Contes et Légendes Nains.

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Arthaelis
Princess Molrang
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Contes et Légendes Nains.

Message par Arthaelis » mar. 3 juin 2008 à 15h49

Spoiler:
* Populaire
∆ Enfantin
■ Bibliothèque de Gludio, Aden, Giran, Hindemith.
Note : très souvent, les nains rajoutent au fur et à mesure des poèmes et comptines entre deux pages du livre.
La Légende de Frajani (Légende)

C'était il y a fort longtemps. Cette histoire s'est passée bien avant la naissance des pères de nos mères. Et nombre de tonneaux de bière ont été vidés depuis lors. Mais elle est arrivée jusqu'à moi et je m'en vais vous la conter.

Le vieux Nain prit une grande gorgée de bière mousseuse qui vida la moitié de sa choppe, puis regarda son auditoire avec un petit sourire. Il aimait voir les lueurs curieuses qui dansaient dans les yeux des plus vieux comme des plus jeunes lorsqu'il entamait une histoire.
Alors, il poursuivit son récit.

Cette histoire s'est passée ici même, au sein du village qui se tenait en ces lieux avant le nôtre et dont nous retrouvons parfois des vestiges en cultivant l'orge si réputé de nos contrées. Cette histoire est celle de l'une de nos sœurs qui vivait ici avec toute sa famille.

Elle s'appelait Frajani. Elle était née par un froid matin d'hiver, à l'heure où le soleil commence à peine à poindre ses rayons timides. Son père était mineur et partait souvent pour de pénibles et longs voyages à la recherche de nouveaux filons de métaux précieux. Sa mère s'occupait de la fratrie : six garçons et sept filles dont Frajani était la benjamine.

C'était une gamine plutôt silencieuse et discrète. Son visage fin, auquel une tignasse roux doré apportait un halo de lumière, reflétait la douceur de son caractère. Ses grands yeux verts étaient souvent emplis d'une langueur étrange qui aurait pu passer pour de la tristesse ou de la nostalgie. Elle restait le plus souvent à l'écart des autres enfants de son âge et préférait la liberté de sa solitude.

Petite chose perdue au sein d'une grande famille où les cris et les rires retentissait sans fin et où chacun possédait un fort caractère et essayait d'en imposer aux autres, elle était souvent oubliée et elle poussait au gré du vent des montagnes et des saisons, telle une fleur sauvage.

Le conteur s'arrêta à nouveau pour s'hydrater le gosier d'une lampée de liquide ambré et parcourut l'assemblée d'un regard scrutateur. Il se délecta des regards humides remplis d'émotions à l'évocation de son personnage préféré. Car cette légende il l'aimait, de toute son âme ... c'était elle qui l'avait décidé d'embrasser son métier de conteur. Puis il poursuivit son récit, non sans avoir fait signe au tavernier de lui remplir à nouveau sa choppe.

En ces temps anciens où vivait Frajani et sa famille, l'existence était bien plus difficile qu'aujourd'hui. Les gens travaillaient dur et mangeaient peu ... et la bière était de bien piètre qualité, à cause des maigres récoltes du village. Le climat était froid et rude, bien plus qu'aujourd'hui, mais la vie suivait son cours malgré tout.

Frajani aimait à divaguer dans les recoins isolés du village et les champs alentours. Elle savourait le calme et le silence, loin des bruits de la vie villageoise. Et si elle ne fréquentait guère les enfants de son âge et évitait autant que possible sa famille, il y a avait une personne auprès de qui elle aimait passer du temps : Grand-Mère Morine.

C'était une très vieille naine, sans doute la doyenne de toute la région, et tout le monde la nommait par ce sobriquet. Elle vivait dans une robuste maison de pierres, un peu à l'écart. Les autres Nains la craignait car nul ne la connaissait vraiment. Elle avait toujours été là et personne ne savait quel âge elle pouvait bien avoir. Mais tous s'accordait à dire qu'elle était bien plus vieille que le plus vieux des Nains ayant vu le jour sur ce monde et qu'elle gardait la mémoire de plusieurs générations.

Aveugle et usée par sa longue existence, elle ne sortait jamais de chez elle. Et les seules visites qu'elle semblait recevoir étaient celles d'une jeune Naine d'un village voisin, prénommée Arthera, qui prenait soin d'elle et lui apportait à manger. On voyait la jeune fille entrer dans la maison chaque matin à l'aube, munie d'un panier de victuailles, et en ressortir à la tombée de la nuit. Personne ne savait vraiment quelles étaient ses relations avec Grand-Mère Morine, et à vrai dire, tout le monde s'en fichait un peu.

Grand-Mère Morine ne parlait jamais de son passé et lorsque quelqu'un osait lui poser une question à ce sujet, un voile orageux semblait se poser sur son visage parcheminé, coupant toute envie au curieux d'insister sur le sujet. Même Frajani n'osait pas demander alors qu'elle mourait d'envie d'en savoir plus sur cette vieille femme étrange et mystérieuse.

La maison était très ancienne mais solide, implantée sur des fondations inusables. Elle avait traversé des siècles d'intempéries sans broncher et semblait bâtie pour durer jusqu'à la fin des temps. Elle était meublée de manière tout à la fois rustique et monumentale. De lourds éléments de bois massifs, cerclés de ferronneries ouvragées, du genre de ceux qu'on trouve dans les bâtiments d'importance. Certains d'entre eux portaient des gravures étranges que Frajani n'avait jamais vues ailleurs. Une tonne de petits objets étaient disposés de ci de là comme autant de témoins de sa vie.

La vieille dame passait la majeure partie de ses journées assise sur une sorte de grand trône de chêne recouvert d'un brocard de velours rouge foncé, devant le feu crépitant de la cheminée. Elle semblait bien souvent perdue dans des ses souvenirs. Un voile de mystère entourait sa vie comme si un lourd secret pesait sur son passé.

La première fois que Frajani la rencontra, elle était toute petite. Elle s'était aventurée un peu loin du village sans s'en apercevoir, toute concentrée par les découvertes merveilleuses que lui offrait la nature : les fleurs, les papillons voltigeant ... C'était une matinée de printemps et chacun s'affairait à ses occupations quotidiennes. Elle avait échappé à la vigilance d'une de ses sœurs aînées chargée de la surveiller et vagabondait sur les chemins. Mais elle s'était finalement perdue et commençait à sentir la peur la gagner.

Paniquée, elle aperçut enfin une maison isolée et s'approcha de la porte. Elle frappa timidement et une voix douce mais ferme lui répondit :

Entre ma petite Frajani, je t'attendais ...

Surprise, elle resta immobile devant la porte.

N'aies pas peur, je te dis. Entre donc.

Elle s'exécuta et ouvrit. L'intérieur était sombre mais semblait accueillant. Elle franchit le seuil et se retrouva dans une grande salle. Le temps que ses yeux s'habituent au manque de lumière, elle finit par distinguer une vieille Naine, assise au milieu de la pièce. Elle s'en approcha et s'installa par terre à ses pieds, en tailleur. Grand-Mère Morine passa sa main ridée dans ses cheveux, geste qui l'apaisa instantanément. Frajani releva la tête et détailla la propriétaire des lieux.

Un détail frappa de suite son attention : la main qui avait caressé ses cheveux portait une marque profonde, comme une sorte de tatouage qui ressemblait à un marquage au fer rouge. Un symbole bizarre et inquiétant. Frajani devina à ce détail qu'elle se trouvait en présence de Grand-Mère Morine. En effet, il se disait au village que la vieille Naine portait des tatouages étranges sur tout le corps. Personne ne savait pourquoi ni à quoi cela servait, mais des rumeurs parlaient de symboles magiques appelés runes et cela contribuait à augmenter la méfiance des autres vis à vis de la doyenne. Étrangement, malgré les mises en gardes et interdictions de s'approcher de la vieillarde, Frajani se sentait bien ici et n'avait aucune envie de repartir.

Cette première rencontre resta gravée dans son esprit et après ce jour, elle rendit de nombreuses visites à la vieille maison, à chaque fois qu'elle avait besoin de réconfort.

Le conteur prit de nouveau une pause. Les Nains qui l'écoutaient s'étaient faits plus nombreux et semblaient suspendus à ses lèvres. Le tavernier en avait même oublié de rapporter de la bière fraîche. Et lorsque le conteur lui montra sa choppe vide en fronçant les sourcils, il détala bien vite à la recherche du précieux breuvage.

Le jour où tout débuta était un jour comme les autres. Chacun vaquait à ses occupations, et comme toujours, la petite Frajani était livrée à elle-même. Elle errait de ci et de là, visitant inlassablement les moindres recoins du village et de ses alentours. Elle aimait à trouver les petits détails insolites que personne ne remarquait jamais, et ramassait sans cesse une multitude de petits objets plus ou moins anciens, perdus par leur propriétaires, qu'elle gardait précieusement dans un joli petit coffre en bois chez Grand-Mère Morine. Elle lui faisait partager ses découvertes et, bien souvent, la vieille Naine lui racontait des histoires attachées à ces objets.

Mais ce jour là, la découverte qu'elle fit n'était pas de taille à entrer dans sa boîte à trésors. Elle trottinait au milieu de la forêt qui bordait les champs cultivés, quand elle déboucha sur une petite clairière. Au milieu de l'espace découvert, un vieux mur se dressait qui soutenait une porte ancienne de bois massif ouvragée ornementée de fer forgé. Tout autour, le sol était jonché de quelques pierres, comme si la porte avait débouché dans le passé sur un grand bâtiment. Elle s'approcha et détailla l'ouvrage. Il comportait des symboles qui lui rappelaient quelque chose ... c'était les mêmes que ceux des meubles de Grand-Mère Morine. Elle resta un instant interdite, puis une envie irrépressible se fit sentir : elle ne savait pas pourquoi mais elle devait ouvrir cette porte. Elle souleva le loquet et poussa de toutes la force de ses petits bras. Après quelques instants d'efforts, le lourd panneau finit par bouger, dans un grincement lancinant. Elle traversa alors le seuil et se retrouva de l'autre côté.

L'espace d'un instant elle ressentit alors une sensation étrange. Elle eut l'impression de se trouver à l'intérieur d'une grande pièce remplie de gens, des personnes silencieuses, agenouillées devant une statue monumentale dans une sorte de recueillement. Elle vit de riches ornementations et des tentures ... ainsi que le trône qui était à présent chez sa vieille amie. Elle ressentait un sentiment de plénitude et de sérénité. Troublée, elle se frotta les yeux et la vision disparut. Elle se retrouva au milieu de l'herbe. Et d'un coup, elle fut assaillie par une grande lassitude. Elle s'allongea alors sur la tendre verdure qui semblait lui tendre les bras pour se reposer un peu. Et elle s'assoupit.
Lorsqu'elle se réveilla, la première pensée qui s'imposa à elle fut le souvenir de son rêve éveillé. Il fallait qu'elle en parle à Grand-Mère Morine pour qu'elle l'aide à trouver une explication à tout cela ... Elle partit en courant vers la vieille bicoque, toute excitée de lui faire part de son aventure.

Elle raconta son histoire durant de longues minutes. La vieille Naine resta tout d'abord impassible mais lorsque Frajani parla de sa vision, elle tressaillit légèrement et ses mains tremblèrent. L'espace d'un instant, la jeune Naine eut l'impression de voir le symbole tatoué sur sa main briller légèrement, mais elle se dit bien vite qu'elle avait dû rêver et revint à son récit. Une fois qu'elle eut terminé, elle attendit que Grand-Mère Morine lui parle, mais cette dernière garda le silence un long moment. Mais finalement, la vieille dame lui demanda s'il s'était passé autre chose par la suite. Alors Frajani lui raconta qu'elle s'était allongée sur l'herbe et qu'elle s'y était endormie. Elle lui parla aussi de la sensation étrange qu'elle avait ressentie au moment de quitter les lieux, elle s'était sentie retenue comme si les lieux ne voulaient pas la voir partir ... Grand-Mère Morine lui demanda enfin si elle avait entendu quelque chose de particulier, mais la petite répondit de manière négative. La doyenne hocha la tête doucement à plusieurs reprises et il sembla à Frajani voir couler une larme sur les joues parcheminées. Puis elle prononça ces quelques mots :

Ma petite Frajani, il va se passer de terribles choses ... mais tu n'es pas encore prête ...

Frajani n'osa pas poser de questions. La réponse de Grand-Mère Morine l'intriguait. Elle n'était pas prête à quoi ? Que voulait dire cette aventure ? Elle mourait d'envie de comprendre, mais elle sentait qu'il lui faudrait attendre pour avoir des réponses.

Lorsqu'elle rentra chez elle ce jour là, elle ne raconta rien à sa famille, persuadée qu'on se moquerait d'elle ou qu'elle serait punie pour avoir été seule dans la forêt. Puis elle n'y pensa même plus et la vie suivit à nouveau son cours. Jusqu'au jour où elle repensa à la porte étrange et ressentit le besoin irrépressible d'y retourner ... ce qu'elle fit.

Cette fois, elle ne franchit pas le pas de la porte mais elle s'installa directement dans l'herbe, à l'endroit même où elle avait eu sa vision. Elle avait la sensation étrange d'une présence à ses côtés, une présence bienveillante, un peu à la manière d'une mère veillant sur son enfant. Elle se sentait en sécurité, comme chez Grand-Mère Morine. Elle resta là, laissant ses pensées vagabonder, dans une sorte de torpeur. Plusieurs heures s'étaient écoulées lorsqu'elle reprit ses esprits, et la nuit était en train de tomber. Elle se dépêcha de rentrer chez elle, pressentant que son retour tardif ne serait pas du goût de ses parents. Lorsqu'elle arriva au domicile familial, le souper était déjà servi et les autres mangeaient sans avoir l'air de se soucier de son absence. Elle rejoignit sa chaise sous le regard courroucé de sa mère et avala sa soupe froide en silence. Personne ne lui posa de questions mais elle savait qu'il valait mieux que cela ne se reproduise pas, sans quoi elle finirait par devoir fournir des explications.

A partir de ce jour, elle se rendit dans la clairière quotidiennement. Finies les balades à la découvertes de nouveaux « trésors » ... elle ne savait pas pourquoi mais ses pas la conduisaient à chaque fois en ces lieux.

Le conteur avait pris une voix mystérieuse et il lança un regard à chacun des membres de l'assistance, espérant avoir produit l'effet désiré. Pas un bruit dans la salle. Tous semblaient attendre la suite de l'histoire. Il avala une nouvelle rasade de bière et reprit son récit.

Ainsi donc, chaque jour elle se rendait là bas, seule, et passait de longs moments assise ou allongée, à rêvasser, attendant quelque chose, sans savoir quoi. Et puis un jour, alors qu'elle était en train de fabriquer une petite tresse d'herbes folles, elle crut entendre une voix. Elle regarda autour d'elle mais ne vit personne. Elle se leva alors pour aller fouiller les sous bois ... rien ... Mais en revenant non loin de la porte, elle l'entendit à nouveau :

Frajani ...
Ya quelqu'un ? Qui êtes-vous ? Où êtes-vous ?
Frajani, je suis en toi ... Je suis en chacun de vous ...
En moi ? Mais qu'est-ce que ça veut dire ? J'comprends pas ... Montrez-vous !
Seuls me voient ceux qui croient. Ferme les yeux, Frajani, et tu me verras.

Frajani ferma les yeux et peu à peu un sourire se dessina sur ses lèvres, éclairant son visage. Elle marmonna :

Je sais qui vous êtes ... Vous êtes la Mère ... Vous êtes la Terre ...

Mais la voix ne lui répondit pas, et Frajani eut alors la sensation d'être seule à nouveau. Comme si quelqu'un venait de quitter les lieux.

Elle se précipita chez Grand-Mère Morine pour lui décrire sa rencontre, la voix, les paroles qu'elle avait prononcées ... La vieille Naine sembla s'émouvoir et commença alors à raconter.

Elle raconta sa jeunesse, le temps où les Nains croyaient en la Déesse Mère Maphr, Déesse de la Terre. Ce temps où elle vivait au Temple, comme Grande Prêtresse, Maphra Rhan comme on disait. Du temps béni où le climat était plus clément et la vie plus facile. Du temps d'avant l'oubli.

Puis elle lui raconta la bêtise des Nains, qui peu à peu oublièrent Celle qui les avait créés, qui chassèrent le Clergé, la Carna Maphra, de leur village, pillant ses richesses ... qui pensèrent qu'ils étaient les seuls maîtres de leur destinée et qu'ils n'avaient pas besoin de guide ... Qui commirent l'impensable.

Enfin, elle expliqua à Frajani que la porte qu'elle avait trouvée était le dernier vestige de l'ancien Temple de Maphr, siège autrefois d'une communauté religieuse. Qu'il était resté debout durant des décennies malgré son abandon et qu'il avait finit par tomber en ruines, aidé par les villageois qui en avaient pillé jusqu'à a moindre pierre pour bâtir leur demeures.

Frajani s'étonnait. On ne lui avait jamais parlé de Maphr. Elle voulait savoir ce qu'était une Déesse, ce qu'était une prêtresse ... Elle voulait tout connaître de cette époque qui lui semblait si différente de la sienne. Et même si elle avait déjà compris beaucoup de choses dans les ruines du Temple, elle avait besoin de mettre des mots sur les évènements qui s'étaient produits ces derniers temps.
Grand-Mère Morine lui promit qu'elle lui expliquerait tout. Mais qu'à présent elle se sentait fatiguée et qu'elle avait besoin de repos.

Frajani retourna donc chez elle, toute excitée par ce qu'elle avait appris et impatiente d'en savoir plus. En se dirigeant vers la porte, elle aperçut la jeune Arthera. C'était la première fois qu'elle la voyait malgré ses nombreuses visites. Elle était installée à un bureau, dans une autre pièce dont la porte était entrebâillée, et elle semblait étudier des ouvrages anciens et poussiéreux. Frajani s'éclipsa discrètement pour ne pas la déranger.

Lorsqu'elle arriva chez elle, sa mère l'attendait sur le pas de la porte, les bras croisés et l'air furieux. Elle ne lui laissa même pas le temps d'entrer et se mit à lui hurler dessus :

Tu sais c 'qu'on ma dit, gamine ?
Non Moma ...
Que tu trainais tes guêtres chez la vieille sorcière !
La vieille sorcière ?
Oui, cette vieille chouette qui habite plus loin. J'aimerais bien savoir c'que t'y trafiques ma fille !
D'abord, Grand-Mère Morine, c'est pas une sorcière, elle est même très gentille. Et elle s'occupe de moi, elle ! Ensuite, je .... je ...
T'as plutôt intérêt à tout m'raconter vite fait. De toute façon tant qu't'as pas craché l'morceau, t'auras pas à manger, c'est simple. La moindre des choses c'est qu'on sache pourquoi tout l'village s'fout d'ta famille, non ?

Alors elle raconta la boîte aux trésors, la forêt et le Temple. Elle raconta Maphr et tout le reste. Mais sa mère ne semblait guère apprécier le récit et son visage se fermait au fil des paroles de sa fille. Puis elle l'envoya préparer le repas et attendit son époux, la mine soucieuse.

Ils discutèrent longtemps et finirent par décider d'interdire à Frajani de sortir le temps que ses bêtises lui passent. Mais autant tenter de priver un papillon de liberté ... Frajani, qui n'en faisait qu'à sa tête, profitait de chaque instant d'inattention pour prendre la poudre d'escampette. Et très vite, ses frères et sœurs chargés de sa surveillance décidèrent de la laisser courir à son gré.

Elle continuait donc à aller au Temple et chez Grand-Mère Morine aussi souvent qu'elle le pouvait et apprenait de plus en plus de choses sur Maphr et sur l'histoire de son village.
Elle entendait aussi souvent la voix lui parler, et même si elle ne comprenait pas toujours tout, ces paroles faisaient leur chemin tout doucement dans son esprit.

Le conteur prit à nouveau une pause et considéra les regards fixés sur lui. Il semblait un peu fatigué, mais son histoire n'était pas terminée et il se devait d'aller jusqu'au bout. Il vida sa choppe pour la seconde fois et toussota pour éclaircir sa voix.

Mais au village, les gens commençaient à jaser et à regarder la petite de travers. Il se disait même qu'elle avait tourné folle et qu'elle entendait des voix dans sa tête. Sa famille vivait très mal la situation, mais Frajani n'en avait cure et continuait ses aller-retours entre le Temple et la maison de la Grande Prêtresse.

Puis l'hiver arriva ... froid ... très froid ... glacial même. Un des hivers les plus rigoureux qu'on ait vu à ce jour. Les intempéries se succédaient sans relâche, ne laissant aucun répit aux pauvres Nains de la région. Le village devint triste et morne, presque sans vie.

Frajani n'allait plus guère au Temple mais passait à présent ses journées chez Grand-Mère Morine.

Puis vint le jour où tout bascula ... Le fameux jour qui grava le nom de la petite Frajani dans la légende et dans la mémoire de tous ceux qui la connurent.
Ce matin là, le ciel était d'un gris sombre, menaçant, presque noir, semblable à un ciel d'orage en été, chose très inhabituelle à cette saison. On pouvait sentit l'électricité dans l'air et la tension monter chez tout un chacun. Puis ce fut la grêle ... violente et destructrice ...

Frajani était installée confortablement chez Grand-Mère Morine au moment où les éléments commencèrent à se déchaîner. Elle l'écoutait parler de l'ancien temps, assise au coin de la cheminée, lorsque la voix s'adressa soudain à elle d'un ton ferme et pressant :

Frajani, c'est toi qui leur servira de guide. Ecoute la Maphra Rhan et mène-les !

Frajani regarda Grand-Mère Morine et comprit de suite qu'elle aussi avait entendu la voix. D'un coup, à sa plus grande surprise, elle la vit se saisir d'une canne en bois ouvragé, posée à côté de son siège, et se lever. C'était la première fois qu'elle la voyait debout depuis qu'elle la connaissait. Puis la Grande Prêtresse se saisit de la main de Frajani et l'entraîna vers la porte d'entrée. Au passage, elle fit signe à la jeune Arthera d'abandonner sa lecture et de les suivre sur l'instant. Elles sortirent ainsi toutes les trois sous une pluie battante et cinglante, mais étrangement, l'eau qui tombait du ciel à grosses gouttes semblait s'écarter autour d'elles pour éviter de les tremper.

Elles marchèrent jusqu'au centre du village, sur la place du marché. Les rares passants qu'elles croisaient n'en croyaient pas leurs yeux. Personne n'avait jamais vu Grand-Mère Morine sortir de chez elle, de mémoire de Nain. L'heure devait être grave et cela n'augurait rien de bon. Alors, Grand-Mère Morine s'adressa à Frajani :

Tu dois les amener au Temple. C'est la seule chose qui pourra les sauver.

Frajani acquiesça et se mit à courir dans tous les sens, essayant de convaincre les autres Nains de la suivre. Mais ils la regardaient comme si elle était devenue folle et personne ne semblait l'écouter. La pauvre petite s'arrêta bientôt et lança un regard de détresse vers son amie, les yeux pleins de larmes.

Ils ne veulent pas m'écouter ...

Soudain une voix ferme et forte retentit et résonna comme si elle rebondissait sur les murs extérieurs des bâtiments alentours. Les Nains qui se trouvaient déjà là furent bientôt rejoints par une masse de plus en plus nombreuse, attirée par le bruit inhabituel. Dès que les premiers mots furent prononcés, tous se figèrent et attendirent. Grand-Mère Morine se tenait droite, Arthera à ses côtés. Ses tatouages brillaient d'une lueur éclatante et ses yeux aveugles semblaient fixer chacun d'entre eux, comme pour entrer au plus profond de leur esprit.

Le temps de Notre Mère est revenu. Écoutez Frajani et suivez-là car Elle l'a demandé. Vous L'avez oubliée et Elle vous a laissé faire. Mais aujourd'hui Elle se rappelle à vous et ceux qui refuseront de croire perdront la vie en ce jour.

Puis Grand-Mère Morine ressembla de nouveau à la vieille Naine que tout le monde connaissait. Mais un vent de panique sembla soudain submerger la foule qui se groupa autour de Frajani, attendant qu'elle leur montre le chemin.

Ils marchèrent vers le Temple. La pluie s'était arrêtée mais personne ne songea à retourner vers le village. Une fois arrivés, ils se massèrent à l'endroit que Frajani leur indiqua, derrière la porte, à l'emplacement exact de l'ancien Temple, et attendirent ... ils ne savaient quoi.

Soudain le ciel se déchira en deux dans un fracas épouvantable. Et la gueule béante ainsi ouverte se mit à vomir des flots de rochers et de terre boueuse de toutes parts. Les villageois étaient terrifiés et se serraient les uns contre les autres. Certains se mirent à prier, instinctivement, pour que tout cela s'arrête ...
Le cataclysme dura des heures, jusqu'à la nuit. Tout alentours était dévasté, mais le Temple et ses occupants furent épargnés.

Quand ils osèrent enfin bouger, ils ne purent que constater que le village entier avait été détruit, enseveli sous les tonnes de gravats tombés du ciel, et que c'était un miracle qu'ils soient encore en vie. Mais lorsqu'ils cherchèrent Frajani pour la remercier, elle avait disparu. Et ils eurent beau la chercher partout, personne ne la revit jamais ...

Puis vint le temps des questions ... Grand-Mère Morine expliqua aux Nains traumatisés ce qui était arrivé. Ils s'étaient détournés de Maphr depuis trop longtemps et la Déesse s'était rappelée à eux. Il était temps maintenant de croire à nouveau et de prier. Il lui demandèrent si elle acceptait de les aider. Alors elle leur parla de sa jeunesse de prêtresse, du clergé, du Temple ... de tout ce qui avait été abandonné il y a bien longtemps. Elle leur parla aussi d'Arthera, sa jeune novice, qu'elle accompagnait depuis de nombreuses années dans son apprentissage du culte. Et tous l'écoutèrent avec attention.

Puis les choses revinrent peu à peu à la normale, et le village fut reconstruit sur les ruines de l'ancien. C'est le village où nous vivons aujourd'hui. Le clergé de la Carna Maphra fut lui aussi recréé et Arthera devint la première Maphra Rhan de ce renouveau religieux, guidée par Grand-Mère Morine. Et le Temple auquel vous vous rendez aujourd'hui pour rendre grâce à Maphr est celui qui fut rebâti après la catastrophe, autour de la porte d'origine.

Les auditeurs, croyant l'histoire terminée commencèrent à s'agiter sur leurs sièges et à lever les bras pour commander des bières. Certains semblaient déçus par la fin de l'histoire. D'autres se demandaient ce que Frajani était devenue ... Mais le conteur poursuivit alors :

Personne n'eut plus jamais de nouvelle de Frajani, mais on dit que le jour où Grand-Mère Morine retourna auprès de Maphr, on l'aurait vue sortir donnant la main à une jeune Naine au teint pâle, aux grands yeux verts et aux cheveux d'or ambré. Et qu'elles se dirigeaient toutes deux vers la Montagne.

Je terminerai cette histoire en ajoutant que la jeune Arthera qui devint Grande Prêtresse n'est autre que celle que vous appelez Nannie Arthy. Alors si vous ne me croyez pas, allez-lui demander de vous raconter la Légende de Frajani. Elle la connaît bien mieux que moi.

Il s'arrêta sur ces mots et un petit sourire se dessina sur son visage. Il était épuisé et s'affaissa contre le dossier de sa chaise. Il allait commander une troisième choppe quand une Naine fit irruption dans la taverne, échevelée et rouge, haletante comme si elle avait couru un cent mètres. Elle entra et cria à l'assemblée :

Nannie Arthy nous a quittés! Nannie Arthy nous a quittés ! Mais vous savez le plus bizarre ... ben juste après son dernier souffle, les jeunes novices du Temple disent qu'elles ont vu une jeune Naine aux yeux verts et aux cheveux roux-blonds venir la chercher et qu'elles sont parties toutes les deux vers la Montagne en se donnant la main ...

Et un frisson glacé parcourut la salle ....
Dernière modification par Arthaelis le mar. 8 juillet 2008 à 10h43, modifié 2 fois.

Arthaelis
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Message par Arthaelis » mar. 3 juin 2008 à 18h36

Le Chant de la Mine (Conte)

Cette histoire vient de la nuit des temps, d’une époque tellement ancienne que la plupart des nains en ont oublié l’existence. C’est mon grand-père qui me l’a racontée, et lui-même la tenait de son père qui la tenait … elle s’est ainsi transmise dans ma famille depuis des générations.

Cette histoire donc, se passe à l’époque où les nains étaient de brillants maîtres mineurs et extrayaient chaque jour les richesses que les profondeurs de la terre voulaient bien leur offrir, dans un village au cœur de la Montagne Grise.

Dalber, fils de Berdol, est un jeune nain peu enclin au travail. Il rechigne à partir chaque matin à la mine, mais il doit bien accepter, de mauvaise grâce, car ici chaque nain se doit de suivre la voie de ses ancêtres et de devenir mineur, alors que les naines s’occupent du bon fonctionnement de la vie du village.

Il est plutôt joli garçon mais sa mauvaise foi, sa fainéantise et son caractère aigri font fuir les jeunes de son entourage et occasionne de nombreuses remontrances de la part de ses aînés. C’est ainsi qu’on le voit souvent seul, râlant et marmonnant on ne sait quelle méchanceté à propos de chacun.

C’est pour cela aussi qu’il est jaloux. Jaloux de son cousin qui fréquente la plus jolie naine de la région, de son voisin qui occupe la plus belle maison, de son père qui est réputé comme étant le meilleur conteur depuis des générations … et cette jalousie le ronge chaque jour un peu plus. Chaque matin il se lève en disant « Je me vengerai d’eux tous. Un jour je serai riche et important et tout le monde m’admirera ». Et c’est dans cet état d’esprit qu’il part à la mine chaque matin avec les autres …

Dalber a une autre habitude désagréable. A chaque fois qu’il croise quelqu’un, il chantonne une petite ritournelle agaçante avec une voix de fausset qui fait grincer des dents à quiconque l’entend.

Ce matin là, tous les nains du village sont au travail depuis un bon moment, les uns minant, les autres triant, chargeant les minerais dans de petits chariots. Tous sont heureux de travailler ensemble dans la joie et la bonne humeur. Sauf Dalber, qui est à la recherche d’un coin tranquille et reculé de la mine afin de s’installer pour dormir, car il refuse de se salir les mains à ces travaux qu’il considère comme pénibles et dégradants pour sa personne.

Il marche dans le noir en tâtonnant et en grommelant, d’un pas mal assuré. Soudain, il aperçoit une lumière étrange, un peu bleutée. Etonné par ce phénomène, il s’avance et arrive à l’entrée d’une sorte de caverne qu’il n’avait jamais vue. Sur le pas de la porte, il se fige, bouche bée : un énorme diamant bleu trône sur un rocher et brille de mille feux. C’est lui qui éclaire la paroi ainsi. La convoitise s’empare de suite de Dalber qui voit enfin la solution à tous ses problèmes … avec cette pierre précieuse, il deviendra forcément le nain le plus riche et le plus respecté du village et obtiendra ainsi sa vengeance …

Il s’approche du diamant, fasciné et essaye de le prendre. Une voix caverneuse l’arrête dans son geste et le glace d’effroi. Il s’arrête brusquement et regarde autour de lui, tremblant, mais ne voit personne :
- Oh toi, jeune impudent, que fais-tu ici ?
- Je … je … je m’promène …
- Sais-tu où tu es, jeune freluquet ?
- N.. non … (Dalber n’en mène pas large)
- Tu es dans l’antre du Cœur de la Mine et tu déranges mon sommeil !
- M… mais qui êtes-vous ?
- Je suis l’Esprit de la Mine, la pierre que tu vois briller ici même est le Cœur de la Mine, et je suis chargé de veiller sur lui depuis la nuit des temps
- H… ah ? Mais … mais les esprits ça n’existe pas … c’est juste des contes pour faire peur aux enfants …
- Approche jeune ignorant et viens voir mon visage …
- Je … (Dalber a l’impression que la voix vient de partout à l’intérieur de la caverne et ne sait pas vraiment par où il doit aller)
- Derrière la pierre …

Il s’avance, inquiet, et écarquille les yeux pour tenter d’apercevoir un quelconque visage.

- Devant toi, sur la paroi. Lève la tête !

Il s’exécute et reste pétrifié d’effroi. Dans la roche se dessine une sorte de visage qui le regarde. Et la voix semble effectivement sortir de la bouche de pierre.

- Tu as troublé mon sommeil et la quiétude de ces lieux. Je n’ai qu’un conseil à te donner : pars et retourne là d’où tu viens. Et surtout ne reviens jamais !
- Ou … oui … M’sieur l’esprit .. J’y vais … (commence à tourner les talons)
- Et surtout ne parle jamais de ce que tu as vu ici. Car s’il arrivait quelque chose au Cœur de la Mine, ton peuple ne trouvera plus jamais de richesses en son sein et se retrouvera sans ressource.
- Promis … (il détale sans demander son reste)

Il s‘est écoulé plusieurs heures, et lorsqu’il revient à l’endroit où il avait laissé les autres, il ne trouve personne. Il rentre donc chez lui, obsédé par l’image du gros diamant. Lorsqu’il arrive à la maison de ses parents, tout le monde est à table. Personne ne lui fait de remarque et il ne parle à personne. Il mange rapidement sa soupe et avale une bière, puis part se coucher. Mais il n’arrive pas à s’endormir. Il ne cesse de penser au Cœur de la Mine et la convoitise et l’envie le dévorent …

Il se relève donc et s’habille prestement. C’est décidé, ce caillou sera à lui, et il sera vengé. Non seulement il fera fortune, mais en plus, tout le village sera puni car plus personne ne pourra aller chercher de matières premières. Il jubile d’avance à cette idée. Il prend le chemin de la mine et marche d’un pas assuré jusqu’à la caverne éclairée. Il hésite un peu à l’entrée, puis s’avance vers le diamant, bien décidé à le prendre. Il a d’ailleurs préparé un grand sac à cet effet. A deux pas de la pierre, la voix retentit de nouveau.

- C’est encore toi ?
- O … oui …
- Ne t’avais-je pas demandé de ne plus jamais déranger mon sommeil ?
- Je … j’avais envie de le revoir …

La voix reste silencieuse un instant, puis reprend :

- Prends le, si tu veux
- Je … je peux … ?
- Oui oui, vas-y, prends le …

Dalber s’avance vers le diamant et le prend, non sans quelques difficultés. Ses yeux brillent et ses mains tremblent.

- Maintenant, viens t’asseoir ici

Il regarde autour de lui, et aperçoit sous le visage rocheux une sorte de trône de pierre, creusé dans la paroi. Il s’installe dessus, la pierre précieuse toujours serrée contre lui.

- Je suis maintenant le Roi des Nains et personne n’osera plus jamais se moquer de moi !

Au moment où il prononce ces mots, avec un air victorieux, il ne s’aperçoit pas que ses jambes commencent à devenir de pierre, puis peu à peu, tout le reste de son corps, jusqu’à ce qu’il disparaisse totalement dans la roche. Puis un énorme soupir retentit et le Cœur de la Montagne se retrouve de nouveau à sa place initiale.

Et depuis ce temps là, on entend parfois au fond de la mine, une ritournelle agaçante, chantée d’une voix de fausset. Amis nains, si d’aventure vous l’entendez un jour, tournez les talons et n’essayez pas de trouver d’où il vient car l’Esprit de la Mine, malgré son sommeil profond, sera toujours là pour veiller sur le Cœur de la Mine.
Dernière modification par Arthaelis le mar. 8 juillet 2008 à 10h44, modifié 2 fois.

Arthaelis
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Message par Arthaelis » mar. 3 juin 2008 à 18h37

Le Trésor Englouti de Maître Gorog (Conte)

Venez vous asseoir, amis Nains et écouter la légende que racontent tous les pêcheurs de la Grande Mer du Nord. Venez frissonner avec moi, mais n’espérez par retrouver un jour le trésor de Maître Gorog car bon nombre s’y sont essayés … et on ne les a jamais revus …

Maître Gorog était maître brasseur dans un petit village coincé entre mer et montagne. Il était fort réputé dans la région et moult nains venaient à son auberge pour déguster la bonne douzaine de bières différentes qu’il proposait à ses clients. En plus de l’excellent breuvage, on y trouvait une ambiance chaleureuse et les histoires de Maître Gorog étaient très appréciées de tous. Il racontait ses aventures de jeunesse, entre mythe et réalité et on ne se lassait pas de les entendre. A ses dires, il aurait été un grand aventurier, chose difficile à imaginer lorsqu’on le voyait avec sa bedaine, sa barbe blanche et son visage rondouillard. Mais quoiqu’il en soit, personne n’osait mettre en doute ses récits et chacun y trouvait son compte.

Ce jour là, la salle était noire de monde. Tous s’étaient installés en demi-cercle devant la grande cheminée et s’apprêtaient à écouter Maître Gorog. Personne n’avait remarqué un petit nain rabougri, vêtu d’un pardessus gris, qui se fondait dans la semi obscurité, loin des lueurs vacillantes des torches qui éclairaient la pièce. Maître Gorog s’éclaircit la voix, avala une grande gorgée de bière ambrée et commença ainsi :

« Cette histoire se passe lors du dernier de mes voyages, celui que j’ai effectué avec la « Lune sombre », un bateau de contrebande sur lequel j’avais trouvé un emploi de mousse. Nous devions aller porter une cargaison de bouteilles de gnole interdite à la fabrication à un client. La nuit était claire et la mer semblait calme. Tout se passait comme prévu et la traversée n’allait pas poser de problème.

Je n’étais pas très rassuré au milieu de tous ces malfrats mais le goût de l’aventure me picotait et cette sensation n’était pas désagréable.

Le bateau devait passer non loin de l’Ile du Rocher. Normalement, tout marin sain d’esprit l’évitait autant que possible. Mais pour les contrebandiers, c’était l’itinéraire le plus rapide et le plus discret. C’était une toute petite île, inhabitée et inhospitalière. On l’appelait ainsi car elle était surplombée par un gros rocher, qui, disaient les anciens, révélait l’entrée de l’antre d’un esprit : l’Esprit du Rocher. Les légendes locales racontaient qu’au fond de cette caverne était caché le plus magnifique des trésors, mais que celui qui oserait s’y aventurer ne reverrait plus jamais sa famille, prisonnier pour toujours de l’Esprit du Rocher.

Je regardais l’horizon lorsque le rivage de la fameuse île apparut devant moi. Un frisson me parcourut. A ce moment là, le vent se leva et un énorme nuage, surgi de nulle part cacha la lune. Une tempête était en train de se lever. Le chef des contrebandiers lança quelques ordres et l’équipage se mit à s’activer dans tous les sens. Je sentis la panique me gagner, sans trop savoir d’où venait cette sensation de malaise.

L’orage battait son plein, des éclairs zébraient le ciel, des vagues énormes léchaient les flancs du bateau et passaient parfois par-dessus bord. J’étais tétanisé, mais incapable de bouger, fasciné par la vue des rochers qui bordaient l’île et qui se rapprochaient inexorablement de notre bateau. »

Maître Gorog s’arrêta et regarda son auditoire. Tous semblaient boire ses paroles, surtout le petit nain gris, dans le coin de la cheminée. Il demanda à la serveuse de lui ramener une chopine de bière, fit un large sourire à la salle, puis reprit son récit :

« La situation semblait de plus en plus perdue. Nous commencions à réaliser que notre naufrage était inexorable, la « Lune Noire » allait se fracasser sur les rochers de l’île et nous étions tous paniqués à cette idée. Le chef des contrebandiers, lui, ne pensait qu’à sa cargaison et demanda à tous de mettre les caisses en sécurité. Mais la plupart des nains présents sur le bateau n’obéirent pas. Les uns priaient les dieux de la mer de leur être cléments, les autres appelaient leur mère … Moi, étrangement, je restais serein, les yeux fixés sur le rocher.

Ce qui devait arriver … arriva. Cette nuit là, la « Lune Noire » fit naufrage sur l’Ile du Rocher. Nous ne revîmes jamais certains de nos frères mais un petit groupe de rescapés, dont je faisais partie reprit ses esprits au petit matin, sous une douce brise et la chaleur des premiers rayons du soleil.

Nous ne savions que faire, coincés sur cette île, à des miles de la moindre côte. Nous commençâmes à organiser un petit camp et à récupérer les quelques caisses de vivres qui flottaient au milieu des planches éparses, et autres débris du navire. J’allumais un feu sur la plage sur laquelle les vagues nous avaient rejetés. Nous étions dans une sorte de petite crique que je n’avais pas remarquée du bateau.

Quelques heures passèrent. Et après avoir bu et mangé, nous commençâmes à discuter pour décider de qu’il convenait de faire. Chacun prit la parole à son tour, sauf moi qui n’osais pas, et proposa une solution ou une autre, aucune ne semblant vraiment valable. Soudain nous fûmes sortis de nos palabres par une silhouette qui s’avançait vers notre petit groupe. C’était le chef des contrebandiers. Nous le croyions disparu, mais en fait il avait été projeté du bateau avant le naufrage et s’était retrouvé dans un autre point de l’île, non loin de l’entrée de la grotte.

Il exposa alors son idée à l’équipage. Dans la mesure où nous étions coincés sur cette île, et que sa cargaison était perdue, il avait décidé que nous irions chercher le trésor de l’île, histoire de se dédommager pour cette mésaventure. Les nains se regardèrent, inquiets et hésitants. Mais le chef, c’était le chef … Personne n’osa émettre d’objection et ils commencèrent à préparer leur expédition, fabriquant quelques torches à l’aide des restes de l’épave, ainsi qu’un bon paquetage rempli de gnole et de nourriture.

Je n’étais pas très enclin à les suivre. La légende de cette île ne me disait rien qui vaille et je n’avais pas envie d’aller dans cette caverne. Je proposais donc de rester sur le rivage, pour rassembler tout ce que je pouvais trouver afin de nous fabriquer un radeau pour quitter l’île. Les autres commencèrent par se moquer de moi, mais le chef accéda à ma demande, ce qui fit taire le reste de la troupe.

Je restais donc seul, alors que les autres se dirigeaient vers la caverne. »

Maître Gorog s’arrêta à nouveau et vida sa deuxième chopine. Il fit un petit geste pour en demander une troisième. Ses joues étaient rouges et l’excitation brillait dans son regard. Pas un bruit ne traversait la salle. Le petit nain rabougri était toujours assis à sa place, silencieux, les yeux rivés sur le conteur.

« J’avais déjà réuni une bonne quantité de bois et d’objets en tout genre : planches du pont, branches d’arbres, cordages … et je n’avais aucune nouvelle des autres. Je décidais donc de prendre une petite pause. Je m’assis à côté du feu que j’avais pris grand soin d’alimenter et me préparais un petit encas, assorti d’une bonne rasade de bière. A regarder le soleil, ce devait être le début de l’après-midi. Après ma collation, je m’installais confortablement sur le sable et débutais une petite sieste.

Je fus tiré de mon sommeil par un bruit étrange, comme que ferait les ailes d’un grand oiseau. J’ouvris les yeux et constatais ébahi qu’un gigantesque aigle se tenait devant moi. J’eut un mouvement de recul et mis malencontreusement ma main dans le foyer incandescent. J’hurlais de douleur mais aucun son ne sortit de ma bouche. »

Nouvelle pause. Maître Gorog posa sa chope au sol et avança sa main vers son auditoire attentif. Chacun put voir la marque d’une profonde brûlure qui n’avait jamais vraiment cicatrisé. On entendit quelques exclamations de surprise dans la salle, puis le silence revint. Le petit nain dans le coin grimaça un vague sourire puis reprit son air impassible.

« J’étais pétrifié. Mais ce n’était rien à côté de ce qui devait se passer… Soudain je crus entendre une voix qui me parlait. Je regardais autour de moi, mais à part le grand oiseau qui semblait me regarder, je ne vis personne. La voix se fit entendre à nouveau et je réalisais enfin que c’était lui qui me parlait. Mon sang se glaça. Je devais être en train de rêver … mais la douleur de la brûlure, bien réelle, me rappela que j’étais bien éveillé.

- Gorog, pourquoi n’es-tu pas allé avec les autres
- Vous … vous connaissez mon nom ?
- Ne réponds-pas à ma question par une autre question (l’oiseau semblait presque sourire)
- Est-ce par peur que tu ne les as pas suivi ?
- Oui un peu … et aussi parce qu’on m’a appris à respecter les Esprits de l’Autre Monde
- Je suis l’Esprit du Rocher. Et sais-tu Gorog, ce qui arrive à ceux qui troublent ma quiétude ?
- Je .. , on dit qu’ils restent prisonniers de la caverne …
- Exact. Mais, sais-tu ce qui arrive à ceux qui la respectent ?
- Non …La légende n’en parle pas

L’oiseau émit une sorte de rire caverneux.

- Et bien Gorog, ils sont récompensés …
- Rentre chez toi et tu seras le plus riche des nains. Mais attention, si un jour tu perds le respect des Esprits, ta richesse te sera retirée à jamais …

Puis l’oiseau pris son envol en direction du rocher et disparut dans le ciel. Je ne l’ai jamais revu depuis. Je restais assis un moment, troublé et choqué par ce qui venait de se passer. Puis je décidais que je devais avoir bu trop de bière et qu’avec la chaleur j’avais dû avoir une hallucination. Je me levais donc, bien décidé à me remettre au travail. »

Maître Gorog sembla soudain se perdre dans ses souvenirs et interrompit à nouveau son histoire. Mais l’impatience qui semblait miner son auditoire le décida à continuer. Le petit nain au fond de la pièce commençait à paraître fébrile.

« En levant la tête, je découvris avec surprise un radeau à la place du tas de déchets que j’avais déposés sur la plage. Je n’en croyais pas mes yeux. Je décidais d’attendre le retour des autres, mais n’osais m’endormir de nouveau. Je me mis donc à faire les cent pas le long du rivage, impatient de leur retour. Mais la nuit arriva et j’étais toujours seul.

Je m’installais donc de nouveau près du feu afin de dormir un peu en attendant le lendemain. Je fus tiré de mon sommeil par la voix de l’Esprit du Rocher. Je ne le vis pas dans l’ombre mais ses paroles résonnèrent dans mon esprit : « Tu n’as plus personne à attendre. Au petit matin, prends le radeau et rentre chez toi. ».

Je me rendormis tant bien que mal. A mon réveil, les contrebandiers n’étaient toujours pas revenus. Je décidais donc de suivre les conseils de l’Esprit et je pris la mer sur le radeau. La traversée se fit sans encombre et je rentrais au village, soulagé de revoir le visage des êtres qui m’étaient chers. Je ne racontais mon histoire à personne et restait très évasif lorsqu’on me posait des questions.

Je repris mon apprentissage de brasseur que j’avais abandonné pour parcourir le monde, puis m’installais ici même, comme vous le savez tous. Le lendemain de mon installation, alors que je faisais un peu de ménage dans la cave afin d’y installer mes tonneaux, j’entendis de nouveau la voix caverneuse de l’Esprit du Rocher. Ma mésaventure datait de plusieurs années mais je ne l’avais pas oubliée. Je m’assis dans la pénombre et écoutais : « Il est temps maintenant, prends ta pioche et creuse. Tu trouveras le trésor de l’Esprit du Rocher. Mais rappelle-toi, fais en bon usage et ne me trahis pas, ou il te sera retiré à jamais. » Puis la voix se tut.
Je fis ce qu’il m’avait demandé et effectivement je trouvais un coffre rempli de pièces d’or. C’est grâce à cette fortune que je pus démarrer mon affaire, puis par la suite aider le village à grandir. C’est grâce à elle aussi, mes amis, que les bières que vous tenez dans vos mains, vous seront offertes, comme chaque soir que mon auberge a connu. »

Il était arrivé à la fin de son histoire, et les nains qui l’avaient écouté jusqu’à la fin l’applaudirent chaleureusement et lui firent une ovation. Certains se mirent à chanter une vieille complainte qui relatait la légende de l’Ile du Rocher, les autres prirent congé et rentrèrent chez eux. Mais personne ne remarqua que le petit nain rabougri s’était éclipsé discrètement.

La nuit passa. Et le lendemain matin, au lever du soleil, un cri déchirant traversa le village et réveilla une bonne partie des habitants. Une chose horrible s’était produite pendant la nuit. La femme de Maître Gorog sortit sur le pas de la porte de l’auberge en sanglotant : la porte de la cave était enfoncée et son mari avait disparu.

Les villageois accoururent vers elle et décidèrent d’aller voir ce qui s’était passé. Lorsqu’ils arrivèrent dans la cave, ils découvrirent le corps de Maître Gorog sans vie, traversé par sa pioche, étendu à côté d’un coffre ouvert et vide. Chacun était horrifié et ne savait que penser.

Car ce que Maître Gorog n’avait pas raconté dans son histoire, car il ne le savait pas, c’est qu’il y avait eu un autre survivant à cette expédition. Le chef des contrebandiers n’avait pas suivi ses hommes au fond de la caverne, mais était resté à l’entrée, attendant qu’ils accomplissent leur travail. Puis, ne les voyant pas revenir, il était allé vers la plage, surveiller Gorog. C’est comme cela qu’il avait pu surprendre sa conversation avec l’Esprit du Rocher et être mis au courant de l’existence du trésor. Et lorsque Gorog avait repris la mer sur son frêle radeau, il n’avait pas aperçu la silhouette d’un nain rabougri qui le suivait du regard …

Les villageois étaient rassemblés dans la salle de l’auberge, se demandant ce qu’il convenait de faire lorsqu’ils entendirent dehors comme le bruissement des ailes d’un grand oiseau. Ils sortirent précipitamment et eurent juste le temps d’apercevoir un aigle immense qui semblait tenir quelque chose dans ses serres. En écarquillant les yeux, ils auraient pu voir dans l’une un nain qui s’agitait, les traits déformés par la peur, et dans l’autre un sac de toile fort lourd qui cliquetait dans le vent. L’oiseau se dirigea vers la mer, au large, et lâcha ce qu’il tenait dans les profondeurs de l’abîme.

Maître Gorog fût pleuré par tous et l’auberge ne fut jamais reprise. Le village devint bien triste après sa disparition mais la vie repris son cours malgré tout.

Voilà la triste histoire du trésor englouti de Maître Gorog.