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Chapitre II — Fenêtre sur rue.
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Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur,
Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ?
A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ?
As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ?
Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ?
T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre
De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître
Un passant, à travers le noir cercueil mal joint,
Attentive, écoutant si tu n'entendais point
Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ?
Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre,
En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas !
Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ?
[Victor Hugo.
Partie 1.
L'air glissa le long des lèvres bleutées de l'homme, embrassant pendant quelques instants leur froideur. Puis, s'immisçant en sa gorge desséchée, il continua son chemin dans un murmure jusqu'à ses poumons qui se gonflèrent alors petit à petit. Ceux-ci, serrés comme de vulgaires fruits ayant subis les assauts du temps, prirent de l'ampleur avec beaucoup de mal. Comme d'ores et déjà putréfiés, chaque mouvement semblait les écarteler et provoquer des craquellements sur leur surface. Mais petit à petit, malgré l'effort, ils atteignirent une taille raisonnable avant d'entreprendre un rythme régulier de palpitation.
Le jeune homme ouvrit grand la bouche en se cambrant, prenant une grande aspiration bruyante. Les yeux écarquillés, il demeure quelques brèves secondes dans cette position avant de se laisser retomber, semi-inconscient. Son cœur semblait s'emballer, à la fois tourmenté par la peur et la surprise. L'air, quant à lui, parvenait difficilement à satisfaire sa respiration difficile. Chaque aspiration et expiation était bruyante et visiblement douloureuse, mais il se fit violence pour tenter de se calmer. A peine eut-il eut le temps de tempérer son organisme en ébullition que ses yeux furent agressés par la lumière vive qu'il semblait n'avoir vu durant de longs siècles.
Après un léger cri, il se permit de faire le point les yeux clos. Il ressentait chaque battement de son cœur, chaque souffle qu'il aspirait et expirait, chaque tressaillement de cils. Il était vivant. Mais pourtant, cela était impossible. Il était mort. Emporté par ses blessures, noyé dans l'eau sombre du lac, et étreint par les lacérations du froid. Oui, il avait succombé. Alors, qu'en était-il ? Était-ce encore un rêve, qui s'enchaînait sans enchevêtrement au précédent ? Non, c'était impossible. La douleur était réelle — il la sentait gouverner tout son corps, jusqu'au bout de ses orteils. La forêt, quant à elle, était amputée de tout. Aucune douleur, aucun ressenti, aucune émotion. Ce n'était le cas ici. Alors, qu'en était-il ? Était-il tout simplement chez lui, à avoir rêvé de tout cela lors d'une nuit bien agitée ? Cette pensée l'emplit d'espoir. Mais il devait en être sûr.
Après une grande aspiration, il décida de mouvoir sa main pour écouter les pulsations de son cœur. Mais la surprise le glaça, provoquant un frisson qui remonta tout le long de son échine. Aucune force. Le moindre doigt de sa main refusait de bouger, comme paralysé. Il tenta alors son autre bras, ou même sa jambe, mais rien de bien plus concluant. La vérité lui traversa alors l'esprit : il était entièrement paralysé. Pourtant, il se sentait bel et bien en vie. La réponse tomba alors tel le couperet d'une guillotine sur la tête du condamné : il était handicapé. Et ce, sûrement à vie.
Cette pensée l'assomma. Il sentit les pulsations de son cœur résonner contre ses temps alors que des vertiges assénaient son esprit, malgré ses yeux toujours clôt. Tout semblait tourner autour de lui, comme si sa couche était prise dans une tornade qui ne semblait jamais vouloir s'arrêter.
Il tourna alors la tête et laissa la gerbe en sortir, vomissant tout son estomac pourtant vide. Il demeura ainsi, la tête sur le côté et les lèvres entre-ouvertes, attendant que cela se finisse. Sa trachée subissait des sauts qui se répercutait par des râles gras et obscènes. Finalement, son corps sembla lui accorder un temps de répit et le vomissement s'interrompit. Bien que peu stable, la pièce semblait toujours légèrement tourner — et il ressentait cela à travers tout son corps. Il ouvrit alors lentement les yeux, alors que le goût nauséabond parfumait sa bouche et laissait un filet qu'il ne parvenait à essuyer au bout de ses lèvres. La lumière, ainsi positionnée, semblait moins vive. Le jeune homme parvint alors à les entre-ouvrir un peu, puis totalement, offrant à ses prunelles vairons une décoration entièrement floutée dont il ne percevait les détails. Pourtant, devant son regard voilé se trouvait une source de lumière opaque. Un encadré lumineux dans ce monde fantasmagorique et ténébreux. Elle représentait l'espoir dans ce moment douloureux.
Une simple fenêtre.
Partie 2.
Il se réveilla à nouveau, et put ouvrir les yeux sans mal. Il ne mit longtemps à comprendre qu'il s'était évanoui. Se contentant du peu de bonheur qu'il pouvait bénéficier, il se surprit à ressentir un pincement au cœur en voyant que le tournis s'était dissipé, que le goût du vomi avait disparu de sa bouche, et que ses yeux pouvaient à présent s'ouvrir sans douleur. La couverture avait été remonté, et il remarqua assez stupéfait que sa bille avait été lavé de son visage et du haut de son torse. Cela lui fit l'effet d'un véritable éclair. Quelqu'un s'était occupé de lui. Quelqu'un. Il n'était donc pas seul ! Il sentit à nouveau son cœur s'emballer, mais il tâcha de vite se calmer en fermant les yeux pour faire le point. Oui, il n'était pas seul. Et visiblement, cette personne ne lui voulait du mal puisqu'elle prenait soin de lui. Un brigand ou un scélérat l'aurait simplement achevé, ou même tué. Cette pensée le rassura, et il s'accorda un soupire de satisfaction. Il devait maintenant comprendre, et enlever cette zone de flou qui embuait son esprit afin d'éviter de mettre au supplice autant son corps que son esprit.
Il ouvrit à nouveau les yeux afin de savoir où il était. Le premier coup d'œil lui montra qu'il était dans une petite chambre aux murs de bois, possédant une taille assez conséquente pour trahir une aisance financière de son hôte. Le lit dans lequel il était couché se trouvait à une des extrémités, collé à un mur en son centre. Ainsi, il pouvait dominer toute la pièce et faire face à une porte en bois de l'autre côté. Les draps, remontés jusqu'à son coup, était immaculé et sentait la lavande. Ils avaient été lavé récemment. Il se surprit à apprécier la douceur du tissu — visiblement du coton — sur sa peau dénudée. Il s'accorda même de fermer les yeux quelques instants afin d'en apprécier chaque moment. Bien que paralysé, son corps demeurait encore sensible à la caresse. Cela était déjà ça. Le jeune homme ne put se retourner, mais il devina que sa tête était posée sur un épais coussin molletonneux. Un nouveau regard permit de cerner plus de détails de la pièce. Outre la porte en face de lui, incrustée au milieu du mur, il remarqua deux armoires identiques de chaque côté de celle-ci possédant chacune trois tiroirs. A leur surface reposait ce qui s'apparentaient à des sets de table, tissés dans une matière blanche pour arborer un motif rappelant l'art elfique. Il remarqua que les deux broderies n'étaient, quant à elles, non identiques. Pendant un instant, il se surprit à réaliser que chacun des motifs voulait dire quelque chose, mais son angle de vue ne permettait d'en voir tout le contenu. Il abandonna pour continuer son exploration. Au milieu de ses sets se trouvait pour chaque armoire un pot de fleurs, contenant du lys blanche. Il n'en sentait l'odeur à sa distance, mais il imaginait leur agréable odeur. Pendant quelques instants, il se surprit à se sentir en sécurité. De telles odeurs lui rappelaient la forêt — certainement le seul lieu où il se sentait en sécurité. Et malgré l'imagination, son esprit était bien à lui rappeler ce souvenir plaisant. Le premier bon souvenir que son cerveau semblait vouloir lui offrir depuis bien longtemps, d'ailleurs.
Le reste de la pièce n'était grandement orné. Un tableau était présent sur le mur de droite — mur qui réalisait derrière la longueur de la pièce. Il ne parvint tout de suite à savoir ce qu'il représentait, mais cru reconnaître le village des chasseurs. Sur le mur d'en face, au même niveau du tableau de son opposé, il vit une fenêtre. La fenêtre qu'il avait précédemment. Bien que propre, son teint semblait opaque, offrant une lumière diffuse qui pouvait tout aussi bien apparaître chaleureuse qu'inquiétante. Si bien qu'il ne parvint malgré la lueur à définir si dehors, le soleil affichait la matinée, le zénith ou encore le crépuscule. Il se contenta d'en conclure que c'était la journée, et cela lui suffit. Au bord droit de l'encadrement de la fenêtre se trouvait un rideau qui avait été vraisemblablement tiré afin de permettre à la lumière d'entrer. Il saluait l'initiative.
Il remarqua alors que le sol était fait lui aussi de bois, par le biais de blanches imbriquées. Il aperçu un coin d'un tapis blanc sortir de sous son lit pour laisser apparaître à ses yeux qu'une courbe arrondie. Il devina alors que celui-ci devait se trouver sous sa couche et dépasser de chaque côté. Rien d'autre n'attira son regard. Il scruta alors le plafond — lui aussi en bois, qui était d'ailleurs visiblement du chêne blanc étant donné sa teinte, comme tout le reste de la pièce — afin de méditer. Il demeurait chez un homme ou une femme, visiblement aux moyens aisés, qui appréciait les petits cottages ou maisons de campagne. Il était sensible à l'art elfique étant donné les broderies — ou alors en était-il un. Cela le rassura quelque peu. Bien que demi-elfe, il n'eut jamais de soucis d'intégration auprès de la race sylvaine qu'il considérait d'ailleurs comme sa fratrie. Les guerres raciales semblaient avoir entièrement disparue, au point de même en faire disparaître les vestiges sous les couches de l'histoire. Oh, il savait que certains voyaient très certainement d'un mauvais œil qu'il soit le fruit d'un amour entre un ou une humaine, et un ou une elfe. Que beaucoup devaient même maudire cette union sous les sourires conviviaux. Il s'en moquait : il les maudissait aussi.
A peine eut-il le temps de conclure cette pensée qu'un bruit retentit, le sortant de ses songes. Il rapporta le regard vers la porte, d'où avait émané le bruit. Il tendit l'oreille, laissant celle-ci au bout pointue bouger légèrement, avant d'entendre distinctement des bruits de pas. Des bruits de pas qui gravissaient des escaliers et approchaient de lui. Des pas calfeutrés et légers, étant donné que son excellente ouïe parvenait à les entendre avec difficulté — ou alors son ouïe avait subit un trop lourd trauma. Alors que les bruits cessèrent derrière la porte, son cœur s'arrêta.
La poignée pivota.
Partie 3.
Elle posa sa main sur la poignée ronde, s'immobilisant. Elle inspira, se préparant à entrer en scène. Tout lui dire maintenant serait une très mauvaise idée. Mais le fait qu'il ait couru un tel danger ne signifiait-il pas qu'il avait besoin d'aide, de réponses ? Non, pas encore. Il fallait d'abord qu'il se rétablisse. Puis qu'il trouve sa voie, qu'il manifeste l'envie de savoir, qu'il cherche un peu afin que la solution lui apporte toute la satisfaction et le soulagement du travail accompli. Oh, il allait la haïr pour n'avoir rien dit. Tant pis. Sa santé avant tout.
La poignée pivota.
Elle ouvrit lentement la porte, se dévoilant finalement tout à fait à son hôte. Ses yeux rencontrèrent les siens et son cœur se serra l'espace d'une seconde.
« Te voilà enfin réveillé. »
Elle s'avança jusqu'au lit sans mouvement brusque. Elle ne voulait pas l'effrayer ou le tourmenter davantage.
« Je m'appelle Swann Feänor ; je t'ai repêché par chance il y a quelques jours. Est-ce que tu te souviens de ta chute ? »
Elle se pencha pour vérifier ses pupilles sans oser pourtant porter la main sur lui. Tout en concluant qu'il était bel et bien éveillé ; elle songea que peut-être la chute avait agi sur son ouïe. Aussi elle se tut, attendant sa réaction les yeux emplis d'inquiétude et plus encore au fond de compassion.
Il l'avait regardé se mouvoir jusqu'à lui, avec la grâce et la splendeur d'une nymphe. Assommé par cette rencontre, les paroles de la sylvaine semblaient résonner dans son esprit en des tirades de mots incompréhensible. Des lettres, imbriquées les unes dans les autres, sans queue ni tête. Ce n'est qu'au bout de plusieurs secondes qu'il comprit que cette dernière attendait une réponse, ses yeux bleutés fixés sur lui. Les battements de son corps s'accélérèrent, alors qu'il s'hasarda à fixer une des mèches blondes de son interlocutrice pour retrouver le fil de la conversation. « … chute ». Le tumulte qui avait envahi sa tête ne laissa comme seule trace ce mot se mourir en un silence.
« Un troll m'a poursuivi. »
Sa réponse résonnait comme quelque chose faisant tâche dans le décor. Un léger silence s'installa. Visiblement, ce n'était la question, mais la sylvaine semblait s'en satisfaire. Heureusement, elle semblait être une hôte cordiale et tolérante, pensa-t-il; « C'est déjà ça ».
Elle lui adressa un mince sourire, se voulant réconfortante. Au moins il l'entendait et il ne semblait pas avoir perdu la mémoire ; quoique… Et puis cela paraîtrait plus plausible.
« Tu peux me donner ton nom ?
— Snäw. Snäw Argelstörn. Répondit-il d'une voix hésitante. »
Elle le considéra. La ressemblance était frappante. Il paraissait perturbé. Elle le gênait peut-être. Elle ajouta précipitamment :
« Si tu te sens encore trop faible pour parler, je peux te laisser te reposer. Saches que tu es en sécurité ici, il ne t'arrivera rien ; et bientôt un médecin viendra. Tu vas te rétablir vite. »
Elle lui sourit encore avec douceur, se demandant ce qu'elle pouvait bien faire de plus, ce qu'il pouvait ressentir lui, elle chercha dans ses yeux les réponses mais ils demeuraient opaques. Elle souhaita qu'il parle, qu'il se manifeste. Mais cet espoir paraissait être démesuré compte tenu de son état.
« Non, restez. »
A peine eut-il dit ses mots qu'il commençait à les regretter. Pourquoi avait-il dit ça ? Et ce cœur qui ne semblait vouloir rompre sa marche militaire assourdissante… Il ne voulait pas qu'elle parte, qu'elle le laisse seul. Il sentait encore la froideur de la montagne comme seule compagne, et la silhouette de cette femme aux cheveux de feu qui le fixait, au coin de la chambre, tapie dans l'ombre… Mais il avait prononcé ses mots avec trop de conviction, et trop d'ardeur. Elle ne devait se méprendre sur ses intentions.
« La chance ? »
S'il l'aurait pu, il se serait frappé le visage d'une claque. « Bravo, Snäw. De mieux en mieux » pensa-t-il. Il remonta ses yeux sur elle, guettant sa réaction, tel un enfant venant de remettre en doute la parole de ses parents et attendant la sanction. Elle l'avait sauvé, qui était-il pour pouvoir douter d'elle ?
Elle pencha la tête sur le côté, un peu d'amusement dans les yeux.
« La chance ?… Oui le mot est faible, alors disons le miracle. J'aurais pu ne pas passer par là, ou passer par là mais ne rien entendre, ou passer par là, tout entendre ; mais n'en avoir rien à faire. »
Comme il était soupçonneux… Elle chercha quelque chose qui puisse l'éloigner de sa méfiance. Peut-être devait-elle changer de sujet. Peut-être allait-il le faire tout seul. Peut-être qu'elle devait essayer d'être sincère. Peut-être.
« Tu n'es pas d'accord ?
— Très certainement. »
Il n'avait rien à dire de plus. Cette réponse l'intriguait, mais qu'importe : il était sauf, et il se devait de la remercier. Même si cette jeune sylvaine se baladait « par chance » à des dizaines de lieux de toute civilisation, et l'avait trouvé dans cette étendue blanche « par miracle ». Les esprits avaient été cléments pour son sort, ou alors elle mentait. Mais étant donné sa situation, il ne pouvait se permettre de remettre en doute sa parole.
« Et je vous remercie pour cela, madame. »
A son léger rictus, il comprit qu'il ne devra plus jamais employer cette formule de politesse. Après tout, l'ambiance ne se prêtait pas à des mondanités qu'il ne connaissait que peu. Gêné, il détourna brièvement le regard pour voir que la jeune femme aux cheveux de feu s'était évaporée. Il ne put se retenir de lâcher un petit soupire de soulagement, avant de revenir à elle.
« Depuis combien de temps suis-je ici ? »
Elle avait profité qu'il tourne les yeux pour clore les siens. Elle avait attisé sa méfiance. « Très certainement », avait-il dit. Quoi de plus naturel. Cela prenait exactement la tournure qu'elle avait redouté. Très bien.
« Plus de huit jours. Le médecin qui t'a ausculté m'a prévenue que tu serais certainement… Enfin que tu aurais du mal à te mouvoir. Au début. »
Elle se sermonna intérieurement pour toutes ses hésitations, ne pouvait-elle pas affirmer autre chose que son propre nom avec certitude ? Un soupir lui échappa, aussi elle se tourna vers la porte, espérant le lui cacher.
Il resta quelques instants sonné par le nombre de jours qu'il avait déjà passé ici. L'avait-on drogué afin de calmer ses souffrances ou alors avait-il vraiment dormi autant de temps ? La question, là aussi, n'était à poser; il se contenta alors de clore sa bouche entre-ouverte sous la surprise pour opiner discrètement. Il prit alors en compte la deuxième remarque. « Mouvoir… au début ». Cette nouvelle lui réchauffa le cœur : il n'allait demeurer paralysé. Mieux encore; quand il ira mieux, il pourra même rentrer et retrouver sa vie d'antan. Celle qui n'avait pas prit une tournure dramatique.
Il lança un regard vers la fenêtre, à nouveau, avant de questionner presque machinalement :
« Où sommes-nous ?
— Dans la Forêt des Miroirs. Dans ma maison. »
Elle s'adossa au mur, contemplant la pièce avec une certaine satisfaction.
Elle posa à nouveau son regard sur lui. Que voulait-il savoir d'autres ? Elle attendait.
Il retenu un sourire. Il ne s'était trompé : le tableau représentait bien cette forêt.
Voyant qu'un silence, presque pesant, s'instaurait, il se fit violence pour pouvoir parler. Plein de questions martelaient son esprit, mais aucune ne semblait plus importante qu'une autre. Il voudrait lui lâcher sa bille de questionnement en plein visage, espérant qu'elle le rassure, qu'elle lui dise que tout ira bien, et que tout ça n'était qu'un songe. Mais il ne le pouvait, car ses pensées ne faisaient que s'entre-croiser et qu'une seule réussissait à lui revenir : il ne fallait l'importuner.
Puis, presque instinctivement, il souffla, inquiet :
« Mes armes ! »
Il eut un moment de latence en la regardant. « Bravo Snäw. Maintenant, elle doit te prendre pour un psychopathe amorphe ». Était-il vraiment si mauvais pour effectuer les moindres banalités sociales, ou était-ce les cachets qui rendaient son esprit si brumeux ? Il préféra confirmer que c'était la seconde option. Pour son honneur.
« Tout est dans ce tiroir, en l'état. Ne t'inquiètes pas. »
En parlant, elle désigna l'armoire de droite. Elle chercha quelque chose à ajouter, mais elle eut peur d'en dire trop ou trop peu. Elle aurait aimé qu'il lui dise ce qu'elle avait à faire. Et dire qu'elle avait trois siècles de plus que lui. Elle était une enfant.
« Est-ce que… Je peux faire quelque chose pour toi, Snäw ?
— Ça ira. Merci encore. »
Il ne voulait qu'elle parte, mais il se devait de dire cela. Pour une raison qu'il ignorait, cette conversation devenait malsaine. Il sentait une gène planée, et il n'avait l'esprit à tenter de la comprendre — pas dans cet état. Peut-être était-ce simplement le fait que deux inconnus se rencontrent, sans rien en commun, dans une situation étrange. Ou était-ce autre chose.
Oui, il avait besoin de faire le point. Mais seul. Quelque chose n'allait pas.
Il releva la tête et lui sourit en coin, maladroitement.
Le cœur au bord des yeux, il demeurait prêt à accueillir la froideur de la solitude.
Elle se mordit la lèvre inférieure, inclinant la tête avant de passer la porte en silence.
Elle descendit les escaliers avec lenteur. Ça n'allait pas. Elle remonta les marches rapidement, reparaissant par la porte de sa chambre. Il était tant d'un élan de sincérité.
« Je suis… Nulle pour m'exprimer. J'ai toujours peur de blesser mes destinataires ou d'être incomprise ; mes pensées se mélangent et je me pose toujours beaucoup trop de questions. La plupart du temps, je me contente d'écouter ou de répondre à ce que l'on me demande; de ce fait, je suis la personne la plus pathétique de toute l'histoire des relations sociales. Mais j'ai été une très bonne diplomate. »
Elle avait été obligée de rajouter cela, histoire qu'il ne pense pas qu'elle était une ratée. Même si finalement son discours tendait à la désigner toute entière comme telle. Elle avait le sentiment d'avoir loupé une marche, son cœur s'était emballé. Pourquoi est-ce qu'elle avait voulu se justifier ?
Son cœur s'apaisa. Parce qu'elle l'avait vu grandir ; de loin, certes, mais elle avait le sentiment profond de faire partie de sa vie, en filigrane. Peut-être qu'elle n'aurait pas dû le ramener chez elle… Est-ce qu'il allait la rejeter désormais ? Elle resta muette et bête sur le seuil.
Il demeura pantois en la dévisageant. Il ne s'attendait pas à ça. L'avait-il mis si mal à l'aise qu'elle s'était sentie agressée ou jugée par ses paroles ? Il déglutit discrètement en fermant la bouche, réalisant qu'il devait avoir l'air benêt. Son regard avait du mal à demeurer sur elle, de peur de la faire sentir encore plus mal. Mais s'il ne la regardait pas, cela allait aggraver la situation.
Puis, il dit, sans même s'en apercevoir :
« Je crains que vous n'ayez faux. »
Il revint alors à elle, la regardant, et décocha un sourire douloureux tant ses muscles lui faisaient mal.
Puis, il rajouta.
« Je pense que c'est à moi que revient la couronne dans ce domaine. »
( Ecrit d'une main commune avec Swann. Merci à elle. )
Partie 4.
Il contemplait la fenêtre obscure, d'un air morose. Il ne se souvenait de combien de temps il avait passé dans cette chambre, cloitré et enfermé. Pendant de longs jours, il avait tenté de garder conscience du temps qui passait en notant mentalement les nuits qui défilaient. Cela avait débuté par le nombre « huit » que lui avait indiqué son hôte, et avait continué jusqu'à « vingt-quatre ». Depuis, il perdit le fil et tout n'était plus qu'approximation. Mais ce dont il était sûr, c'est que le temps semblait être une éternité.
Bien que Swann Feleanor, sauveuse qui l'avait extirpée d'un destin funeste, lui rendait parfois visite, rien ne permettait à panser sa solitude. Lui, le chasseur et tanneur, habitué à vivre dans la forêt avec la nature pour seule maison, il se retrouvait enfermé tel le bétail qu'il attrapait parfois. Quelle douce ironie du sort. Fort heureusement, les contacts avec son hôte devinrent plus chaleureux, bien que toujours maladroits : il s'était même surpris à l'apprécier, en guettant chaque jour sa venue avec une impatience non modérée. Pourtant, il savait qu'il devait se mettre une limite. Quelque chose n'allait pas dans son récit, et dans ce qu'elle disait. Trop de silence, trop d'hésitation. Non, elle cachait quelque chose, et il ne devait se faire bercer de chimères.
Comment aurait-elle pu le retrouver, perdu dans cette étendue neigeuse se trouvant à bien des centaines de lieux de toute civilisation ? Pourquoi a-t-elle prit le risque de plonger dans cette eau glaciale capable de tuer en une poignée de seconde pour récupérer ses armes ? Lui, encore, il pouvait comprendre : elle ne voulait peut-être pas avoir sa mort sur la conscience en ne faisant rien pour l'aider. Mais ses dagues ? Comme si elle savait que celles-ci avaient une importance pour lui. Mais il avait depuis longtemps arrêté de songer à cela, sous peine de sombrer plus dans la folie qu'il ne l'était déjà.
Car oui, il l'était. Il avait tenté de la fuir, pourtant, mais celle-ci la rattrapait. Tout d'abord, en installant les prémices du carnage mental par le souvenir de ces trois femmes. Trio infernal qui faisait valser son cœur à chaque fois qu'il osait y penser. Cette jeune femme, resplendissante, aux cheveux de flammes. Cette même femme qui avait tenté, par la suite, de l'aspirer dans ses tourments pour lui ôter la vie. Elle qui agissait à présent dans son esprit, embrasant ses nuits pour lui faire goûter au goût suave des cauchemars. Mais parfois, il rêvait. De cette femme qui l'avait sauvé dans son songe, dans son halo de lumière. Cette femme dont, même s'il en ignorait les traits, semblait d'une beauté à couper le souffle. Et ses mots… Ses simples mots qu'elle prononça, et qui torturait l'homme à chaque réveil pour tenter d'en comprendre la portée.
Et il y avait Swann.
Puis, par la suite, alors que ses femmes lui avaient volé ses jours et ses nuits, il se mit à divaguer. A imaginer. Il se sauvait par l'esprit, regardant chaque jour cette fenêtre en s'imaginant la vie dehors, ou quelle serait la sienne hors de ses murs. Un rire de bambin qui lui rappelait son enfance volé. Une pleur qui le frappait telle une gifle et le faisait fondre en larmes à son tour, alors qu'il n'en connaissait ni l'auteur, ni la raison. Il aspirait toutes les émotions et brins de vie que la vitre semblait bien lui offrir, pour en faire sa propre vie. Ses propres sentiments. Ses propres souvenirs. Il n'était plus dans cette chambre, couché sur le lit à ne pouvoir bouger, mais un être que son imagination tissait. Fort heureusement, les repas amenés par Swann parvenait à le rappeler à la réalité — même si celle-ci était parfois douloureuse. Et leurs brefs dialogues lui permirent de s'accrocher à quelque chose. A ses lèvres qui lui évoquaient ce qu'il se passait dehors — qui n'était, bien entendu, que des choses positives. Étrangement, elle ne voulait en évoquer les mauvaises. Cela était certainement pour le préserver, bien que cela lui laissait imaginer le pire. Il avait conscience des guerres frappant le pays, de l'arrivée de la Déesse des Ombres, et de ces pluies de sang inexorables qui inquiétaient bien les habitants de tout le continent. Peut-être était-ce le chaos là dehors ? Peut-être même que le petit monde qu'il connaissait, dans les contrées dionnaises, était mort; emporté par on ne sait quel démon. Mais il ne cherchait pas davantage à en savoir. Son esprit était déjà bien assez tourmenté pour pouvoir encore tenter de résoudre des choses qu'il ne comprenait même pas.
Snäw pensait néanmoins au positif. Oui, ce positif qui serpentait dans tout son corps. Dans sa convalescence, ses doigts avaient repris vie, suivi de peu par ses bras et même son torse. Il parvenait à présent à manger seul, et à s'adosser au lit pour lire quelques bouquins que Swann lui apportait. Mais ses jambes, quant à elles, refusaient encore de se mouvoir. Il avait pensé tout d'abord que cela allait suivre rapidement après le reste, mais il fut déçu de constater chaque matin, après son cauchemar habituel, que celles-ci refusaient toujours de lui répondre. Puis, il songea que son hôte et le médecin s'étaient ligués afin de faire en sorte qu'il ne les retrouve pas, pour ainsi l'emprisonner à tout jamais ici. Il perdait cette pensée dès que sa bienfaitrice lui rendait visite. Elle était si pure… Jamais elle ne pourrait faire une telle chose.
La fenêtre diffusait la lumière de l'aurore. Il avait prit l'habitude de reconnaître celle-ci, puis que c'est souvent elle qui l'extirpait de ses cauchemars où il se faisait brûler pour la centième fois. Mais ce matin, elle n'était comme les autres. Elle semblait plus douce, plus apaisante. Dehors, il n'entendit aucun bruit — simplement la brise matinale qui faisait taper quelques petites branches contre les carreaux. Cette fenêtre, qui était sa seule source d'échappatoire depuis si longtemps… Il espérait qu'elle lui laisse transparaître un bruit par lequel s'évader. Une voix à laquelle il pourrait répondre, afin de donner un semblant de conversation dans sa vie même si les réponses ne parviendront jamais à l'interlocuteur imaginaire. Un rire, une larme, une surprise. N'importe quel bruit que cette fenêtre pouvait lui donner. N'entendant rien, il se mit alors à regarder ce plafond qu'il connaissait si bien pour se laisser bercer par le son du vent. Il avait atteint son seuil de fatigue, et il se sentait enfin prêt à dormir — il avait prit l'habitude d'attendre d'être exténué à l'extrême pour se laisser porter par les bras de Morphée, réalisant que son sommeil lourd l'empêchait de cauchemarder ou même de rêver. Mais alors qu'il commença à clore les yeux, il les ouvrit aussitôt, écarquillés.
Il souleva la couette.
Ses orteils venaient de bouger.