à l'art elfique étant donné les broderies — ou alors en était-il un. Cela le rassura quelque peu. Bien que demi-elfe, il n'eut jamais de soucis d'intégration auprès de la race sylvaine qu'il considérait d'ailleurs comme sa fratrie. Les guerres raciales semblaient avoir entièrement disparue, au point de même en faire disparaître les vestiges sous les couches de l'histoire. Oh, il savait que certains voyaient très certainement d'un mauvais œil qu'il soit le fruit d'un amour entre un ou une humaine, et un ou une elfe. Que beaucoup devaient même maudire cette union sous les sourires conviviaux. Il s'en moquait : il les maudissait aussi.

A peine eut-il le temps de conclure cette pensée qu'un bruit retentit, le sortant de ses songes. Il rapporta le regard vers la porte, d'où avait émané le bruit. Il tendit l'oreille, laissant celle-ci au bout pointue bouger légèrement, avant d'entendre distinctement des bruits de pas. Des bruits de pas qui gravissaient des escaliers et approchaient de lui. Des pas calfeutrés et légers, étant donné que son excellente ouïe parvenait à les entendre avec difficulté — ou alors son ouïe avait subit un trop lourd trauma. Alors que les bruits cessèrent derrière la porte, son cœur s'arrêta.

La poignée pivota.

Partie 3.
Elle posa sa main sur la poignée ronde, s'immobilisant. Elle inspira, se préparant à entrer en scène. Tout lui dire maintenant serait une très mauvaise idée. Mais le fait qu'il ait couru un tel danger ne signifiait-il pas qu'il avait besoin d'aide, de réponses ? Non, pas encore. Il fallait d'abord qu'il se rétablisse. Puis qu'il trouve sa voie, qu'il manifeste l'envie de savoir, qu'il cherche un peu afin que la solution lui apporte toute la satisfaction et le soulagement du travail accompli. Oh, il allait la haïr pour n'avoir rien dit. Tant pis. Sa santé avant tout.

La poignée pivota.

Elle ouvrit lentement la porte, se dévoilant finalement tout à fait à son hôte. Ses yeux rencontrèrent les siens et son cœur se serra l'espace d'une seconde. 

« Te voilà enfin réveillé. »

Elle s'avança jusqu'au lit sans mouvement brusque. Elle ne voulait pas l'effrayer ou le tourmenter davantage.

« Je m'appelle Swann Feänor ; je t'ai repêché par chance il y a quelques jours. Est-ce que tu te souviens de ta chute ? »

Elle se pencha pour vérifier ses pupilles sans oser pourtant porter la main sur lui. Tout en concluant qu'il était bel et bien éveillé ; elle songea que peut-être la chute avait agi sur son ouïe. Aussi elle se tut, attendant sa réaction les yeux emplis d'inquiétude et plus encore au fond de compassion.


Il l'avait regardé se mouvoir jusqu'à lui, avec la grâce et la splendeur d'une nymphe. Assommé par cette rencontre, les paroles de la sylvaine semblaient résonner dans son esprit en des tirades de mots incompréhensible. Des lettres, imbriquées les unes dans les autres, sans queue ni tête. Ce n'est qu'au bout de plusieurs secondes qu'il comprit que cette dernière attendait une réponse, ses yeux bleutés fixés sur lui. Les battements de son corps s'accélérèrent, alors qu'il s'hasarda à fixer une des mèches blondes de son interlocutrice pour retrouver le fil de la conversation. « … chute ». Le tumulte qui avait envahi sa tête ne laissa comme seule trace ce mot se mourir en un silence.

« Un troll m'a poursuivi. »

Sa réponse résonnait comme quelque chose faisant tâche dans le décor. Un léger silence s'installa. Visiblement, ce n'était la question, mais la sylvaine semblait s'en satisfaire. Heureusement, elle semblait être une hôte cordiale et tolérante, pensa-t-il; « C'est déjà ça ».

Elle lui adressa un mince sourire, se voulant réconfortante. Au moins il l'entendait et il ne semblait pas avoir perdu la mémoire ; quoique… Et puis cela paraîtrait plus plausible.

« Tu peux me donner ton nom ?
— Snäw. Snäw Argelstörn. Répondit-il d'une voix hésitante. »

Elle le considéra. La ressemblance était frappante. Il paraissait perturbé. Elle le gênait peut-être. Elle ajouta précipitamment :

« Si tu te sens encore trop faible pour parler, je peux te laisser te reposer. Saches que tu es en sécurité ici, il ne t'arrivera rien ; et bientôt un médecin viendra. Tu vas te rétablir vite. »

Elle lui sourit encore avec douceur, se demandant ce qu'elle pouvait bien faire de plus, ce qu'il pouvait ressentir lui, elle chercha dans ses yeux les réponses mais ils demeuraient opaques. Elle souhaita qu'il parle, qu'il se manifeste. Mais cet espoir paraissait être démesuré compte tenu de son état.


« Non, restez. »

A peine eut-il dit ses mots qu'il commençait à les regretter. Pourquoi avait-il dit ça ? Et ce cœur qui ne semblait vouloir rompre sa marche militaire assourdissante… Il ne voulait pas qu'elle parte, qu'elle le laisse seul. Il sentait encore la froideur de la montagne comme seule compagne, et la silhouette de cette femme aux cheveux de feu qui le fixait, au coin de la chambre, tapie dans l'ombre… Mais il avait prononcé ses mots avec trop de conviction, et trop d'ardeur. Elle ne devait se méprendre sur ses intentions.

« La chance ? »

S'il l'aurait pu, il se serait frappé le visage d'une claque. « Bravo, Snäw. De mieux en mieux » pensa-t-il. Il remonta ses yeux sur elle, guettant sa réaction, tel un enfant venant de remettre en doute la parole de ses parents et attendant la sanction. Elle l'avait sauvé, qui était-il pour pouvoir douter d'elle ?

Elle pencha la tête sur le côté, un peu d'amusement dans les yeux. 

« La chance ?… Oui le mot est faible, alors disons le miracle. J'aurais pu ne pas passer par là, ou passer par là mais ne rien entendre, ou passer par là, tout entendre ; mais n'en avoir rien à faire. »

Comme il était soupçonneux… Elle chercha quelque chose qui puisse l'éloigner de sa méfiance. Peut-être devait-elle changer de sujet. Peut-être allait-il le faire tout seul. Peut-être qu'elle devait essayer d'être sincère. Peut-être.

« Tu n'es pas d'accord ? 

— Très certainement. »

Il n'avait rien à dire de plus. Cette réponse l'intriguait, mais qu'importe : il était sauf, et il se devait de la remercier. Même si cette jeune sylvaine se baladait « par chance » à des dizaines de lieux de toute civilisation, et l'avait trouvé dans cette étendue blanche « par miracle ». Les esprits avaient été cléments pour son sort, ou alors elle mentait. Mais étant donné sa situation, il ne pouvait se permettre de remettre en doute sa parole.

« Et je vous remercie pour cela, madame. »

A son léger rictus, il comprit qu'il ne devra plus jamais employer cette formule de politesse. Après tout, l'ambiance ne se prêtait pas à des mondanités qu'il ne connaissait que peu. Gêné, il détourna brièvement le regard pour voir que la jeune femme aux cheveux de feu s'était évaporée. Il ne put se retenir de lâcher un petit soupire de soulagement, avant de revenir à elle.

« Depuis combien de temps suis-je ici ? »

Elle avait profité qu'il tourne les yeux pour clore les siens. Elle avait attisé sa méfiance. « Très certainement », avait-il dit. Quoi de plus naturel. Cela prenait exactement la tournure qu'elle avait redouté. Très bien. 

« Plus de huit jours. Le médecin qui t'a ausculté m'a prévenue que tu serais certainement… Enfin que tu aurais du mal à te mouvoir. Au début. »

Elle se sermonna intérieurement pour toutes ses hésitations, ne pouvait-elle pas affirmer autre chose que son propre nom avec certitude ? Un soupir lui échappa, aussi elle se tourna vers la porte, espérant le lui cacher.


Il resta quelques instants sonné par le nombre de jours qu'il avait déjà passé ici. L'avait-on drogué afin de calmer ses souffrances ou alors avait-il vraiment dormi autant de temps ? La question, là aussi, n'était à poser; il se contenta alors de clore sa bouche entre-ouverte sous la surprise pour opiner discrètement. Il prit alors en compte la deuxième remarque. « Mouvoir… au début ». Cette nouvelle lui réchauffa le cœur : il n'allait demeurer paralysé. Mieux encore; quand il ira mieux, il pourra même rentrer et retrouver sa vie d'antan. Celle qui n'avait pas prit une tournure dramatique.

Il lança un regard vers la fenêtre, à nouveau, avant de questionner presque machinalement :

« Où sommes-nous ?
— Dans la Forêt des Miroirs. Dans ma maison. »

Elle s'adossa au mur, contemplant la pièce avec une certaine satisfaction. 
Elle posa à nouveau son regard sur lui. Que voulait-il savoir d'autres ? Elle attendait.


Il retenu un sourire. Il ne s'était trompé : le tableau représentait bien cette forêt.
Voyant qu'un silence, presque pesant, s'instaurait, il se fit violence pour pouvoir parler. Plein de questions martelaient son esprit, mais aucune ne semblait plus importante qu'une autre. Il voudrait lui lâcher sa bille de questionnement en plein visage, espérant qu'elle le rassure, qu'elle lui dise que tout ira bien, et que tout ça n'était qu'un songe. Mais il ne le pouvait, car ses pensées ne faisaient que s'entre-croiser et qu'une seule réussissait à lui revenir : il ne fallait l'importuner.
Puis, presque instinctivement, il souffla, inquiet :

« Mes armes ! »

Il eut un moment de latence en la regardant. « Bravo Snäw. Maintenant, elle doit te prendre pour un psychopathe amorphe ». Était-il vraiment si mauvais pour effectuer les moindres banalités sociales, ou était-ce les cachets qui rendaient son esprit si brumeux ? Il préféra confirmer que c'était la seconde option. Pour son honneur.

« Tout est dans ce tiroir, en l'état. Ne t'inquiètes pas. »

En parlant, elle désigna l'armoire de droite. Elle chercha quelque chose à ajouter, mais elle eut peur d'en dire trop ou trop peu. Elle aurait aimé qu'il lui dise ce qu'elle avait à faire. Et dire qu'elle avait trois siècles de plus que lui. Elle était une enfant. 

« Est-ce que… Je peux faire quelque chose pour toi, Snäw ?

— Ça ira. Merci encore. »

Il ne voulait qu'elle parte, mais il se devait de dire cela. Pour une raison qu'il ignorait, cette conversation devenait malsaine. Il sentait une gène planée, et il n'avait l'esprit à tenter de la comprendre — pas dans cet état. Peut-être était-ce simplement le fait que deux inconnus se rencontrent, sans rien en commun, dans une situation étrange. Ou était-ce autre chose.
Oui, il avait besoin de faire le point. Mais seul. Quelque chose n'allait pas.

Il releva la tête et lui sourit en coin, maladroitement.
Le cœur au bord des yeux, il demeurait prêt à accueillir la froideur de la solitude.

Elle se mordit la lèvre inférieure, inclinant la tête avant de passer la porte en silence.
Elle descendit les escaliers avec lenteur. Ça n'allait pas. Elle remonta les marches rapidement, reparaissant par la porte de sa chambre. Il était tant d'un élan de sincérité.

« Je suis… Nulle pour m'exprimer. J'ai toujours peur de blesser mes destinataires ou d'être incomprise ; mes pensées se mélangent et je me pose toujours beaucoup trop de questions. La plupart du temps, je me contente d'écouter ou de répondre à ce que l'on me demande; de ce fait, je suis la personne la plus pathétique de toute l'histoire des relations sociales. Mais j'ai été une très bonne diplomate. »

Elle avait été obligée de rajouter cela, histoire qu'il ne pense pas qu'elle était une ratée. Même si finalement son discours tendait à la désigner toute entière comme telle. Elle avait le sentiment d'avoir loupé une marche, son cœur s'était emballé. Pourquoi est-ce qu'elle avait voulu se justifier ? 

Son cœur s'apaisa. Parce qu'elle l'avait vu grandir ; de loin, certes, mais elle avait le sentiment profond de faire partie de sa vie, en filigrane. Peut-être qu'elle n'aurait pas dû le ramener chez elle… Est-ce qu'il allait la rejeter désormais ? Elle resta muette et bête sur le seuil.


Il demeura pantois en la dévisageant. Il ne s'attendait pas à ça. L'avait-il mis si mal à l'aise qu'elle s'était sentie agressée ou jugée par ses paroles ? Il déglutit discrètement en fermant la bouche, réalisant qu'il devait avoir l'air benêt. Son regard avait du mal à demeurer sur elle, de peur de la faire sentir encore plus mal. Mais s'il ne la regardait pas, cela allait aggraver la situation.
Puis, il dit, sans même s'en apercevoir :

« Je crains que vous n'ayez faux. »

Il revint alors à elle, la regardant, et décocha un sourire douloureux tant ses muscles lui faisaient mal.
Puis, il rajouta.

« Je pense que c'est à moi que revient la couronne dans ce domaine. »

( Ecrit d'une main commune avec Swann. Merci à elle. )



Partie 4.
Il contemplait la fenêtre obscure, d'un air morose. Il ne se souvenait de combien de temps il avait passé dans cette chambre, cloitré et enfermé. Pendant de longs jours, il avait tenté de garder conscience du temps qui passait en notant mentalement les nuits qui défilaient. Cela avait débuté par le nombre « huit » que lui avait indiqué son hôte, et avait continué jusqu'à « vingt-quatre ». Depuis, il perdit le fil et tout n'était plus qu'approximation. Mais ce dont il était sûr, c'est que le temps semblait être une éternité.

Bien que Swann Feleanor, sauveuse qui l'avait extirpée d'un destin funeste, lui rendait parfois visite, rien ne permettait à panser sa solitude. Lui, le chasseur et tanneur, habitué à vivre dans la forêt avec la nature pour seule maison, il se retrouvait enfermé tel le bétail qu'il attrapait parfois. Quelle douce ironie du sort. Fort heureusement, les contacts avec son hôte devinrent plus chaleureux, bien que toujours maladroits : il s'était même surpris à l'apprécier, en guettant chaque jour sa venue avec une impatience non modérée. Pourtant, il savait qu'il devait se mettre une limite. Quelque chose n'allait pas dans son récit, et dans ce qu'elle disait. Trop de silence, trop d'hésitation. Non, elle cachait quelque chose, et il ne devait se faire bercer de chimères.
Comment aurait-elle pu le retrouver, perdu dans cette étendue neigeuse se trouvant à bien des centaines de lieux de toute civilisation ? Pourquoi a-t-elle prit le risque de plonger dans cette eau glaciale capable de tuer en une poignée de seconde pour récupérer ses armes ? Lui, encore, il pouvait comprendre : elle ne voulait peut-être pas avoir sa mort sur la conscience en ne faisant rien pour l'aider. Mais ses dagues ? Comme si elle savait que celles-ci avaient une importance pour lui. Mais il avait depuis longtemps arrêté de songer à cela, sous peine de sombrer plus dans la folie qu'il ne l'était déjà.

Car oui, il l'était. Il avait tenté de la fuir, pourtant, mais celle-ci la rattrapait. Tout d'abord, en installant les prémices du carnage mental par le souvenir de ces trois femmes. Trio infernal qui faisait valser son cœur à chaque fois qu'il osait y penser. Cette jeune femme, resplendissante, aux cheveux de flammes. Cette même femme qui avait tenté, par la suite, de l'aspirer dans ses tourments pour lui ôter la vie. Elle qui agissait à présent dans son esprit, embrasant ses nuits pour lui faire goûter au goût suave des cauchemars. Mais parfois, il rêvait. De cette femme qui l'avait sauvé dans son songe, dans son halo de lumière. Cette femme dont, même s'il en ignorait les traits, semblait d'une beauté à couper le souffle. Et ses mots… Ses simples mots qu'elle prononça, et qui torturait l'homme à chaque réveil pour tenter d'en comprendre la portée.
Et il y avait Swann.

Puis, par la suite, alors que ses femmes lui avaient volé ses jours et ses nuits, il se mit à divaguer. A imaginer. Il se sauvait par l'esprit, regardant chaque jour cette fenêtre en s'imaginant la vie dehors, ou quelle serait la sienne hors de ses murs. Un rire de bambin qui lui rappelait son enfance volé. Une pleur qui le frappait telle une gifle et le faisait fondre en larmes à son tour, alors qu'il n'en connaissait ni l'auteur, ni la raison. Il aspirait toutes les émotions et brins de vie que la vitre semblait bien lui offrir, pour en faire sa propre vie. Ses propres sentiments. Ses propres souvenirs. Il n'était plus dans cette chambre, couché sur le lit à ne pouvoir bouger, mais un être que son imagination tissait. Fort heureusement, les repas amenés par Swann parvenait à le rappeler à la réalité — même si celle-ci était parfois douloureuse. Et leurs brefs dialogues lui permirent de s'accrocher à quelque chose. A ses lèvres qui lui évoquaient ce qu'il se passait dehors — qui n'était, bien entendu, que des choses positives. Étrangement, elle ne voulait en évoquer les mauvaises. Cela était certainement pour le préserver, bien que cela lui laissait imaginer le pire. Il avait conscience des guerres frappant le pays, de l'arrivée de la Déesse des Ombres, et de ces pluies de sang inexorables qui inquiétaient bien les habitants de tout le continent. Peut-être était-ce le chaos là dehors ? Peut-être même que le petit monde qu'il connaissait, dans les contrées dionnaises, était mort; emporté par on ne sait quel démon. Mais il ne cherchait pas davantage à en savoir. Son esprit était déjà bien assez tourmenté pour pouvoir encore tenter de résoudre des choses qu'il ne comprenait même pas.

Snäw pensait néanmoins au positif. Oui, ce positif qui serpentait dans tout son corps. Dans sa convalescence, ses doigts avaient repris vie, suivi de peu par ses bras et même son torse. Il parvenait à présent à manger seul, et à s'adosser au lit pour lire quelques bouquins que Swann lui apportait. Mais ses jambes, quant à elles, refusaient encore de se mouvoir. Il avait pensé tout d'abord que cela allait suivre rapidement après le reste, mais il fut déçu de constater chaque matin, après son cauchemar habituel, que celles-ci refusaient toujours de lui répondre. Puis, il songea que son hôte et le médecin s'étaient ligués afin de faire en sorte qu'il ne les retrouve pas, pour ainsi l'emprisonner à tout jamais ici. Il perdait cette pensée dès que sa bienfaitrice lui rendait visite. Elle était si pure… Jamais elle ne pourrait faire une telle chose.

La fenêtre diffusait la lumière de l'aurore. Il avait prit l'habitude de reconnaître celle-ci, puis que c'est souvent elle qui l'extirpait de ses cauchemars où il se faisait brûler pour la centième fois. Mais ce matin, elle n'était comme les autres. Elle semblait plus douce, plus apaisante. Dehors, il n'entendit aucun bruit — simplement la brise matinale qui faisait taper quelques petites branches contre les carreaux. Cette fenêtre, qui était sa seule source d'échappatoire depuis si longtemps… Il espérait qu'elle lui laisse transparaître un bruit par lequel s'évader. Une voix à laquelle il pourrait répondre, afin de donner un semblant de conversation dans sa vie même si les réponses ne parviendront jamais à l'interlocuteur imaginaire. Un rire, une larme, une surprise. N'importe quel bruit que cette fenêtre pouvait lui donner. N'entendant rien, il se mit alors à regarder ce plafond qu'il connaissait si bien pour se laisser bercer par le son du vent. Il avait atteint son seuil de fatigue, et il se sentait enfin prêt à dormir — il avait prit l'habitude d'attendre d'être exténué à l'extrême pour se laisser porter par les bras de Morphée, réalisant que son sommeil lourd l'empêchait de cauchemarder ou même de rêver. Mais alors qu'il commença à clore les yeux, il les ouvrit aussitôt, écarquillés.

Il souleva la couette.
Ses orteils venaient de bouger.
Dernière modification par Snäw le sam. 31 mars 2012 à 00h50, modifié 1 fois.

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Snäw
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Re: [bghumain] Snäw.

Message par Snäw » dim. 1 avril 2012 à 15h30

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Chapitre IV — Sous la peau.
[ image externe ]


Partie 1.
Cela faisait un mois qu'il était rentré chez lui.

Les adieux avec son hôte furent douloureux. Il avait prit le temps de la connaître et de l'apprécier. Tout ce temps à rester cloîtrer dans une pièce avec la même personne tisse des liens, mais il ne s'attendait pas à çà. Pendant un bref moment, alors qu'il était sur le seuil de la porte et en la regardant, il avait hésité. L'idée lui avait traversé la tête de faire semblant de tomber au sol pour montrer que ses jambes n'étaient pas encore totalement remises et rester un peu plus longtemps. Il faut dire que l'opposition entre ces longues journées qu'il avait passé à parler et à ce qu'on s'occupe de sa personne lui avait souligné la solitude dans lequel il se baignait depuis plusieurs années. Vivre seul, dans une maison, lui semblait maintenant étrange voire inconcevable.
Mais il devait partir, pour ne pas abuser de la bonté de Swann et pour retrouver ses quelques fréquentations qui comptaient sur lui.

Il désenchanta en rentrant chez lui.
Le gérant du « Chasseur Ivre » l'avait viré pour son absence qui « l'avait mit dans le fumier jusqu'au cou », comme il avait dit. Le jeune tanneur avait tenté de se défendre, en lui expliquant les raisons — mais ce dernier ne semblait pas vouloir le croire. Il faut dire qu'il n'avait pas tenté de remuer ciel et terre pour le convaincre : ce travail n'était qu'un passe-temps, et non une ressource. Bien que ses parents l'avaient lâchement abandonné, ils lui avaient laissé une coquette somme d'argent qui pourrait en faire tourner de l'œil plus d'un. Snäw vit cela comme un ultime affront, lui prouvant à la fois qu'ils avaient les sous pour s'occuper de lui, et que cette bourse était certainement pour demander pardon. Pendant longtemps, il avait refusé d'en toucher le contenu. Il ne voulait de cet argent sale, corrompu et emplit de souvenirs. Mais après quelques années, il décida de le lapider pour accroître son savoir; en l'usant pour se payer une éducation dans l'école du coin ainsi que des professeurs personnalisés. L'argent était froid et impersonnel : il ne le voyait maintenant plus qu'ainsi, se moquant du souvenir qu'il pouvait représenter de ses vrais parents.
Le métier de tanneur était davantage pour mêler sa passion à une occupation rémunérée, afin de gagner en maturité pour se charger de lui tout seul. Alors, qu'il perde ce travail n'était pas très important au final, mais cela lui ôta plusieurs nuits avec un pincement au cœur qui ne voulait partir : plus qu'un métier, il perdait surtout la seule attache sociale qu'il avait.

Maintenant, il n'avait plus rien à faire. Rien qui ne l'obligeait à se lever le matin et de tarder dans la journée. Il regrettait même d'être parti de chez Swann, pour des raisons qui maintenant n'existaient plus. Mais après quelques jours de torpeur, où il se remit des douleurs qui agitaient encore son corps et tenta de faire le point sur le brusque tournant qui avait prit sa vie, il se décida de la reprendre en main. Qu'il n'est plus de travail n'était guère important : il pouvait toujours chasser et vendre ses peaux à des marchands ou même sur le marché noir. Il avait réussi à s'en sortir seul jusqu'à maintenant, et ce n'est pas aujourd'hui qu'il allait abandonner.

Il regarda les fruits de sa chasse : trois faisans, un daim et quelques lapins qui étaient tombés dans ses collets. C'était peu, par rapport à ce qu'il faisait d'habitude; mais sa jambe encore boiteuse le rendait bien peu discret qu'à son accoutumée. La majorité de ses proies pourra servir de repas pour le soir et le lendemain midi. Quant au daim, sa peau jeune et encore parfaite pourra lui apporter une petite somme en la revendant. Il sourit à cette idée et se dirigea vers le cours d'eau le plus proche, afin de procéder à l'écharnage. Malgré le temps qu'il n'avait passé dans le coin suite à son accident — proche de trois mois —, il se souvenait par cœur de ses bois. Il avait passé toute sa jeunesse dedans, et il demeurait persuader qu'il pourrait vagabonder en son sein même les yeux bandés. Il nota mentalement d'un jour essayer, alors que le bruit du ruisseau parvint à ses oreilles.
En le découvrant entre deux fourrés, il s'en approcha pour déposer la bête abattue au sol devant lui. Le jeune chasseur sortit de son fourreau une de ses dagues afin de procéder au dépeçage, tâchant l'herbe de ce liquide écarlate pour le laisser s'écouler dans l'eau qui en prit la teinte. Dans des bruits macabres, il se mit à décoller la peau, avec une grande expertise. Ce n'était pas la première fois qu'il faisait ça, et il avait prit le coup de main afin de ne jamais abîmer la marchandise lors de « l'extraction » — comme il aimait l'appeler. Après une dizaine de minutes, il prit entre ses doigts la peau sanguinolente pour la juger avec fierté. Puis, il plongea ses mains dans le cours d'eau afin de procéder à l'écharnage. Cela consistait à tremper la peau brute dans des rapides afin de la nettoyer de toute chair, sang, souillures, poils ou encore débris, afin de la préparer pour le tannage — qu'on appelait, communément dans le métier, « le tan ». Après l'avoir frotté pendant plusieurs minutes, Snäw la retira de l'eau et la posa sur ses genoux, afin de sortir une faucille de sa besace. Tout en plaquant sa lame couchée sur la peau encore humidifiée, il fit de larges mouvements afin de la tanner. Les marques s'inscrivirent sur la surface, sillons du passage de cette faucheuse. Ce procédé durant de longues minutes, retirant les derniers résidus tout en permettant à la peau d'obtenir ses marques si importantes : bien que parfois benêt, son ancien maître à la boutique lui avait apprit que ces empreintes de la faucille signifiaient la qualité du tannage ainsi que sa véracité. Depuis, le jeune tanneur se mettait un point d'honneur à réaliser cela avec minutie.

Une fois cette étape terminée, Snäw s'accorda une pause afin de laver ses mains dans le cours d'eau tout en sifflotant une chanson connue qu'il appréciait particulièrement. Ce même air que l'ancien gérant chantonnait lors de son travail. La voix de son mentor n'était aucunement appréciable — voire même assez dangereuse pour l'ouïe d'autrui —, mais les paroles cantonnées étaient telles qu'elles s'inscrivirent dans son esprit pour ne jamais en sortir.
« Oh ! les cimes des pins grincent en se heurtant
Et l’on entend aussi se lamenter l’autan
Et du fleuve prochain à grand’voix triomphales
Les elfes rire au vent ou corner aux rafales
Attys Attys Attys charmant et débraillé
C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ont raillé
Parce qu’un de tes pins s’abat au vent gothique
La forêt fuit au loin comme une armée antique
Dont les lances ô pins s’agitent au tournant
Les villages éteints méditent maintenant
Comme les vierges les vieillards et les poètes
Et ne s’éveilleront au pas de nul venant
Ni quand sur leurs faucons fondront les gypaètes. »

Il essuya une larme qui avait perlé au coin de son œil, sans raison. Où du moins, il ne parvenait à le définir, ou ne le voulait. Ces émotions étaient un véritable maelström, et il avait depuis bien des lunes abandonné l'idée de le calmer. « Cela se panse avec le temps », se disait-il souvent pour se rassurer. L'espoir était peut-être bien encore sa dernière arme.

Après un bref soupir, il frappa son reflet dans l'eau pour le faire disparaître en des serpentins aquatiques. Il se détourna, las, pour s'emparer de la peau au sol ainsi que de son gibier. Quelques mouches tournaient déjà autour, et le zénith naissant allait avoir raison de lui. Il n'était question de rendre cette viande durement obtenue impropre à la consommation par des erreurs de débutant. Il enveloppa les lapins et les faisans dans une couverture rapiécée qu'il glissa dans sa besace alors qu'elle se tachait déjà de sang. Puis, tout en rangeant ses outils et ses armes, il s'empara de la peau méticuleusement tannée pour la mettre sur son épaule et reprendre la route.

Au moins, un festin l'attendait ce soir.

Partie II.
Snäw tournait la cuiller dans la casserole, laissant les effluves de ragoût parvenir à ses narines. Il rajouta le thym ainsi que les dés de lapins précédemment salés au mélange, avec un air satisfait. Puis, il quitta le feu de la cheminée pour aller s'asseoir sur le divan. D'un mouvement de main vif, il s'empara de sa bourse qui trônait sur une petite table à côté de lui pour en regarder le contenu. Il se mit à compter les pièces à voix haute, bien que monotone :

« Cinquante... Cinquante et un... Cinquante-deux... Cinquante-trois. »

Cinquante-trois pièces d'or pour sa peau de daim qu'il avait terminé de tanner avec différentes herbes chez lui à son retour. Cela était peu, mais il avait fait un prix. Le vendant au gérant du « Chasseur Ivre » qui l'avait viré quelques jours plus tôt, il lui fit un prix afin de s'excuser. Il ne lui avait pas offert car cet homme demeurait bourru en campant sur sa position, se plaçant dans le rôle d'une victime qu'il n'était pas, mais un prix pour le remercier aussi de tout ce qu'il lui avait apporté durant ces deux années. Mais avant tout, cette démarche avait permis de nettoyer toute culpabilité du jeune chasseur — et c'est certainement ça qu'il voulait au final.
Il rangea les pièces dans la bourse en cuir et la referma par un petit lacet qui trônait au sommet. Puis, il la déposa sur la petite table à nouveau avant de perdre son regard sur la casserole en train de bouillir, se laissant bercer par les odeurs.

A peine eut-il fermer les yeux sous la fatigue que l'image de la femme aux cheveux enflammés s'inscrivit dans son songe, poussant un hurlement en fondant sur lui. Il se réveilla en sursautant, de la sueur perlant en haut de son front. Abasourdi, il passa la main sur son visage pour se calmer avant de sentir l'odeur de brûlé. Il se releva d'un coup et sortit la casserole du feu, manquant de se bruler, pour la déposer sur la table. Cette journée qui avait mal commencé semblait vouloir aussi mal se finir. Exaspéré et fatigué, le jeune homme se servit un bol avec colère, en renversant sur la grande table en bois où il était s'assit. Il déposa un coude de chaque côté, tenant sa tête, fixant le contenu du bol tournoyer sous ses yeux vairons. Pendant plusieurs minutes, il resta ainsi, pensif, tentant de comprendre tous ces rêves qui semblaient vouloir lui happer tout repos. Cette femme aux cheveux enflammés, cette silhouette illuminée et si apaisante et Swann. Il savait que quelque chose là-dedans n'allait pas. Que ces trois femmes étaient liées, d'une façon ou d'une autre. Mais il ne parvenait à savoir comment ni pourquoi. Son subconscient semblait vouloir lui montrer quelque chose, mais son cerveau ne voulait en entendre parler. Une pensée lui traversa alors l'esprit : était-ce une vérité qu'il n'était pas prêt, inconsciemment, à connaître ?
Il sortit de ses pensées par des bruits qui résonnèrent contre la porte. Des bruits lourds qu'il avait prit l'habitude de reconnaître. Même s'il n'appréciait pas particulièrement sa compagnie — surtout après ce qu'il s'était passé —, il se surprit à sourire. Au moins, il ne passera pas sa soirée seul comme un galeux.

« Entre. »

La porte s'ouvrit dans un grincement strident. Il nota mentalement que le lendemain, il devra s'occuper de remettre de l'huile sur les gonds. Puis, la silhouette trapue de l'homme apparue, entrant dans le salon en enfermant le froid de la nuit derrière lui. Les flammes des chandeliers dansèrent sur le visage de l'invité, lui donnant un air encore plus âgé. A mesure qu'il avançait dans la lumière, son apparence fut plus distincte. L'homme ne devait faire guère plus d'un mètre soixante dix, bien qu'il rattrapait sa petite taille par sa carrure. Légèrement en sur-poids, un ventre bien rond apparaissait sous sa chemise blanche tâchée de sueur et de quelques tâches de sang. Cette dernière était d'ailleurs entre-ouverte de quelques boutons, laissant apparaître un torse poilu. Son visage, carré et joufflu, était habillé d'une barbe charbon qu'il n'avait du couper depuis longtemps. Son nez « en patate » était parcouru de quelques petites veines, alors que ses lèvres charnues semblaient boudeuses. Le regard, quant à lui, semblait déterminé et possédait un charme certain, bien que ses yeux étaient d'une couleur noisette commune. Les cheveux de l'homme dansaient d'une façon incongrue sur le sommet de son crâne, par des boucles irrégulières et grossières. Néanmoins, le noir profond de sa chevelure avait lui aussi sa beauté, par son teint originel et les reflets grisés qui apparaissaient sous la moindre lumière.

« Que me vaut ta visite, Yvan ?
— Je n'ai pas été très cordial avec toi, aujourd'hui. »

Snäw fit un mouvement de main large, comme pour signaler que cela ne faisait rien. Mais au fond, il était bien content de cette démarche. L'homme, dont la lumière trahissait maintenant une cinquantaine d'années passées, prit place autour de la table pour s'asseoir face à son hôte. Un léger silence s'installa, mais cela ne semblait aucunement les déranger. Les deux n'étaient pas doués pour la discussion. Le jeune homme prit quand même les devants, en relevant son regard sur son interlocuteur.

« Prends donc un bol. »

Ce dernier ne se fit pas prier et se servit un bol de la casserole de ragout qui trônait au centre de la table. Il avait certainement déjà mangé, mais son appétit gargantuesque ne refusait jamais une gamelle supplémentaire. Snäw avait apprit ça à ses dépends.

« Je n'avais aucune raison de douter de toi. Tu ne m'as jamais menti. Confessa l'homme en reposant la cuiller dans la casserole, d'un air penaud.
— Ne t'en fais pas. Je peux comprendre. Mon récit n'a rien d'habituel. »

Ils se regardèrent pendant quelques secondes, d'une façon entendue. Snäw, par ce simple regard, lui avait fait comprendre qu'il n'attendait pas d'excuses. L'homme fut soulagé : cela ne semblait aucunement sa spécialité. Ils se mirent alors à manger en silence, ne laissant comme seuls bruits dans la petite maison le crépitement du feu, le bruit des cuillers contre les bols en bois, et leurs bruits d'aspiration et de mastication.

« C'est très bon.
— Merci. »

Snäw baissa la tête pour cacher un sourire. Quelle fine équipe faisaient-ils, tous les deux. La discussion était tellement pathétique qu'il était dur de ne pas en rire. Mais il ne voulait pas mettre mal à l'aise l'homme qui semblait avoir tout autant de mal que lui à aligner deux mots ou à exécuter les bases de toute sociabilité. Rire le mettrait mal à l'aise.
Il se fit alors violence pour continuer à manger, en demeurant sérieux.

« Si tu le veux, tu peux revenir travailler, tu sais.
— Non merci. Souffla le jeune homme. »

Le sujet était épineux, et Yvan s'était introduit dedans sans crier gare. Et visiblement, la réponse qu'il ne pensait pas être négative avait éveillé les prémices d'une dispute à venir. Snäw se surprit à savourer sa dernière cuiller avant que son ragoût lui paraisse fade par la tounure qu'allait prendre sa soirée. Mais le silence le troubla, et il regarda l'homme. Celui-ci ne semblait pas en colère, mais déçu. Il avait reprit sa dégustation du plat, sans tenter d'en rajouter. Le jeune chasseur aurait du alors être heureux d'avoir épargné le pire, mais cette réaction le froissa. Renfrogné, il plongea sa cuiller dans le reste de son bol avec une moue désapprobatrice.

« Tu es compliqué, tu sais. Répondit enfin l'homme, entre deux bouchées.
— Et en quoi ?
— En tout. »

Inspirer, expirer. Le but n'était pas de pousser à une dispute, même si son ancien gérant semblait tout faire pour. Cette situation lui rappela une longue discussion animée qu'ils avaient eut, il y a un peu plus d'un an. A l'époque, Yvan traitant Snäw comme un petit enfant, abordant l'importance de toute chose avec une voix lente et délicate comme s'il parlait à un demeuré. A bout de patience, l'apprenti avait rétorqué avec virulence et une dispute s'en était suivi. A cette époque, le jeune homme ne connaissait très bien la délicatesse, et il avait envoyé promener son mentor et chef en lui affirmant que « ce n'était pas parce qu'il n'avait jamais réussi à avoir de gosse qu'il devait se rattraper sur lui ». Ça lui avait fait mal. Très mal. Il l'avait vu dans son regard hagard. Et les nuits suivantes, Snäw s'en voulu grandement pour ses propres paroles. Il aurait aimé que l'homme lui réponde avec violence, s'énerve ou même l'insulte. Après tout, il aurait bien pu lui rappeler qu'il était un pauvre orphelin et que même ses parents n'avaient voulu de lui. Ça aurait été facile. Mais il ne l'avait pas fait. Il avait été juste triste et grandement blessé. Et à cette époque, bien que s'en voulant à lui-même, Snäw lui en avait voulu aussi de ne pas s'être énervé. La culpabilité aurait été tellement moins dure à porter.

« Sans te froisser, bien-sûr. »

La phrase de l'homme le sortit de ses souvenirs. Visiblement, il prenait de nombreuses pincettes pour ne pas froisser le demi-elfe. Et Snäw se promit alors de ne pas retomber dans la violence verbale, afin que les maigres nuits que ses cauchemars lui laissaient ne soit pas dévorer par une nouvelle culpabilité. Maintenant qu'Yvan le considérait comme un homme, et non plus un enfant, il devait agir comme tel.

« Je suis ainsi. C'est tout. Je ne sais quoi te répondre de plus, Yvan.
— Je sais. Je me devais de te le dire. »

Snäw le regarda quelques instants, avant de prendre son bol encore tiède entre ses mains et boire le reste de ragout. Bien que souffrant de solitude, il se rappela pourquoi il n'aimait pas les « Autres » : ils attendent toujours quelque chose en retour, et lui déteste les responsabilités. Et cela s'appliquait à Yvan, maintenant. Heureux au début de sa venue, il espérait à présent qu'il finisse vite sa gamelle et parte. De surcroît, il était fatigué.

« En tant que tanneur, ça ne m'étonne pas de toi. »

A cette phrase, il se fit violence pour ne pas s'emporter. Il ne voyait clair dans le jeu de l'homme, mais si son but était de l'énerver, il réussissait très bien. Avec tout le calme qu'il put, Snäw déposa le bol sur la table en silence et regarda son interlocuteur qui venait lui aussi de finir.

« Viens en au but, s'il te plaît. »

Yvan le considéra quelques instants, comme choisissant les mots qu'il allait utilisé pour ne pas l'énerver. Le jeune homme avait envie de lui répondre que c'était perdu d'avance, mais il se retint. « Parle, et vite. Qu'on en finisse » se mit-il à penser. Et ses pensées furent trahies par ses doigts pianotant nerveusement le bord de la table.

« Tu t'occupes de toi comme des bêtes que tu chasses. Tu ne fais que gratter la surface et en extirper ce que tu peux, sans regarder ce qu'il se trouve sous la peau. Ce qu'il y a de plus profond en toi, ou même chez les autres. Tu te contentes de dépecer et de nettoyer ce qui ne te plait pas par d'autres pensées, comme tu le fais avec les bêtes lors de l'écharnage. »

Snäw reçut cela comme une gifle. Qui était-il pour se permettre de l'analyser et lui donner son avis sur sa façon de vivre ? Ses ongles s'enfoncèrent lentement dans le bois de la table, afin de se calmer. Sa respiration était saccadée sous la colère, mais il ne devait la trahir. Céder à ce sentiment donnerait trop de satisfaction à l'homme. Il se contenta de fixer son bol vide, où résidait un dernier carré de lapin qu'il n'avait prit la peine de manger, avant de revenir à son interlocuteur. Celui-ci semblait gêné par son attitude, mais déterminé dans le regard. Ça allait bientôt exploser. Il le savait lui aussi.

« Et alors ?
— Et alors c'est triste. »

Le jeune homme ne put alors se retenir. Le ton monta entre les deux hommes, qui commencèrent très rapidement à se disputer avec véhémence. L'un tentait de montrer à l'autre à quel point il se fourvoyait dans sa méthode de voir la vie, lui-même et les autres. Que sa façon de pensée n'était qu'une attache qui l'empêchait de s'élever pour enfin faire de sa vie quelque chose qu'il aimerait. Quant à l'autre... Il se défendait, tant bien que mal. Il savait que son invité avait raison, mais il ne supportait d'être ainsi analysé et critiqué. Il était ainsi, et cela lui allait très bien. Alors il répondait avec violence et mensonges, pour tenter de faire taire toute cette morale qu'il avait eut la hantise d'entendre. Le ton monta alors d'un cran, laissant l'un se lever de sa chaise dans un brouhaha tout en pointant sa cuiller vers l'autre, menaçant. Mais le jeune homme ne se laissait faire, se levant à son tour en criant à gorge déployée, les poings tremblants posés sur la table. Après bien plusieurs minutes de hurlements, l'homme trapu se dirigea vers la porte qu'il ouvrit avec force pour se diriger hors de la maison. Il se retourna alors vers Snäw, crachant son venin entre ses dents.

« Avec ton caractère de petit con, ça ne m'étonne pas que tes parents t'aient abandonné ».

Il disparut en claquant la porte.

Outch. Ça faisait mal.
Au moins, il n'aura plus à culpabiliser maintenant. Balle au centre.

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