Les portes de l'estaminet claquèrent alors violemment contre le mur, alors qu'entraient quatre gardes à l'air patibulaires, mais le nez tordu, dégoutés par l'odeur et l'apparence de l'endroit. Un petit homme au dos plié, à l'allure peu engageante de fouine mal lavée s'empressait près du sergent dirigeant le groupe.
Murmurant avec vivacité, il montra d'un doigt maigre et tremblant la forme affalée dans le fond. Puis pris avec servilité l'argent que lui donna le garde avant de s'éclipser aussitôt au dehors, dans la froide nuit d'Aden.
La jeune femme, car s'en était une, était pour sa part bien trop occupée par ses souvenirs, et ses propres pensés pour se soucier de ce qu'il se passait autour d'elle, et ne réagit aucunement à l'agitation.
De ses yeux aveugles qui fixait sa chope sans la voir, elle se souvenait...
_Que fait-on ma Dame ?" demanda dans un souffle le croisé qui s'était approché d'elle en rampant dans l'herbe.
_Et que peut-on faire d'après vous, Harald ? Regardez donc ce qui est, la ville est tombé. Giran, la dernière cité de lumière, siège de notre armée sainte est entre les mains de ses nobles hérétique du Synode... nous arrivons trop tard Harold, et mourir ici ne les aideras pas.
_Mais... ma Dame ? Votre frère ? Votre père ? Ils sont chevaliers au service de Giran depuis toujours, ils, enfin...
Serrant les dents pour ne pas laisser voir son horreur et sa peine, elle hocha sèchement la tête, et entrepris de reculer en rampant pour aller retrouver sa maigre troupe.
Elle n'eut pas loin a parcourir en rampant, puis courant ensuite afin de les rejoindre, eux qui se tenaient sous le couvert d'un maigre bosquet, attendant ses ordres avec la sérénité des soldats aguerris. Une vingtaine d'hommes et femmes, envoyés en renforts depuis leur petit temple et chapitoir du sud du lac Narsell. Là où venaient des femmes et hommes pieux, et désirant se détacher du monde, et qui devenaient nones et moines... ainsi que des épées saintes au nom de la glorieuse Einsahad.
Elle les regarda un moment, hésitante encore, mais sachant pourtant quel était la seule décision qui lui était possible de prendre, et d'ordonner.
_Giran est perdue." finit-elle par dire brusquement d'une voix sèche, maladroite. "Les portes sont tombées, et l'armée hérétique des mercenaires soiffards et meurtriers du Synode est déjà dans la cité. Je crains que le Haut Inquisiteur Valrion, sa suite, et ses saints soldats soient désormais perdus, voir déjà morts. Nous sommes arrivés trop tard. Il n'y a plus rien à faire."
_Nous pourrions peut-être, en frappant leurs arrières, donner une chance pour certains des notre de... "commença une des plus jeune de ses nones-soldates, le visage illuminé de passion. Avant qu'Enaelle ne lui coupe la parole d'un geste sec de sa main gantelée.
_Oubliez cela. Ce serait du suicide, et gâcher sa vie inutilement ne serviras pas les Dessins de la Déesse.
Non, nous avons ici une tout autre tâche. Vous allez rentrer à votre couvent et chapitoir, et les prévenir de ce qu'il s'est passé ici. Giran tombée, Aden et Gludio restes les seuls royaumes de lumière en Elmoraden. L'église, et vous même devrez être forts, et s'apprêter d'aider les souverains si nous ne voulons pas voir l'Ombre s'étendre encore, et dévorer tout le sud. Je porterais mon propre rapport au chapitoir de l'Ordre, et les enjoindrais de se préparer au pire. Notre compagnie se dissous donc ici même. Harold prendras le commandement de votre groupe.
J'ai eux plaisir à vous commander, même pour cette brève semaine de préparation, et de marche.
Les visages jeunes et vieux, au regard calme et perçant des frères et sœurs de son groupe la jaugèrent un bref instant, puis d'un hochement de tête sec, ils acceptèrent ses ordres, bien qu'a contrecœur.***Par la suite, la suite, Enaelle avait tout fait pour convaincre ses supérieurs d'agir, de déclarer hérétique le Synode et tous ses membres en apposant l'anathème sur leurs noms d'assassins. De prévenir les autres couvents de prêtres-guerriers, et les chapitoirs de l'Ordre des Paladin, dispersés sur tout le sud d'Elmoraden.
Ses paroles avaient été lettre morte...
Puis Aden était tombée...
Et tombée plus bas encore dans l'ombre et la folie, par les actes ignobles et traitres de la régente Sayuri.
Puis ce fut le tours de Gludio d'être menacée à son tours, dernier rempart de lumière dans une terre de chaos, de mal, de duperie et de trahison.
Les femmes et hommes de bien traqués,
Poursuivit, fustigés,
L'espoir soufflé comme une bougie une nuit de tempête,
Quelque soit le soin à la maintenir ou la rallumer...
Les cœurs vacillèrent devant les prières sans réponses.
Dont le sien assurément...
Et les souvenirs restent, et rongent l'âme,
Lorsque l'on sais au fond de sois, que l'on s'est abandonnée sans combattre.
L'alcool, piètre réconfort,
Courage des pleutres,
Chaleur des indigents.
Ne fait que bruler le ventre, et ronger l'âme,
Disperse un temps les souvenirs, qui reviennent au matin plus fort encore.
Elle avait quitté le temple peu après la fermeture des temples, devant l'entêtement suicidaire de ses paires. Puis errée sans but, sans savoir, écoutant les rumeurs. Avant d'aller un soir, s'écrouler dans une taverne, et noyer sa colère, et son désespoir dans l'alcool.
Effaçant, effaçant, toujours plus loin,
En une brume rouge, les derniers mois, et semaines...
La chute de Gludio, qu'elle avait apprise par des rumeurs à son réveil, alors qu'elle gisait dans son propre vomi dans une ruelle, couvert d'ordures, et puant la bière et le vin rance. Cela la brisa d'avantage encore, même si elle s'y attendait depuis longtemps. Et elle s'en était voulu évidement, de ne pas avoir été là bas pour mourir proprement. Et elle avait priée, pleurée, s'était traitée de tous les noms, avilie et fustigée dans sa colère, le remord et sa honte. Avant que l'appel de la boisson ne se fasse sentir, l'envie puissante d'oublier tout cela, de tout effacer, la douleur, la peur, les remords, dans les brumes de l'alcool...
Bientôt, tout cela s'effacerait, et elle serait enfin en paix...
Il la tira de sa rêverie mélancolique et sombre. Décidément, le monde ne voulait pas la laisser tranquille, et il ne cessait de se rappeler à elle et de l'ennuyer pour des vétilles, elle qui ne désirait plus qu'ardemment, et uniquement disparaitre des regards des autres, des dieux, et du siens propre.
_Toi !" fit le sergent de la jadis resplendissante armée d'Aden. Elle aussi tombé en déshonneur, sa splendeur humiliée par son asservissement à la folie de sa régente. "Tu vas nous suivre dehors, et jusqu'au poste. On as des choses à te demander... paladine."
_Vous vous trompez de personne... laissez moi, soldat. Je ne suis pas celle que vous recherchez...
_Ah ! Et bien elle est tombée bien bas la fière "épée d'Einsahad" hein ? Toi comme les tiens n'avaient rien fait pour nous aider. Quand les nôtres crevaient à la porte de Shilen, ou contre les armées de Goddard. A vous d'en payer le prix maintenant, bande de lâches !"
_Laissez-moi-tranquille." fit-elle d'une voix rauque d'alcool en jetant un regard meurtrier au sergent.
_Ça je ne pense pas, chienne. Vous deux, levez la, et fouillez la !
Les deux gardes s'approchèrent, sans aucune précaution devant l'état d'ivrognerie avancée de la "fière paladine" devant eux, affalée telle la pire des souillons sur la table dans des relents peu ragoutants. L'un d'entre eux tandis la main vers son épaule, pour la saisir et la secouer un peu...
_Ne... me touche... pas. Bâtard d'hérétique...
Alors, lentement le soldat se plia en deux avec un regard surprit, comme stupéfait, sur la dague apparue brusquement dans son ventre comme par magie. L'autre soldat, lui n'eut que l'occasion d'entrouvrir la bouche sur un cris d'alarme -à peine plus le temps de saisir ce qu'il se passait-, avant que sa tête ne se décroche de son corps et ne s'envole dans une gerbe sanglante. La longue lame brillante de l'épée, apparue si soudainement, sifflait un chant de mort avec une vivacité terrifiante dans la main de la femme, qui s'était plus affalée en avant, que véritablement levée pour frapper. Son geste incertain, et pourtant terriblement meurtrier.
_Qu'est-ce que ? Non att...
Le sergent à son tours s'écroula alors, le torse transpercé alors qu'il tentait de dégainer d'une main rendue maladroite par la surprise et la panique. Un regard étonné, droit dans les yeux de la paladine, et le sergent fixa avec horreur ceux injectés de sang par l'alcool, mais durs, terriblement durs et comme emplis d'une insondable tristesse qui le suivit jusqu'à ce qu'il s'effondre face au sol, ses jambes cédants sous lui.
Le quatrième et dernier soldat, regardant le désastre d'un air effaré, fit brusquement demi tours en dérapant à demi sur le sol souillé, glissant et collant de bière renversée. Tentant de se ruer vers la porte et s'enfuir. Mais ce n'était pas ce qu'Enaelle désirait, et arrachant la dague du ventre du soldat agonisant en silence, écroulé sur la table, elle la projeta d'une main experte bien que mal assurée sur le pauvre fuyard. Ratant largement la nuque qu'elle visait, la dague frappa l'homme au coté, près des reins, perçant la côte de maille et envoyant le pauvre homme s'effondrer a terre à son tours dans un glapissement de douleur.
Quelques pas lui suffirent à rejoindre le soldat qui rampais en gémissant, bafouillant de terreur et de douleur sur le sol, tentant vainement de continuer de fuir... jusqu'à ce que la lame de l'épée, lui taillant un nouveau sourire, ne mis fin à sa vie et à son agonie dans un flot écarlate.
_Il aurais mieux valus pour vous tous, que vous tombiez honorablement à la Porte de Shilen justement... Plutôt que de rester à servir cette chienne hérétique au palais. " grogna la paladine en se redressant légèrement, récupérant au passage sa dague sur le cadavre.
Puis, titubante, dans le silence qui s'était abattus dans le sombre bouge elle rejoignit sa propre table. Le soldat survivant eut droit au même triste sort, alors qu'agonisant il s'y agrippait dans sa vaine recherche d'air, alors que ses poumons s'emplissait de sang. Sang qui se mêla alors à bouillons sur la surface rugueuse, avec le vin, les miettes et les flaques de bière qui s'y trouvaient déjà, pour tomber ensuite goute à goute au sol. Alors Enaelle, ramassant sa choppe encore à demi-pleine, la vida d'un seul coup, avant de se diriger vers la sortie d'un pas hésitant.
Se dressant sur le seuil elle tourna la tête à demi vers ceux des clients, habitués ou passants occasionnels, et qui depuis leurs tables s'étaient levés pour porter la main sur leurs armes, et surveillaient les faits et gestes de la folle meurtrière avec une grande attention.
_Je n'ai pas toujours été comme ça, vous savez ? L'espoir, la droiture... l'honneur. Mon épée est le glaive de la justice, et ma foi mon bouclier pour la sécurité des innocents... Ah ! Je connaissait tous les psaumes, pour soutenir mes compagnons, présider aux prières des croyants... " Elle ricana doucement, amèrement et douloureusement, secouant la tête avec dégout. "Je me suis battu pour toutes les grandes causes. Pleurant nos morts, réconfortants nos survivants... J'étais si fière, droite et noble. La digne fille de mon Chevalier de père, élevée dans la justice et selon l'exemple légué par les Hoplites de Giran. J'ai appris tout ce qu'une prêtresse devait savoir, des onguents, des magies curatives, des prières magique et de la façon d'écouter et réconforter les âmes en peine.
Mais à quoi tout cela nous à t-il mené, toutes ces belles choses, hein ? Cela n'a servie à rien ! Cette noble fierté, pour n'être finalement plus que traqués par des démons et comme des bêtes. Tandis que vous, le peuple, qui avait si bien profité de notre sang versé, bien à l'abri derrière nos boucliers, désormais, nous dénoncez pour quelques misérables piécettes. C'est fini pour moi tout ça. Alors sachez bien ceci, si l'un de vous parle, et décrit mon visage aux gens du guet... je vous retrouverais, et vous crèverais tous.
Puissiez vous trouvez un bel endroit pour ramper, et disparaitre au néant comme les cafards que vous êtes..."
A genoux dans une petit bosquet de cèdres aux feuilles frémissantes dans le vent. Elle priait de toute son horreur, et sa douleur mêlée, son âme déchirée entre le dégout, la haine, la colère, et par la flamme de sa foi qui ne voulait toujours pas s'éteindre, et persistait à briller, et la tourmenter de remords, en dualité avec celle de la vengeance, qui pulsais dans ses tripes.
Trois vies de plus pesaient sur son cœur, celle de l'homme qui l'avait dénoncé, et des deux autres qui vivaient dans la même demeure sordide que lui. Ses frères ? Ses fils ? Enaelle n'en savait rien, et les avait tués parce qu'ils étaient là, tout simplement. Pour étancher sa colère, et sa soif de sang.
Et, par dessus son dégout, et ses remords, l'appel insistant de la boisson, de l'oubli, qui la rongeait...
Il ne lui fallut pas bien longtemps pour céder, et partir à la recherche d'un village, et surtout de son auberge et de son bar.
Puis qui sais après ? Oren ? Gludio pour en apprécier les dégâts ? Heine peut-être... le hasard déciderais.