Nacoya

[Lestat]

Un test... ça ne devait être qu'un test réservé aux futurs officiers disaient-ils. Mes blessures sont réelles pourtant et l'un de mes soldats n'a pas feint cette démence. Mes yeux ne peuvent me trahir. Je l'ai vu, j'ai vu Kheyok devenir incontrôlable et ruer de coups l'un de ses camarades. Et ce sang sur mes doigts...ce n'est pas du faux. Bunto a réellement succombé à l'agression de Kheyok en laissant son sang s'écouler de sa gorge sur mes genoux qui le soutenaient.

J'ai peut-être échoué. Ma mission consistait à conduire mon unité dans l'enceinte du camps adverse sans être repérée et trouver le badge d'officier qui m'est destiné. Malheureusement, l'incident provoqué par Kheyok était trop bruyant et trop flagrant pour que nous demeurions discrets et maintenant nous sommes tous détenus individuellement dans des cages faites de bois assemblés par de solides cordes. D'ailleurs, nos adversaires devaient être incarnés par des officiers mais aucun d'eux n'avaient d'aile dans le dos.

Ces événements sont trop réalistes pour que ce ne soit qu'un exercice. Je n'aurais pas échoué sinon. Il me faut ce badge. C'est la raison de ma création. Devenir officier. Et seule la réussite de ce test m'y amènera. Mais cette prison me bloque, elle m'empêche de réunir mon unité et de poursuivre notre progression.

Kheyok était dans la cage voisine à la mienne. Il fixait le vide et son buste faisait des mouvements de balancier tandis que ses poings serraient la structure qui l'entourait. Celle-ci oscillait légèrement sous les impulsions de Kheyok et faisait grincer les fixations au plafond.

En levant la tête pour observer celles qui soutenaient la mienne, l'idée qu'elles puissent céder si les mouvements devenaient plus intenses me semblait presqu'évidente. Cependant, le bruit provoqué par le fracas de la cage s'écrasant sur le sol alerterait l'ennemi et le temps serait insuffisant pour me permettre de libérer mes soldats. Et je m'interdisais de les laisser sur place.

[...]

Le temps me parait tellement long dans cette prison, j'ai réussi à m'assoupir quelques heures mais l'inconfort de ma couche a endolori mon corps.

Un garde est venu chercher un de mes soldats tout à l'heure pour l'emmener avec lui. Quand il le ramena, ce dernier était blessé au visage et marchait péniblement. Le garde repartit avec un autre de mes soldats qui fut ramené dans un état similaire au premier. Le phénomène se répétait avec les suivants jusqu'à ce que vint mon tour.

Il procédait seul, faisant d'abord descendre la cage pour ensuite dénouer une des cordes qui bloquait l'ouverture. Profitant de l'avantage que m'offrait la surprise provoquée par mon coup de pied qui propulsa ce semblant de porte dans la figure du garde lorsqu'il s'apprêta à l'ouvrir, je me faufilai hors de la cellule en me glissant dans son dos pour finalement le maintenir en respect grâce à une étreinte ferme de mon bras autour de son cou.

Il fallut peu de temps avant qu'il ne perde connaissance. Ses débattements avaient sans doute accélérés son manque de souffle. Sa carrure était proche de celles de mes soldats mâles, je fis alors sortir le dernier d'entre eux qui était encore indemne pour qu'il enfile l'uniforme du garde. En attendant qu'il obéisse à mon ordre, j'avais délié les cordes des autres cages et mes soldats étaient à présent tous libérés. Les moins affaiblis s'occupaient de panser les blessures des autres. Kheyok restait immobile et son regard ne transmettait toujours aucune présence.

Harak, le soldat que j'avais chargé d'enfiler l'uniforme du garde m'appela auprès de lui. Il n'avait pas encore exécuté mon ordre et je m'apprêtais à le lui faire remarquer avec plus de fermeté. Heureusement, il ne m'en laissa pas l'occasion et m'indiqua d'un geste de la tête le corps dévêtu du garde. Sa nudité rendit visible une aile dans le dos habilement dissimulée par l'uniforme. Il s'agissait donc bien d'un test, et ce garde inconscient à nos pieds devait être un officier.

Forte de cette découverte, je révélai le contenu de mon plan à mon unité. Harak devait se faire passer pour un garde ayant reçu de nouveaux ordres. Il prétexterait que je m'étais résolue à abandonner cet exercice devenu trop éprouvant pour moi et qu'il était chargé de nous ramener à nos supérieurs. Mais en réalité, c'est à l'emplacement du badge qu'il nous mènerait.

[...]

Harak nous ouvrit le chemin en progressant dans les allées jusqu'à l'armurerie où nous récupérâmes nos équipements. Il s'était contenté d'un discret salut militaire adressé aux gardes qui croisaient notre route tant son attitude était crédible. Seul un officier s'étonna de ce défilé et l'interrogea. Il m'adressa un regard contrarié quand Harak lui répondit et s'approcha de moi.

- Vous aviez le potentiel pour réussir ce test sans peine, dommage que vous manquiez de détermination, me murmura-t-il avant de s'en aller.

Sa remarque provoqua une sorte de rictus au coin de mes lèvres, je me plaisais à imaginer sa réaction en découvrant la vérité. Il semblait loin de se douter qu'il venait d'être trompé par une simple aspirante.

Une fois que nous étions à nouveau équipés, il nous fallait redoubler de vigilance et de discrétion. Mon mensonge ne serait plus assez convaincant pour continuer sans risque. D'autant que l'endroit serait sûrement surveillé de près.

L'une de nous proposa donc de nous séparer en deux groupes dont l'un prendrait de l'avance sur le second pour attirer et semer les gardes dans une direction opposée. Le second agirait de la même façon afin de créer la confusion chez nos adversaires qui ne sauraient plus quel groupe surveiller. Cette diversion m'ouvrirait ainsi la voie et me permettrait de progresser seule sans me faire repérer.

L'idée était intéressante et en redressant ses cheveux, elle se confondrait facilement avec moi ce qui augmentait nos chances de réussite. Elle échangea alors son équipement avec le mien qu'elle partagea avec une autre qui jouera mon rôle dans l'autre groupe que je pris soin de constituer équitablement.

Le premier groupe dans lequel se trouvait Kheyok, s'élança en veillant à faire suffisamment de bruit pour alerter les gardes qui se lancèrent à leur poursuite puis changea brusquement de direction pour les éloigner de leur poste. En partant, Kheyok semblait avoir retrouvé ses esprits et m'offrit un salut qui reflétait sa détermination et son envie d'effacer ses erreurs.

Après quelques minutes, le reste de mon unité reproduit le même procédé me laissant ainsi seule pour profiter de leur travail.

Les bruits de courses et de cris résonnèrent dans toute la caverne, les événements se déroulaient comme prévu et plus aucun garde n'était désormais à sa place. Cependant, je ne devais pas m'attarder car le succès de ce plan dépendait grandement de notre synchronisation. Si moi ou l'un des deux groupes n'arrivait pas en même temps que les autres à l'entrée de la salle, les gardes auraient le temps de découvrir le stratagème et mon unité ne serait plus complète au moment d'entrer dans la salle.

L'entrée était à présent visible et vide de toute surveillance. J'entendais mes soldats qui se rapprochaient de moi en courant. Accélérant le pas à mon tour quand nous étions à nouveau tous réunis, nous nous précipitâmes vers l'entrée.

La lumière jaillissait et une grande salle au fond de laquelle se trouvait Rodenpikula s'étendait sous nos yeux. Mes soldats me cédèrent la tête du groupe et nous traversâmes le pont qui nous séparait d'elle.

- Félicitations Aspirant Nacoya, vous avez réussi l'exercice, dit-elle d'une voix neutre.

Elle m'invita à m'approcher puis tendit sa main close vers moi. Lorsque ses doigt se relâchèrent, l'insigne de lieutenant reposait sur sa paume.

- Vous avez rencontré de nombreuses difficultés et la méthode que vous avez adopté s'éloignait de nos attentes mais seul le résultat compte et vous avez su garder votre effectif au complet. Seul l'un de nos deux complices, Bunto manque à l'appel. Il vous attend dans vos nouveaux quartiers, lieutenant Nacoya, ponctua-t-elle en m'offrant l'insigne.

[Lestat]

Mes talons cognaient le sol dur et glissant de la grotte. Les flammes des torches dansant au gré des courants d'air qui s'engouffraient dans les allées provoquaient un agréable spectacle d'ombres. Notre Mère venait de me faire interrompre l'entraînement de mes troupes en me convoquant auprès d'elle.

Ce n'est rien, je leur préparerai un programme plus éprouvant pour demain, pensai-je.

Le couloir se termina devant de lourdes portes qu'un mécanisme ouvrait lorsque ma présence fut repérée. L'entité Nornil me donna la permission d'approcher au centre de sa cave et les portes se refermèrent dans mon dos. Etonnemment, j'étais la seule officier convoquée. D'habitude, il y a toujours au moins un supérieur pour servir d'intermédiaire. D'un pas décidé, je m'approchai et m'agenouillai tête baissée face à elle.

- Capitaine Nacoya, depuis combien de temps êtes-vous à la tête de votre unité?
- Avec tout le respect que je vous dois, Mère, vous le savez probablement mieux que moi, répondis-je d'un ton révérencieux.
- Vous êtes une des plus anciennes Metusela encore en activité, vous avez officié en tant que lieutenant pendant six années et vos talents de stratège vous ont valus le grade de capitaine il y a de cela quatre ans.
- C'est exact, Mère et je compte vous servir aussi longtemps que mon utilité demeurera intacte.
- Parfait, vous avez été désignée pour succéder au commandant Tod sur Ether.

Cette phrase retentit dans mon oreille en me faisant l'effet d'une pluie glaciale qui me figea tout le corps. La raison m'est encore inconnue, mais l'idée d'aller sur Ether et d'être confrontée aux enfants des autres dieux me pétrifia. Je m'efforçai de cacher cette réaction à Mère bien qu'elle s'en soit sûrement déjà rendue compte et concentrai mes forces pour interrompre un tremblement involontaire de mon bras.

- Qu'est-il arrivé au commandant Tod?
- Il a été rappelé pour mettre ses connaissances au profit de la formation de nouveaux soldats.
- Dois-je préparer mes soldats à partir? demandai-je d'une voix empreinte d'inquiétude.
- Vous partirez seule, le lieutenant Kheyok vous remplacera le temps de votre mission.

Cette réponse était loin d'être rassurante, j'allai devoir abandonner des soldats qui m'ont vu progresser au fil des années pour en retrouver d'autres qui ont encore tant à apprendre. Sentant mes craintes, Nornil trouva le moyen de me rassurer quelque peu.

- Vos capacités ne laissent aucun doute sur la réussite de votre mission. Il n'y a plus rien à apprendre pour vous ici.
- Quand suis-je censée partir?
- Aussitôt que vous aurez pris connaissance de la situation sur Ether et du contenu de votre mission auprès des avatars.
- Ce sera fait dès la fin de cette entrevue, Mère.
- Songez aussi à aller récupérer votre nouvel insigne de commandant au bureau des officiers.
- Ce sera fait Mère, je tâcherai de me montrer digne de cet honneur, terminai-je la crainte désormais effacée par l'enthousiasme.
- Vous pouvez disposer à présent.

D'un mouvement ininterrompu, je me redressai et la saluai respectueusement avant de tourner les talons en direction de la porte. Un garde m'y attendait pour transmettre un éventuel message à mon unité avant mon départ. Je lui fis rapidement part de mes directives à l'attention de Kheyok qu'il s'empressa de conduire.

Mon parcours s'apprêtait à connaitre une nouvelle tournure et mon apprentissage était encore loin d'être terminé.

[Lestat]

Premier rapport du commandant Nacoya, matricule: WSP 1150.
Sujet: Prise de contact avec les soldats restants.

Le commandant Tod m'avait prévenue, ses dires m'ont été confirmés par cette réunion. Beaucoup de soldats manquaient à l'appel, j'attends de pouvoir les rencontrer rapidement avant d'émettre un avis sur eux.
La déviante répondant au nom de Shalina était présente dans cette poignée de soldats.

Après m'être présentée, j'entamai la réunion par une synthèse sur les Géants et sur nos connaissances des autres races. Elle se voulu courte pour le moment car j'envisageai de développer ce sujet plus tard dans la discussion. Il me fallait préalablement m'assurer de la fiabilité de mon auditoire.

Pour ce faire, j'ai invité les soldats ayant été affectés par des sentiments à s'avancer vers moi. Deux sujets féminins y répondirent. La première était Shalina et la seconde se présenta sous le nom de Tryschka. Cette dernière ne figurait pourtant pas dans les rapports sur les déviants. Je tâcherai d'y remédier en complétant nos données aussitôt que je me serai entretenue avec elle pour connaitre la teneur et la cause de ces sentiments.

Conformément à la démarche prévue, un choix leur fut imposé. Je leur accordai un temps de réflexion que je comblai en répondant aux interrogations que cette proposition avait suscité auprès de certains soldats. Cependant, Shalina y mit fin en tombant dans un délire schizophrène dont l'agressivité à mon encontre alerta les autres qui se préparèrent à me défendre. Cette réaction troublante de la part de Shalina mit mes facultés à me maîtriser en difficulté. Heureusement, une profonde concentration me permit de reprendre le dessus avant que les soldats le remarquent.

Privilégiant les paroles aux actes, je l'obligeai à se ressaisir sous peine d'offrir son sort à mon unité. Elle parvint finalement à reprendre ses esprits et nous dévoila sa réponse à ma proposition. Désormais, sa présence n'était plus souhaitée à cette réunion ni sur l'île qu'elle devait abandonner dès qu'elle eût rendu son insigne. Je lui répétai qu'elle était devenue l'équivalente des autres races à nos yeux et que les gardes auraient l'ordre de l'attaquer si elle s'aventurait à nouveau sur nos terres.

Cette décision ne semblait pas faire l'unanimité dans mon unité. Ils préféraient visiblement la voir sévèrement punie ou morte. Certains manifestaient le souhait de lui arracher l'aile pour l'enlever à notre race mais je voyais plutôt dans son aile, le symbole de sa trahison qui rendrait son intégration parmi les autres races plus difficile. D'autres, notamment le soldat Omega qui s'était dressé devant elle pour l'empêcher de rejoindre la passeuse qui l'attendait, voulaient la pousser à l'affrontement à cause de ses paroles à mon attention.

Finalement, je pu réinstaurer le calme et Shalina quitta l'île indemne. Cet incident s'étant éternisé et ayant trop échaudé les esprits, je pris la décision de clore la réunion et d'accorder du repos à mes soldats. J'organiserai un autre rassemblement prochainement pour être à jour dans mes projets.