Cassius

Ici se trouvent les BGs des héros décédés, paix à leurs âmes.

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Malek
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Cassius

Message par Malek » dim. 22 juin 2008 à 04h11

Lorsqu’ils sont en-dehors de chez eux, les Orcs ne forment qu’un seul clan. Mais en Elmore, il existe quantité de castes, de familles et de tribus qui ne vivent pas sans animosité. Parmi ces familles, il y a celle de XXXXX. Ce nom même inspirait le prestige ; le patriarche était tombé au combat face à l’Ordo Hereticus, emportant avec lui quarante-quatre adversaires. Cet exploit, bien que séculaire, avait fait entrer XXXXX dans la légende.

Ses enfants eurent une vie noble et prospère. Et leurs enfants à leur tour. Le plus turbulent de ces petits-enfants, un jeune répondant au nom de Cassius, avait hérité de la plus grande qualité de son ancêtre, mais aussi son plus grand défaut : c’était un ourson fougueux, prompt à la colère.

Cassius détestait qu’on lui manquât de respect. Si un autre jeune se moquait de lui, il mettait un point d’honneur à lui coller le sien dans la figure. Il lui arrivait fréquemment, par excès de rage, de briser des portes, des vases ou du mobilier. Cassius s’était déjà fracturé plusieurs phalanges alors qu’il n’avait pas treize ans.

En grandissant, la colère de Cassius ne s’était pas estompée. Pour son bien, ses parents lui avaient entravé les bras et les jambes avec des poids, l’empêchant de se précipiter dans n’importe quel affrontement. Cette précaution ne fit que creuser davantage l’écart entre lui et les jeunes de son âge.

Le fils du chef de village se moquait régulièrement de lui et du traitement peu orthodoxe de la famille XXXXX. Jared – c’était son nom – était un chamailleur, un cherche-merde comme l’on dit parfois. Son statut social lui valait de ne jamais marcher sans sa troupe d’amis, tous envieux de voir rejaillir un peu de gloriole partout où ce fanfaron passait. Cet entourage lui avait fait naître un défaut qui le rendait insupportable : il faisait preuve d’arrogance, beuglant "Je suis jeune, je suis mignon et je suis imbattable !", ridiculisant ceux qui ne se pliaient pas à ses caprices.

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Cassius fulminait de voir un tel imbécile recevoir autant de mérite, d’autant plus qu’il était devenu sa bête noire : à cause des poids qui le handicapaient, Jared ne ratait jamais une occasion de le railler. Il était le détenu, l’esclave, le lourdaud, celui dont se moquaient tous ceux qui voulaient se faire bien voir de Jared.

Un jour, alors que Cassius avait la main lourde contre un jeune qui avait eu la parole légère, Jared vint à passer. Son esprit tourna la scène en dérision et il se moqua ouvertement des deux garnements, entrelacés dans une posture de lutte invraisemblable.
- Soit, fit-il en riant de sa propre blague, lequel de vous deux fait la femelle ?
Cassius, hors de lui, lâcha son adversaire, bien résolu à en découdre avec l’insolent. Jared réalisa soudain qu’il était seul et commença à courir. Sauf que cette fois, ses entraves n’empêchèrent pas Cassius de le rattraper. Il arriva à sa hauteur et faucha le jeune fier-à-bras, qui tomba tête la première. Son visage fit un bruit mat en heurtant une grosse pierre anguleuse, et Cassius ne réalisa pas immédiatement ce qui venait de se passer.

La colère du jeune XXXXX ne s’était pas apaisée, mais son adversaire ne se relevait pas. Un nœud le prit subitement à la gorge. Un mince filet de sang coulait du crâne de Jared, tandis que loin derrière lui des cris d’adultes se rapprochaient.

En quelques secondes, il fut écarté, malmené, jeté à terre, relevé, insulté. On le gifla, on le prit dans ses bras, on vint pleurer à son oreille, on lui cracha au visage. Ce n’est que lorsqu’il vit le chef du village soulever son corps inerte qu’il comprit que Jared était mort.


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Dans la salle des cérémonies, sur l’autel dédié à Pa’agrio, on préparait le corps de Jared pour la crémation. Les adultes entre eux se disputaient pour savoir ce qu’il convenait de faire du jeune XXXXX.
- Dans le labyrinthe ! criaient les uns.
- Les geôles ! Les geôles ! hurlaient les autres.
- Ce n’est qu’un enfant !
- Il a tué !
- Qu’il soit banni !
- SILENCE !
La voix la plus forte était celle du Laad, le chamane, la plus haute autorité du village après le chef dont on venait d’embaumer le fils.

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Le chamane se fraya un chemin dans la foule, ses sandales claquant sur le sol, ses amulettes cliquetant de partout. Il fut le premier et le seul à dévisager le jeune orc fautif. Cassius le regarda, les yeux voilés de larmes contenues. Le chamane y lut tout ce qu’il voulut savoir, sans poser la moindre question, sans prononcer le moindre mot. Il y lut la colère indomptée, la frustration, les regrets, les excuses inarticulées, le désir de se racheter. Il y vit tout cela, et bien plus encore.
- Martankus, prononça-t-il finalement.
L’assemblée fut parcourue d’un frisson à l’évocation de ce nom. Chacun savait ce que cela signifiait : un voyage vers la caverne des Epreuves.

Certains des regards qui se posaient sur le jeune XXXXX avaient changé. Parfois, la colère se mélangeait à la pitié, comme si l’on venait de le condamner à mort. Cassius ignorait tout de ce Martankus et s’imaginait déjà à la fin de son existence. Pour lui, le jugement était rendu : il était coupable et on le livrait à son bourreau. Il ne croyait pas être à la fois si proche et si éloigné de la vérité.


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Cassius marcha des jours, pieds nus, bravant les rochers, le sol brûlant, la neige des glaciers, les herbes et les ronces, pour arriver enfin, sous bonne escorte, à la caverne des Epreuves.

La caverne était l’endroit où se rendaient les jeunes qui subissaient le rite de passage à l’âge adulte. De mémoire d’orc, aucun de ceux qui y avaient pénétré n’était aussi jeune que Cassius. A l’entrée, on lui délia les mains. Le garde du Feu qui trancha ses liens lui tendit le couteau pour qu’il puisse se défendre, le cas échéant. Et on le laissa seul.

Cassius fit quelques pas dans la grotte. Le soleil se couchait dans l’axe de l’entrée. Bientôt, il y ferait nuit noire. Il se saisit d’une torche et s’enfonça dans les ténèbres. Les murs luisaient sous l’effet de l’humidité ; les bas-reliefs racontaient, entre autres, les chapitres de la vie du grand XXXXX. Par endroits, les mosaïques étaient déchaussées et de petits dés de couleur roulaient entre les pieds du jeune orc.

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Martankus ne ressemblait pas à l’idée que s’en était faite le jeune XXXXX. A vrai dire, il était difficile d’imaginer que l’ancêtre eut pu ressembler à ça. Martankus était un visage de granit qui tournait lentement au-dessus d’un autel en ruines. Il était au moins aussi âgé que les cavernes elles-mêmes, et le raclement permanent de la pierre avait quelque chose d’apaisant, presque hypnotique.

Cassius demeura un moment à contempler le visage sculpté, ne sachant quoi faire. Il hésitait à s’adresser à la statue, de crainte de paraître ridicule, et songeait à rebrousser chemin avant que sa torche ne s’éteigne complètement. Il était sur le point de partir quand un frisson parcourut son échine.

Martankus avait parlé.


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En sortant de la caverne, Cassius avait les larmes aux yeux. Personne ne l’attendait. La nuit était fraîche et une lune nouvelle descendait sur l’horizon. Elle atteindrait le village bien avant lui. Si les astres pouvaient parler, ils lui diraient ce qu’il trouverait une fois là-bas. Mais les astres ne parlaient qu’aux mages et aux lettrés. Le jeune XXXXX remonta le sentier, se remémorant les derniers mots prononcés par l’ancêtre Martankus :
- Désormais, tu erreras sans identité. Ton nom et celui de ta famille sera rayé de toutes les stèles. Les tiens ne te reconnaîtront pas. Tu vivras sans prestige, sans honneur, débarrassé de ton rang. Tout ce que tu possédais, tu l’as perdu, et tout ce que tu gagneras, tu le perdras également. A notre prochaine rencontre, tu subiras quatre épreuves. Si tu les réussis, tu retrouveras ton nom et ta dignité. A présent, pars, et ne revient que dans sept années à compter de ce jour.


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Les sept années passèrent. Ecarté de sa famille, Cassius n’eut droit qu’à une éducation des plus sommaires. Dépourvu de tout ce qui faisait son identité, il ne put prétendre à aucune terre, aucun travail. La seule chose qu’on lui accorda fut le rôle peu enviable de bourreau, hormis les privilèges qui en découlaient. Il vivait à l’écart du village. Sa fonction ne l’occupait que quelques jours par an et lui laissait tout le loisir de braconner près des cascades de givre. En sept ans, Cassius n’eut aucune visite. Les seules personnes à qui il parla furent celles destinées à sa hache.

Les sept années passèrent, et Cassius devint le dernier représentant de la famille XXXXX le jour où le corps de son père fut transporté sur le bûcher. Cassius assista à la cérémonie depuis la colline, loin des regards. Il n’eut besoin de personne pour comprendre qu’il s’agissait bien de son père et non d’un autre. Cassius aurait reconnu son odeur entre toutes, même après des années d’absence.

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Martankus avait eu raison. Ce jour-là, le jeune orc avait perdu tout ce qu’il lui restait de son passé. Il décida qu’il était temps d’en finir et fit volte-face pour retourner à la caverne aux Epreuves.

Le visage de pierre l’y attendait, tournant éternellement.
- Ça fait sept ans, hurla Cassius, voyant que l’ancêtre ne prendrait pas la parole. Tu m’as fait revenir, alors parle !
La voix de granit résonna dans la caverne.
- Tu es ici car tu as accompli une partie de ta peine. Aujourd’hui, tu as la possibilité de te racheter. Réussis quatre épreuves, et je te rendrais ton nom.
- Je t’écoute.
- Dès à présent, je te chasse des terres d’Elmore. Pars vers Aden. Trouve ta place parmi les étrangers. Tu n’as plus la tienne ici.
Cassius crut devenir fou.
- Quoi ! Est-ce cela ton épreuve ? Vivre en banni ? Tu as dit que je pouvais me racheter !
- Et c’est exactement ce que je te propose, fit la statue, imperturbable. Je t’ai dit que tu aurais à subir des épreuves. Je ne t’ai jamais dit que je te les expliquerai. Pars maintenant. Nous ne nous reverrons plus que deux fois.

Cassius demeura interdit. Il resta là un long moment à contempler le visage de pierre, attendant autre chose de lui, une explication. Qui ne vint jamais. Le dernier des XXXXX quitta la caverne des Epreuves et sortit sous une pluie battante.
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Message par Malek » mer. 2 juillet 2008 à 01h48

Pour Cassius, la route qui quittait Elmore passait par les cryptes de la Disgrâce. C’était le lieu maudit entre tous, celui où étaient enterrés les frères et les sœurs orcs qui avaient été déchus ou exécutés. Cassius connaissait l’endroit de réputation, mais ne s’y était jamais rendu en personne.

Il y parvint au crépuscule, alors que la pluie s’était changée en crachin. Sur de grands autels de pierre brûlaient des feux destinés à chasser les esprits qui refusaient obstinément de quitter ces terres. La lune montante faisait quelque fois luire un spectre au détour d’un arbre ou d’un talus. Cassius y reconnut, ici ou là, certains des condamnés dont l’existence avait pris fin sous sa hache. Il évita leurs yeux vides, suppliants de les laisser partir comme de vrais orcs, par un combat.

Il refusa à chacun d’entre eux le moindre regard, marchant toute la nuit. Le soleil se levait sur la route de Schuttgart lorsqu’il reconnut un jeune, accoudé à une grosse pierre, qui semblait l’attendre.

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Cassius reconnut Jared même après sept ans d’exil. Il marqua un temps d’arrêt hésitant, l’observant à dix pas, puis reprit sa marche, ignorant son sourire narquois. Le jeune matamore le vit passer devant lui sans la moindre espèce d’intérêt.
- Eh… EH ! Est-ce ainsi qu’on traite un ami ?!
- Tu n’es pas mon ami. Et tu es mort.
L’impétueux se mit à suivre Cassius.
- Je suis peut-être mort, mais en ce moment je suis ton seul ami !
- Va-t’en.
- Mais quelle tête de cochon ! Je suis la première personne à qui tu parles en sept ans, et la seule chose que tu trouves à faire c’est de bouder !
- Tu n’existe pas. Tu es dans ma tête.
Le jeune orc s’arrêta derrière Cassius, ramassa une grosse pierre et lui lança. Cassius la reçut à l’arrière du crâne.
- C’est assez vrai, ça, pour pouvoir exister ?
Cassius se retourna, furieux. Il regardait Jared, ses yeux fuyant de droite à gauche sans pouvoir le fixer. Jared jubilait, satisfait de la réaction qu’il avait obtenue.
- Mais regardez-moi ce grand méchant orc ! C’est qu’il a bien grandi, le petit esclave…
Cassius parcourut la distance qui les séparait en une seconde, le saisit à la gorge et le plaqua au sol, prêt à frapper.
- Assez !
La voix du jeune orc se fit plus étouffée.
- Eheh, c’est qu’il est toujours aussi susceptible, on dirait. Mais qu’est-ce que tu vas faire à présent ? Me tuer ? ENCORE ?
Cassius relâcha son étreinte. Jared souriait toujours. Il se releva lentement tandis que le dernier des XXXXX reprenait la route en direction Schuttgart.
- Tu n’as nulle part où aller, et personne à qui parler, fit Jared en haussant la voix, écartant les bras en signe d’évidence. Que tu le veuilles ou non, je suis la seule bonne chose qui te sois arrivée cette année. Tu entends ?
- Je ne t’écoute pas.
- Bien sûr que si. Tu es resté seul trop longtemps. Tu as besoin d’écouter. Tu as besoin de parler. Tu parlais déjà à tes plantes vertes il y a deux ans de cela. Pourquoi m’aurais-tu fait revenir, sinon ?
- Je ne t’ai pas fait revenir. C’est toi qui me hantes.
Jared trottina jusqu’à la hauteur de Cassius.
- Oh, bien sûr que si, tu m’as fait revenir. Et pour quelle raison d’après toi ? Aucun des membres de ta famille n’a voulu te revoir. Aucun de tes camarades de jeu ne t’a plus adressé la parole. Je suis le seul qui se soit jamais intéressé à toi.
Le descendant des XXXXX grommela quelque chose.
- …m’a enlevé mon nom… pas ma famille… Martankus a choisi.
- Martankus ?
Jared se mit à rire. Il riait tant qu’il cessa de marcher. Cassius s’arrêta lui aussi, sans s’en rendre compte. Quand il eut retrouvé un peu de sa contenance, Jared s’adressa au dernier XXXXX avec une condescendance rageante.
- Mais mon pauvre, Martankus n’y est pour rien dans ta "malédiction". C’est ta famille qui t’a mis à l’écart.
- Tais-toi.
- Réfléchis un peu, martela Jared en appuyant ses mots avec un doigt sur le front de Cassius. Quelle explication est la plus logique : qu’un caillou vieux de mille ans t’ait ôté ton nom, ou plus simplement que tes parents, tes frères et sœurs de sang aient eu si HONTE de toi qu’ils aient préféré te RENIER ?
Les pensées se bousculaient dans la tête du dernier des fils de XXXXX. Ses narines se dilataient sous l’effet de la colère. C’était la plus longue conversation qu’il avait depuis des années. Et tout ce qui en ressortait remettait en cause son ostracisme.
- Tu as déshonoré les tiens et ils t’ont mit à l’écart, c’est tout. Tu t’imagines que tout le monde ignore ton nom, qui tu es. Mais c’est tout le contraire : ils savent tous ce que tu as fait. Tu es un paria. Aucun frère ne voudra t’aider. Et ceux qui le feront, ne le feront que pour mieux se moquer de toi.
Cassius n’en pouvait plus. Il se mit à marcher, de plus en plus vite, cherchant à s’éloigner de l’esprit de Jared. Il marcha des heures, disséquant chaque mot, chaque pensée. Parfois, ses pieds trébuchaient sur une pierre, lui faisant perdre le fil de ses idées. Le crachin se changea en neige et sans s’en rendre compte, le dernier XXXXX arriva aux portes de Schuttgart.

A l’abri de la neige, sur les marches, l’attendait Jared.
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Message par Malek » dim. 13 juillet 2008 à 15h23

Sans nom, pas de considération. Sans considération, pas de travail. Sans travail, pas d’argent. Et sans argent, aucun moyen de subsister dans une grande ville.

En arrivant à Schuttgart, Cassius dut se rendre à l’évidence : personne ne lui donnerait ce dont il aurait besoin. Ni nourriture, ni logis, ni droit de passage… Tout ce qu’il avait appris pendant ces sept années d’errance ne lui était d’aucune aide face au monde civilisé. Jusqu’ici, le jeune orc se rassasiait ce qu’il chassait ; se vêtait des peaux de ce qu’il braconnait ; dormait là où la nature lui offrait refuge… A présent, tout se monnayait, même la faim.

Cassius n’avait pas un sou en poche en arrivant dans la cité manufacturière. Les gens se pressaient sans le voir, le contournaient, le bousculaient sans pardon. Pour la première fois en sept ans, il prit conscience de son allure et de ce que les autres voyaient de lui : un orc souillon, affublé de guenilles, mal rasé, la gueule terreuse et les cheveux collés. Un serrement le prit à la poitrine qui ne le lâcha pas pendant des jours. Chaque mot, chaque regard était une agression à son égard. Trop de bruit, trop de monde, trop de tout rendaient Cassius fébrile. Il passa sa première nuit claustré sous une arche de la ville basse, secouant la tête de façon compulsive quand un groupe venait à passer.

Jared ne quitta jamais Cassius, ne s’éloignant que rarement. Il ne l’aidait pas. Il ne se moquait pas non plus. Il était juste là, observant le monde, l’observant lui.

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Les semaines qu’il passa à Schuttgart furent, de loin, parmi les pires de son existence. Lui, l’héritier des XXXXX, dut attendre d’avoir assez faim pour se résigner à chiper des pelures dans les ordures d’une auberge. Il fut chassé à coups de torchon comme un animal de compagnie pris en faute. Il les rongea seul dans le froid, observant au travers de fenêtres des silhouettes qui elles, mangeaient à leur faim.
- Tu les envies, hein ?
Cela faisait plus d’une minute que Cassius observait ces ombres derrière des carreaux sales. Jared s’était posté derrière lui, devinant à son tour une soupière qu’on soulevait. Les gestes brouillés d’un liquide versé, d’une cuillère portée à la bouche, de morceaux de pains qui s’échangeaient, faisant saliver le jeune orc affamé.
- Ils ne sont pas seulement en train de manger. Ils parlent. Ils sont ensemble. Tu te souviens, ce que c’est, vivre avec les autres ?… Moi non plus. C’est ce que tu nous as ôté.
- Tais-toi. Tu ne manges peut-être rien, mais moi je meurs de faim.
Cassius recommença à marcher pour ne pas geler sur place.
- Ça fait des jours que nous sommes ici et nul n’est venu vers toi. Tu n’as rien fait pour t’attirer la sympathie des gens…
- Je n’ai pas besoin d’être sympathique.
- Dommage. Tu vois, le vieil hagard, là-bas ? Celui qui chante toute la journée ? On lui jette des pièces, à lui. Qu’est-ce que tu comptes faire pour gagner ta pitance ?
- Sûrement pas jouer les histrions.
- Les incapables récompensent le talent. Et ils sont nombreux. Qu’est-ce que tu sais faire, toi ?
Cassius ne répondit rien. Aussi agaçant que cela puisse paraître, Jared avait raison. Il préféra éluder la question.

Il passa cette nuit à cogiter, grelottant sous une couverture faite de peaux cousues grossièrement. C’était un braconnier et un assassin. Qui donc y verrait un talent à monnayer ? Personne d’honorable, probablement.

Mais honorable, l’était-il vraiment ?
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Message par Malek » mar. 15 juillet 2008 à 01h21

Cassius comprit que pour recevoir des autres, il fallait d’abord leur donner quelque chose. De préférence, quelque chose qu’ils ne pouvaient obtenir d’eux-mêmes. Il passa les jours suivants à braconner et à ramener le produit de ses battues dans la ville basse. Il troquait les peaux et la viande contre des espèces sonnantes et trébuchantes, aussitôt converties en boisson ou en nourriture.

En général, les gens ne s’attardaient pas une fois l’affaire conclue. Cassius fuyait leur regard, ne marchandait pas, ne recomptait pas la monnaie. Les quidams de la ville basse s’étaient habitués à cet olibrius qui ne voulait voir personne. Ils s’écartaient de son chemin, ne le regardaient jamais droit dans les yeux, le laissaient dormir sous son arche. Cet orc, disaient-ils, avait quelque chose d’insensé qu’ils ne souhaitaient pas aviver.

Tous les habitants de Schuttgart n’eurent pas cette clairvoyance.

Un matin, un notable de la ville haute crut bon d’impressionner sa compagne en venant se gausser des honnêtes gens. Il déambulait dans les rues, confiant, souriant à ceux qu’il rabaissait une fois qu’ils avaient le dos tourné. Les commerçants de la ville basse eurent tous droit à leur lot de flagornerie et de bassesse. Cassius n’échappa pas à la règle.
- Mirez, ma mie, fit l’homme avant même d’arriver à sa hauteur, même les orcs viennent faire leur marché ici. Faut-il vraiment que nous soyons tolérants pour accepter toute la plèbe de l’est comme de l’ouest !
Cassius ne releva pas la saillie. Il espérait seulement qu’en n’attirant pas davantage l’attention, cet imbécile finirait par s’en aller. Jared ne l’entendait pas de cette oreille.
- Ecoute-moi donc ce gros crétin… Comme si sa vie valait plus que la nôtre. Enfin. La tienne.
- Ce sac à viande… Il choisit, il paie, il part. C’est tout ce que je demande.
Jared eut un rire semblable à un hoquet.
- Eh ! Observe ce type. Plein d’or et de suffisance… Tu crois vraiment qu’il va te donner quelque chose ? Les polichinelles comme lui ne veulent pas de ce qu’ils achètent. Ils se paient juste ta tête.
Cassius serrait les poings sous ses aisselles, pour ne pas avoir froid. Il savait reconnaître des milliers d’odeurs : celle du gibier qui a peur, celle de la louve qui vient de mettre bas, celle du fruit mûr prêt à tomber. Mais de toutes ces senteurs, celle qui le répugnait le plus, c’était celle de l’arrogance. Et ce type emplissait mille narines à lui tout seul.
- Regarde-le se pavaner, murmura Jared… Un vrai coq en train de glousser. Ce sont des gros lards dans son genre qui dirigent ce monde, tu te rends compte ?
Cassius ne dit rien. Ses narines frémissaient de façon compulsive. Le bourgeois regarda l’étal de l’orc, l’air mi-amusé, mi-navré. Son épouse gardait son mouchoir sur son nez, répugnée à l’idée que la misère et la pauvreté puissent être contagieuses.
- Décidément, fit l’homme sur un ton sarcastique, ces sauvageons d’Elmore auront beau attendrir le cuir de toutes les façons, ils ne seront jamais aussi bons tanneurs que ces athlètes qui battent des sacs de sable !
C’en fut trop pour Cassius qui se leva en moins de temps qu’il n’en fallut au gros homme pour réaliser la portée de ses paroles. L’orc le saisit à la gorge, arma son bras, et lui percuta la tête si fort contre le mur qu’il en perdit aussitôt connaissance. Cassius aurait pu en rester là, mais galvanisé par les paroles de Jared, il frappa, frappa, et frappa encore. La bourgeoise, prise de panique, s’enfuit en courant vers la ville haute en poussant des cris d’hystérie porcine. Le dernier des XXXXX laissa le gros plein de soupe à demi-mort, le visage tuméfié. Cassius regarda ses mains. Une des dents était demeurée plantée dans sa chair. Il la retira, considérant sa victime.

Le type respirait encore. Quelques bulles écarlates perlaient aux commissures de ses narines. Cassius estima que les gardes ne mettraient pas plus d’une ou deux minutes avant d’arriver. Il saisit le bourgeois par les épaules et le dépouilla de son manteau.

Lorsqu’il quitta Schuttgart, les cornes d’alarme retentissaient dans la ville basse. La neige s’était remise à tomber. Cassius n’avait plus si froid et sa route le conduisait désormais vers le sud.

Mais où qu’il aille, il savait pertinemment qu’il finirait toujours par croiser des insolents de ce genre, et cette seule pensée suffit à assombrir son humeur.

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Message par Malek » dim. 27 juillet 2008 à 14h39

L’essor des passeuses, qui proposaient de voyager rapidement d’un point à l’autre du pays, avait eu un effet retors sur les routes : plus personne ne les utilisaient. Autrefois, ces voies commerciales qu’arpentaient caravanes, convois de ravitaillement, armées ou nomades, reliaient entre elles les terres d’Innadril, d’Aden et d’Elmore.

Ces routes, longtemps entretenues par ceux qui y voyaient un usage, avaient perdu de leur intérêt et s’étaient changées en chemins de terre à peine reconnaissables. Parfois, une végétation moins dense, un pavé égaré ou quelques branches cassées indiquaient un sentier, qui ne retrouvait son aspect d’antan que de façon sporadique.

Cassius regrettait amèrement la disparition de ces voies de passage, mais sans argent c’était pour lui la seule façon de se rendre d’un point à un autre. Il se fia donc à son sens de l’orientation et traversa les ruines enneigées du plateau de Pavel. Il descendit ses pentes grêlées depuis la vallée des Saints jusqu’à la passe du Diable, et retrouva enfin une route sur laquelle il put marcher plus à son aise. La plupart du temps, il lui avait fallu sortir des sentiers battus, frayer au travers de forêts qui avaient du mettre des décennies à croître, rebrousser chemin plusieurs fois. Il y mit trois jours et trois nuits, mais il parvint enfin aux portes de Goddard.

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Goddard était la jumelle de Schuttgart, hormis la neige. C’était une ville ouvrière au pied de laquelle paissaient paisiblement des troupeaux d’antilopes. Affamé, Cassius eut l’idée saugrenue d’en tuer une pour se nourrir. Mais le dernier des XXXXX avait eu beau pratiquer le braconnage depuis des années, il n’avait encore jamais rencontré un tel animal et au moment où sa hache entamait la cuisse de la bête, il fut surpris par une ruade et reçut un grand coup de sabot qui le laissa plusieurs heures dans un profond sommeil.

Il fut trouvé là, allongé face aux étoiles, par deux badauds qui le dévisagèrent un instant avant de décider quoi faire de lui.
- Jadhen, fit le plus vieux, va en ville voir si tu ne trouves pas un Prenoahy. Demande-lui de venir de ma part.
- Et voilà, songea Jared à voix haute. Les ennuis recommencent.
Les promeneurs alertèrent les Amtaks, les dignitaires de Goddard. Ayant appris qu’un de leurs frères de sang était à terre, ils chevauchèrent en grand nombre jusqu’à la prairie. De sa position allongée, Cassius les voyait cavaler, inquiet, trop nombreux pour son pauvre esprit. Il couvrit ses yeux de ses mains sales.

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Les Amtaks sautèrent de leurs montures. Le Legak échangea quelques politesses avec les curieux avant de demander :
- De qui s’agit-il, mon ami ?
- Aucune idée. Il gisait là à notre arrivée.
Cassius gémissait. Son esprit était embrumé mais son estomac était bien éveillé. Un des Amtaks repéra la bête qu’il avait blessée plus tôt. Sa hache était restée plantée dans la cuisse de l’animal. Il l’abattit d’une flèche et en dépeça un morceau encore chaud qu’il tendit à l’orc affamé. Cassius le dévora, couché sur le côté, sentant chaque bouchée glisser le long de son œsophage. Le Legak se pencha vers Cassius, qui ne le regardait pas, mâchant, bredouillant des propos incohérents. Il lui posa la question en elmoréen, d’un ton obligeant mais ferme :
- Maintenant raconte-moi, qu’est-ce que tu fais ici ? Puis, le considérant un instant : Et que fais-tu dans cette posture ?
Cassius rit machinalement. Les promeneurs lui avaient demandé la même chose peu de temps auparavant.
- Encore un qui veut savoir comment un Orc peut être terrassé par un faon, glissa insidieusement Jared.
- Ils se disent tous différents… mais posent tous les mêmes questions, ajouta Cassius.
Les autres orcs l’observaient, échangeant quelques remarques que le dernier des XXXXX ne saisit pas. Ils se moquaient de lui, à n’en pas douter. Le Legak se tenait toujours à ses côtés, tendant soudain sa main. Cassius eut un mouvement de recul.
- Pas taper !
- Lève-toi, frère !
Devant son air hésitant, le Legak insista. Cassius finit par accepter son aide et il se redressa, pour mieux se retrouver cerné par cinq paire d’yeux qui le scrutaient, l’auscultaient, le jugeaient. Tant de regards qui le mettaient mal à l’aise. Tel un animal, il se réfugia derrière des hautes herbes.
- Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda Jared.
- Trop nombreux… Ils me voient pas si je suis caché…
Son stratagème aurait eu tout lieu de fonctionner s’il avait eu à faire à des bêtes sauvages incapables de raisonner, comme il en avait l’habitude. Mais c’étaient des orcs adultes qui l’interrogeaient, l’un atterré, l’autre pouffant de rire, un autre encore, confus.
- Ne te moque pas d’un frère attardé, Balrog.
- Tu entends ? L’attardé… le fou… c’est ça qu’ils disent tous.
- Tu te comportes comme tel, chuchota Jared. Tu ne veux pas qu’ils te traitent ainsi ? Dis-leur qui tu es, ce que tu as fait… Tu préfères qu’ils te voient comme un fou… ou comme un assassin ?
- JE VEUX PAS QU’ILS ME VOIENT ! hurla Cassius, surgissant de derrière son fourré.
Les autres eurent un moment de panique. L’un d’eux sortit son épée de son fourreau.
- Calme-toi, fit le Legak. Nous ne te ferons pas de mal !
- On dirait qu’il se parle à lui-même…
- Comment tu t’appelles ?
Jared tournait autour de Cassius, le sourire carnassier.
- Dis-le. Dis ton nom. Que crois-tu qu’il va arriver quand ils sauront que tu as tué un semblable ?
Les yeux de Cassius se perdaient de tous côtés, à la recherche d’une chose à laquelle se raccrocher. Il éluda la dernière question.
- Comment on m’appelle ?… Personne ne m’appelle jamais.
Les Amtaks se regardèrent entre eux, haussant les épaules.
- Tu seras donc l’orc sans nom, fit le Legak. Puis, haussant la voix : nous allons y aller. Veux-tu nous accompagner ?
Cassius ricana nerveusement.
- Suis-les, je te dis, je suis certain qu’ils ont déjà préparé ton billot…
- Pas me tuer ici, me tuer plus loin… J’suis pas fou…
Les autres demeurèrent perplexes, s’éloignant peu à peu.
- Il est complètement taré, laissons-le à sa démence !
- Comme si elle était contagieuse, lança Jared, conscient qu’aucun d’eux ne pouvait l’entendre.
- Si jamais tu cherches du réconfort, vient au château de Goddard… Un frère, même malade, est toujours le bienvenue.
Cassius les vit s’éloigner. Un seul s’attarda pour lui montrer un endroit où dormir dans la ville basse, cherchant à comprendre, fouillant l’origine de son mal.
- Tu es vraiment étrange, finit-il par reconnaître.
- Ça ils le disaient déjà… Quand je leur tranchais la tête ils le disaient encore…
Celui-là semblait sincère. Mais avec de telles réponses, il ne pouvait s’empêcher d’être inquiet.
- Bien, tu peux te reposer ici. J’espère que tu trouveras ce que tu cherches… quoi que cela puisse être.
Cassius ne l’entendait déjà plus. Il avait mangé mais demeurait épuisé par le coup de sabot et ces incessants bavardages auxquels il n’était pas habitué. Le dernier des XXXXX, l’orc sans nom, finit par s’endormir sur un tapis de paille dans un coin isolé de la ville basse.
- Oublies Martankus, lui souffla Jared à l’oreille. Oublies tous ces imbéciles. Je suis le seul sur qui tu peux compter…
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Message par Malek » dim. 27 juillet 2008 à 17h35

Cassius demeura plusieurs jours à Goddard, à la frontière de l’Elmore et d’Aden. Il hésitait encore à franchir ce pas qui le couperait à tout jamais de son pays natal, incertain de jamais y revenir un jour. Il vagabondait, entre les commerces de la ville basse, dépensant en nourriture ce qu’il lui restait d’argent.

Un jour où il s’enhardit jusqu’à la ville haute, il entendit des voix aux intonations désagréables. Du coin de l’œil, il vit deux orcs s’en prendre à une humaine, haussant le ton, la giflant violemment. Cette brutalité ranima une vieille douleur dans la poitrine de Cassius, qui préféra se détourner, la tête basse. En voyant cet autre frapper, il se revit pousser Jared, entendit la tête heurter le coin de la pierre, sentit presque l’odeur du sang.

Cassius courut s’asseoir hors de portée des cris, derrière un pilier rongé par les mousses. Ses pensées se mélangeaient dans son crâne tandis qu’il se penchait de façon compulsive d’avant en arrière, cherchant à déloger ces voix de sa tête. Mais les voix ne s’éloignaient pas, au contraire. Deux d’entre elles s’approchaient, parlant plus posément, mais toujours avec rudesse. Le dernier des XXXXX espérait qu’en demeurant là, elles finiraient par s’éloigner, mais ses marmonnements incessants attirèrent l’attention. Deux pieds vinrent s’ancrer devant lui. En levant les yeux, Cassius vit un masque au regard sévère, orné de plumes.
- Frère. Viens voir, dit la voix derrière le masque. Il y a quelqu’un. Il reste assis ici et raconte n’importe quoi.
Un visage vint se joindre au masque. Une face burinée, taillée dans le roc, aux yeux pleins de colère.
- Lève-toi, frère !
Les mots pernicieux de Jared ne se firent pas attendre :
- Comment peut-il te traiter en frère et te donner un ordre en même temps ?
Cassius ne prit pas le temps de répondre, que déjà l’orc au visage abîmé lui saisit le bras pour l’aider à se lever. Le dernier des XXXXX eut un geste soudain de recul, transi de peur.
- Pas taper !
- Personne ne te tapera, voyons, fit-il avec un geste d’apaisement.
Le masque au regard sévère se baissa légèrement.
- Je suis Tselgak du grand Pa’agrio… et je t’ordonne de te lever !
Jared et Cassius eurent un hoquet de rire au même instant. Comme si un titre suffisait à être entendu. Le jeune orc préféra tout de même s’exécuter, jugeant la situation sans risque.
- Qui es-tu ? fit le masque d’une voix sans égard.
Voyant que Cassius hésitait à répondre, l’orc au visage érodé et à l’armure pourpre engagea les présentations.
- Je suis Kajira, officier Amtak. Et voici frère Erysichton.
- Vas-y, murmura Jared. Donne-leur ton nom. Ah oui, j’oubliais. Tu n’en as pas…
- Ils en ont tous un, fit Cassius. Pourquoi ils s’imaginent que j’en ai un aussi ?
- Il est normal d’avoir un nom je crois, répondit Kajira sans envisager que la question ne s’adressait pas à lui.
- Normal… tout n’est pas normal, marmonna l’héritier des XXXXX.
Erysichton, l’orc au masque de Tselgak, perdit patience. Visiblement, il n’était pas d’usage de ne pas lui obéir immédiatement.
- Une nuit en geôle lui fera du bien.
- C’est un frère, il a le droit d’être ici.
- Si j’ai le droit… Je sais pas…
- Bien sûr que non, persifla Jared. Martankus t’a dit de quitter Elmore au plus vite et tu es encore ici… Tu aimes à ce point être houspillé par tes semblables ?
- Beaucoup d’orc trahissent leurs frères, ces temps-ci, fit le Tselgak. S’il ne décline pas son identité, je me méfie.
- Rien ne sert de le brusquer.
- Il n’a pas répondu à Pa’agrio. Cela, je ne le tolère pas.
Cassius émit un grognement d’amusement. Si Pa’agrio lui avait parlé en personne, nul doute qu’il s’en serait souvenu.
- De bons soldats perdent la raison après de nombreuses guerres. Ne soyons pas excessifs.
Le légat au masque jeta un regard froid vers le jeune orc. Il préféra en rester là.
- Comme tu voudras, frère, dit-il en s’éloignant.
Cassius regarda l’orc au masque s’éloigner, tandis que Kajira tendit la main pour lui tapoter l’épaule.
- Tu ne veux pas parler ? Soit. Viens, je t’offre une bière.
Le jeune orc retira son épaule par réflexe.
- Parce qu’il n’a pas de nom ils veulent voir s’il existe, hein ? marmonna Cassius sans s’adresser à personne en particulier.
- Bon… Kajira estima qu’il ne valait pas la peine de trop insister. Rejoins-moi si tu veux une bière, dit-il en désignant un fût sur les marches d’un édifice derrière eux.
Cassius eut un regard vide. Un long dialogue intérieur s’engageait entre lui et Jared :
- Tu leur ferais confiance, et pas moi ? fit ce dernier. Ce sont eux, tes semblables, qui t’ont jugé, et ils te jugeront encore si tu restes ici !
- Et pourquoi je ferais pas confiance, grommela Cassius. Pourquoi ce serait toujours toi ? Son regard se perdit dans la ville. J’ai dormi ici. J’ai mangé ici. Pourquoi je ne boirais pas ici ?
- A ta guise, souffla Jared dans un accès de répugnance. Mais ne viens pas pleurer s’ils s’en prennent à toi. Je t’aurai prévenu.

[ image externe ]

Cassius finit donc par s’asseoir parmi les autres, autour d’un fût bien entamé. La conversation était légère, presque agréable à entendre. Au début silencieux, le jeune orc finit par se laisser aller au jeu social des questions et des réponses, sans pour autant être complètement rassuré. L’absence de Jared, quoique de courte durée, lui pesait déjà.
- Alors… fit Kajira en se tournant vers lui. Tu n’as vraiment pas de nom ?
- Pas de nom… Rien de ce genre…
Cassius prenait garde à la portée de ses paroles. Il ne fallait pas qu’on puisse deviner pourquoi on lui avait ôté son nom.
- Ce n’est pas grave, dit en souriant l’orc au visage buriné. Nous t’en trouverons un.
- Pour un Sans-Nom, on m’en a déjà trouvé beaucoup, songea Cassius à haute voix, repensant à tous les sobriquets dont on l’avait affublé depuis son départ il y a six mois.
- J’imagine…
Cassius tenait sa chope sans y avoir encore touché. Ayant constaté qu’on l’avait servi au même tonneau que tout le monde, il finit par y risquer ses lèvres. Le feu de l’alcool se mélangea avec la douceur du pétillant sur ses papilles, laissant un léger goût acide la base de sa langue qu’il prit le temps de savourer. Kajira lui proposa de l’herbe, que le jeune orc refusa d’un signe de tête. De l’herbe, il en avait vu suffisamment pendant sept ans.
- Dis-moi… fit Kajira en se roulant une feuille à fumer. On aurait dit que tu parlais à quelqu’un, tout à l’heure. A qui ?
Cassius ouvrit de grand yeux inquiets. Il n’imaginait pas qu’on ait pu l’entendre à ce moment-là.
- A personne, mentit-il éhontément. Et d’ailleurs, je ne l’écoute pas. Il a dit "maintenant, débrouilles-toi"…
- Je vois, murmura Kajira tout en allumant son herbe. N’avoir besoin de personne. C’est téméraire.
- C’est pas vraiment ça que je voulais… Ils m’ont tout pris…
- Tu sais, les biens matériels sont inutiles. S’ils ne t’ont pas pris ta famille, c’est l’essentiel…
- Ils ont TOUT pris, coupa Cassius sèchement.
Kajira exhala une bouffée de fumée.
- Et tu n’as rien pu faire ? demanda-t-il en questionnant les yeux du jeune orc. Ils étaient trop nombreux, c’est ça ?
- Oui. Ils étaient Un.
Kajira resta un moment silencieux à regarder Cassius à travers la fumée. Un long moment de silence gêné s’installa. Cassius sortit quelques piécettes de l’intérieur de sa poche et commença à compter.
- Que fais-tu ?
Cassius se contenta de désigner la chope vide, le regard en biais. Il tendit quelques adenas à Kajira qui semblait stupéfait de ce geste.
- Pas d’argent entre frères. Je t’offre ça de bon cœur, va, dit-il avec un clin d’œil.
Cassius demeura interdit, ne sachant comment réagir. Il rangea sa monnaie, presque ému. Kajira les resservit tous les deux et reprit son flot de questions :
- As-tu déjà songé à choisir un nom, au fait ? Tu ne peux pas rester sans…
Le jeune orc haussa les épaules. Le fait était qu’il possédait déjà un nom, mais n’avait jamais pensé à être appelé autrement. Un déluge de saveurs fruitées envahit de nouveau son palais quand il vida sa chope.
- Comment s’appelle cette bière ? demanda-t-il.
- Une bière naine. Fermentée pendant cent ans, il paraît. Son nom est Dal’… Quelque chose. Grizdal’, je crois.
Cassius sourit.
- Grizdal’. Ça me va.
Kajira leva sa coupe pour trinquer.
- Alors à la tienne, Grizdal’.
Cassius ne se retourna à aucun moment. Mais il sentait le regard de Jared peser sur lui de tout son poids, comme un avertissement.
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Message par Malek » jeu. 31 juillet 2008 à 22h20

Kajira et Cassius parlèrent longuement. Ou plutôt, l’orc en armure pourpre parla pour deux. Il riait, fumait, s’amusait, là où Cassius n’en était encore qu’à observer, hésiter, discerner. C’était la plus longue discussion qu’il aie eu avec un frère de sang depuis son éviction du village et celle-ci était sans commune mesure avec ce qu’il entendait d’ordinaire. Ni railleries, ni coup bas. Pour la première fois en sept ans, l’héritier des XXXXX eut l’impression d’être traité en égal.

Ce sentiment s’éteint au retour du Tselgak au masque. Kajira s’inquiétait de ne pas le voir reparaître, se demandant à voix haute :
- Je me demande ce que fais le chamane. Il est parti depuis longtemps, non ?
Cassius ne répondit pas directement, le nez dans sa chope. Il grommela quelque chose qui n’échappa pas aux oreilles de son compagnon de circonstance :
- …Il a le regard méchant.
Kajira tira la dernière bouffée de sa cibiche et l’écrasa soigneusement sur un pavé.
- Il sert simplement notre dieu. Et il y consacre toute son énergie.
- Ça ne le rend pas meilleur pour autant. Et il a ce regard méchant.
- Sa fonction veut ça. Un chamane se doit de rester froid.
- Froid… pour un serviteur du feu… drôle de contradiction.
L’orc au visage buriné ricana.
- C’est vrai, oui. Dis-moi… ajouta-t-il tandis que son visage devenait plus sérieux. Que penses-tu de Pa’agrio ?
- Rien, céda Cassius qui préféra ne plus ouvrir la bouche en voyant que ce seul mot avait semblé mettre son interlocuteur dans l’embarras.
Il se passa un moment sans que l’un ni l’autre ne dise rien. Lorsque la silhouette d’Erysichton se dessina en haut des marches, Cassius estima ce moment trop court. Le Tselgak marcha droit vers Kajira, ignorant le jeune orc, ne lui adressant même pas la parole :
- Alors, fit-il d’un ton cassant. Tu as obtenu quelque chose de lui ?
Le cœur de Cassius fit un bond dans sa poitrine. Jared n’était pas là, mais il sut instantanément ce qu’il aurait dit :
- Tu vois, je t’avais prévenu… Ils ne sont tes amis que pour te soutirer quelque chose… Voilà comment la confiance se monnaye…
- Il s’appelle Grizdal’, répondit Kajira sans prêter attention aux angoisses du jeune XXXXX.
- Grizdal’ ? Vraiment ?
- C’est lui qui a choisi ce nom, fit Kajira en haussant les épaules. Puis, s’adressant à Cassius sur le ton de la confidence : Parle-lui de Pa’agrio, que notre frère t’éclaire sur lui…
Les narines de Cassius frémirent. Cette conversation prenait de plus en plus des allures de conspiration. Intérieurement, il entendait le rire de Jared. Erysichton attendait les explications de la bouche même du jeune orc.
- Pa’agrio… finit-il par lâcher. Il m’ignore et je l’ignore. Et tout est comme ça.
Le masque ne dissimula pas la colère contenue. Les articulations du Tselgak émirent un bruit de craquement lorsqu’il joignit ses mains. Kajira préféra ne pas intervenir.
- De un, Pa’agrio n’ignore aucun de ses fils. Ni les traîtres pour les châtier. De deux, tu viens de dire ceci devant un Tselgak nommé par le premier chamane d’Elmore… De trois, un orc qui ignore Pa’agrio fait honte au principe même de la ferveur. Expliques-toi. Et expliques-toi bien, dit-il tandis que ses doigts ankylosés revenaient le long de son corps.
- Rien à expliquer, hoqueta Cassius. Je suis un oublié.
La rage de Pa’agrio se manifesta par la voix du masque :
- PA’AGRIO N’IGNORE ET N’OUBLIE PERSONNE !
Kajira s’interposa à peine, conscient que la patience du Tselgak avait atteint ses limites. Cassius s’était rassis, prostré, respirant si fort que l’air lui lacérait les poumons.
- Ignorer personne… c’est pourtant le cas… Il ne me voit pas et je ne le vois pas…
- Grizdal’, fit Kajira d’une voix tempérée, la situation exige que tu nous en dises plus à ton sujet… sinon tu seras enfermé.
- Voilà donc la raison, souffla Jared aux oreilles du jeune orc qui ne put s’empêcher de sursauter. Ils veulent te faire avouer ton crime. Ils veulent savoir qui tu es vraiment. Ils recherchent en toi l’assassin, LE TRAÎTRE ! Dis-leur ce que tu as fait !
- Pas le dire… Sinon ce sera pire…
- Pire que la prison ? J’en doute, suggéra l’orc au visage raboté.
Erysichton n’en était plus aux arguments. Il appela les gardes et ordonna que l’on jette Cassius dans les geôles du château, sous le regard neutre de Kajira.

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- Frère…
- Trop tard. Il s’expliquera sous la torture, ou sera déclaré Morgrul.
Cassius eut un rire nerveux. Morgrul. Cela signifiait être jugé en traître. En infidèle. En créature indigne de porter le nom même d’orc. Tout cela, il l’avait déjà vécu, déjà entendu. Ce vieux caillou de Martankus avait raison : nulle part il ne serait accueilli en Elmore tant qu’il ne se serait pas racheté. Son rire se changea en larmes et il s’effondra en chemin, à la sortie de la ville basse, le regard implorant.
- Ne me reproche rien, dit Jared en marchant autour de lui. C’est toi qui as voulu rester. Mon père me parlait de ces séances de torture où les détenus étaient soumis à la "question". Tous avouaient. Et moi je suis curieux de voir leurs réactions au moment où tu confesseras m’avoir tué et exécuté tant de frères… Le sourire de Jared s’élargit encore : Ta tâche de bourreau ne te vaudra aucune remise de peine, je peux même jurer du contraire.
- C’étaient toujours eux qui venaient…
- …Te demander de jouer les exécuteurs ? Peut-être, mais avais-tu seulement le droit de prétendre à ce titre ? Tu n’étais pas un représentant de la justice, seulement un orc en colère avec une HACHE ! Les âmes de tes victimes ont fini par pourrir de t’avoir tant supplié… En empêchant leurs âmes de s’échapper par leur bouche, tu as fait plus que les exécuter, tu leur a ôté leur dernier combat, ce sont leurs yeux qui vont t’accueillir dans la mort…
- Debout, impie !
- Ils me voient en entier par la bouche, marmonna Cassius sans se soucier des paroles du Tselgak.
Les gardes cernaient le jeune orc, hésitant à le faire se lever. Erysichton lui-même pensait en son for intérieur : c’est un fou, et pour la première fois sembla éprouver quelque compassion à son égard.
- Il raconte n’importe quoi… Puis, à Kajira : N’y a-t-il pas un Vorkonlok ici ce soir ?
- Un guérisseur ? Je ne crois pas, non.
- Il a blasphémé… Je devrai l’enfermer… les yeux derrière le masque cherchaient une once de lucidité dans le regard de Cassius. Mais il reste un frère.
- Je suis sûr qu’il ne pense pas la moitié de ce qu’il dit. C’est pour ça que je voudrai lui parler. En apprendre plus sur lui.
- Soit, céda le Tselgak en retrouvant son aplomb. En attendant qu’il retrouve ses esprits, il sera consigné à Goddard. Dix gardes veilleront sur lui jour et nuit. Et toi, ajouta-t-il en se penchant vers Cassius, tu as intérêt à réfléchir à ce que tu me diras, à l’aube. Je ne tolérerai pas qu’on manque de respect envers moi ou Pa’agrio.
Mais Cassius ne l’entendait déjà plus. Il se répétait, inlassablement :
- …Plus sa place ici… doit quitter Elmore… quitter Elmore…

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Cassius demeura donc à Goddard une nuit de plus. Le lendemain, le légat au masque ne se présenta pas et il déambula toute la journée dans la ville basse, tiraillé entre deux autorités : celle de Martankus qui lui avait ordonné de quitter le pays, et celle du Tselgak, qui le forçait à y rester. Au hasard de ses pérégrinations, il croisa Kajira, apprêté pour la chasse. L’orc au visage meurtri voulut s’enquérir de sa rencontre avec le Tselgak :
- As-tu revu Erysichton ?
- L’ai pas revu… Aurait pas eu envie de toutes façons.
- Il faudra bien que tu lui reparles, fit Kajira en se frottant le menton couvert de minuscules cicatrices que Cassius n’avait pas remarqué auparavant. Prends ton mal en patience.
- Peux pas… doit quitter la ville… quitter Elmore.
Kajira se renfrogna légèrement.
- Tu sais bien que non. Et puis l’Elmore est notre terre. Personne ne peux t’en chasser.
Cassius eut un rictus inquiétant.
- Et pourtant, il l’a fait, fit-il à voix basse, songeant à l’ancêtre au visage de pierre. Si je reste, je suis prisonnier. Si je pars, je suis prisonnier. Enfermé dedans ou enfermé dehors… C’est pareil.
Kajira secoua la tête.
- Tu dois accepter ton sort, c’est tout… Puis, après une seconde : Je dois te laisser, à présent. Prends soin de toi.
Cassius resta planté sur place, au milieu du passage.
- Tu l’as entendu, murmura Jared en s’approchant au plus près du jeune orc. Tu dois accepter ta destinée. Pars. Quitte Elmore et n’y reviens jamais, ce n’est pas ça que t’a dit Martankus ?
- Si je pars… Qu’est-ce qu’il va se passer ?
- Et que va-t-il se passer selon toi, si tu restes ici ? Réfléchis un peu, articula Jared en tapant du doigt sur le front de Cassius. Au mieux, ils te prendront pour un fou et tu seras chassé. Au pire, tu seras déclaré Morgrul et tu seras banni. Crois-tu vraiment que ça vaille le coup d’attendre une sentence qui t’a déjà été infligée ?
Les yeux de Cassius roulèrent de gauche à droite, cherchant une alternative. Mais il n’en voyait aucune. Rester, c’était prendre le risque d’être puni deux fois. Peut-être même d’être exécuté pour hérésie si les mots qui sortaient de sa bouche ne plaisaient pas au Tselgak.
- Les gardes… marmonna Cassius.
Jared sourit comme un chat s’apprêtant à dévorer un rat.
- Ne t’occupe pas des gardes, fit-il d’une voix acerbe. Vas près de la porte ouest. Je m’en charge.
Cassius sourit à son tour, mais sans complaisance.

Le jeune orc battait le pavé à quelques pas de la porte, assidûment surveillé par plusieurs garde-chiourme. Son esprit se demandait si Jared n’allait pas encore lui jouer quelque mauvais tour. Plusieurs minutes s’écoulèrent quand un grand craquement se fit entendre, ameutant la foule. Une charrette qui acheminait un chargement de potirons brisa son essieu, déversant son lot de cucurbitacées. La populace s’amassa aussitôt pour rattraper, ça et là, les fruits qui roulaient en tous sens. Les gardes n’eurent qu’un instant d’inattention. A peine une poignée de secondes.

Quand ils se retournèrent, l’orc répondant au nom de Grizdal’ avait disparu.
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Message par Malek » sam. 11 octobre 2008 à 18h12

Le premier contact avec les habitants du monde d’Aden ne fut pas des plus tendres.

Cassius arriva au village des Trappeurs, où ses talents de pisteur et de braconnier lui valurent une certaine reconnaissance. Du moins le croyait-il.

Il ramenait chaque jour quelques levreaux, perdrix, elpys qu’il dépeçait et revendait à ceux qui en avaient besoin. En échange, on lui louait le gîte, le couvert, quelque bière naine. Jared avait raison : les incapables se reposaient toujours sur ceux qui savaient faire quelque chose de leurs mains. Cassius y demeura tout l’automne ; on finit par le reconnaître, par le saluer, parfois lui demander de menus services. Le jeune orc ne se rendait pas compte que sa présence gênait quelques chasseurs locaux, pour qui la saison n’avait pas été aussi bonne.
- Cet orc dépouille nos terres, disait l’un tandis que Cassius revenait sa besace pleine. Chaque animal qu’il ramène est un peu moins de revenus pour nos familles. Il n’a rien à faire céans.
Quelques autres acquiesçaient, le nez dans leur chope.
- C’est un vagabond, fulminait leur chef. Il ne paie pas de taxes, ne cultive pas de terre…
- Il se contente de peler et de revendre son gibier, ajouta un autre. Il n’a qu’une bouche à nourrir et dépense tout le reste pour s’acheter de meilleurs outils. Nous, avec nos femmes et nos enfants, nous devrions nous serrer la ceinture pour qu’il puisse vivre ?
Des grondements de protestations se soulevaient de toute la tablée. Ils se turent quand la porte de la taverne s’ouvrit pour laisser entrer quelque gars du pays.
- Il est temps de faire quelque chose, reprit le chef d’un ton plus mesuré. L’hiver sera rude et sec. Il n’y aura pas assez de battue pour tout le monde s’il continue à nous couper l’herbe sous le pied.
Les autres hochèrent la tête en silence.

[ image externe ]

Quelques jours plus tard à l’orée des bois, Cassius posait des pièges pour les loups à cornette qui rôdaient dans les parages. Les autres chasseurs l’y virent et s’approchèrent de lui, peu sûrs d’eux.
- Orc, fit le plus grand. Nous avons à parler.
Cassius se redressa, prêt à écouter, une main sur sa hache.
- Nous chassons ici depuis longtemps. La nourriture vient à manquer et nous avons un problème…
Le regard des autres était fuyant. Cassius n’y prêta pas attention.
- Il nous faut nous serrer les coudes. Veux-tu chasser avec nous ?
Ni Cassius ni Jared ne s’attendaient à cela. Ils restèrent un instant interdits ; le jeune orc hésita :
- Chasser ensemble ?
- Tu es un bon chasseur, et nous aussi. Ensemble, nous pourrions nous en prendre à du gibier plus important. Veux-tu venir avec nous ?
Jared jubilait.
- Tu vois, vieux débris ! Les gens ont toujours besoin d’aide, même dans leur propre domaine… Sont-ils si faibles qu’ils doivent faire appel à un tueur pour apprendre à tuer ?
L’insolent riait en silence aux oreilles de l’orc. Cassius considéra la proposition. S’il devait trouver sa place en Aden, le rôle de trappeur lui conviendrait parfaitement. Il hocha la tête en grognant pour donner son accord.
- Bien ! fit le chef de la troupe. Alors suis-nous, à l’écart. Il y a là quelque grosse bête que nous aimerions tuer…
Cassius les suivit après avoir armé ses pièges. Pour la première fois en sept ans, il se sentit l’impression d’appartenir à quelque chose, de faire partie d’un groupe. Ils marchèrent longtemps, sans bruit. Parfois, l’un ou l’autre posait des questions : d’où venait-il ? Avait-il de la famille ? Des amis ? Autant de questions auxquelles Cassius répondait de façon laconique, quand il pouvait y répondre.

Ils arrivèrent au sommet d’une colline, près de vestiges dessinant l’entrée de catacombes oubliées. La plaine s’étendait à perte de vue. Pourtant, Cassius n’avait relevé aucune empreinte signalant la présence de quelque animal que ce soit. Ils stoppèrent un instant, avec pour seul murmure celui du vent dans les feuilles.
- Qu’est-ce que nous chassons ? demanda Cassius, les yeux plongé sur la plaine.
- C’est un animal un peu particulier, dit le chef dans son dos. Grand, et dangereux pour nos familles.
Il fit une légère pause.
- Aujourd’hui, nous chassons l’orc.
- Piégé ! vociféra Jared, mi-amusé, mi-inquiet.
Cassius fit volte-face. Une demi-douzaine de chasseurs le tenaient en joue, armes aux poings. Le temps qu’il atteigne sa hache, le jeune orc serait criblé de flèches.
- Demande-moi, lui souffla Jared, cynique. Demande-moi de l’aide. Sinon, je ne ferai rien.
Cassius n’envisageait pas d’autre alternative.
- Aide-moi… implora-t-il tout bas.
Le sourire de Jared se fit carnassier. Il ramassa une branche et brisa violemment la jambe d’un des chasseurs. Le coup fut si brutal que celui-ci se courba et décocha sa flèche dans le pied de son voisin. Ils hurlèrent de douleur. Cassius profita de la confusion pour saisir son coutelas à la ceinture. Le quatrième, voyant ses compagnons mal en point, leva son épée et chargea. L’orc lança son couteau de chasse si fort qu’il lui transperça le cœur et forma un ergot dans son dos. Puis il se mit à courir.

La traque dura des heures. Les trois chasseurs valides le pistèrent dans la plaine, les hautes herbes, à travers la rivière, jusque dans la passe de la Mort. Cassius interrompit la course de l’un d’eux en tendant fil de pêche entre deux arbres, lui arrachant presque la tête. Un autre piétina la queue d’un basilic et termina en hors-d'œuvre.

La battue les conduit en haut d’une falaise. Acculé contre le vide, Cassius dut se résoudre à lutter pour sa vie. Le chasseur et sa proie se saisirent mutuellement, frappèrent, mordirent la poussière. Ils combattirent longtemps, jusqu’à ce que le jeune orc attrape l’homme à la gorge. Il le souleva, à bout de bras et à bout de forces, au-dessus du précipice.

On dit qu’à l’approche de la mort, les paroles d’un homme font office de vérité. Le dernier chasseur eut tôt fait de le constater.
- Lâche-moi…
- Accordé.
Et il libéra son emprise.

Cassius demeura là un long moment, face au vide et au silence. Le soleil se couchait derrière les montagnes, emportant avec lui les derniers souffles du jour. Quelque part au sud, une ville bourdonnait d’habitants pressés d’aller se coucher. Cassius ramassa sa hache et se remit en route.

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