La vie par la mort
Je m'agitais, dans mes rêves.
Depuis que j'étais avec lui, je ne cauchemardais plus aussi souvent, comme si sa présence les tenait éloignés de moi. Pourtant, cette nuit là, je sentais que quelque chose n'allait pas. Par delà mon inconscience, je savais qu'il y avait quelque chose à faire. Consciente de mon sommeil, je m'exhortais à me réveiller.
Le réveil se fit... froid de son absence. Tout était calme, je devinais qu'il faisait encore nuit. Sans doute tard, voir très tôt... Mais il n'était pas là, je m'inquiétais.
Je sortais alors, à l'air frais de la nuit qui touchait à la fin. Je me faisais orienter par quelques gardes à moitié endormis, m'indiquant qu'ils l'avaient vu passer vers la sortie.
Je m'y dirigeais alors.
Le cri de douleur qui déchira le silence du matin me pétrifia. Arrêter dans ma course, j'étais certaine de l'avoir reconnu... Ce ne pouvait être ! Il devait être tout proche de la cité !
Tremblant légèrement, je me mis à courir, dévalant les quelques marches qui menaient vers la sortie... Et je le vis... Titubant... Livide... Se tenant à s'en rompre le bras son poignet au trou béant... Une partie de son bracelet avait été arraché...
Inquiétude, affolement, incompréhension ! Que c'était-il donc passer ? Qui ? Qui avait osé !!
Son nom alors raisonna en moi. Elle. Encore elle. Je l'avais cherchée. J'avais essayé de la retrouver avant qu'elle ne fasse d’autres dégâts. Mais je n'avais pas réussi. Elle l'avait même retrouvé avant, et voila ce qu'elle avait fait !!
Une bouffée de fureur submergea tout le reste. Cette colère froide et blanche que j'avais réussi à contenir, tapie, s'embrasa en une seconde.
Elle était là. Juste à l'extérieur. Grièvement blessée. Je devais en finir. Maintenant. A jamais !
Il était tellement mal... Tellement faible... Je lui offrais une partie de cette puissance brulante qui léchait avec délectation tout mon être. Et je partis.
Je n'avais qu'une chose en tête. Lui arracher la vie de mes propres mains. La faire souffrir comme elle s'amusait à le faire. La déchiqueter à petit feu.
Je la vis. Allongée. Une dague dans la poitrine. Mais elle respirait encore. Difficilement. Mais toujours vivante. C'était parfait. Telle une ombre rougeoyante, je m'approchais d'elle. Rapace face à sa proie mourante. Elle n'avait plus aucune force. Mais était toujours consciente.
Je me laissais tomber sur elle, mes genoux venant écraser ses bras, sans pour autant toucher à la dague qu'elle n'avait pu retirer.
Comme si tout se passait au ralenti, mes mains saisirent son cou, lentement, et se mirent à le serrer, de plus en plus fort.
Le petit sourire qui ornait son visage se transforma en grimace. L'aura rougeoyante de ma colère froide venait lécher son corps, happant sa vie, me l'offrant dans une sensation presque grisante de puissance.
Je la tenais entre mes mains, elle que j'avais si ardemment voulu détruire. Je sentais sa vie glisser. Et pourtant...
Penchée en avant, le petit cristal accroché à mon cou se libéra venant pendre lentement entre nous deux.
Il n'était pas comme les autres. Il était plus pur. Il n'avait jamais voulu absorber les âmes des animaux comme les autres.
C'est alors que je le mêlais à mon pouvoir. Il résonna...
Je la sentis glisser alors... Se déchirant en deux... Tandis que sa grimace se transforma en un cri de douleur étouffé par mes mains...
Son âme se retirait alors que son corps vivait toujours. Sa conscience, son essence était arrachée à son être. Je la sentis... Chaude... Voluptueuse... Scintillante de sa noirceur et de sa folie... Elle glissait... Tentait de fuir d'entre mes mains... Mais mon pouvoir l'emprisonnait... la guidait vers le cristal... Qui l'absorba sans difficulté...
Entre mes mains, son corps retomba mollement. Sans vie.
Je la tenais toujours malgré tout. Restant figée quelques instants.
Tout se passait au ralentit alors que je sentais d'autant plus mon pouvoir palpiter dans mon être.
J'avais tellement rêvé... Tellement voulu... La vengeance... La haine... Sans pouvoir totalement m'y adonner... ET voila... Cela c'était produit... Mais je n'en éprouvai aucun soulagement... Juste du dégoût... Envers cette chaire inerte et détestable... Aucune joie... Aucune satisfaction... Mais aucun remord non plus... Ou même tristesse...
Ce devait être fait... Rien de plus... Un ordre naturel des choses...
Je regardai alors le cristal se balançant paresseusement un peu plus bas. Il était rougeoyant... Palpitant... Comme un cœur battant dans les ténèbres de la nuit... Et je la sentais... Déchirée... Au supplice... Arrachée de ce qu'elle était sans pouvoir trouver le repos...
Elle n'avait que ce qu'elle méritait après tout ce qu'elle lui avait fait...
Lui... Tout à coup, certaines choses reprirent leur place. Il m'attendait... Je devais le rejoindre, au plus vite !
Je laissais ce morceau de viande morte, me relevait, sans réellement parvenir pour autant à me dépêcher... J'étais comme dans de la mélasse, n'arrivant à m'en défaire... Cet état second m'emprisonnait encore, alors qu'une autre partie de moi me criait de me dépêcher, qu'il risquait de mourir...
Tout bascula alors.
De l'extérieur de la cité, je me retrouvais sur le parvis du grand Temple. Du monde m'entourait... quatre personnes... quatre visages connus. Au départ avenants, mais bien vite figés et anxieux.
J'avais quelque part conscience de ce que devait être mon état. Regard éteint, aura pulsante d'un rouge sang, sensation de malaise pour la majorité.
Mais ce que je vis surtout, c'était lui, à mes cotés, au sol, inconscient.
Ils m'avaient ramené avec lui, sans doute par le plus pur des hasards.
Mais qu'importe. Je devais le sauver... Je savais quelque part qu'il m'en voudrait, mais je ne faisais que réparer ses erreurs à elle avec sa propre vitalité volée. L'ordre des choses.
Je me laissais tomber à ses côtés alors que les questions environnantes ne m'atteignaient pas.
Je pris son poignet blessé, et aspirai.
J'arrivais à discerner maintenant. A faire la différence entre eux.
La vie était chaude et épicée, chargée d'un tanin puissant et capiteux.
La souffrance était amère et salée, à la fois fade et repoussante.
Les blessures étaient glaciales au point d'en bruler, piquantes et acérées, lacérant le corps, le marquant à mesure qu'elle était absorbée.
Ce n'était pas naturel, c'était un effort volontaire et éprouvant. Mais tel était mon choix. Je n'en avais que faire de souffrir si cela me permettait de le garder auprès de moi... J'avais déjà tellement souffert par le passé... Ce ne serait rien comparé à sa détresse ou sa perte.
Mon pouvoir m'emporta, encore chauffée de cette vie happée. Le transfert se fit, fluide, sans beaucoup d'effort tellement je voulais le sauver...
Il reprit conscience. Il tenta de se défaire de mon emprise... Mais je devais continuer... Je devais m'assurer... qu'il s'en sortirait...
Brulure... Douleur... Elle se fit proche... Très proche... Trop proche...
Je lâchais finalement... Ayant l'impression que ma main s'arrachait en deux. Le pouvoir s'était estompé, comblant ce que j'avais volé... Je me sentais partir... Je ne devais pas... Le cœur au bord des lèvres...
Je me raccrochais à lui... Mentalement... A lui... A cette chaleur... Au creux de mon être... Je me sentais glacée... Après cette chaleur enivrante... Il ne restait qu'un point qui palpitait... Elle était là... Oui... Elle... Elle n'aurait que ce qu'elle mérite... Je me concentrais encore... Essayant d'arracher mon esprit fatigué à la torpeur qui l'emportait... Dans un dernier effort... Une dernière connexion... Ouvrir le flux... Oui... Le sentir couler en moi... Comme mon esprit coulait vers les limbes profonds... A la fois terrifiantes et salutaires...