Message
par Lexie » dim. 15 septembre 2013 à 18h41
« J... allil Orthae ? »
Je levai la tête de mon ouvrage, déposant ma plume sur le rebord de la page. Un jeune sombre aux jambes fléchissant me regardait de ses yeux bruns emplis de panique. Je le dévisageai d'un air amusé, lui répondant dans notre langue natale.
« Oui, jeune homme ?
-Je... je viens quémander votre aide. »
Il s'avança, et tomba à genoux, s'inclinant aussi bas que terre, tenant à bout de bras une statuette en or massif. Je lui jetai un rapide coup d’œil, suffisamment long pour m'apercevoir qu'elle représentait un guerrier sombre, avant de me lever de mon large fauteuil pour aller la prendre de ses mains tremblantes. Il redressa la tête vers moi, restant à genoux.
« Parle, lui dis-je d'un ton froid.
-Je... je quitte Shel'Oloth aujourd'hui pour aller m'installer dans une ville plus grande.
-Pour quelle raison ? Le reste des terres te sera défendu, jeune ignorant stupide.
-Je... je... je dois a-aller requérir des informations sur... sur l'une des fontaines de sang.
-Tu te feras tuer.
-C'est... c'est pour cela que je viens implorer votre bénédiction ! me dit-il avec ferveur. Avec votre aide, je pourrais passer outre les regards de ces misérables hérétiques aveugles ! »
Je ne répondis pas tout de suite, lui laissant le temps de comprendre qu'il avait trop parlé. Quelques secondes suffirent pour qu'il baisse à nouveau la tête, rougissant. Je repris mon ton froid.
« Mon pouvoir ne peut pas te protéger hors des terres sombres. Et de plus, tu risques de tous nous mettre en danger en allant de trop près près du reste du monde. Va-t-en, insecte. »
Il se redressa aussitôt, et s'enfuit à toutes jambes par le long couloir de pierre qui remontait à la surface. Je le regardais faire avec un sourire amusé. J'avais toujours adoré jouer ce rôle. Tous me prenaient pour une envoyée des dieux, bénie par le bras de Shilen notre mère, qui m'auraient dotée de pouvoirs surnaturels pour protéger notre race.
Je riais intérieurement de la stupide croyances de ces fanatiques aveugles. Leur croyance me permettait de vivre bien, cependant, ce qui n'était pas négligeable. Mais en plus de cinq siècles, leur côté crédule m'avait lassée. Mon prédécesseur n'avait jamais obtenu une telle puissance parce qu'il était idiot. Il m'avait appris nombre de choses utiles, certes, mais il n'avait jamais découvert ce que moi, j'avais découvert, dans cet antre. La source de ma puissance.
Voilà six-cent-quarante-deux ans que je erre sur ces terres. Cinq-cent-vingt-deux que je sers les intérêts des villages sombres alentours. Trois-cent-douze que je cherche des réponses. Et deux jours que j'ai pris la décision de partir.
Mon domaine me manquera, sans aucun doute. Les voix effrayées de ceux venus me demander de l'aide que j'entendais se répercuter en écho le long des galeries souterraines qui menaient à mon antre, les cris d'agonie des créatures que j'éventrais pour y lire l'avenir, les visites nocturnes que je faisais de cette forêt si peu accueillante avec ceux qui ne la connaissent pas, et toutes ces autres choses qui furent si chères à mon cœur pendant ces six-cent-quarante-deux années.
Jetant un coup d’œil à mes affaires tout alentours, je compris que je ne voulais pas garder tout cela. Toutes ces expériences passées, tous ces vêtements, fioles, offrandes... Je laisserai tout derrière moi. Même mon cristal de pouvoir.
Sans lui, mes capacités seront sans doute diminuées. Je perdrai une partie de mes pouvoirs, je n'effraierai peut être plus autant grâce à mes talents rehaussés par ce cristal, et je ne pourrais probablement plus utiliser ma magie sans m'épuiser... mais qu'importe. Je ne prendrai pas le risque de sortir le cristal de mon antre.
Je n'avais jamais essayé de le le déloger de la roche dans laquelle il était, mais mon instinct m'avait toujours dicté de ne pas le faire ; j'ignorais complètement son origine, la source de son pouvoir, ni même la raison pour laquelle il était enterré sous des décombres, qui me servaient de lieu de vie. Je me contentais de l'utiliser, pour accroître ma puissance.
J'avais lu, grâce à lui, de nombreuses choses dans des entrailles de plusieurs créatures. Et je savais qu'il était temps de quitter les terres sombres. La raison précise ne m'était pas apparue clairement, mais quelque chose était en marche. Et ce quelque chose, s'il parvient au bout de son périple, va répandre la destruction et le chaos.
Il était temps pour moi de mettre à profit mon savoir et mes visions, et d'aller étudier le monde extérieur. J'y trouverai des réponses, j'en suis persuadée.
Ne prenant que le strict minimum avec moi -mes plus beaux vêtements sertis de minuscules éclats de cristaux identiques à mon cristal de pouvoir, quelques uns de mes ouvrages les plus importants, et la plus belle arme qu'on m'ait offert en offrande-, je pris le couloir de pierre creusé dans le sol qui menait à la surface.
Dehors, la violente lumière du soleil me brûla la rétine, et je fermai aussitôt les yeux. Je n'avais pas vu cette lumière depuis si longtemps que j'avais oublié sa puissance... Ignorant la douleur qui m'empêchait d'ouvrir complètement les yeux, j'entrepris d'avancer. Dans quelques kilomètres vers le sud, le parchemin que j'utiliserai m’emmènera à Gludio, et de là, la liberté de voyager où bon me semble me tendra les bras.
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