“Carré de cinq !”
L’ambiance à la taverne est plutôt survoltée, ce soir. A une table, un concours de dégustation de saucisses, à une autre, des chansons paillardes bien grasses, à une troisième, ça rit à s'en briser les côtes...
Maeg'Henn, quant à lui, joue aux dés avec d'autres ivrognes. Enfin, triche, plutôt. La chance n’a jamais vraiment été de son côté, et vu sa situation, gagner de quoi passer une nuit sous un toit et faire maigre pitance serait vraiment nécessaire. Cela fait, quoi… deux jours, peut-être trois, même, qu’il n’a rien mangé. La dernière fois, c’était quand ce marchand d’étoffes, trop occupé à essayer de rouler une Kamaelle de la haute avec ses tissages hors de prix, l’avait laissé se servir dans sa caisse. Ah, le souvenir de ce dernier repas lui fit avoir une crampe d’estomac alors qu’il essayait de se concentrer sur la situation. En face, son adversaire de jeu venait de faire un lancer de maître ! Carré de trois… Comment lutter ?
La serveuse aux gros seins passe à proximité de la table et détourne, involontairement, l'attention des autres joueurs. C'est l’occasion qu’il attendait ! Maeg en profite pour pousser les dés, plutôt que de les lancer, sur les faces qui l'intéressent.
“Carré de cinq !” s’écrit-il, alors qu’une main vive le saisit fermement par le poignet et le tire sur la table. C’est l’un des Elfes de l’assistance, peu intéressé par les formes féminines, qui l’a pris sur le fait, et s’apprête à le dénoncer. Maeg regrette déjà d’avoir été trop gourmand et s’apprête mentalement à encaisser les coups.
Mais au même moment, la table du concours de saucisses à côté se fait retourner par un Nain en furie. Ça parle de mère se faisant troncher par des bovins dans une étable... Élégant, comme toujours un soir de beuverie. Une baston commence, et Maeg, solidement maintenu sur la table, ne peut esquiver une chope qui vient s'écraser sur sa tête, le faisant perdre connaissance.
[...]
Une sensation humide et chaude le tire de son sommeil. Alors qu'il peine à ouvrir les yeux, gonflés par une ecchymose probablement due à la violence du choc qu'il a reçu sur le crâne, il prend peu à peu conscience de son environnement. Un sol boueux, des barreaux d'acier froid et rouillé, ses hardes malodorantes et trempées et... un orc en costume de la garde en train de lui uriner dessus en riant grassement.
"Allez, clochard, lève-toi !" lâche-t-il en rangeant son gourdin.
"T'as d'la chance que j'suis d'humeur joviale, ajoute-t-il en ricanant,
sinon j't'aurais fracassé ! C'est comme ça qu'on traite les tricheurs, par chez nous. Souviens-t'en bien !" Malgré ses paroles, il envoie quand même son pied dans le ventre de l'Elfe Noir, ce qui achève de le réveiller. Maeg profite de la poussée verticale du coup pour se relever en s'appuyant sur les barreaux froids et s'enfuit en titubant par la seule issue possible, après quelques secondes de course hasardeuse, il trouve finalement refuge dans une grange non loin, où il s'endort dans la douce chaleur rassurante des premières heures de la journée…
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Malgré la fatigue, le sommeil de Maeg’Henn n’est pas vraiment reposant. Son alcoolémie n’y étant sans doute pas pour rien, renforcée par les effets du jeûne, ses rêves se mêlent à des souvenirs de petite enfance. Le salon ravagé de la maison où il est né, sa mère éventrée par un Mahum, agonisant dans une mare de boue et de sang mêlés, les sévices infligés par son père ayant perdu la raison, la douleur des brûlures et des coups…
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Le chétif Sombre est finalement tiré de sa torpeur par les cris du coq. Dans la grange, des paysans s’affairent. Au vu de la chaleur écrasante, la journée est déjà bien entamée. Il est temps de se mettre au travail. Ce n’est pas en dormant ainsi que l’on va réussir à manger ! Il rassemble ses affaires, et s’assure d’avoir bien contre lui sa fidèle Kardx, la dague de son père, celle-là même qui l’a libéré de son tortionnaire.