[ image externe ]
Carnets de Kyrie Althyriinn, hiver de l’an 50
L’enfant fait des progrès époustouflants en termes de maîtrise de la magie. Je ne pensais pas qu’elle parviendrait aussi loin en si peu de temps. J’en viens même à craindre qu’elle dépasse les limites que lui autorisent sa condition et finisse par se détruire. Heureusement, les fragments qui composent son âme proviennent d’êtres puissants. J’espère que c’est là la cause de son apprentissage accéléré.
De façon peu surprenante, c’est le domaine de la mort qui semble lui être le plus naturel. A cause du regard des gens sur cette discipline, et notamment de celle qui a été choisie comme sa gardienne, elle a encore du mal à l’accepter. Ce n’est pas une si mauvaise chose : même si elle est jeune, elle pourra tracer la ligne de la moralité là où bon lui semble.
Carnets de Kyrie Althyriinn, printemps de l’an 52
L’enfant est venue me trouver aujourd’hui, de son plein gré. Comme je le craignais, la santé mentale de la gardienne s’est dégradée rapidement au point de devenir une menace pour son entourage. Je vois bien qu’elle est effondrée par ce dénouement, mais par dessus tout elle maudit son impuissance, son incapacité à la “guérir”. Je lui offre de rester auprès de moi jusqu’à ce qu’elle devienne une adulte - c’est le moins que je puisse faire, pour elle comme pour sa créatrice. Par ailleurs, cela me permettra de superviser l’évolution de son pouvoir avec plus d’attention. Elle a accepté, non sans une certaine réticence, mais son moral est au plus bas et elle a besoin de compagnie - une compagnie saine d’esprit. Ses manies sont touchantes, particulièrement son insistance à feindre le détachement.
Elle avait fini par aimer l’elfe, malgré tout.
Carnets de Kyrie Althyriinn, été de l’an 52
Les nouvelles de la mort de la gardienne sont parvenues jusqu’ici. Puisse son âme trouver le chemin de celle que le destin lui a arrachée. L’enfant essaie de dissimuler ces larmes, mais je sais ce qu’elle ressent. Elle a échoué - elle s’était donné une mission, un objectif, et elle n’a pas su l’accomplir. Elle est probablement consciente que ce n’était pas sa faute, que la gardienne était à un stade irrécupérable pour quiconque. Mais cela ne change rien. Pour elle, elle aurait voulu la sauver. Elle aurait
dû la sauver.
Carnets de Kyrie Althyriinn, hiver de l’an 52
Ilyasiel s’est rendue aujourd’hui dans l’ancienne demeure de sa créatrice. Elle y a trouvé quelques babioles qu’elle a consignées dans une boîte et ramenées ici. Sa fascination pour ces objets me dépasse mais je suspecte que cela soit lié à son attachement au monde des défunts.
Elle passe le plus clair de son temps à Aden - elle aime tout particulièrement se faufiler dans la vieille bibliothèque pour y lire, encore et encore. Et sur tout ! Magie, religion, alchimie, couture, romans, histoire, légendes, tout semble l’intéresser. Quand elle ne lit pas, elle étudie la magie. Parfois avec moi - mais je sens qu’elle veut progresser plus vite que je ne le lui permet. Alors elle se rend au cimetière pour pratiquer la magie rituelle, où son potentiel semble décupler. Mais ces séances la vident totalement de son énergie, et cela m’inquiète au plus haut point lorsqu’elle persévère à dépasser les limites de sa condition.
Mais si elle est bel et bien celle que le destin promet, persévérer est sans doute la seule voie à suivre.
Carnets de Kyrie Althyriinn, printemps de l’an 53
Je l’ai suivie aujourd’hui, à son insu. Mon inquiétude grandit vis-à-vis de ses activités et des risques qu’elle prend en pratiquant des rituels magiques de plus en plus fréquents et exigeants. Chaque jour, elle parait plus épuisée, comme si son corps allait se briser en deux d’un moment à l’autre. Elle ne s’en rend pas compte, mais elle est si fragile...
Ce que j’ai vu ne peut être narré. Son dévouement rayonne d’une telle intensité que je ne peux le décrire avec les mots existant dans notre langue. Les couleurs éthérées qui envahirent la chapelle, les flux de magies qui pulsaient a travers l’air, et ces murmures... Les murmures des âmes suppliciées pourraient pousser n’importe qui à la démence. Mais elle reste là, impassible, et elle les écoute, les accompagne. Je vois les lignes de sa mana s’illuminer d’une lumière éblouissante, puis faiblir minute après minute jusqu'à ce qu’elle s’effondre, et sa respiration est faible, si faible... Ses yeux se ferment et elle reste là, allongée sur le sol, presque inconsciente. Quelques âmes conjurées se manifestent sous forme matérielle et veillent sur elle, dissuadant quiconque de s’approcher de l’enfant dans son faux sommeil. Quand enfin elle revient à elle, elle renvoie ceux qui l’ont protégée. Ses traits sont tirés et ses gestes sont faibles, mais elle est saine et sauve.