Serindë se tenait debout, devant les ruines du temple d'Einhasad, dans ce qu'était Althéna. C'était un endroit où elle aimait beaucoup venir, ces ruines. Elle avait fait partie de ces elfes de Heine qui avaient quitté la ville pour l'Île aux Murmures lorsque les failles avaient atteint la cité. Elle avait assisté de ses propres yeux à un tournant capital de l'histoire de l'Eä, et en tant que passionnée d'histoire, pour elle, ça n'avait pas de prix.
Mais elle était là, face à ce qui était autrefois un grand et majestueux temple d'une déesse, à essayer de comprendre comment en un quart de seconde, tout avait pu basculer aussi vite, comment en si peu de temps, une belle et paisible cité était devenue un champ de ruines. Elle n'avait pas de réponse. Elle continuait de venir régulièrement sur ces ruines, s'imaginant les ombres du passé qui avait vécu là il y a si peu de temps, avec elle.
« Dame Aldariel ? »
La voix de l'humain la tira de sa rêverie.
« Mattieu, répondit-elle d'un ton formel. Je ne vous avais pas vu arriver. Qu'y a-t-il ?
-Il commence à faire sombre, vous devriez rentrer. Ils vont s'inquiéter de ne pas vous voir. »
Elle leva la tête : son temps passé à réfléchir s'était écoulé si vite qu'elle n'avait pas remarqué que le ciel s'était assombrit.
« Vous avez raison, merci. Je ne me rends pas toujours compte du temps ici, ajouta-t-elle d'un air absent. Vous devriez rentrer aussi, ce n'est pas bon de rester seul par ici, les créatures pourraient s'en prendre à vous. Je vous escorte si vous voulez.
-Ce serait un plaisir, ma Dame. »
Elle hocha la tête, et ouvrit la marche vers le chemin du retour, s'avançant au milieu des décombres. Aucun des animaux qui se trouvait là ne semblait avoir à redire à sa présence, et s'écartaient simplement de quelques pas pour la laisser passer. Elle remontait la colline, suivie par l'humain qui n'osait dire mot, respirant l'air frais de la tombée du soir.
Ils passèrent devant les hautes arches au bas de l'observatoire, marchant sous les arbres dont les feuilles bruissaient, agitées par le vent. Serindë avait toujours eu une attirance particulière pour les arbres, se sentant en sécurité quand ils l'entouraient -son nom de famille et son éducation elfique y étaientt sans doute pour beaucoup.
« Pourquoi passez-vous autant de temps ici ? dit-il après quelques minutes de silence.
-Parce que j'aime l'histoire. Les empreintes du passé nous remémorent ce que nous ne devons pas oublier. Sans lui, nous répéterions les mêmes erreurs indéfiniment...
-Mais, sauf votre respect, il n'y a rien de particulier sur les ruines d'Althéna...
-Un peuple y vivait il n'y a pas si longtemps. Astéria est magnifique, mais il est important de se rappeler qu'elle n'existait pas il y a peu. »
Les contours de la cité se dessinaient devant eux.
« Althéna fut une cité libre et ouverte à tous pendant des siècles, ce fut une ville importante. Il ne faut pas la laisser sombrer dans l'oubli. »
L'humain acquiesça, n'osant plus intervenir. Ils parcoururent leurs derniers mètres en silence, jusqu'à l'entrée d'Astéria. Parvenus devant la fontaine, la jeune elfe inclina simplement la tête vers lui.
« Vous voici à bon port, Mattieu. Mes salutations à votre femme et votre fils.
-Merci, Dame Aldariel. Passez une bonne nuit. »
Serindë le remercia d'un signe de tête, et s'éloigna. Son cœur se serra dans sa poitrine, et elle ne put s'empêcher de penser avec tristesse à sa famille disparue : son père, sa mère, sa sœur, ainsi que celle qui fut comme une seconde mère pour elle, l'humaine qui s'était liée à sa mère aussi profondément qu'une sœur. Tous avaient disparus dans les failles qui s'étaient ouvertes à Heine, et aucun d'eux n'avait refait surface depuis.
Le jour zéro du Cataclysme avait changé tout le monde tel qu'elle le connaissait. Elle continuait à avoir l'espoir qu'un jour, tous ceux qui avaient disparus referaient surface. Elle avait entendu dire que certains l'avaient déjà fait, et, secrètement, elle nourrissait l'espoir que sa famille revienne aussi.
Elle alla s'isoler à l'arrière du musée de la cité, et dès qu'elle fut sûre d'être seule, elle appela l'une de ses précieuses compagnes licornes, et, s'installant sur le sol contre elle, elle tourna son regard vers l'horizon qu'elle distinguait au travers des barrières de pierres. Admirant le ciel se coucher, elle s'apaisa, le calme qui régnait ici arrivant à lui faire croire que l'Eä tout entier était en paix.