Voilà déjà quelques semaines qu'Aikan et moi étions à Saulter. Nous avions rencontré ma Soeur Invy, dont je lui avais parlé, et dont j'avais acheté la liberté de force à la Matrone de la Maison des Plaisirs. Nous avions visité tous les endroits que je chérissais, passant plus de temps à certains qu'à d'autres.
Une nuit, ne trouvant le sommeil, je quittais notre chambre dans le feutré, et fut à la porte de l'auberge en quelques instants. En Elmoraden, où que j'aille, je sentais l'ombre menaçante d'Alveon au-dessus de ma tête. Je le savais parti, mais la peur m'étreignait le ventre chaque jour et hantais mes rêves chaque nuit : je ne portais plus que des armures, délaissant mes robes légères que mon amant affectait pourtant. Mais ici, à Saulter, je me sentais libérée de ce poids. J'arpentais les rues dans mes tenues de soie, sans craindre la vengeance de cet homme qui nourrissait mes cauchemars.
J'errais, sans savoir trop où aller. Mes pas me menèrent à cet endroit que j'avais toujours voulu visiter, lorsque je vivais ici : la Demeure Boréale. Située à l’extrémité nord de Saulter, elle était tout autant connue que la Maison des Plaisirs. La différence ? A la Maison des Plaisirs, nous offrions la vie dans un tourbillon de volupté. A la Demeure Boréale, ils offraient la mort, vive et discrète. La Demeure Boréale était le lieu de vie des meilleurs assassins mercenaires de toute l'île. Je m'arrêtais à l'enceinte, juste devant cet arbre millénaire dont les larges feuillages dissimulaient le chemin menant à la Demeure.
« Tu sais qu'à te voir errer aux alentours de la Demeure Boréale ainsi, les gens pourraient se faire de mauvaises idées sur toi. »
Je sursautai, et me tournai vivement en tout sens pour comprendre l'origine de cette voix. D'un sourire tranquille, une sombre me regardait depuis les branches de l'arbre, où elle semblait avoir pris repos.
« Je pensais que tu viendrais plus tôt que cela. Mais avec ton voyage en Elmoraden, je suppose que tu as été retardée.
-Qui êtes-vous ? m'écriais-je.
-Tu as une bien mauvaise mémoire. »
La sombre se laissa tomber au travers des branches avant de se réceptionner en douceur auprès de moi.
« Ou une bien mauvaise vue, ajouta-t-elle avec un sourire.
-Enelith ? dis-je d'un ton surpris.
-Une mauvaise vue, donc. »
Enelith était l'une de mes Soeurs, qui avait quitté la Maison tardivement, achetant sa liberté.
« J'ignorais que tu étais venue à la Demeure Boréale...
-Ce sont eux qui m'ont donné l'argent nécessaire pour acheter ma liberté. Je leur suis d'une grande rentabilité, dit-elle d'un ton amusé. J'ai entendu dire beaucoup de choses de toi.
-Vraiment ?
-Vraiment. J'ai entendu que tu te cachais dans l'ombre d'armures de ferrailles, effrayée par l'ombre d'un mort. »
Je fronçai les sourcils. Comment pouvait-elle en savoir autant ?
« Nous nous renseignons sur beaucoup de choses, dit-elle pour répondre à mon interrogation muette. Tu as peur, et tu laisses la peur diriger. Tu devrais plutôt te battre contre elle.
-Que veux-tu dire ?
-Je t'apprendrais. Sais-tu pourquoi je suis aussi bonne assassin ?
-Non, dis-je en secouant la tête.
-Parce que je distrais mes proies. Je ne t'apprends rien, j'ai toujours été une bonne danseuse...
-Bien sûr.
-Il suffit... d'utiliser ce don, dit-elle avec un sourire mystérieux. Viens avec moi, je t'apprendrais. »