I ─
Départ précipité
Marià était assise sur le rebord d'un petit muret, les jambes branle-ballant au-dessus de l'eau qui scintillait. Elle regardait son reflet dans le ruisseau et s'amusait à faire des grimaces, riant à ses propres pitreries. Heine était réputé pour être une ville où la pluie se faisait rare, n'en déplaise la fillette qui passait ses journées à flâner avec ses amis dans les ruelles, jusqu à ce que la lune illumine de sa lumière bleuté le ciel étoilé de la ville elfique.
Comme à son habitude, elle attendait ses acolytes juste devant sa maison, imaginant les prochains quatre cent coup qu'ils allaient faire ensemble.
Mais ce jour-là, son père vint la sortir de ses rêveries, l'agrippant sous les aisselles. Il l'a prit à bras et s'empressa de rentrer dans la bâtisse familiale, sans dire un mot. Il paraissait inquiet, mais déterminé dans ses agissements. Il emmena sa fille dans sa chambre et dit d'un ton grave :
- Prends ton sac en toile et mets-y ce qui te semble indispensable. Nous partons, maintenant, dit-il en tournant les talons, sans donner la moindre précision.
Marià tenta de l'interpeller pour en savoir plus, mais elle se contenta d'exécuter les dires de son père. Machinalement, elle prit quelques petits bibelots, des bricoles pour lesquelles une enfant de quatre ans portait de l'importance. Dans la maison, la tension et le silence qui y régnait étaient pesante. Ce mutisme fut brisé par les pleurs de sa sœur cadette, qui venait tout juste d'avoir un an.
Lorsqu'elle pensait avoir fini d'empaqueter sa besace, elle rejoignit ses parents dans la cuisine, qui s'affairaient eux aussi à plier bagage.
- C'est fait, dit-elle tristement en gardant ses yeux rivés sur le sol.
Au fond d'elle, elle le savait. Elle savait qu'elle allait quitter Heine. Ses parents lui ont, dès son plus jeune âge, prévenus que ce moment pouvait arriver. Qu'ils n'allaient assurément jamais demeurer toute leur vie à Heine. C'est là la destiné irréfutable pour les enfants du saint Père : toujours vivre dans l'inquiétude de se faire prendre par les fervents de la déesse traîtresse.
La petite famille se rendit auprès de la Passeuse de la cité et le paternel donna un petit bout de papier avec leur destination inscrite dessus.
En quelques instants, ils se retrouvèrent en plein milieu d'une plaine. L'endroit était désert, le vent chaud vint caresser la nuque de Marià. Dans cette brise, elle sentit l'air marin qui n'était manifestement pas loin. Et puis quelque chose, ou plutôt quelqu'un, se rapprocha de façon continue dans leur direction. Arrivé à leur hauteur, un homme, d'une quarantaine d'année, vint empoigner chaleureusement la main des deux parents.Ils avaient l'air réjoui de ces retrouvailles, mais leur sourire s'effaça quand ils se tournèrent vers les deux fillettes.
La mère de l’aînée s’agenouilla pour se mettre à sa hauteur :
- Ma petite guerrière, ma téméraire... il est temps. Pour ta sécurité et celle de ta sœur, nous devons nous séparer. Mais ne craint rien, nous te laissons entre de bonnes mains. Je sais quelle femme indépendante et forte tu vas devenir, je n'ai aucun doute pour ton avenir, dit-elle en replaçant délicatement une mèche rousse derrière l'une des oreilles de Marià.
Son ton voulait être rassurant, elle continuait ses gestes d'affection mais malgré tout, une larme commençait à perler sur la joue de sa fille.
- Nous resterons ensemble ? Dit la petite fille faiblement en regardant en direction de sa petite sœur.
- Non Marià, il va falloir que tu sois forte et rende fier notre Père Créateur. Il vaut mieux que tu nous oublies. Moi, ta mère et ta petite sœur.
Pendant un court instant, ces paroles vinrent s'abattre lourdement sur la fillette de quatre ans. Mais fidèle à elle-même, Marià se referma dans sa carapace, restant figée sur place, fixant le sol, l'air grave. Ses petits poings étaient serrés, elle ne voulait transparaître aucune émotion. Elle n'adressait plus un seul regard vers sa famille de sang. Elle sentit juste son père et sa mère qui vinrent lui planter un baiser au sommet de son crâne.
L'homme qui allait devenir son nouveau tuteur s'approcha de la petite et vint poser une main sur son épaule :
- Marià, viens. Je t’emmène voir ton nouveau chez-toi. J'ai promis à tes parents de prendre soin de toi et je compte bien respecter ma parole.
Elle sortit de ses pensées et constata qu'elle était dorénavant seule, accompagnée de cet inconnu. Elle avait dû rester planter là pendant quelques minutes, sans se rendre compte du départ de sa famille.
Ses yeux vinrent détailler cet homme qui avait un regard bienveillant posé sur elle. Il était plutôt grand, imposant par sa carrure, malgré les traits de son visage qui montraient qu'il avait dejà un certain âge. Sa musculature avait l'air d'être plus développée au niveau des bras et des épaules. Sa longue barbe très fournie vint contraster avec son crâne qui était dépourvu de cheveux. Il esquissa un sourire, tendit sa main vers elle et lui dit de manière sincère :
- Tu peux me faire confiance, petite. Appelles moi Roan.
Maria regarda cette main tendue vers elle, ce nouveau départ qui lui était offert. Elle ne pu s’empêcher d'avoir une dernière pensée pour ses parents et surtout pour sa sœur. Elle prit une grande inspiration et posa de manière assurée sa petite main dans celle de Roan.