Une aube orageuse
Mon enfance se déroula dans le petit village de Ciga, qui dépendait de Dion. C’était un village de quelques fermes, mais qui avait la particularité de posséder un moulin, une salle des fêtes et un petit temple dédié à Einhasad. Ce n’était pas un village très riche mais il avait déjà subi quelques attaques de pillard de par le fait de l’existence du moulin et donc du stock de grain et de farine qui y transitait.
Ceux qui se disent paria n’ont aucune idée de ce que c’est que d’être rejeté et détesté par une communauté entière ; je devais vivre dans ce village, n’ayant aucune famille ni aucun autre endroit où aller. Mais être une enfant sombre au milieu d’enfants humains semble être un bon moyen de s’attirer toute la suspicion et d’être une coupable idéale au moindre méfait commis. De plus, je fus appelée ‘enfant de pillard’ pendant de longues années (ma mère adoptive m’avait appris les circonstances de ma naissance et l’origine de ce surnom) et fus mise à l’écart. Deux personnes me permirent une existence un peu moins difficile et je leur dois aujourd’hui ma survie : me mère adoptive Mira – Mirabelle de Haut-bourg – et mon meilleur ami, Léo. La première m’apprit à lire et à écrire et je parlerai d’elle plus en détails plus tard. Je veux vous parler du second, de notre rencontre et de sa mort par ma faute.
Après l’une des innombrables brimades dont j'avais été victime (les autres enfants m’avaient attaché à un arbre pour me frapper à coups de bâton car j’étais selon eux responsable des attaques de loups dont étaient victimes les troupeaux de leurs parents), je me retrouvais abandonnée dans la forêt. Car après m’avoir molesté sans ménagement tout l’après-midi, les enfants partirent en me laissant ainsi et en me disant que si je souhaitais rentrer chez moi, je devrais me détacher seule et que dans le cas contraire, les loups auraient à manger cette nuit. Je commençais à désespérer de parvenir à défaire mes liens et songeais à ma dernière heure quand soudain, une ombre sortit du bois et un garçon se dirigea vers moi en me souriant timidement. Il se présenta à moi tout en me détachant ; il était Léopold Von Wasserbourg, fils du duc de Wasserbourg et d’une roturière. Il était ici par la volonté de son père, pour être caché de la femme de celui-ci qui souhaitait le voir mort.
Les années qui suivirent mes trente ans me parurent merveilleuses, protégée par mon chevalier servant et éduquée par ma mère adoptive, j’étais presque heureuse. Léo et moi grandîmes et bien que ma croissance fut plus lente que la sienne, il faut bien s’avouer qu’autre chose qu’une franche amitié nous liait, même si nous n’avons jamais osé nous l’avouer. C’est le jour de mes soixante ans que tout bascula et que je perdis Léo. Il avait fait très chaud et il semblait bien qu’un orage se préparait, la tension était à son comble et les nerfs de chacun étaient à vif. Alors que la soirée s’avançait, d’énormes nuages noirs s’amoncelèrent dans le ciel et les gens se réfugièrent dans le temple plutôt que chez eux en prévision de la tempête. Les premiers éclairs crépitèrent au beau milieu de la nuit, frappant au hasard et mettant le feu aux arbres trop secs. Les heures passèrent dans le noir, entrecoupé des brèves lueurs des éclairs, et les gens commencèrent à perdre foi. Les femmes pleuraient, les hommes tentaient de les rassurer et moi, je me faisais toute petite dans un coin espérant être ignorée jusqu’au matin et à l’accalmie qui ne manquerait pas de survenir. Peine perdue hélas ; une femme s’écria soudain : « Tout cela est la faute de cet enfant de malheur. Je savais que nous n’aurions pas du recueillir une enfant sombre. Depuis qu’elle est là, tout va mal ! ».
Ce fut comme l’hallali et ils se jetèrent sur moi comme à la curée, des mains m’empoignèrent et je sentis que j’étais projetée contre la porte du temple. Ma mère adoptive tenta de s’interposer mais elle fut vite découragée de me venir en aide par les villageois qui n’écoutaient plus ses appels à Einhasad et menacèrent même de lui faire subir le même châtiment. Une seule voix s’éleva plus haut que les autres et un homme s’interposa entre la foule en colère et moi : Léo. Mais il ne faisait pas le poids contre vingt hommes dans la force de l’âge, il fut bien vite désarmé, jeté à terre et roué de coups de pied. Ivre de colère et d’injustice, craignant qu’il ne meurt, je me mis à les supplier d’arrêter mais ils ne m’écoutèrent pas. Cette scène reste gravée dans ma mémoire : je leur hurle d’arrêter et au même instant, un éclair noir part des mes mains pour frapper un des agresseurs de Léo. L’orage cessa aussi tôt, comme s’il attendait cela mais je ne le sus qu'après car je tombais inconsciente, vidée de toute force par l'utilisation de la magie.
Je me relevais le lendemain à côté de Léo, et j'appris plus tard qu'ils avaient eu peur de ma magie et de ce qu'ils avaient fait à un des leurs et que c'est pour ça qu'ils ne m'avaient pas achevé. J’ai pleuré longtemps sur son corps, et je l’ai enterré moi-même selon les rites d’Einhasad que m’avaient enseigné Mira (ce fut d’ailleurs l’unique fois où l’éducation de ma mère adoptive me servit). J’appris à me servir de la magie qui coulait dans mes veines et qui m’avait fait déclencher cet éclair. Je ne fus plus inquiétée par les villageois qui me craignaient désormais.