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par Lexie » lun. 8 juillet 2013 à 21h10
"Garde-à-vous, soldats !"
Les Vingt se tenaient bien droits, le long de l'allée centrale du Haut Quartier, par ordre décroissant. Une poignée de Chefs descendaient par le haut escalier en colimaçon qui liait la surface à la ville souterraine.
Zero, le plus haut gradé des Vingt, et de toute l'Armée Souterraine, sortit de son rang.
"Chefs, dit-il en s'inclinant.
-Parlez, lui répondit d'un ton sec l'un des Chefs. Qui doit être châtié pour cette erreur technique ?
-L'unité en question dépend du Quartier Sud. Il s'agit de l'unité quatre cinq deux, Maître. Je recommande le démantèlement de l'unité, et la répartition dans de nouvelles unités, ainsi qu'une reprogrammation pour Sud, le dirigeant du Quartier.
-Recommandation acceptée. Faites le nécessaire."
Les Chefs firent aussitôt demi tour pour reprendre l'escalier. Les Vingt n'avaient pas bougé. La tension que provoquait la venue des Chefs était encore palpable. Chacun d'entre eux, qu'ils fassent partie des Vingt, qu'ils soient en charge d'un Quartier, ou qu'ils soient de simples soldats, tous étaient terrifiés par les Chefs.
***
Le Projet Protection était le nom de cette organisation. Qui l'avait créé ? Seuls les Chefs le savaient, et ils ne partageaient pas cette information. Dans quel but ? Celui avec lequel la tête de chacun des soldats avait été remplie : ils vivaient sous des montagnes, dans une immense cité souterraine, au nord de terres qui s'appelaient l'Elmoraden. Et sur ces terres, vivaient des créatures, des Aléatoires, qui ressemblaient en tous points à chacun d'eux. Humains, elfes, sombres, orcs, nains, et une dernière race étrange : on le leur avait dit chaque journée de leur vie, ne pas se fier à leurs apparences.
Ils ont l'air inoffensifs, ils ont l'air comme les soldats, mais ils ne le sont pas. Chacun d'entre eux est un destructeur. Chacun d'entre eux détruit chaque partie des terres qu'il peut, et tue le plus de monde qu'il peut. Le Projet Protection va prendre le contrôle de ces terres, pour y remettre de l'ordre. C'était le but qu'on leur avait dit qu'ils poursuivaient, en étant dans ce projet.
Des esclaves ? Non. Chacun de ces soldats était libre. Libre de rester, libre de partir, libre de revenir. Mais seul un nombre restreint d'entre eux avait déjà quitté la Cité Souterraine : beaucoup étaient morts lors de la traversée des montagnes, les autres étaient revenus. La vie en Elmoraden était bien trop différente de la vie de la Cité Souterraine, au sein du Projet Protection, et aucun des soldats qui avait quitté la Cité n'avait réussi à s'adapter à la vie du dehors au milieu des Aléatoires.
Beaucoup d'autres, bien que se posant la question de rester ou de partir, ne le faisaient pas, dans l'espoir de vivre éternellement : c'était connu, les meilleurs soldats de l'Armée Souterraine pouvaient vivre presque éternellement. Le précédent Zero avait, à plus de cinquante ans, été retiré du service militaire pour vivre parmi les Chefs et profiter de son éternité. Il était le modèle de tous ces soldats inconnus qui avançaient à la cadence militaire dans les galeries souterraines des montagnes.
Cinq mille six cent trente. C'était le nombre de soldats qui vivaient sous les montagnes. D'une petite centaine, les membres du Projet Protection avaient multiplié leur effectif par près de soixante en à peine plus de cinquante ans.
Vu le nombre croissant de soldats, la Cité Souterraine avait été divisée en cinq Quartiers : quatre d'entre eux portant le nom d'un point cardinal, et le cinquième celui de Haut Quartier. Dans le Haut Quartier vivaient les meilleures unités de soldats, ainsi que les Vingt.
Les Vingt étaient les dirigeants des cinq mille six cent trente soldats, et chacun d'entre eux portait un numéro équivalent à son grade, de zéro à dix-neuf. Les autres soldats portaient des noms, qu'ils s'étaient donné eux-mêmes, ou que les membres de leur unité leur avaient donné. Porter un numéro au lieu d'un nom était un grand honneur, puisque seules vingt personnes parmi tous pouvaient en porter.
***
Assise sur son lit, seul meuble de sa chambre, elle regardait d'un œil fixe son blason de fer, gravé du nombre « 17 ». Avant cette promotion, elle avait un autre nom, bien sûr. Mais en tant que gradée, désormais, et parmi les Vingt, plus personne n'était autorisé à lui donner cet ancien nom. Elle l'aurait sans aucun doute oublié, avec le temps, si lui ne continuait pas à l'appeler ainsi. Seelina.
Reekin, le plus haut gradé de l'Armée Souterraine, plus connu sous le nom de Zero, était le seul à l'appeler par son prénom de soldat. Et inversement, elle était la seule à l'appeler encore Reekin. Ils avaient grandi ensemble, dans la même unité d'élite dans le Haut Quartier, et lorsque Reekin était monté en grade, il l'avait entraînée dans son ascension.
Seelina ne gardait pas de reconnaissance particulière à son égard, tout ce qu'il avait toujours fait pour elle lui avait semblé évident. Et Reekin n'attendait pas de reconnaissance de sa part. Tous deux savaient que si la situation avait été inversée, elle aurait fait exactement la même chose.
Reekin et Seelina, Zero et Dix-sept, ne mettaient, et n'avait jamais mis de mot sur la relation qui les unissait. Ils étaient simplement ensemble, ils s'aidaient, ils s'écoutaient. Il leur était inenvisageable de faire la moindre chose sans que l'autre n'en fasse partie aussi.
***
« Tu peux répéter ? Je crois que je n'ai pas compris. »
Zero soupira.
« Ce n'est pas que tu ne comprends pas, c'est que ça te semble impensable. Seelina, tu n'as jamais pensé que ce qu'on nous a dit depuis toujours, que les Aléatoires qui peuplent l'Elmoraden sont tellement dangereux qu'ils doivent être éliminés, pouvait être simplement un mensonge ? Qu'en réalité, nous n'avons pas été créés et entraînés à libérer ces terres des Aléatoires, mais à massacrer purement et simplement des peuples ?
-Je n'ai pas à y songer, je sais que c'est faux. Les Chefs ne nous auraient pas trahis.
-Tu dis ça... Je ne t'apprends rien, j'ai accès à nombre de document qu'aucun autre de l'Armée ne peut lire, pas même parmi les Vingt.
-Je le sais. Où veux-tu en venir ?
-Nous n'avons que très peu entendu parler de religion, dans la Cité Souterraine. En fait, nous, les Vingt, sommes les seuls à savoir ce qu'est une religion.
-Oui, acquiesça Dix-sept.
-Tu n'as jamais pensé que les Chefs pouvaient vouloir simplement nous organiser et marcher sur ces terres pour la gloire d'un dieu ? Tu n'as jamais remarqué... que certains de leurs actes et paroles pouvaient tendre à prouver qu'ils sont fanatiques ?
-A quel dieu penses-tu ?
-Gran Kain.
-Oui, ça m'est familier... Et quel rapport avec nous ?
-Si les Aléatoires n'existaient pas ? Si nous étions tous juste des personnes ordinaires, eux comme nous ? Si le but n'était pas simplement de faire régner le chaos ? »
Dix-sept se tut. Elle avait déjà songé que le Projet Protection pouvait avoir une autre fin que de se débarrasser des Aléatoires, mais elle n'avait jamais songé que les Aléatoires pouvaient ne pas exister, ni que les Chefs pouvaient vénérer un dieu, et encore moins à ce point...
Mais elle le savait, Zero était le plus haut gradé de toute l'Armée Souterraine, et il avait obtenu ce poste en montrant une fidélité sans faille envers les Chefs. Ceux-ci lui accordaient leur entière confiance, à tel point que depuis qu'il était devenu le nouveau Zero, les Chefs ne se montraient presque plus en public à l'Armée. Si Zero lui-même doutait du commandement, Dix-sept avait du souci à se faire...
« Reekin, dis moi où tu veux en venir. Quoi que tu me dises, je n'irais pas te dénoncer, tu le sais très bien. Tu es mon partenaire de reproduction depuis près de dix ans, et je suis ta conseillère depuis plus de cinq. Parle.
-Je pense que nous devrions quitter la Cité Souterraine.
-Aller sur les terres à l'extérieur ? Tu plaisantes ? Ce sont les mauvais soldats qui font cela. Je ne compte pas mourir, Reekin, si on quitte la Cité, on ne sera jamais éternels.
-Seelina, soupira-t-il, ce n'est pas possible d'être éternel.
-Le Zero d'avant toi l'est.
-Le Zero d'avant moi n'est pas allé vivre avec les Chefs, Seelina. Il est mort. »
Dix-sept baissa la tête, visiblement perturbée.
« D'accord. Partons.
-Très bien, acquiesça-t-il. Je connais les tunnels qui mènent à l'extérieur. Nous n'aurons qu'à demander une entrevue avec un Chef afin de les avertir de notre départ. Je la demande immédiatement, tu as une heure pour m'y rejoindre.
-Compris. »
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Lexie le mar. 9 juillet 2013 à 17h55, modifié 1 fois.
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