Liendl Livende

[Sormyr]

« Tu ne verseras pas ton sang. Il n'y a pas de discussion possible. »

Aios reprit le martèlement de la lame qu'il venait de cémenter, au fond de la modeste forge qu'il détenait au fond du village elfe. Néanmoins son travail était reconnu de tous au sein du village, et il entendait bien que son seul et unique fils défende Eva de la même manière que lui, en pourvoyant l'armée et la garde des siens des meilleures armes qu'eut jamais faites un être qui ne fut un enfant de Maphr, les siennes.

« Atar, tu dois comprendre que la guerre couve. Notre armée aura besoin de toutes ses forces pour triompher des sous-races qui menacent notre quiétude. Au nord, les orcs commencent à se soulever. Les Morion», il cracha dans l'âtre de son père, « complotent, comme toujours, dans le but de nous exterminer sans doute, comme toujours. Les Firya ont la mainmise sur notre territoire, nous pervertissent, nous méprisent, ils insultent notre tradition, et visent – leur chien de souverain en tête – qu'à anéantir notre culture, de la plus vile des manières qui soit, en la souillant, en l'effaçant de la mémoire des plus jeunes des nôtres, je sais de quoi je parle, Atar, j'ai vu mes frères quitter le village pour les cités libres, et ne plus revenir, et j'ai entendu mes soeurs se confesser leurs amourettes avec des firya – firya, Atar !! Notre peuple est souillé, est humilié. Tu es encore jeune, Atar. Tu n'as pas besoin de moi pour préparer les armes de notre peuple. Je te demande ta bénédiction pour prendre les armes, et défendre notre peuple, nos frères, nos femmes, nos enfants, nos prêtres, pour te défendre, toi. »

Aios avait la tête baissée sur son enclume, cessa de frapper la lame, laissant la table en appui sur la lame quasi incandescente qu'il tenait toujours par la pince. Une seconde s'écoula, dans un silence de mort. Aios releva calmement la tête. Son flegme trompait aisément l'émotion qui l'étreignait. Il scruta son fils, ce fils qui le dépassait à présent. Il voyait toujours un enfant, au delà de son enfant. Ses traits androgynes trahissaient la jeunesse de cet immortel, ses cheveux teintés de reflets bleus, et ce visage si fins, rappelaient inéluctablement à Aios la douce beauté de la mère de son unique fils au forgeron du village. Et ces contours si délicats, troublés par la conviction et la fureur, lui remémorant l'ire de son aimée. Elle ne lui pardonnerait jamais s'il arrivait malheur à son fils.

« Liendl, lindele, je suis ton père. Je te demande de respecter mon autorité. Tu ne prendras pas les armes. »

Liendl explosa, frappant du point contre le mur :

« Et moi je te demande de respecter ton peuple !! Ils ont tué Asterios !! »

Les traits du fils s'étaient contractés sous l'effet de la colère. Aios voyait à présent l'adulte qui naissait en son fils. Il resta interdit. Son fils avait raison. Mais il était si jeune...

« Je suis fier que tu sois mon sang. Je te demande une semaine. Au moins pour te rompre aux arts du combat un minimum. »

En dépit de ce choix lui coûtant, Aios respecta sa parole, et manda son fils auprès de Cobendell, le maître d'arme. Aios ne dormit pas, cette semaine, forgeant jour et nuit une somptueuse armure à son fils, dans la plus grande tradition elfique, mélange de métal doré et de cuir rouge. Il prit un soin plus grand qu'il ne l'eut fait pour aucune armure auparavant. Il lui forgea également une somptueuse épée, semblable aux épées elfes que portent les gardes, mais d'une résistance et d'un éclat dont lui seul connaissait les secrets.

La semaine achevée, Aios réveilla Liendl, et lui offrit son fastueux attirail, le priant de prendre garde à lui, et de penser à chaque fois qu'il prendrait le moindre risque à sa mère.