Nom de naissance : inconnu
Nom d’adoption : Drakaine
Nom utilisé en dehors de la « Famille » : De Vries
Surnom au sein de la « Famille » : Le Taxidermiste
La nuit était transpercée par le joyau astral qui rependait sa lueur diaphane sur les pavés souillés des bas quartiers de Rune.
On entendait quelques rires fuser ici et là, relent des tavernes louches et des maisons de passe ou les filles faciles s’offraient pour un peu d’adenas.
Il n’était qu’un pas de plus dans ce vacarme joyeux. Une silhouette se fondant dans la masse.
Un marin ivre le bouscula :
- Olà ! Qu’est-ce qu’tu fais dans mes pattes, toi !
L’homme était visiblement bien éméché. Il puait l’alcool et la crasse, la sueur et la médiocrité.
Pourtant, un autre parfum émanait de lui. Un parfum qu’il connaissait bien : enivrant, magnifique… Insoutenable !
- Oh ! Tu m’réponds quand j’te cause !
Le marin pointa un doigt sale à quelques centimètres de son visage. Un doigt qui s’élevait comme un avertissement.
Mais son regard passait à travers la chair, ses sens focalisés durant quelques secondes sur l’environnement.
Certainement que le marin ivre n’eut pas le temps de comprendre ce qui lui arriva.
Il y eu comme une sorte de sifflement étouffé, puis, la seconde d’après, il réceptionnait le corps dans ses bras, le traînant déjà dans un coin sombre.
Un petit gémissement s’échappait encore des lèvres de sa victime.
Un dernier examen lui montra qu’ils étaient loin de la vue des mortels, et lorsqu’il sourit, la lune fit luire ses deux canines, juste avant qu’il ne les enfonce dans la chair de sa proie.
Quelques minutes plus tard, repu et débarrassé du cadavre, il reprit son chemin, fredonnant un petit air guilleret, sa cape flottant dans la brise du soir.
Il huma l’air, comme un animal qui sent quelque chose. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire charmant qui aurait fait se pâmer quelques douces créatures. Cependant, seule l’ombre pouvait profiter de ce moment.
Sa voix, presque comme un murmure surnaturel, surgit :
- Ainsi… L’instant est venu…
Une lueur carnassière emplit l’or de ses yeux. Puis il reprit sa marche, mais cette fois, c’est à peine si on entendait le bruit de ses semelles sur la pierre.
Suivant quelque parfum subtil, il dépassa trois rues, puis tourna dans une ruelle sans issue.
Là, à quelques mètres, il y avait quelque chose dans la pénombre. Quelque chose qui gigotait.
Ses yeux avides fixèrent la petite chose juste avant qu’il ne soit assez près pour la contempler à loisir.
Elle était là, nichée sur un tas d’immondices, ne pleurant pas, se contentant de le fixer à son tour avec des prunelles rondes comme des billes. Des prunelles pervenches et dans lesquelles il ne voyait aucune peur.
Elle le fixait avec ce qu’il semblait être une curiosité innocente.
- Je savais que ce jour viendrais… J’ignorai juste quelle serait ta forme… Tu veux faire un long voyage ?
A cet instant, la petite forme émit comme un babillement. Un peu comme si elle lui répondait à sa façon. La façon qu’a un bébé de s’exprimer.
- Parfait… Alors partons ! Je ferai de toi ma plus belle réussite !
Il saisit l’enfant dans ses bras, lui souriant un instant.
L’instant suivant, ils n’étaient plus qu’un vague souvenir.
Ainsi débuta l’histoire d’Adora, enfant de la fange, et de celle du « Père », patriarche de la "Famille".
Extrait d’un écrit anonyme perdu entre les étagères de la bibliothèque de Rune :
A ce niveau de l’histoire, on peut voir qu’une dizaine de pages ont été déchirées. Le récit reprend un peu plus loin.Qui je suis et comment je m’appelle, cela n’a aucune importance.
Je suis ici le témoin de ce présent.
Mes yeux sont vos yeux, chers lecteurs, et je vous retranscris ici tout ce que j’ai pu apprendre de cette aventure.
Bien sûr, certains d’entre vous resteront sceptiques, ou ne pourrons imaginer certains faits sans douter de leur véracité.
Pourtant, oui, je vous le dis, ce sont bien les faits, ici, que je vous narre.
Mais revenons à nos moutons.
Nous sommes en l’an 49, c’est la nuit et il pleut. Pourtant, l’air est doux et la journée a été belle.
La menace de la peste a été écartée.
Les vampires qui avaient pris possession de la ville ont été chassés, brûlés et mis en fuite.
Rune connaît une renaissance et à cet instant, on peut voir encore quelques lumières derrières les vitres des demeures. Certains veillent ou travaillent encore à cette heure avancée de la nuit il semblerait.
Plongeons vers un quartier calme. Ici, l’architecture est de qualité et on peut sentir que le quartier fût riche et qu’il le sera certainement encore longtemps.
La maison qui nous intéresse… Qui m’intéresse, en fait… C’est celle un peu isolée, avec des murs d’enceinte et un peu de jardin tout autour.
C’est une belle demeure, vraiment. Ceux qui vivent là (Qui vivaient ?) ont vraiment du goût.
Passons la grille, puis le porche et la porte.
A l’intérieur, tout est sombre. Les meubles ont été recouverts par des draps blancs. Il semble que les propriétaires soient partis depuis longtemps. Pourtant, quelqu’un d’attentif remarquera que la poussière est faite.
Ca sent néanmoins le renfermé. Et tout paraît figé et fantomatique.
Dépassons le vestibule et prenons le long couloir qui mène à la cuisine. Bifurquons par le bureau, puis passons par la bibliothèque et le petit salon. Évitons de sursauter en croisant une statue de marbre et revenons en arrière, pour prendre la porte qui mène au sous-sol.
Je peux voir un sacré désordre ici. Peut-être le seul endroit qui reste crasseux, royaume des toiles où les mouches ne font pas long feu.
La pièce est vaste. On pourrait presque s’y perdre.
Dans le fond, on peut voir plusieurs tonneaux et des murs entiers de bouteilles de vins et liquoreux. Nul doute que chez ces gens-là, on devait apprécier les bonnes choses !
Mais revenons aux tonneaux. Il y en a un, en particulier, qui nous intéresse. Il a un robinet légèrement tordu. Peut-être est-il cassé ? J’en doute.
J’en doute d’autant plus qu’en le tournant, un léger bruit se fait entendre, comme un mécanisme, suivit par un glissement.
Vous l’aurez compris, nous venons de trouver un passage secret ! N’est-ce pas excitant ?
En tout cas, pour moi, cela provoque un petit picotement de satisfaction.
Il faut dire que j’ai oublié de vous dire que ma spécialité, c’est le vol.
Ha, mais pas les petits larcins, non… Je laisse ça aux amateurs !
Je vous parle des vols qui demandent de la réflexion et une bonne préparation. Du style aussi, important ça, le style !
Un dernier coup d’œil avant de franchir le passage et de refermer derrière nous alors que nous descendons à nouveau, nous enfonçant dans le sol.
Il y a une sorte de mousse luminescente qui éclaire la paroi. On sent l’humidité et l’air est moite.
La descente prend du temps et abouti à une série de galeries creusées dans le sol. Nous prendrons celle de gauche.
La découverte continue. Je suis mon instinct, un peu comme si je savais inconsciemment où aller. Pourtant, quelque chose me chiffonne. Alors plusieurs fois, je me retourne, observant la pénombre.
Quelque chose me frôle !
Je sursaute, portant la main à ma ceinture. C’est là que se trouve ma dague, on ne sait jamais.
Je ne bouge plus et j’attends un instant, le temps de me calmer, pour continuer ma recherche.
A nouveau, je sens quelque chose. Cette fois, je suis certain que cela m’a touché le dos. Je me retourne vivement, mais une fois encore, rien !
Je sens que ma respiration est plus rapide et une goutte de sueur froide dégouline sur mon front. Je retiens mon souffle. Puis il me semble entendre quelque chose.
Oui, je n’ai pas rêvé, c’est… C’est bien comme un petit air on dirait…
Un petit air guilleret…
Je regarde dans la direction du son, puis j’avance.
J’essaie de faire le moins de bruit possible. Je me glisse dans les ombres, flirtant avec ce qu’il me reste de discrétion. J’ai le dos collé à un mur froid.
Soudain, le mur bascule, pivotant et m’entrainant avec lui. Je manque de crier sous la surprise, puis je me sens glisser dans une sorte de goulot noir, chutant vers une destination inconnue.
J’essaye de me retenir à quelque chose, mais rien ne vient m’aider et je ne fais qu’écorcher mes doigts.
Il me semble que la chute dure une éternité, puis, enfin, je vois une lueur qui arrive vers moi rapidement et alors que je touche le sol durement, me cognant contre la roche, tout semble tourner et je ne vois plus rien d’autre que le néant !
A nouveau, le récit semble effacé et d’autres pages sont déchirées.Je n’avais jamais vu rien de tel.
Je la regardais alors réellement pour la première fois. Et pour la première fois, je sentis le sang se glacer dans mes veines.
Je la regardais… Elle… Parce qu’en cet instant, je souhaitais plus que tout n’avoir jamais pénétré cette demeure, n’avoir jamais trouvé le passage, ni découvert… (Une partie du texte est effacée par l’usure).
Mais voilà, il était trop tard maintenant et impossible de revenir en arrière.
Il était trop tard…
Mes pauvres yeux en avaient vu plus qu’ils ne l’auraient dû.
Pourtant, et malgré cela, j’étais captivé par son visage dont la beauté aurait pu faire pâlir un ange. Elle leva son regard céruléen sur moi et malgré sa petite taille, je me sentis dépassé en tous points. Elle prenait tout l’espace rien que par sa prestance. Et je trahis un regard furtif vers ses courbes démentes ce qui me provoqua un soudain embarras.
Je crois que cela l’amusa quelque peu car elle sourit et je cru bien défaillir tant ce moment m’éblouit. J’en oubliais presque que j’avais en face de moi un prédateur de la pire espèce et que moi, pauvre fou, j’étais le gibier !
Il faut dire, lecteur, qu’en cet instant, je pensais ne jamais pouvoir poser un jour ces mots sur un quelconque support.
En cet instant, je comptais les minutes qui me reliaient à une mort qui serait certainement rapide et dont je préférai ne pas imaginer la douleur.
C’est à cet instant je crois que Valet vint interrompre notre tête à tête macabre.
- Ma Dame, le repas est… servi.
En disant ces mots, il me fixa et je déglutis.
Adora lui susurra quelque chose que je ne compris pas sur le moment. Mais je n’allais pas tarder à le savoir…
…arrivé là.
Demain, c’est la fin. Mais je sais que c’est aussi le début d’un autre avenir.
Ici rien d’autre ne viendra tâcher ces pages. Ce que réserve le futur devra rester dans l’ombre et vous, lecteurs, suivez mon conseil et ne cherchez pas à vous aventurer plus loin car vous pourriez bien trouver plus que ce que vous n'aimeriez trouver.
FIN