III - Nigete, nigete...
La pluie tombe, incessante, pénétrante. Le fluide glacé coule le long de sa peau, refroidissant ses membres, engourdissant son corps et lavant son âme impure. Une ville, grande, immense, parfaite pour se cacher au milieu de la foule. Elle trouverait sûrement un peu de répit dans sa fuite à Giran.
Mais la paranoïa est dévorante. Comme un insecte qui grignote dans son crâne, elle la ronge. Chaque geste brusque, chaque regard la fait sursauter. "Ils" peuvent surgir de n'importe où et n'importe quand pour reprendre leur "bien". Elle est à eux. Toute sa vie ne lui a jamais appartenu. Ils peuvent engager n'importe quel mercenaire de n'importe qu'elle race pour tromper sa vigilance.
La sombre ne peut fermer l’œil, craignant qu'une main surgisse dans l'obscurité pour saisir sa gorge. Alors elle veille depuis plusieurs jours. Giran n'est pas inhospitalière... pour qui veut bien être un minimum sociable. Mais elle ne sait pas faire. Le seul échange qu'elle connaît c'est les hurlements de douleur ou les rires cruels.
Alors elle reste seule. Comme toujours. Contre la pierre froide et dans le vent glacé de l’hiver qui la drape de son manteau mordant.
Un homme, seul, assis. Elle le regarde, se méfiant comme toujours, Ilhiana se tient à distance mais il semble indifférent à elle.
Sans la regarder il lui propose de s'asseoir d'une voix calme et sans émotion. Il dessine.
La jeune sombre est totalement désemparée, ne sait comment réagir. Soit elle tue, soit on la pourchasse, soit on lui crache au visage. Elle n'est pas habituée à indifférence. Alors elle fait quelque chose de stupide : elle s’assoit à côté de lui.
Et ils se parlent. Très peu de mots. Pas de jugement, pas d'intrusion ou de regard inquisiteur. Juste quelques mots d'une banalité sans nom. Curieuse elle regarde ce qu'il dessine. Et elle reçoit alors un choc plus fort qu'une masse contre son crâne : il lui offre son dessin.
Elle n'a jamais eu de cadeau. Jamais eu de geste gentil ou d'attention. Elle plie précieusement le bout de papier alors qu'il lui conseil un endroit pour pouvoir enfin dormir en paix et en sécurité.
Cette nuit là elle s’endormit, sous son lit, recroquevillée, le dessin amoureusement pressé contre sa poitrine.
Dans les jours qui suivirent elle passa un peu de temps avec cet homme. Ils discutèrent un peu plus, firent connaissance. Bien entendu elle donna son faux nom, Syria, et elle apprit le sien : Matteo.
Le guerrier avait une amie très proche, une elfe. Pour Ilhiana, voir cet être resplendissant, lumineux et joyeux était comme se voir dans un miroir opposé. Elle était l'obscurité, la nuit et le mal. Aerin était la lumière, le soleil et la bonté.
Désemparée, intimidée et effrayée elle ne put cacher sa détresse et son anxiété. C'est alors qu'elle reçu un deuxième cadeau : l'elfe l'a prit tendrement dans ses bras.
Si le dessin avait été un coup de masse, ce câlin était comme un feu brûlant et dévorant, comme si de l'acide coulait dans ses veines. La seule caresse qu'elle connaissait c'était le claquement du fouet ou les coups dans le ventre. Elle ne pouvait comprendre la finalité de ce geste ou en apprécier les effets.
Une dispute. Ils comptent tellement pour elle. Mais elle ne comprend rien. Leur rapprochement, leur amour, tout lui est incompréhensible. Elle ne connaît que la peur, la haine, la douleur. Alors elle se fâche et s'en va en claquant la porte. Fuir, toujours fuir.
Une sensation... Très familière, trop familière. Un frisson qui coule le long de son échine et lui fait trembler les jambes. Un regard perçant sur elle. "Ils" sont proches. Très proches. Elle court, dans les rues de Giran, traversant le marché, bousculant les badauds qui vocifèrent à son passage, elle court. Arrivant à l'auberge elle grimpe quatre à quatre les marches de l'escalier, pénètre dans sa chambre et ferme précipitamment la porte derrière elle en la verrouillant.
Un rire... horrible, glacial, assassin. Elle se retourne et le voit : un sombre qui semble surgir d'une ombre.
Elle veut se défendre alors elle sort sa dague, mais elle ne voit pas le coup venir. De son avant bras surgit une gerbe de sang alors qu'elle lâche son arme dans un petit cri de douleur. La langue des siens résonne alors dans la pièce sinistrement.
- Tu pensais pouvoir nous échapper? Chienne! Tu nous appartiens, vocifère son agresseur.
La rage monte, la colère, la haine. Elle voit rouge, se précipite, passe sous sa garde et le surprend en lui décochant un formidable coup de poing à la mâchoire qui le fait reculer, décontenancé. Puis, tournant lentement la tête pour la regarder avec un sourire malfaisant la projette contre la porte, la soulevant du sol par la gorge.
- Pas mal, tu me motives d'autant plus salope! ricane-t-il. Tu vas me suivre. Nous revenir. Si tu ne reviens pas dans l'ombre pour La servir. Alors je tuerais tes amis : je violerai cette pute elfique et je torturai ce chien d'humain. Tu n'as que quelque jours pour prendre ta décision.
Puis la laissant tomber au sol il s'évanouit dans un rire mauvais, se mêlant aux ombres de la pièce pour disparaître.
Une voix résonne dans sa tête :
"Tu n'as rien! Tu
n'es rien! Personne ne t'aime ou t'apprécie. Tes parents t'ont vomit sur cette terre, dégoutés de ton existence ils t'ont laisser croupir dans le caniveau. Jamais la lumière ne se posera sur toi!"