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Les jours passaient sans grand changement. J’aidais les quelques personnes qui en avaient besoin, mais elles restaient rares. Mon moral bas stagnait, mais je voulais continuer mon apprentissage. Les bibliothèques d’Heine et de la Tour d’Ivoire étaient devenues mes deuxièmes maisons. J’y passais sans doute plus de temps qu’au gîte du Havre Blanc. Gîte qui semblait d’ailleurs se vider, au fur et à mesure.
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C’est un frais matin, lorsque je me rendais à Giran pour me rendre compte des changements que la ville avait subit depuis ma dernière venue, qu’un sourire réapparut enfin sur mon visage après plusieurs semaines d’amère errance. La silhouette d’un adolescent s’était dessinée à côté de la passeuse, je la reconnue aussitôt. Paresse n’avait donc pas disparu. Il m’expliquait qu’il avait rejoint sa fiancée, et qu’il n’avait pas vu le temps passer. Il allait se marier avec celle-ci, et cherchait quelqu’un pour les lier, et les bénir lors de leur mariage. Il me demanda, l’air de rien et c’est avec fierté, mais aussi beaucoup d’angoisse, que j’acceptais d’être ce quelqu’un.
Nous parlâmes longuement de ce qui s’était passé durant ces semaines. Les affaires du gîte m'inquiétant, il s’attardait sur le sujet pour m’expliquer qu’il avait tenté d’inviter quelques autres personnes. Mais que peu à peu, d’autres partaient. Laën et Gali ayant rejoins la Vindicte, elles ne s’arrêtaient presque plus au Havre Blanc. Il me conta la triste disparition de Cala, que je n’ai jamais connu. Le départ d’une certaine Vesperle, et sans doutes, bientôt, la sienne. Nous n’avions pas encore évoqué Jaëlle, mais elle vint rapidement dans nos conversations. Elle ne reviendrait apparemment plus, car emprise d’un démon qui la rongeait de l’intérieur. Ses réactions seraient alors incertaines face à nous, car elle ne nous reconnaîtrait plus. Jaëlle, en s’enfuyant, aurait donc éloigné ce démon qui aurait pu faire du mal aux autres, mais aussi et surtout à elle-même. Cette nouvelle, même si elle restait incertaine, bouleversait toutes personnes qui la connaissaient de près ou de loin, car la médecin était connue et reconnue pour sa gentillesse et sa dévotion.
Je rencontrais quelques jours après Meilina, une des résidentes permanentes du gîte, et aussi celle que je n’avais encore jamais rencontré. Elle me confirma, souriante, mon entrée au gîte, et mon statut de membre en leur sein. Je n’étais désormais plus une invitée, mais une résidente du Havre Blanc.
Les gens souriaient lorsque je feintais d’être attendue à Heine, en plein milieu d’une conversation, alors qu’en réalité je passais mon temps dans la bibliothèque de la ville. J’avais dévoré en quelques semaines plus de dix manuscrits parlant des Dieux, et les prophéties leurs étant liées. J’avais la chance d’apprendre vite, et un jour, étonnamment, les livres vinrent à manquer. Je m’étais renseignée auprès de beaucoup de bibliothécaires, même ceux de la Tour d’Ivoire. Et plus aucun livre sur les Divinités, la foi, les pratiques, les prophéties…, n’était disponible à la lecture. En sommes, j’avais finis mes études. Le Grand Prêtre m’avait confié que mes connaissances religieuses étaient telles que je pouvais être qualifiée d’Hiérophante, à présent.
La théorie, c’est bien ; mais la pratique, c’est mieux. Mes connaissances étaient peut-être grandes, mes bénédictions en revanche n’étaient pas toutes adaptées. Il ne me restait donc plus qu’à apprendre comment utiliser les prophéties apprises.
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Mais ces prophéties m’importaient peu, à présent. Heureuse d’être qualifiée d’un des plus hauts grades de l’Eglise, je décidais de retourner au village où j’avais grandis, pour montrer à Elros que ses efforts n’avaient pas été vains. Arrivée au paisible et harmonieux village, je me dirigeais vers la demeure de Vairaë. Rien n’avait changé, les chants des oiseaux formaient toujours une douce mélodie lorsqu’ils étaient mélangés au bruit de la grande fontaine, et les rayons du soleil qui se faufilaient entre les branches et les feuilles de l’Arbre Mère dispersait dans le village d’agréables jeux d’ombres et de lumières. J’entrais silencieusement chez celle qui avait prit soin de moi pendant près de vingt années. Là aussi, tout était identique. Les meubles anciens mais entretenus dégageaient un charme que l’on ne trouvait qu’ici, l’odeur des plantes elfes disposées aux quatre coins du logis me rappelait de façon nostalgique les heureux moments que j’avais passés ici. Je souriais, inconsciemment. Quels merveilleux souvenirs. La porte de la cuisine était entrouverte, et je respirais d’agréables effluves émanant de celle-ci. Vairaë tourna la tête et ouvrit totalement. Je remarquais dans son regard que pendant un instant, elle ne m’avait pas reconnue. Après ce moment, elle sourit, et s’avança pour m’enlacer.
« _ Quel bonheur de te revoir aussi changée, Mariel. Tu sembles tellement plus mature et sûre de toi. »
Je me séparais de son étreinte et souriais à mon tour.
«_ Bon nombre de personnes rencontrées riraient s’ils t’endentaient dire ça, Tante Vairaë ! »
Devant son regard interrogateur, je lui expliquais longuement mes nombreuses rencontres et péripéties, depuis le jour ou j’ai quitté Cefedellen à aujourd’hui. Mon horrible timidité, mes nouveaux pouvoirs, mon nouveau statut, le gîte de Dion… Et tout ce dont je vous ai parlé jusqu’à maintenant. Je lui expliquais aussi que j’étais venue principalement pour Elros, ce qu’elle comprit parfaitement.
Elle me confia qu’il était partit au sud de la Zone Neutre, où il avait aperçut des individus suspects rôder autour des terres elfiques, et qu’il reviendrait sous peu. Mais trop impatiente pour attendre, je décidais de le rejoindre sur place.
Mauvaise idée.
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Enjouée de faire une surprise à Elros, je m’équipais, et pris la passeuse pour la zone neutre. Après quelques minutes de marche à tourner la tête à chaque chemin pour tenter de l’apercevoir, je m’arrêtais devant de grandes ruines elfes. J’avais entendu du bruit, parmi elles. Des cris même, de souffrance. J’aurais pu prendre peur et rester cachée, mais le son de la voix implorante était familier. C’était Elros. Je détournais une colonne blanchâtre tombée à terre à cause des siècles, et découvrais mon bienfaiteur à genou, courbé vers l’avant, la tête baissée. Mon cœur se serrait. Une rapide silhouette s’échappait, au loin. Je m’approchais lentement, angoissée par ce que j’allais trouver. Elros cillait, mais tenta de lever la tête, comme pour prouver à son attaquant qu’il ne l’avait pas achevé. Mais c’est en me découvrant, tremblante, le regard horrifié, les poings fermés, qu’il s’écroula.
Je pense qu’il n’aurait jamais voulu que je le vois ainsi. Ses yeux émeraudes étaient écarquillés, implorants, comme s’il voulait que je le laisse seul, ici. Mais j’étais là, et ne pouvais partir. C’est en m’approchant que je découvrais, dans le creux de son cou, une entaille de la longueur de ma main. Peu profonde, mais assez pour que le sang coule aussi vite que les larmes qui apparurent sur mes joues. Je tentais de le prendre dans mes bras, le retenir. Mais il me rejetait. Il me connaissait mieux que personne, et savait que cette approche du sang me changerait à vie. Pourtant, je résistais, et Elros ne pouvait combattre bien longtemps. Je voyais que ses forces le quittaient peu à peu. J’essayais quelques formules sans doute inutiles, mais mes études des prophéties incluaient un peu de médecine, et une aura jaunâtre éclairait mes mains, que je plaçais à la hauteur de son cou. Ces soins étaient trop superficiels. Il fallait un vrai médecin. Je continuais de trembler, et mes larmes se mélangeaient au sang qui coulait sur mes mains. J’aurais voulu crier, appeler à l’aide, quémander la clémence des Dieux mais ma gorge était nouée. Je m’étais agenouillée près d’Elros. Il ne voulait me regarder dans les yeux, mais parla, d’une voix rauque, et haletante...
« _ Je ne te demande pas ce que tu fais là, Mariel, tu aimes toujours tu mettre dans les plus mauvaises situations. Je pourrais presque croire que tu as un don pour cela. Mais voilà, tu es là, je ne sais pourquoi. Cependant en te voyant, j’ai faillis ne pas te reconnaître. Tu parais être devenue quelqu’un Mariel, et j’en suis fière. Je ne veux pas te changer. La vengeance n’est pas faite pour toi, ne te lance pas dans des péripéties sans fins et dangereuses. Reste comme tu es, je t’en prie… »
Sauf que non, je ne pouvais rester comme j’étais après ça.
« _ Je suis devenue Hiérophante, Elros. Lui dis-je, la voix tremblante, les larmes ne cessant de perler sur mes joues, tout en forçant un sourire. »
A ces mots, il m’adressa un honnête et digne signe de tête, comme pour m’encourager à poursuivre dans cette voie.
C’est quand ses yeux se sont clos, pour ne jamais se rouvrir, que j’ajoutai : « Et oui, je te vengerai. »
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Oui, mauvaise idée de l’avoir rejoint. Mais rester à l’attendre à Cefedellen n’aurait-il pas été pire ?
Je suis restée une journée entière, agenouillée, à le pleurer. Je ne pouvais y croire. Je ne voulais y croire. Je voulais contrôler le temps, revenir en arrière, arriver plus tôt au village elfe et le prévenir de ne pas le quitter. Mais rien n’était possible. Mon chagrin me prenait toutes mes forces. Je ne pouvais même pas me lever pour aller boire au ruisseau coulant juste à côté. Ma robe était entachée de sang. Mes mains et mon visage aussi, l’ayant serré à plusieurs reprises contre moi. Un sentiment d’injustice, de culpabilité et de haine m’envahit. Comment assassiner la plus généreuse des personnes ? J’aurais dû poursuivre cette silhouette qui s’enfuyait. Retenir son visage. Pour lui faire subir la même chose qu’Elros avait enduré.
Je tremblais toujours autant, mais les larmes avait séchées sur mon visage rougit et parsemé de sang. J’entendais les pas de plusieurs personnes derrière moi. Des cris aussi. Mon chagrin allait être partagé, je le savais déjà. Je sentais de puissantes mains m’empoigner les épaules, et me lever sans problème pour m’éloigner du corps sans vie. Je ne résistais pas. J’avais tenté d’offrir toutes mes forces à l’elfe gisant devant moi, sans succès. Je n’avais alors plus aucune vigueur. Une demi-douzaine d’elfes s’était mis à nous chercher. Dont Vairaë, qui s’empressa de m’envelopper d’une couverture, et de me serrer contre elle. J’étais docile, me laissais faire, et regardais les autres elfes s’occuper d’Elros. Je les suivais du regard, ne voulant le quitter. Ils le soulevèrent, et commencèrent à marcher lentement, en direction du village elfe.
Je restais là, ne bougeais pas, entre les bras de Vairaë. Elle savait ce que je ressentais, c’est pour ça qu’elle restait aussi silencieuse. Aucune parole n’était utile à ce moment précis. Je voyais les larmes apparaître sur le doux visage de celle qui m’avait élevée. Sa douleur devait sans doute être plus profonde que la mienne. Mais la célèbre fierté elfique lui permettait de se retenir.
Nous restâmes ainsi un moment. Au crépuscule, elle ouvrit enfin la bouche.
« _ Partons, Mariel… »
J’acquiesçais brièvement, et murmura un mot, qui nous fit retourner immédiatement dans la demeure de Vairaë, qui avait soudain changé d’allure. Comme si tout avait changé, alors que tout était à l’identique. J’avais l’impression de ne plus rien éprouver.
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Après une petite semaine cloitrée chez l’elfe, refusant presque toute nourriture, je me décidais à sortir. Vairaë avait récupérer toutes les affaires d’Elros, et me proposa de les prendre.
Sans même lui offrir une réponse polie, je m'en emparai.
C’est à ce moment que je me rappelais les paroles de celui que j’avais tant pleuré.
« _ Tu sais, Mariel, on dit toujours qu’on est effrayé par le combat lorsqu’on est jeune. Et puis, lorsqu’on a quelqu’un à venger, la peur n’existe plus…»
C’était vrai.
[Subclass SpellSinger]