Chapitre 2 : Chirp l'acolyte
Punie, confinée à sa chambre, l'équivalent d'une mise aux fers pour la jeune fille, Alijah regardait la cité se déployer devant son regard, accoudée à une fenêtre trop haute pour elle. En réalité, toutes les fenêtres du manoir étaient trop hautes pour elle, et pour son père. Les architectes avaient été guidés par sa mère et, naturellement, s'étaient pliés à ses exigences.
- Une Dame ça se tient droit et ça ne s'accoude pas, soupira Alijah dans une piètre imitation de sa mère. Ça se voit que ce n'est pas toi qui a les fenêtres sous le menton, les marches aux genoux et la baignoire à la poitrine, maman.
Alijah soupira. La cité s'offrait à elle : tant d'aventures l'attendaient et, par-delà les murailles, légions d'orcs, de gobelins et autres loups-garous insulaires attendaient d'être dépouillés par la jeune bourgeoise. Mais, là, elle restait fichée derrière sa fenêtre, à guetter son acolyte.
Elle aimait voler, piller les cadavres de quelques créatures malchanceuses, trouver des trésors et, surtout, vivre des aventures. Assurément, même privée de ses équipements, dépouillée de ses trésors et confinée à ses quartiers, Alijah saurait quitter Althena le temps d'une nuit pour revenir au matin. Elle saurait vivre une nouvelle aventure, son acolyte sur les talons. Rien ne l'en empêchait, sinon un embryon de conscience. À défaut de l'avoir rossée, sa mère avait su se montrer persuasive. Puis, les domestiques avaient assez souffert pour aujourd'hui. Mais, seulement pour aujourd'hui : leur confort ne saurait se dresser face à la soif d'aventure de la jeune fille.
Un bourdonnement résonnait dans le manoir, se faisant plus audible à mesure que les minutes passaient. Irène avait du coffre et Rudrigg, le père d'Alijah, une exceptionnelle tolérance aux excès de son épouse.
Bientôt, les hurlements d'Irène portèrent sa part dans la conversation, à savoir son entièreté tant Rudrigg se faisait muet face à l'ire de son épouse. Alijah se détourna de la fenêtre, traversant sa chambre pour venir se poster derrière sa porte, là où les hurlements de sa mère se faisaient mieux audibles.
- Elle est allée voler un pagne ! hurla Irène. Un pagne Rudrigg ! Elle touche à tout, elle touche n'importe quoi. Non, pas tout. Ah ça, les manuels, les livres, ça elle ne les touche pas. Des fortunes en précepteur ! Des fortunes que nous avons investies dans son éducation ? Et pour quoi ? Pour qu'elle aille voler un pagne ? Et puis...
Le bruit d'un coup sur sa fenêtre détourna Alijah des hurlements de sa mère. Bientôt, avant même que la jeune fille ait le temps de se retourner, un second coup se fit entendre. Un sourire aux lèvres, Alijah s'approcha de la fenêtre.
- Chirp ! fit Alijah d'une voix rieuse.
Devant la fenêtre, voletant et percutant les carreaux par intermittence, se présentait un oisillon au plumage bigarré. Vif et précis, Chirp continua de s'annoncer, percutant les vitres de son bec court, légèrement recourbé, jusqu'à ce qu'Alijah entrouvrît une fenêtre. Alors, après avoir effectué une vrille du plus bel effet, l'oisillon se faufila dans la chambre et alla se camper sur l'épaule de sa cheffe en gazouillant.
- Alors, Chirp, la chasse a été bonne ? demanda Alijah sans se départir de son sourire.
- Chiiiiirp ! fit l'oisillon.
- Oui, oui, je sais. Maman crie encore. Mais, que veux-tu ? commenta Alijah. Mais, dis moi, Chirp, cette chasse ?
- Chiii-irp ! déclara-t-il.
L'oisillon déglutit bruyamment puis, contractant son abdomen, expulsa une sphère gluante dans la main que lui présentait Alijah.
- Une perle, constata la jeune métisse. Une très bonne chasse, Chirp. Je te félicite. Nous l'ajouterons à notre cache secrète lors de notre prochaine sortie !
- Chirrp ! fit l'oisillon en bombant le torse, fier de sa prestation.
Alijah empocha la perle. Le trésor croîtrait mais, pour l'heure, Alijah se devait de suivre la conversation que sa mère imposait à ses oreilles. A nouveau, la jeune fille alla se planter derrière la porte de sa chambre, attentive aux propos de sa mère.
- Tout ça, c'est de ta faute et de celle de ton père ! fit Irène d'une voix déchirante, résultat tant de sa colère que des appréhensions qu'elle nourrissait quant à l'avenir de sa fille. Pourquoi est-ce que vous lui avez parlé de vos aventures ? Pourquoi est-ce que vous lui avez parlé de trésors ? Pourquoi est-ce que vous faites courir ma fille à sa mort comme ça ?
Pendant quelques secondes, le silence regagna le manoir. Alijah resta suspendue, attentive au moindre bruit, au moindre crissement du bois du manoir. Puis, un terrible frisson lui parcourut le dos : un sanglot lui parvint. Alijah blêmit. Sa mère pleurait-elle ? Non, pas elle : un tel comportement serait parfaitement contraire à ses enseignements.
- Tu es dure... fit une voix chaude qui parvint à peine aux oreilles d'Alijah et y colporta sa douleur.
Sa mère ne pleurait pas, en effet. Son père, pour sa part, ne celait que peu ses émotions.
- Parfois, oh oui parfois, je me réjouis que Vordref, cette chose qui te sert de père, soit parti pour Gludin, fit Irène d'une voix aussi froide qu'elle était forte. Au moins maintenant il n'y a plus que toi pour mettre des stupides idées dans la tête de ma fille !
Bientôt, Irène redoubla d'aplomb et déversa son mécontentement à l'adresse de Rudrigg. Résilient, le nain ne répondait point, et la conversation, ou plutôt le monologue, boucla : sa mère tombait à court d'arguments, mais jamais de voix et d'énergie. Mais, Vordref, à Gludin ? Ainsi le grand-père d'Alijah avait-il quitté Althena sans l'en aviser ? Ou, l'avait-on simplement privé d'un au revoir ? Cherchait-il donc de nouvelles opportunités commerciales, ouvertes par la reconquête ? Soudain, l'esprit d'Alijah se mit en branle.
- Papy Vordref ! murmura-t-elle cependant que son visage s'illuminait. Il doit y avoir plein d'aventures à Gludin !
Alijah s'était résolue à ne plus quitter le manoir aujourd'hui. Elle ne porterait pas cette résolution le lendemain.