Le jeune humain reprenait goût à la vie, et la vivait pleinement. Il appréciait chaque instant, mais il devait avouer avoir en lui quelques remords, enfouis. La mort de sa famille pesait toujours sur sa conscience, et il avait pour ambition de s'améliorer en magie afin d'honorer leurs sacrifices. Eux qui avaient donné tant de temps et d'argent pour qu'il devienne un mage... Qui s'étaient tant privés. Eux, qu'il avait trahi. Alester se devait de rattraper les erreurs passées, et il en était bien décidé. Déterminé à renforcer ses connaissances en magie, il commençait ainsi à suivre un enseignement qu'il avait par le passé délaissé, par peur. La magie du vent.
C'était l'élément avec lequel il avait durant ses débuts eu le plus de résultat, mais son absence de maîtrise de la magie l'avait alors presque tué, le propulsant contre un mur. L'eau avait coulé sous les ponts, et aujourd'hui il se sentait prêt à donner de nouveau un oeil sur cette magie qu'il avait par le passé fuit. Mais il était hors de question d'avancer à l'aveugle, il lui fallait des livres, voire même un maître. Mais il ne voulait pas d'un maître ; craignant le décevoir, ne pas être à la hauteur. Et puis, cette magie étant principalement utilisée par le peuple Sombre, il avait aussi de l'appréhension quant aux possibles enseignants.
Mais alors même qu'il commençait à s'intéresser à cette magie, on lui fit une proposition. Thyla, Bailli et récemment Comtesse de Gludio, décidait de reprendre en main la guilde de magie de Gludio. Elle siégeait dans une Tour aux formes impromptues, où étaient entassés différents livres. La plupart ne permettaient qu'un enseignement de base, mais c'était un bon début. Et Thyla assurait avoir en sa possession quelques ouvrages plus rares.
Et c'est ainsi que Thyla proposa à Alester d'y travailler, et d'essayer de la remettre en « marche ». La première réponse qui vint à l'esprit du jeune humain était « Oui, bien sûr ! ». Mais une part d'incertitude le bridait dans son choix ; serait-il à la hauteur ? Il n'était qu'un simple mage, bien loin de tous ces maîtres. Il était absolument tout sauf certain d'être capable de mener à bien une telle tâche. Par conséquent, il fit part de ses inquiétudes de Thyla, qui lui répondit par des mots simples mais pleins de bon sens. Ce qu'elle cherchait n'était pas un mage surpuissant, mais quelqu'un en qui elle avait confiance.
Ces mots réjouirent le jeune humain, qui d'une part retrouvait une once d'ambition, et d'une autre était flatté qu'elle lui fasse confiance au point de lui confier une telle tâche. Et très rapidement après, il tira plusieurs conclusions. Il avait là l'occasion de ne pas décevoir quelqu'un qui avait confiance en lui, et ainsi de ne pas commettre la même erreur qu'il avait fait avec sa famille. C'était un moyen de se repentir de ses erreurs, et d'apprendre à ne plus les faire. Et, d'une autre part, c'était aussi l'opportunité idéale pour ses projets : devenir un vrai mage, respectable, afin d'honorer les sacrifices qu'avaient fait ses parents dans ce dessein.
Le jeune humain prit alors la tâche avec beaucoup de sérieux, et se convainquit d'être capable de mener à bien le projet. Il accepta ainsi la proposition de Thyla avec grand plaisir. Il entreprit alors diverses actions pour exercer sa fonction ; notamment l'ébauche d'un traité d'alliance avec la Tour d'Ivoire qui prenait une très bonne tournure et qui était sur le point d'aboutir. Aussi, une expédition au monastère du silence afin de renflouer les bibliothèques de nouveaux ouvrages passionnants.
Alester, le temps passant, changeait peu à peu. Il travaillait de plus en plus souvent dans la Tour, rédigeant des lettres à droite et à gauche, laissant son fidèle serviteur félin jouer le rôle de coursier. Et en parallèle à tout cela, il était aussi ravi car Geriel s'intéressait à son tour à l'invocation. Il l'aidait donc, lui prodiguant quelques conseils pour réussir dans sa voie. Il écrivait également un livre, qu'il remplissait chaque jour. Des formules, des conseils, des leçons, des exercices, de l'histoire, de la théorie... il écrivait tout ce qu'il savait sur les invocations. Tout ce qu'il avait appris.
Et ainsi se déroulaient ses nouvelles journées, il écrivait des lettres, les envoyait, écrivait un livre, enseignait auprès de Geriel, recherchait des mages à travers le Royaume, rangeait la Tour... Et le soir, il rentrait dans sa nouvelle maison. Elle avait été aménagée par Geriel, et il en était très satisfait. Encore une fois, non loin de la mer, pas loin des bois. Elle était parfaite pour lui car il s'y sentait chez lui, et c'est ce qui était le plus important. Sa vie prenait une voie agréable, et il profitait de ses jours. Il aimait ce qu'il faisait, et c'était l'essentiel.
Il gardait toutefois pour lui cet amer passé, l'abandon de sa famille. Et son nouveau logis n'étant qu'à quelques lieues de ses terres natales n'aidait pas à le lui faire oublier. Peut-être était-ce le seul défaut, la seule tâche noire... Après tout, rien n'est jamais blanc. Quoiqu'il en soit, Alester profitait de son nouveau travail pour continuer à étudier la magie, et ses liens avec les félins jamais ne furent-ils si forts. Il continua toutefois son entraînement avec la magie du vent, pour être un mage plus compétent et digne de porter ce titre. C'est ainsi qu'on le surprenait à dévorer des ouvrages, s'exerçant avec la masse que Geriel lui avait offerte...
Souvenirs de Paresse
Les heures s'écoulaient et le jeune humain gisait toujours au pied du mur. Durant les premières minutes, une flaque de sang s'était étendue autour de son visage, laissant sa joue baigner dedans. Rapidement elle cessa de s'agrandir, le saignement s'étant arrêté. Tout comme son cœur. C'est dans ces circonstances qu'arriva sa mère, au soir, venue apporter le repas habituel. À peine eût-elle ouvert la porte qu'elle laissa tomber le repas dans un fracas retentissant. Horrifiée par la scène, elle demeurait immobile pendant quelques secondes, avant de se jeter sur le corps de son enfant, gisant au sol.
Elle saisit le corps du jeune enfant, le remuant dans des pleurs, comme pour essayer de le réveiller. Les larmes coulaient à flot sur les joues de sa maternelle désolée, qui se perdait dans des pleurs et des reniflements. Rapidement arrivèrent le père et la sœur, alarmés par les cris. La nuit tombait, et tous deux courraient vers le moulin d'où venaient les désolations. Leurs visages s'horrifièrent à leur tour, affligés par la scène. La mère aux manches trempées de sang, tenant dans ses bras le défunt membre de la famille. Le visage du mort était marqué par la surprise. Ce fut la dernière expression du jeune enfant, à la vie écourtée.
Adelphe, lui, était resté à la maison. Il observait la rivière, depuis la fenêtre. Impassible, assis seul à la table de la salle à manger. Tapotant des doigts sur la table de en chêne massif, il attendait le retour des trois autres qui ne tardèrent point. Alors revenus, leurs visages décomposés fixaient Adelphe, et le père tenait Alester dans ses bras. Sans vie. Le grand frère sourcilla un instant. Il soupira ensuite. Le silence était pesant, dérangé par quelques pleurs et reniflements. Les quatre restèrent à se regarder, pendant quelques longues minutes. Puis Adelphe se décida à parler, demandant « Qu'est-ce que vous comptez faire ? ».
Il ne le savait pas, mais ses mots venaient de blesser à nouveau sa famille. Peut-être aurait-il pu mieux formuler sa question. Peut-être aurait-il pu dire « Qu'est-ce que nous allons faire ? ». Le père, tentant de se montrer fort et d'agir en tant que chef de la famille, déclara alors « Nous allons... l'enterrer, l'honorer et... prévenir maître Alvarik qu'il ne sera plus nécessaire d'apporter des livres... ». Sur ces mots, la mère et la sœur d'Alester fondirent en larmes. Adelphe, afficha un air peiné en les voyant ainsi. Puis il s'en alla dans sa chambre, comprenant que ce soir, il n'y aurait pas de repas.
Au matin, si Alice avait eu l'espoir d'y voir plus clair avec l'aide de la nuit, elle s'était trompée. Rien n'avait changé. Tous devaient se montrer forts. Le père était parti tôt au temple, prévenir maître Alvarik. Ce dernier, dans son immondice habituelle, s'offusqua alors :
« - Mort ?!... Mais comment cela a-t'il pu arriver ? demanda Alvarik, fronçant les sourcils.
- Nous.. nous ne savons pas... son bâton était à l'opposé de la pièce, cassé.
- Pfft. Lui il a raté un sort et il est mort... c'est malin ça !! Il va falloir me payer. J'ai passé beaucoup de temps à lui enseigner la magie, et j'ai prêté des ouvrages de grande valeur !!
- Je.. mais enfin !.. Comment pouvez-vous nous dire ça ! Il est mort ! C'était mon fils !! déclara le père, la douleur du deuil étranglant sa voix.
- Je vois pas ce que ça change, vous me devrez me payer un million d'adenas. C'est ce qui était convenu, s'il n'abandonnait pas, j'en faisais un mage. S'il abandonnait, vous me deviez un million d'adenas.
- Mais ! Il n'a pas abandonné ! Il est mort !!
- Le résultat est le même, rétorqua-t'il d'un ton placide.
- Ça non ! Ça ne se passera pas comme ça ! s'écria le père offusqué.
- Voyons voir ça. Un paysan défiant l'autorité d'un mage de la Grande Tour d'Ivoire ? Haha, on aura tout vu. Faites, faites ! On verra qui aura le dernier mot.
- Mais.. même si nous le voulions, nous ne pourrions.. jamais rassembler une telle somme... ajouta le père, dépité.
- Ça il fallait y penser avant. À moins que... Alvarik laissa un silence, pour mariner et profiter du spectacle du père endeuillé.
- À moins que ?.. Quoi ? Vous avez une alternative ??
- À moins que vous ne le remplaciez. Oui, ça peut marcher. Alester était mauvais et progressait peu, de toute façon. Tout ce qu'a à faire votre remplaçant c'est travailler sur les cristaux, les invocations et la magie du vent.
- Comment ça... « remplacer » ?
- Hé bien.. trouvez quelqu'un qui deviendra Alester. Bon j'ai pas que ça à faire moi. C'est ça, un million d'adenas, ou la justice. Vous avez une semaine. »
Sur ces mots cruels, le maître humain s'en alla ; laissant le père accablé par la sévérité de ses mots. Il retourna à la maison, et vit Alice aux champs, en train de travailler. La mère, elle, était toujours enfermée dans la chambre, pleurant la mort de son fils. Il ne restait plus qu'Adelphe, assis dans l'herbe. Attendant on ne sait quoi. Il décida alors que remplacer Alester... était impossible, mais qu'Adelphe pourrait au moins faire quelque chose de sa vie. Il rentra à la maison pour se vêtir d'une tenue de travail, et s'en alla rejoindre sa fille, dans les champs. Il bêchait la terre, pensif, réfléchissant à cette « alternative ». C'était lui, le chef de la famille. C'était alors à lui de prendre les décisions. Les bonnes décisions.
La semaine s'était écoulée, Alester était enterré. Sa tombe fleurie s'était ajoutée aux autres, au cimetière du village. Le soir de l'enterrement, le père avait annoncé à la fin du repos la nouvelle, comme un cheveux sur la soupe :
« - Adelphe. À compter de demain tu n'existeras plus. À compter de demain, Alester reprendra vie. Tu n'as pas le choix. Nous n'avons pas le choix. C'est ça, un million d'adenas, ou le cachot. Donc, tu deviendras Alester. Prendras ses habitudes, son savoir, son comportement. Son nom. »
Un long silence s'installa. Alice et sa mère étaient déjà prévenues. Elles restaient toutefois affligées par cette décision, bien que convaincue que c'était la moins pire. Alester, lui, fixa les trois membres de sa famille un long moment. Puis il déclara, contre toute attente :
« - D'accord. »
Et sur cette réponse, il se leva immédiatement, quittant la maisonnée pour ce moulin. Ce moulin où son frère avait perdu la vie. Ce moulin où, lui aussi, il allait étudier la magie.
Adelphe n'était pas sot. Certains disent que la fainéantise amène à réfléchir davantage. Cela pouvait être vrai pour ce jeune humain, qui était à peine plus âgé qu'Alester. Physiquement, tous deux se ressemblaient, à la différence qu'Adelphe avait un air qui se distinguait des autres membres de la famille. Un regard lent, mou. Cela trahissait très souvent son esprit qui était bien plus vif qu'il ne le laissait paraître. Le jeune humain était peu connu du village. En effet, jusqu'à présent il avait passé ses journées dans la nature. Il regardait l'eau couler, les papillons voler, les paysans récolter. Observateur, c'est ce qu'il était.
Il avait jusqu'à présent toujours vécu à part. C'est pourquoi cette expérience d'isolement au moulin ne l'intimidait pas plus que cela. Sa mère parlait souvent de lui comme son « enfant différent ». Tout ce qu'il vivait, c'était de façon passive. Une étrange tournure des choses avait fait que durant toute sa vie, il n'avait rien subi. Toujours esquivé sans pour autant bouger. Ainsi il n'avait jamais réellement travaillé dans les champs. Mais pour autant, il avait évité ce labeur sans trop insister. Il n'était pas allé à l'école. Mais il n'avait pas pour autant tout fait pour ne pas y aller. C'est pourquoi, devenir Alester, travailler comme un forcené... c'était quelque chose d'inimaginable pour Adelphe. Inconcevable pour sa famille, du moins. Et pourtant, il avait accepté, à leur grande surprise.
Sa sœur et ses parents l'observaient depuis la fenêtre, le regardant se diriger vers le moulin. N'y croyant presque pas. Mais pour autant, une part d'eux n'était pas si surprise ; on ne savait jamais ce qui passait par la tête d'Adelphe. Il était pour le moins mystérieux, et personne n'avait idée de ses pensées. Quoiqu'il en soit, une crainte était née dans la famille, depuis la mort d'Alester. Celle d'avoir fait une erreur en confiant leur enfant à ce mage. La crainte d'être responsable de cette mort ; et aussi celle de commettre à nouveau cette erreur en confiant Adelphe aux mains de cet ignoble monsieur. La crainte aussi, quelque part, qu'Adelphe ait accepté si facilement cette responsabilité en espérant y trouver à son tour la mort. Après tout, il ne semblait pas porter une affection particulière à sa vie - à quoi que ce soit, en fait.
Puis Adelphe entra dans le moulin. Les lieux n'avaient guère changé, et pourtant, tout semblait si différent. Le grincement du bois était devenu sinistre, glauque. La désuétude du lit et du bureau donnaient un côté hanté à la bâtisse. Et puis, cette marque de sang au sol, au pied de ce mur. Ce témoin de la douleur. L'ensemble du moulin semblait hostile et ténébreux. Le remplaçant d'Adelphe se secoua la tête puis prit place sur la chaise faisant face au bureau. Il se pencha sur les deux ouvrages encore ouverts : un livre sur la magie élémentaire, sur le chapitre de la magie du vent ; et un dictionnaire de langue Sombre. Il soupira, puis comprit que c'était probablement les dernières phrases qu'avait lu Alester avant sa mort.
Il se pencha sur les livres, essayant d'y comprendre quelque chose. Le nouvel Alester prit la peine d'observer une page. Il n'avait aucune notion de magie, aucun talent particulier, aucun enseignement. Ce combat était perdu d'avance, et il ne voulait pas se fatiguer - ça n'était pas dans ses habitudes, faut-il préciser. Il se leva alors, et prit en main le bâton tordu et fissuré. Tentant quelque chose d'absolument stupide, il avança d'un coup son bâton, comme espérant qu'une boule de feu en jaillisse. Voyant que rien ne se produisit, il se contenta d'un « Hm. ». Il lâcha alors le bâton, puis reprit place sur la chaise.
Tordant ses lèvres, il observa à nouveau le livre. Puis, après dix bonnes minutes d'observation, il se rua sur les autres livres. Ils les ouvrait, tous, à une page. La même, la vingt-et-unième page. Il défaisait les piles, posant tous les livres, sur le bureau, sur le lit, au sol. Partout. Le moulin entier était tapissé de livres ouverts à la vingt-et-unième page. Sa subite frénésie tirait plus de la folie compulsive que d'autre chose. Mais il continuait ainsi, pendant au moins une heure. La nuit était tombée depuis longtemps, et il n'y avait que la lumière de la lampe pour l'éclairer. Et le jeune enfant se penchait sur les livres, les parcourant uns à uns, et s'attardant sur ceux illustrés ; plus particulièrement sur la légende des illustrations.
Il continua ainsi toute la nuit.
En fait, Adelphe ne savait pas lire.
Au matin, les divers poulaillers environnants sonnèrent le lever du jour. Une lumière vint alors envahir le moulin, et Adelphe en profita pour éteindre la lampe. Quelques cernes soulignant ses yeux étaient apparues, mais il était là. Toujours à essayer de comprendre quelque chose. Il était pour le moins singulier, et dans d'autres cultures, il serait très certainement passé pour quelqu'un de fou. La chance lui avait toutefois sourit, puisque dans tous ces ouvrages, il en avait trouvé un qui allait le guider. Cet ouvrage rassemblait uniquement des illustrations, de divers phénomènes. Tous avaient une légende, et peu à peu, Adelphe apprenait avec ces images la langue écrite. Ainsi sous une illustration de chêne, il était était écrit « Chêne ». Peu à peu, toutes ces lettres prenaient un sens pour le jeune humain.
Mais, le nouvel Alester n'était pas du genre lettré. Les illustrations étaient pour lui bien plus parlantes ; de même que tous ces cercles d'invocation à tracer au sol. Fort heureusement pour lui, ainsi que pour tout le village, les invocations de démon étaient très mal explicitées et il n'en invoqua aucun accidentellement.
Étonnement, le nouvel Alester apprenait à une vitesse largement supérieure à l'« ancien ». Il comprenait, mais surtout, il réussissait. Son affinité avec la magie surpassait celle de son défunt frère. Mais ça, personne ne l'avait remarqué puisqu'honnêtement, personne ne s'intéressait réellement à Adelphe. Probablement parce qu'il ne s'intéressait à personne. Et c'est ainsi que jour après jour, le nouvel apprenti suivait les traces des études de l'ancien Alester. La magie du vent, la magie de l'invocation, les cristaux.
Les mois défilaient, et son rythme de vie était très différent. Il lisait environ deux pages par jour, et le reste du temps il s'allongeait sur son lit. Depuis son lit, il scrutait l'ouverture en haut du moulin, laissant apercevoir un bout de ciel. Il regardait la couleur du ciel, les nuages qui défilaient, leur couleur, les rares oiseaux qui filaient de temps à autres. La pluie, le soleil qui passait aussi. Et quand le vent soufflait très fort, il voyait même les feuilles défiler. Puis il allait lire une page, et revenait s'installer sur le lit. Il n'était pas rare qu'il prenne un fusain pour dessiner quelques idées qui lui passaient en tête. Mais il ne finissait jamais ses dessins.
Ce mode de vie ne lui déplaisait pas, mais il savait qu'Alester, le vrai, en avait horreur. Alors il se forçait à râler. À ne pas apprécier le lieu, les études, la magie. En un sens, ça l'agaçait. Mais de l'autre, il venait de découvrir quelque chose d'auparavant inconnu : la reconnaissance de sa famille. Elle était heureuse grâce à lui, et cela lui plaisait. Il était content d'être responsable de leur bonheur. C'est probablement pour cette raison qu'il étudiait de temps à autres. Le fait que l'ancien Alester ait été médiocre en magie l'arrangeait bien : il avait pas à travailler beaucoup pour rester « fidèle à l'original ». Alors il faisait mine de travailler comme un forcené et d'aboutir à de maigres résultats, alors qu'en réalité il se prélassait dans son lit à longueur de journée.
Pourtant, Adelphe se prit au jeu. La magie de l'invocation suscita en lui un intérêt. Et il voyait toujours ce cristal posé sur le bureau. Il savait qu'avec, il pourrait invoquer un ami. Le nouveau comme l'ancien Alester souffrait de la solitude. Les venues du repas qui n'excédaient pas les trois minutes par jour étaient bien maigres, et il avait bien envie d'avoir des discussions. Bien que la plupart des discussions avec Adelphe étaient à sens unique : il ne parlait jamais de lui. Et puis, il avait quelque chose qu'Alester n'avait pas : la curiosité.
Alors, le nouvel Alester reprit en main ce livre marqué d'annotations de l'ancien Alester. Il n'avait pas vraiment envie de travailler, mais il était très curieux. À quoi ressemblent ces félins ? Ont-ils un accent quand ils parlent ? Comment est leur monde ? Que pensent-ils ?... Tant de questions qui suscitaient l'attention d'Alester - non sans épuisement.
Toujours est-il que beaucoup de lecture s'annonçait et qu'il n'était toujours pas habitué... alors, ça attendra.