Khak

[Tharkun]

Les flocons qui s'écrasent lourdement sur le vert visage de l'orc suffisent à peine à le réveiller.
Sonné, le corps enfoncé dans la boue gelée, il repose paisiblement entre la vie et la mort.
Seules les faibles vibrations qui agitent doucement sa tunique indiquent son appartenance au monde des vivants.

Enfin "des vivants"... c'est un bien grand mot.
Dans cet univers de glaces et de silence, il n'y a bien guère que les animaux qui survivent.
Les nains à la limite, terrés dans leurs abris de pierres, blottis aux pieds des montagnes, peuvent remplir la fonction d'autochtones pour un nouveau venu.
Mais les baroudeurs le savent bien, les véritables habitants dans le nord, ce sont les loups.

Et par ici, la simple évocation du terme de "Loups" provoque en général un frisson d'effroi dans l'assistance. Car on ne parle pas du chétif loup gris de l'Ouest, ou bien même de son cousin brun vivant au sud. Les bêtes en question sont de massifs animaux au pelage blanc, évoluant silencieusement par Meute d'une vingtaine d'individus. Il serait inconscient de les défier, quand bien même on serait fier guerrier ou habile sorcier.
On les prétend magiciens, ensorcelés, invincibles.
Autant de racontars de vieille femme qui peuvent aider à se visualiser l'étendu de leur macabre efficacité: les rencontrer en dehors des villes, même en troupe armée, signifie la mort.

Et pourtant...

Il y eut Hérak l'Orc, terrible masse de muscles en armure.
La légende prétend qu'il avait la force d'un ours, et la ruse du renard.
La légende ajoute bien des choses fantastiques, mais une seule est sûre: il parlait le langage des Loups, et cela lui sauva la vie, en plus de sceller son avenir.
Paagrio seul sait ce qui fut raconté la nuit où il alla rencontrer le Chef de Toutes les Meutes. Mais Hérak revint en vie.
Il cherchait un territoire pour établir son futur clan sur les terres des loups, et une terre lui fut donnée.
Ainsi naquit la Koshtorg, le clan de la Meute.
Dont on n'entendit plus jamais parler, jusqu'à aujourd'hui.

Reprenons avec l'Orc évanoui dans la neige.
Il s'appelle Khak. Plus qu'un prénom, c'est un titre de commandement Orc.
Un choix de sa mère, qui souhaite en faire un dirigeant.
Un peu comme si une humaine appelait son enfant Capitaine.
Il est en ligne droite du sang de Hérak, la lignée de son père remontant aux 7 femmes du premier des Kölanlaa.
Ce qui ne le dispense pas, loin de là, de la terrible épreuve des glaces imposée par la Meute.
Il s'agit tout simplement de passer dix années de vie au sein du peuple Loup, accompagné d'un ami canin découvert au début de cette longue période.
Une épreuve difficile particulièrement dans ses premières semaines.
Car bien que Hérak ait passé un mystérieux pacte avec les Meutes du Nord, le jeune Orc doit prouver sa valeur face aux Loups.
Et à 10 ans, peu survivent.... ce qui explique la faible démographie des combattants du Koshtorg.

Pour le moment, Khak a le nez dans la neige en raison de la vilaine ecchymose sanglante que l'on peut voir se dessiner le long de sa nuque.
L'origine de cette blessure est probablement l'énorme branche gisant à ses côtés, détachée de son arbre en raison du poids de la neige sur son écorce.
Un accident stupide, généralement mortel dans ces contrées.
Un accident ridicule que Khak aurait pu aisément éviter s'il n'avait pas des bouchons de cire dans les oreilles. Une expérience idiote de sa part, visant à tester si en l'absence de l'un d'eux, les 5 sens se répartissaient autrement en occupant la place de celui manquant.
Autrement dit, si privé de l'ouïe, il verrait et sentirait mieux.
De toute évidence, il s'agit d'un échec cuisant.

La petite langue qui lui lèche les joues pour tenter de le réveiller appartient à Kaylee cinquième du nom, sa louve.
Elle est la fille de Kaylee, sa première compagne de jeu, dont le sang orne à présent les insignes du clan tatoués sur sa peau verte.
Un souvenir de sa sanglante épreuve d'intronisation.

Lors du Rituel de Passage, le jeune revient de son séjour de dix ans dans les steppes accompagné de son frère de cœur loup.
Au milieu d'une assemblée composée de la Meute Orc et des Meutes Louves, les deux compères doivent se livrer un combat singulier à mort.
Le survivant peut ensuite retourner chez les siens.
les Loups vainqueurs forment les capitaines de Meutes, les Orcs vainqueurs appartiennent au Koshtorg.
Il est évident, bien que la situation ne se soit jamais présentée, qu'en cas de refus de combattre, que l'Orc et son Loup sont froidement abattus par les deux communautés.

Si l'Orc est vainqueur, il devient Kölanlaa, Loup de la Meute Koshtorg.
On mélange le sang de son défunt compagnon à de la sève d'Edelweiss, la froide fleur des montagnes, avant de tatouer sur la joue gauche du jeune Kölanlaa le symbole du clan. Sur sa joue droite, il affiche la marque de la voie choisie pour le combat: le chant des Shamans ou la force des Guerriers.
Puis il reçoit son masque, forgé dans les plus durs métaux nains. Il est son âme, sa parure de bataille, sa rage de vie.

Sur le masque de Khak, qu'il ne porte pas présentement, on peut voir des runes naines qui facilitent les chants de morts. Une sorte de catalyseur de pouvoir.
Il n'est pas bon pour vous de le croiser le visage recouvert de cet acier bleuté, à moins que votre bourse soit bien pleine ou que vos intentions soient aussi lucratives que les siennes....

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Sur sa peau, en plus du tatouage de clan (clic pour image) et de son tatouage de classe (clic pour image) qui le définissent comme Kolanlaa Tsegalk (Shaman Hurleur), on distingue un troisième symbole, dessiné sur son front en noir et blanc:

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Représentant un loup hurlant à la plaine lune, il est le symbole de la Meute.
La Meute, dont Khak est le chef à vie depuis maintenant un certain nombre d'hivers.
Plus rusé et fourbe que belliqueux, il n'en reste pas moins un chef aussi froid que efficace dans ses actions militaires.

Enfin, il se réveille. La vaillante langue de Kaylee a eu raison de son étourdissement passagé.
Retirant les bouchons de ses oreilles, il maudit l'arbre pour ne pas savoir tenir ses branches, avant de reprendre la route du village.

Un village plutôt calme pour une journée d'hiver.
Trop calme même, les guerriers s'ennuient ferme par les temps qui courent.
En faite, tout le monde s'ennuit. La Meute s'agrandit doucement, et les Kölanlaa ont besoin d'exercice. Sous peine de s'entre-tuer par distraction.

Des rumeurs courent sur des villes au Sud, chargées de richesses, ainsi que sur des armées en campagne qui feraient de superbes adversaires.
Quelques contrats de chasses, et la Meute serait assez équipée pour entreprendre une descente dans les terres chaudes...
Le sourire qui s'esquisse sur les lèvres de Khak ne présage rien de bon pour les habitants de ces vertes plaines.
Et ce n'est pas le hurlement de Kaylee depuis la forêt qui dira le contraire....

[Tharkun]

Nu, assis au somment de la colline, l'herbe fraîche aplatie par le poids de ses vertes fesses, la ville étalant son panorama devant ses yeux, le regard perdu, Khak pense.

Les volutes de fumée blanche qui l'encercle proviennent de la fine et longue pipe pointant à la commissure de ses lèvres. Non loin, la louve Kaylee veille paisiblement sur un tas de vêtements humides et propre, délivrés du sang qui les maculaient grâce au petit cour d'eau circulant derrière Khak.

Encore un combat remporté, encore une victoire ridiculement peu lucrative.
Pour gagner sa vie dans la région, autant être honnête, ou pacifiste, voir les deux.
Il va être temps pour la meute de continuer sa route vers de nouveau horizon...

Dans un énergique craquement de vertèbres, Khak se relève, offre les cendres de son tabac au vent, et scrute la lisière de la forêt. A couvert des arbres, une dizaine de guerriers Kölanlaa, des Shamans et des nains lourdement armés patientent. Ils vivent de pillages et de raids depuis de longs mois, et aspirent à de plus larges batailles.

Sa robe de Hurleur sur le dos, Khak lève alors le bras, signale attendu pour que la Koshtorg reprenne sa marche vers le sud. Ce fut la dernière fois que l'on vit la Meute chevaucher en terre d'Aden, et d'aucun murmure que l'on ne les regrettera pas.

[Tharkun]

Floran, à l'aube.

Un petit vent matinal fait doucement onduler la ligne d'horizon, caressant l'herbe dans le sens de la chlorophylle.
Au sommet de la colline apparaît tout d'abord la pointe d'un chapeau. Puis le cône, le rebord, et enfin, omniprésente, la fumée. C'est ainsi que l'on présentera la chose par la suite: "Il y avait de la fumée, surmontée d'un chapeau."

Une douzaine de bouffées plus tard, un oeil émerge, la pupille farceuse, l'iris sanglant, la rétine folle. Il est clair que si autrefois une logique plus ou moins censée habitait cet esprit, elle a depuis longtemps déclaré forfait.

Une aspiration. Puis deux. On distingue maintenant le regard complet.
En fait, c'est la seule chose qui rappelle une quelconque appartenance humanoïde à ce visage: les yeux.
Le reste de la peau autrefois verte, est recouvert de tatouages, constellé de cicatrices. Sauf erreur d'éclairage, il s'agit bel et bien d'un orc. Sa corpulence trahit un mage, ses habits un crieur. Il est seul. Ils sont tous mort. Le chef revient au pays, sa meute au creux de ses mains.

Un sifflement s'échappe des lèvres colorées, libérant dans un souffle d'étranges nuages aux saveurs exotiques, masquant à nouveau son faciès torturé. Derrière lui, la foisonnante crinière d'un énorme loup apparaît. La bête vient du nord, comme en témoigne sa fourrure, mais semble domestiqué, ainsi que l'attestent les marques tribales présentes autour de l'encolure. A y regarder de prêt, il s'agit des mêmes symboles que ceux ornant les traits de l'orc.

Laissant dans son sillage un trainée blanche fleurant bon le sang et l'opioïde, Khak descend la colline.
Il est de retour. Les raisons ?
Y'a pas de raisons.
On a pas besoin de raisons quand on a l'héroïne.