Myrfanwy et Tyralith Tana'Iym

[Myrfanwy]

C’était une nuit propice. Une nuit de pleine lune. Xullrae Tana’Iym le savait parfaitement. Qilue sur ses talons, elle se dirigeait vers l’Autel des Rites où son peuple rendait depuis des temps immémoriaux hommage au culte de Shilen et où l’attendait Istolil Dhuunyl. Le drow ambitieux n’avait pas hésité une seconde à répondre à son appel.
Istolil eu du mal à dissimuler sa surprise en voyant Qilue. Les choses lui apparurent plus complexes que ce qu’il l’avait d’abord cru. Peu de paroles furent échangées cette nuit-là. Xullrae but une potion orangée et en donna une autre, bleu-argentée, à sa sœur, qui l’avala sans se poser de question. Puis, ensemble, elles donnèrent une troisième potion, jaune cette fois-ci, à Istolil qui la but également. L’euphorie le gagna rapidement. Il se sentait plein de vigueur et les femmes lui faisaient des avances qu’il ne pouvait guère refuser. En fait, il n’en avait même pas l’idée. Il fit ce qu’on attendait de lui. Il les prit l’une après l’autre.
Au petit matin, son corps écorché avait été offert à la déesse.

Quelques mois plus tard, naquit à Qilue un petit garçon tandis que Xullrae donnait le jour à une petite drow. L’un fut appelé Tyralith, l’autre Myrfanwy. Ils grandirent ensemble.
Myrfanwy apprenait les idéologies de son peuple, ainsi que les tenants et les aboutissants de la politique en vigueur parmi les drows. Tyralith apprenait comment la protéger et devenir son ombre.
Pour leur trentième anniversaire, Xullrae et Qilue commandèrent deux épées jumelles pour Tyralith. Elles les lui firent voir. Mais elles les exposèrent aux murs des demeures plutôt que de les lui confier ; lui expliquant qu’il ne pourrait les prendre que quand il aurait fait ses preuves. On célébra une cérémonie avec ces épées au cours de laquelle on versa du sang de Myrfanwy sur chacune des lames. Aucun d’eux ne le savait mais le rituel complexe scellait un sort qui empêcherait à jamais Tyralith de frapper Myrfanwy.
Les deux sœurs avaient décidé de cette précaution quand elles avaient remarqué l’attrait qu’avait Tyralith à persécuter et à torturer Myrfanwy, laquelle, loin de se laisser faire, lui rendait méchanceté pour méchanceté et humiliation pour humiliation. Les deux jeunes drows se haïssaient. Mais ils n’avaient guère le choix et devaient se supporter à chaque instant de leur existence. On ne leur permettait pas de se séparer, allant jusqu’à les faire dormir dans la même pièce.
Un jour, sans qu’on comprenne pour quelle raison ni comment, Myrfanwy disparut.

[Myrfanwy]

Tout d’abord, Tyralith fut soulagé, et même ravi, de sa disparition. Enfin, il pouvait prendre la place qui était la sienne, celle qu’Elle avait usurpée depuis toujours ! Plus personne ne s’élevait entre lui et la famille. Il ne regretta qu’une seule chose. N’avoir pas pu se débarrasser d’elle lui-même. Les jours passant, ce regret s’accentua et finit par l’obséder. Au fond de lui, il sentait qu’Elle était toujours en vie. Il n’était pas trop tard pour remédier à cela. Xullrae le fit appeler.

- Si tu retrouves Myrfanwy, tu auras enfin le privilège immense de porter ces épées, lui dit-elle, désignant les armes jumelles qui ornaient le mur de la salle d’audience. Tu auras prouvé ta valeur.
Tyralith serra les poings. Il devait encore agir en fonction d’Elle ! Même absente elle ne lui causait que tourments. Mais l’idée germa en lui qu’avec ces épées, il n’aurait aucun mal à tuer Myrfanwy. Il savourait aussi l’ironie d’enfoncer dans son cœur la récompense qu’il aurait obtenue pour l’avoir retrouvée. Vraiment, elle ne lui gâcherait plus très longtemps l’existence.
Il se mit à sa recherche.

[Myrfanwy]

Myrfanwy s’était enfuie. Elle s’intéressait à beaucoup de choses, mais on lui en proposait si peu. Elle avait réfléchi longuement quand Xullrae lui avait parlé des enseignements de Shilen. Mais elle ne se voyait pas enfermée si jeune dans un temple. C’était l’idée qu’elle se faisait de la voie de la Déesse. Elle voulait découvrir le monde. Et Il l’en empêchait. Toujours sur ses traces. Elle emmena avec elle dans un grand sac tous les livres traitant de la prêtrise qu’on lui avait remis et quelques vêtements. Elle hésita un moment devant la salle d’audience avant de partir. Puis finalement, trouvant l’idée à son goût, elle entra et échangea les épées au mur contre d’autres qui leur ressemblaient assez pour qu’on ne remarquât pas qu’il ne s’agissait pas des mêmes, à moins de s’en approcher très près et de les prendre en main.
Elle se sentait libre, enfin, sans Tyralith derrière elle à guetter le moindre de ses faux pas pour mieux la pousser. Elle s’avoua que c’était surtout Lui qu’elle fuyait. Si elle ne se débarrassait pas de Lui, elle ne pourrait jamais rien connaître du monde autour d’elle.
Et elle était bien décidée à le découvrir.

[Myrfanwy]

La première chose qu’elle découvrit était que les terres étaient immenses. Sa première rencontre avec un sombre, Naërith, la mit en garde contre les dangers du monde qu’il connaissait : les Kamaels et les Vampires. Lui-même en avait rencontré. Ils se revirent plusieurs fois et il sembla naître quelque chose entre eux, que Myrfanwy parvint finalement à qualifier d’amitié. Est-ce qu’elle se trompait ?
Il l’avait bien conseillée sur cette rencontre étrange qu’elle avait faite. Sans s’en douter, elle avait engagé la conversation avec un de ces vampires, lequel, loin de paraître le monstre assoiffé de sang qu’on lui avait dépeint, s’était avéré courtois, intelligent et prompt au discours. Sa compagnie s’était révélée plus que plaisante. Etait-elle amoureuse de Yui comme on le lui fit comprendre ?
C’est perdue dans ces réflexions, consciente du danger qu’il représentait pour elle, se demandant où la mèneraient ces sentiments, qu’elle fit la connaissance d’autres drows, lesquels l’adoptèrent malgré des débuts difficiles. Elle devait prendre une décision concernant Yui, il ne mettait pas que sa vie en danger, mais aussi sa spiritualité. Et pourtant, il ne l’avait jamais touchée…

Plus elle cherchait de renseignements sur les vampires, plus elle trouvait de choses contradictoires. Les rares livres faisant état de connaissances sur eux lui paraissaient insipides et elle en savait plus… Yui la trouva dans la bibliothèque et lui demanda si elle envisageait d’écrire un livre au sujet des vampires. Ne voulant pas le mettre en danger en révélant de possibles points faibles, elle n’en avait même pas eu l’idée. Elle se sentait piégée face à lui. Ses sentiments la rattrapaient dès qu’elle voyait son visage. Elle se sentait faible et cela l’affolait. Elle s’ouvrit à lui, évitant d’en dire trop.
- Je ne sais pas lequel de nous deux est le plus en danger, lui répond-il.
- Que voulez-vous dire ?
- Je veux dire que je suis en train de tomber…
Un lourd silence s’installa entre eux. Myrfanwy chercha ses yeux à travers son masque. Elle brisa finalement le silence, tentant de maîtriser sa voix.
- J’ai peur de comprendre… Et j’ai peur de me tromper…
- Que faisons-nous alors ?
Perdue, elle se tenait recroquevillée contre une étagère, les bras autour de ses genoux. Elle n’en savait rien. Que devaient-ils faire ? Qu’est-ce que cela impliquait pour elle ? Pour lui ?
- J’aimerais pouvoir vous réconforter et vous serrez dans mes bras. Mais je ne peux pas.
Ces mots déclenchèrent en elle une véritable torture. Elle aurait aimé se blottir dans ses bras, s’y réfugier, laisser parler l’élan de son cœur. Mais elle ne pouvait pas. Silencieusement, elle le supplia du regard de braver cet obstacle. Mais il devait déjà partir.
- La faim m’appelle. Sachez seulement que je vous obéirais en tout.

[Myrfanwy]

Elle choisit finalement de rester seule et renonça au groupement des siens, lequel connaissait des difficultés internes dont elle ne comprenait pas tout. Elle sentait en elle que rester près d’eux leur causerait des problèmes tôt ou tard. Elle se contenterait désormais de rares discussions avec certains d’entre eux.

Elle ne pouvait en revanche s’éloigner de Yui. Elle était attirée par lui. Entendre sa voix au détour d’une ruelle détournait ses pas. C’est ainsi qu’elle le retrouva un soir, penché sur un nain ivre, cuvant sa bière allongé sur le sol. Ils discutèrent un moment avant que Yui ne se laisse aller à l’idée de boire le sang du nain, goûtant ainsi à l’ivresse dont il ne connaissait rien. Mais alors qu’il défaisait le gant du nain, celui-ci, se sentant sans doute en danger, se releva et se mit à les traiter de voleurs. Yui lui rendit son gant, lui expliquant qu’il souhaitait seulement connaitre un peu les effets de l’alcool. A quoi le nain leur proposa d’aller ensemble dans une taverne. Ils acceptèrent mais furent séparés durant le trajet, d’une façon un peu mystérieuse.

Une autre occasion s’offrit à Myrfanwy d’en savoir plus sur les vampires. Elle rencontra deux femmes, une drow et une humaine, qui portaient des masques et acceptèrent de discuter avec elle en échange de son sang. Si voir couler son sang ne lui faisait aucun effet, l’idée d’être touchée la réjouissait moins, mais elle y consentit tout de même. Malheureusement, une naine entêtée les suivit, bien décidée à goûter du thé rouge, qu’on lui avait pourtant promis pour une autre fois. La présence non loin d’un humain semblant suivre la naine acheva là la conversation à peine entamée, laissant une Myrfanwy déçue.

Enfin, un jour, elle revit Yui dans Giran, discutant avec quelques drows. Sans vraiment s’occuper de ce qui se passait, elle s’approcha, ne voyant que lui. Ils se retrouvèrent à discuter seuls lorsqu’un humain vint tenter de voler la bourse de Yui. Myrfanwy se dit qu’elle allait enfin assister à un des mystérieux repas de Yui. L’humain se laissa entraîner à l’écart, Yui lui faisant miroiter le contenu d’une bourse plus intéressante. Quand il comprit ce que Yui attendait en échange de l’argent, l’humain s’enfuit en courant, le vampire et la sombre sur les talons, à travers tout Giran.

- Un vampire !
- Au voleur !

Finalement, un autre humain, arc à la main, s’interposa, s’en prenant à Myrfanwy d’une flèche tirée dans son dos alors qu’elle courait après Yui pour l’observer malgré les sommations du second humain.

Elle revint vers la place de la ville après avoir retiré la flèche de la blessure, marchant avec difficultés. Mais elle savait endurer les souffrances. Elle n’avait pas vécu pendant des années avec Tyralith à ses côtés à chaque instant sans développer son instinct de survie et une résistance étonnante à la douleur. La voyant en sang, un drow voulut l’aider mais ses cris quand il l’approcha le dissuadèrent de la toucher. Il l’aida de son mieux malgré tout.

Elle attendit d’être seule pour se relever et se mettre à la recherche de Yui. Elle passa devant l’humaine vampire sans la voir, uniquement concentrée sur ses pas et sur sa blessure. Oui, un peu de repos et cela irait. Au pied de l’escalier, elle retrouva l’aveugle sombre qui avait quitté les siens pour des divergences dont elle ne saisissait pas tout. Il n’avait pas l’air en meilleure forme qu’elle. Un autre sombre était présent et elle se rappela l’avoir aperçu avec Yui un peu plus tôt. Avant l’humain. Avant la poursuite. Avant la flèche. Elle décida de rester par ici, se disant qu’il reviendrait bien. Du reste, elle avait besoin d’un peu de repos. Elle s’assit sur les marches, qu’elle ne se sentait pas la force de gravir. L’aveugle lui donna un petit fruit noir, lui expliquant qu’une petite dose la ferait dormir, tandis que le fruit entier l’emmènerait bien loin. Elle comprenait très bien de quoi il retournait, aussi rangea-t-elle le fruit, surprise d’entrer en possession de ça, mais bien décidée à ne pas en faire usage, ayant bien trop peur de ce qui pouvait se révéler sans le moindre contrôle.


Peu de temps après, Yui revint vers eux, attirant l’attention d’un troisième sombre. Voyant Myrfanwy en piteux état, le vampire ne se perdit pas en explication sur ce qui les avait séparés.
- Qui vous a fait cela ?
- L’humain qui était avec le voleur, commença Myrfanwy.
- Il est mort, déclara Yui avant de repartir à la recherche de ce second humain.
- Ca a au moins le mérite d’être clair, glissa Shiloh, l’aveugle, à Myrfanwy, qui regardait Yui s’éloigner, sans être certaine de suivre ce qu’il se passait.

Le nouveau drow demanda à Myrfanwy si elle connaissait le vampire. Shiloh ne lui laissa pas le temps de répondre, s’insurgeant contre la curiosité visiblement mal venue du mâle.

- Nous nous reverrons, dit-il à la sombre avant de s’éloigner à la suite de Yui.
- Le vampire a dit que vous lui étiez chère, argua celui qu’elle avait déjà vu avec Yui, la mettant encore plus sur ses gardes que la remarque de Shiloh.

Yui mit peu de temps à revenir avec l’humain, avec lequel il semblait avoir eu une explication plutôt musclée. L’humain fut contraint de se mettre à genoux, ce qu’il ne put faire que face contre terre et de présenter des excuses à Myrfanwy. Ayant envie d’en finir, elle expédia cette cérémonie ridicule, écœurée par cet humain tout juste capable d’articuler encore son nom et s’éloigna en compagnie de Yui.

Enfin au calme, ils se présentèrent des excuses pour leurs négligences respectives. Elle esquissa un geste vers lui mais ne put l’achever. Sa main retomba lentement le long de son corps. L’aidant, il approcha doucement les mains de son visage. Elle ferma les yeux, ne voulant pas fuir. Elle lutta contre son instinct, contre la voix insidieuse dans son esprit, et malgré sa peur, elle ne recula pas au contact froid de ses mains sur ses joues.

En revanche, Myrfanwy ne put plus ignorer les mots déferlant sur elle quand il déposa un baiser sur ses lèvres et se dégagea malgré elle.

- Je suis désolé.
- C’est à moi de l’être. J’aimerais tellement… Mais je n’ai pas… le droit… acheva-t-elle dans un murmure.

Interloqué par cette révélation, il lui conseilla d’aller se reposer, ce qu’elle fit, sachant bien qu’elle en avait besoin.

[Myrfanwy]

Myrfanwy se sentait mieux. La blessure ne saignait plus. Elle avait changé le pansement et se promenait maintenant dans Giran, marchant avec précaution mais la fatigue avait quitté ses traits. Yui était là. Discutant des événements récents, ils ne prirent pas garde au voleur, qui trainait encore dans les parages, mais lui ne manqua pas de les remarquer. Il vint les provoquer, lassant la sombre par son babillage incessant et inintéressant. Elle se proposa pour se montrer autrement plus désagréable que les crocs de vampire de Yui, ce qui lui aurait fourni un grand plaisir par ailleurs, ayant grand besoin de se défouler.

Se moquant d’elle, l’imbécile lui jeta une pièce.

- Viens donc me retrouver ce soir dans ma chambre, nous verrons ce qu’on peut faire avec une jolie dame.

Attrapant la pièce au vol et folle de rage, elle s’avança sur lui pas décidé. Il eut beau tenter de fuir, elle lui enfonça son poing dans la bouche et lâcha l’Adena au fond de sa gorge, espérant bien qu’il s’étouffe avec. Elle s’éloigna en titubant, blême et tremblante. Elle ne suivait pas ce qui se passait mais Yui derrière elle avait décidé d’étriper l’humain, en pleine place publique. Les gardes intervinrent, voulant les emmener tous les deux. Se retournant, Myrfanwy se précipita pour s’accrocher au bras de Yui comme à une ruine de bateau à la dérive, rouvrant dans son geste la blessure, mais ne s’en rendant pas compte, complètement perturbée. Elle désigna l’humain du doigt et accusa :

- C’est lui qui m’a traitée de putain.
- Il m’a volé et a insulté cette dame, renchérit Yui.
- C’est un vampire qui a voulu me manger !

Yui se laissa emmener après avoir confié Myrfanwy aux soins de Nylan, un autre vampire qu’il lui avait déjà présenté et qui arrivait justement en compagnie d’un drow quelconque de plus. Ce dernier prononça le nom de Sazkya, tirant Myrfanwy un instant de son hébétude, ayant déjà entendu ce nom. Elle ne fut pas la seule interpelée. L’humaine vampire y réagit aussi en l’entendant alors qu’elle passait sur la place. Elle l’entraîna à l’écart, parlant d’errants, ce que Myrfanwy ne comprit pas.

Nylan l’avait à son tour confiée à une humaine présente sur les lieux pour aller prêter main forte à Yui. Se ressaisissant finalement, Myrfanwy se dirigea vers l’endroit où avait disparu Yui, la femme la suivant de près, prenant à cœur ce que lui avait demandé Nylan. Elle les retrouva à la sortie de la ville, se séparant, les gardes emmenant l’humain, Nylan et Yui restant en arrière.

S’imposant, Nylan la soigna. Elle le laissa faire en retenant les cris qui montaient à sa gorge, s’interdisant de fuir, sachant parfaitement que seule, elle ne parviendrait pas à un résultat satisfaisant. Puis Nylan se retira, les laissant seuls.

Myrfanwy ne se rappelait même plus ce qu’elle avait fait. Elle fut ravie d’apprendre qu’elle avait manqué étouffer l’humain avec sa pièce infâme. Il devait mourir, pour l’avoir forcée à le toucher.

- Quand je vous ai vue accrochée à mon bras, j’ai compris que cela n’allait pas. Et je ne savais pas quoi faire.
- Je… je n’ai pas fait cela ?
Elle paniquait à présent.
- Pas vous… Non, l’humain peut bien mourir, mais pas vous…

Elle essaya d’en dire plus, mais pas un son ne franchissait ses lèvres. Pour l’aider, Yui lui posa des questions, mais il ne put rien en apprendre : elle n’était pas victime d’une malédiction ni rien de tel.

Yui renonçait quand l’humain les interrompit. S’étant libéré des gardes sans qu’on sache comment, il revenait donner une partie de l’argent qu’il avait pris à Yui. Ils discutèrent un moment puis Yui déclara que finalement, il n’était peut-être pas utile de le tuer.

- Alors Il s’en chargera, déclara Myrfanwy sans y penser.
- Qui cela ? demanda l’humain.
- Mon frère, échappa Myrfanwy avant même de pouvoir le retenir.

Yui la regarda, visiblement surpris qu’elle puisse parler ainsi, alors qu’elle n’y parvenait pas un instant plus tôt.

- Et pour quelle raison ?
- Pour m’avoir forcée à vous toucher.
- Un possessif hein ?

Elle ne répondit pas. Son regard se perdit sur les pavés, serrant les dents, ayant presque envie de frapper cet humain.

- Je me demande ce qu’il dira si c’est lui qui vous touche, ajouta sournoisement l’humain en s’éloignant.

Puis revenant sur ses pas, il demanda à Yui son nom, avant de partir pour de bon. Elle pouvait à présent mettre un nom sur ce visage humain : Natael l’acrobate.

Restés seuls, ils se regardèrent un instant sans rien dire. Yui semblait gêné. Ou peut-être ne savait-il pas quoi dire.

- Qui est votre frère ?
- Tyralith. Je vous en avais déjà parlé lors de notre première rencontre.

Yui se souvenait. Mais il ne le craignait pas.

- Il est trop tard maintenant, n’est-ce pas ?
- Cela dépend pour quoi.
- Pour revenir en arrière.

Elle avança la main vers lui, hésitante, timide. Myrfanwy la retira, ne pouvant achever son geste.

- Prenez-moi dans vos bras, lui demanda-t-elle.

Ce qu’il fit. Ils restèrent ainsi un bon moment, sans rien dire. Puis elle rentra se reposer, ayant besoin de dormir.

[Myrfanwy]

Myrfanwy allait mieux, mais elle bougeait avec précaution, n’ayant nulle envie de rouvrir inutilement la plaie. Yui la retrouva assise sur les marches de l’église et ils échangèrent quelques mots avant qu’un sombre ne vienne se joindre à eux.
Il parlait avec familiarité à Yui, comme s’ils se connaissaient depuis toujours, ce qui n’était visiblement pas le cas. Myrfanwy fut vite écœurée d’observer son manège. On ne devinait que trop bien ce qu’il voulait du vampire. Les allusions flagrantes lui donnèrent envie de vomir, la plongeant dans de sombres souvenirs. Elle n’entendait qu’à moitié ce qui se disait, écoutant la voix qui susurrait encore et encore, nuit après nuit, année après année à son oreille. Cette voix si familière et si haïe. Les mots semblaient si proches de ceux du drow, comme un écho lointain de ce qu’elle avait fui.
Plus tard, Yui expliqua à Myrfanwy que le drow lui faisait peur, bien que les compliments fussent agréables. Il le replongeait directement dans un passé douloureux où le vampire, assassin à la solde de prêtres du temple de Shilen, avait dû infiltrer un sombre, prêtre d’Eva, recueillant des informations sur son culte avant de l’exécuter. Yui avait fini par tomber amoureux du sombre mais il mena à bien sa mission malgré cela. Sa vengeance l’amena à tuer tous les membres du culte de Shilen qui avaient fait de lui ce qu’il était.
Plus tard, seule, Myrfanwy repensa à tout ceci. Yui devait craindre que ce sombre l’emmène dans de nouveaux extrêmes. Avait-il peur d’en tomber amoureux ? Elle s’interrogeait. Et elle ? Qu’était-elle dans l’histoire ?

[Myrfanwy]

- Faites-le… Yui…

Il la regardait sans être certain de ce qu’elle attendait. Il n’osait pas la toucher. Elle avait fermé les yeux. Mais il avança tout de même le visage, ses lèvres venant frôler les siennes, se fondant dans un baiser. Elle sursauta légèrement, ses muscles se contractant, mais refusant de se dérober, luttant contre la voix qui lui intimait cet ordre.

Le visage de Yui glissa lentement de ses lèvres à son cou. La morsure fut un instant de douleur et de douceur étrange pour elle. Elle voulait s’y abandonner mais déjà il l’éloignait d’elle. L’habitude reprit le dessus. Elle revit l’autre vampire, l’errant, comme l’avait appelé la Dame en blanc. Demandant à Yui si Myrfanwy était liée à lui. Ce serait un honneur pour lui, avait-il répondu. Elle le regarda.

- J’aimerai beaucoup me lier à vous. Mais qu’est-ce que cela implique ?
- De me supporter.
- Cela n’a pas l’air si compliqué.
- Bien plus que vous ne le pensez.
- Il me faut du temps pour y réfléchir alors.

[Myrfanwy]

Il était tard, la lune venait tout juste de se lever, mais Myrfanwy n'avait pas de temps à perdre. La distance jusqu'à chez elle était encore importante. Personne ne devait la surprendre, et surtout pas Tyralith.

Enfin, elle arriva et, sans le moindre bruit, emprunta les portes et les couloirs qui la mènerait aux archives de la famille. Cette partie de la demeure était tenue secrète et l'accès se faisait par voie magique. Mais on lui avait enseigné comment procéder et elle n'eut aucun mal à lever les protections.

Elle chercha pendant une bonne heure le registre des membres de la famille, ouvrant des dizaines et des dizaines de livres soigneusement rangés et conservés. Enfin, elle le trouva. Elle commença au début, ne trouvant rien, puis désespérant peu à peu. Et puis :

En ce jour de l'an [ahteh], nait à Xullrae Tana'Iym une magnifique enfant qu'elle prénomme Nardanel et sur laquelle elle fonde déjà de grands espoirs. Son éducation sera dévouée à la direction de la famille pour prendre la relève quand elle sera en âge.

A côté dans la marge avait été rédigé d'une écriture différente et hâtive la mention "bannie pour faiblesse irrécupérable".

Myrfanwy calcula la date et compta trois cent douze ans. Elle regarda avec effarement le nom de la mère qui l'avait mise au monde : la sienne. Cette Nardanel dont beaucoup lui parlaient quand elle leur donnait son nom était donc sa sœur. Une vampire.

Avec une étrange sensation en elle, elle rebroussa chemin, s'arrêtant devant sa chambre un instant. Elle hésita avant de finalement pousser la porte et d'entrer, serrant fort dans son poing la dague qu'elle avait acquise lors de son départ. La chambre était vide. Les deux lits parfaitement faits, comme si plus personne n'y habitait.

Inquiète, elle regarda les affaires de Tyralith et constata qu'il en manquait une partie, proportionnelle à celle qu'elle-même avait emmenée en partant. Elle en déduisit que lui aussi était en voyage. Il n'était pas mort, sans quoi ses aiguilles et ses armes auraient été à leur place. Il devait être sur ses traces. Elle trouva néanmoins un flacon qu'il n'avait pas emmené avec lui, ce demandant ce dont il s'agissait. Elle le prit avec elle, se promettant de l'examiner plus tard.

Elle s'enfuit pour la seconde fois de sa demeure, sans que personne ne sache qu'elle était de retour. Elle attendrait Tyralith de pied ferme.


[HRP] ahteh n'est là que pour remplacer un chiffre inexistant car je n'ai aucune idée du calendrier Vae Solien [/HRP]

[Tyra]

Tyralith avait suivi les ordres de Xullrae à la lettre. Du moins au début. Il avait atteint un village assez éloigné de la demeure drow et se prélassait maintenant à l’auberge.

Myrfanwy passerait sans aucun doute par là pour son retour. Il était certain qu’elle reviendrait. Il questionnait parfois les habitants dont certains se rappelaient de cette jeune sombre perdue qui semblait transporter un bien lourd fardeau. Ceux qui se rappelaient d’elle étaient surtout des mâles qui avaient essayé de poser les mains sur elle, ou s’étaient simplement trop approchés.

Sa réaction les avait marqués et Tyralith souriait à chaque récit semblable. Il n’accordait pas l’once d’un intérêt au moindre d’entre eux. Aucun n’avait pu retenir l’attention de sa sœur, pourquoi retiendraient-ils la sienne ? Néanmoins, un matin, on en retrouva un dans une ruelle, blessé d’un coup d’épée dans la cuisse, qui délirait contre un agresseur encapuchonné. Le sombre mourut dans la journée des suites de la blessure et de la quantité de sang perdue. « Et du poison sur mon épée », pensait Tyralith, agissant comme tous les curieux qui cherchaient l’assassin. « Cet imbécile n’avait pas à se vanter devant moi de l’avoir touchée comme si elle n’attendait que cela. »

Bien vite, il épuisa le sujet du passage de Myrfanwy dans ce village. Pourtant, il ne se décidait pas à continuer sa recherche. Avait-il vraiment envie de la retrouver ? Il passait ses journées à l’extérieur du village, s’entraînant avec ses épées, essayant de nouveaux pas, peu satisfait maintenant qu’il n’avait plus son maître d’arme pour lui enseigner ce qui lui manquait encore. Le soir il revenait à l’auberge, en sueur, s’asseyait à une table libre et commandait un repas.

Un soir, la fille qui servait généralement les repas lui apporta une cruche de vin et s’assit en face de lui. Il la dévisagea sans un mot, sans la moindre gêne non plus. On lui avait appris à ne pas parler avant une femme. Il attendit. Au bout d’un moment, elle se leva et il la suivit jusque dans une petite pièce où seuls un petit lit et une petite étagère permettaient de comprendre qu’il s’agissait d’une chambre. Elle s’assit sur le bord du lit, se reposant de moitié sur ses coudes et lui jetta un regard assez provocant. Elle n’avait pas encore prononcé le moindre mot et il attendait toujours, sans un mouvement.

- Qu’est-ce que tu veux ? lui demanda-t-elle enfin.
- Et toi ? rétorqua-t-il d’un ton assez dur.
- Un peu d’autre chose.

Il s’approcha et la regarda attentivement. Elle n’était pas laide mais la fatigue et les travaux avaient raison de son attrait. Toutefois, il n’opposa aucune résistance et posa ses mains sur elle, sachant que c’était ce qu’elle voulait.

Elle réagit immédiatement et l’affaire fut vite entendue. Tyralith se retira immédiatement dans sa chambre. Il resta longtemps allongé sur le dos, le regard fixant un plafond qu’il distinguait à peine, à réfléchir, avant de finalement sombrer dans le sommeil. Celle-ci n’avait aucune force de caractère. Pas étonnant qu’elle ne fut que servante dans une misérable auberge d’un trou perdu. Il se demanda enfin ce que faisait Myrfanwy, où elle était, qui elle rencontrait, et surtout, ce qu’elle pensait à présent qu’il n’était plus près d’elle. Reviendrait-elle vraiment ?

Le lendemain, il paya sa chambre et se mit à la recherche de sa sœur pour de bon. Elle lui manquait sans qu’il ose se l’avouer.

[Myrfanwy]

Myrfanwy avait fait beaucoup de rencontres. La première notable fut celle de Szyl, qu'elle découvrit en compagnie de Yui alors qu'elle cherchait des plantes aux abords de Dion. Elle le revit plus tard, le jour où Yui se jeta d'un des balcons de Rune. Szyl fit de même mais n'eut pas la chance du vampire et son corps arriva en bas dans un état lamentable. Myrfanwy s'étonna même qu'il survive.

Elle dut le ramener au port à la nage, peinant particulièrement, puis le porter sur son dos jusqu'à la ville. Une fois arrivée là, elle ne put aller plus loin et lui administra les premiers soins qu'elle fut en mesure de lui prodiguer malgré sa fatigue. Elle le laissa entre les mains de Yui, sans plus se soucier de rien, avec la seule idée de dormir.

Alors que Myrfanwy étudiait un livre sur les plantes, elle fut abordée par un sombre du nom d'Ikrel Kressen. Quand elle lui dit qu'elle étudiait les plantes médicinales dans le but de l'aider dans sa tâche des soins, il se montra intéressé pour finalement lui demander de devenir son professeur afin qu'elle lui enseigne ce qu'elle savait. Elle accepta sans hésiter, ni même trop y réfléchir. Elle s'en sortirait. Elle avait déjà eu un étudiant, Jiv'Undus, avant de partir de chez elle. Elle se demanda un instant ce qu'il devenait et comment il avait réagi à son départ. Tyralith l'avait-il finalement tué ? Puis elle le chassa de ses pensées, le reléguant à un passé achevé.

Elle fit également la rencontre de Melodii, un démon qui lui laissa la marque de trois griffes sur le visage. Comme elle aurait l'occasion de s'en rendre compte par la suite, ce n'était pas une blessure ordinaire car celle-ci se remettait à saigner dès qu'il approchait, ce qui laissa le drow, qui n'avait plus de drow que le corps, plus que perplexe.



Une nouvelle rencontre avec l'aveugle la laissa perplexe. Elle eut du mal à croire ce qu'il lui révéla. Et pourtant, au fond d'elle, elle savait que tout était vrai. Elle sut pourquoi elle avait fui. Elle sut ce qu'elle devait faire dans l'instant même. Et elle n'hésita pas une seconde. Elle le fit.

Elle en fut affaiblie un long moment, se rétablissant mal parce qu'elle prenait sur elle de soigner les blessés qui lui rendaient visite. Le fait d'avoir soigné Szyl, et d'y avoir réussi, semblait avoir eu sur elle un effet positif. Elle savait enfin ce qu'elle voulait. Elle observa tout ce qui se passait dans la ville sombre et prit finalement sa décision. Elle œuvrerait pour le peuple. Et son don pour cela était son métier de soigneuse, que sa mère s'était donné la peine de lui inculquer.

Elle était désormais seule, mais peu lui importait. Elle saurait parvenir à ce qu'elle voulait. Elle fit peu après la connaissance d'un sombre du nom de Kurayami. Beaucoup de choses semblaient les rapprocher. Cependant, rien n'était simple pour Myrfanwy. Elle n'oubliait pas que Tyralith la cherchait et ne doutait qu'il la retrouverait. Que se passerait-il à ce moment-là ?

[Myrfanwy]

Myrfanwy caressait Jalel, pensant à tout ce qu'elle avait vécu ces derniers temps. Elle ne prenait pas vraiment garde au loup qui la suivait fidèlement depuis qu'elle l'avait trouvé. Trouvé n'était pas exactement le mot. C'était plutôt lui qui était venu vers elle.

Il était en piteux état et Myrfanwy s'étonnait encore qu'il ne l'ait pas fuie, comme l'aurait fait n'importe lequel de ses semblables en pareil cas. Elle dormait sous un arbre, comme bien souvent, et fut réveillée par un bruit de feuilles. Immédiatement sur ses gardes, elle avait rapidement amené sa dague à sa main. Regardant qui faisait ce léger bruit, elle vit deux grands yeux intelligents dans lesquels elle voyait une douleur presque insoutenable. Elle posa l'arme à côté d'elle, lentement, prête à y revenir en cas de besoin.

Myrfanwy avança doucement sa main vers l'animal blessé qui se mit alors à gémir tout bas, grognant presque. Elle trouvait son comportement étrange, comme s'il avait su d'instinct qu'elle pourrait l'aider. Sans vraiment savoir pourquoi, elle le soigna, cherchant la moindre blessure. Elle ne doutait pas que venait de débuter quelque chose de nouveau pour elle.

Ce loup avait quelque chose de particulier qui le distinguait à ses yeux des autres loups. Elle lui donna le nom de Jalel et lui apprit un certain nombre de choses. En d'autres termes, elle le dressa et s'en fit un allié fidèle. Lui au moins ne lui demanderait jamais rien. Et ce qu'il lui demanderait, comme de le soigner, était largement à sa portée.


Il s'était passé beaucoup de choses depuis que Jalel l'accompagnait. Grâce à Kurayami, elle avait réussi à vaincre les ordres qui se bataillaient en elle. Il lui fallait recommencer à chaque fois, mais cela semblait maintenant plus simple. Un peu. Elle l'avait voulu ainsi. Elle avait lutté pour parvenir à ce résultat. Elle savait qu'il lui faudrait également lutter pour le conserver. La voix ne s'était pas tu comme elle l'avait espéré. Elle parvenait seulement à l'ignorer un moment. Mais pas avec tous.

Elle appréhendait de plus en plus l'instant où elle se retrouverait face à Lui. Elle espérait qu'elle ne serait pas seule à ce moment-là. Elle avait peur de ne pas être à la hauteur.


Elle avait observé les différents complots pour le pouvoir. Les différentes intrigues. La nomination de Crepuscule au pouvoir, après que toutes les autres aient été écartées. Elle entendait dire que d'autres groupes se formaient dans les ombres. Elle observait tout cela, sans la moindre émotion. Elle ne s'inquiétait que d'une chose : que deviendrait le peuple au milieu de tous ces déchirements politiques ?

Et elle souhaitait que Crepuscule réussisse à réunir le peuple assez longtemps pour lui faire entrevoir sa gloire et sa grandeur. Mais la tâche serait ardue, elle en avait conscience. Peut-être l'aiderait-elle à sa manière...


Myrfanwy se releva et entra dans Kyon Qu'ellar. Il n'y avait personne pour l'instant, ce qui lui laissait du temps pour y étudier ce que lui avait ramené Yui. Elle s'attela immédiatement à la tâche, sachant que Jalel la préviendrait dès que quelqu'un approcherait.

[Myrfanwy]

Ikrel lui avait demandé un moyen de fermer la porte de Kyon Qu'ellar, de manière à ce qu'eux seuls puissent y entrer. Elle soupçonnait qu'il lui avait demandé cette mesure pour empêcher Yui d'entrer. Il n'aimait pas le vampire et prétendait qu'il voulait s'éloigner d'eux. Elle avait haussé les épaules et dit qu'elle interdirait à Yui de revenir. Il n'était pas revenu. Elle observait tout cela sans réagir. Yui devait apprécier qu'elle l'éloigne, mais elle n'en avait cure, à présent.

Elle dut faire un voyage sur les terres de sa mère pour trouver une sorcière dont elle se rappelait la réputation et lui demander comment elle pouvait procéder. Lualyrr Quavein qui l'avait reconnue lui fit don d'un grimoire où elle avait consigné divers sortilèges. Myrfanwy se posait des questions sur les raisons d'un tel don mais elle l'accepta. Cela lui permettrait d'en apprendre davantage sur ce qui arrivait à certains de ses patients. Et peut-être de les aider.

Le sort à jeter sur la porte était simple à sceller. Toute l'ingéniosité consistait à empêcher autrui de pouvoir ouvrir s'il n'avait pas vécu le sortilège et n'était pas accepté par lui. Elle trouva dans ses souvenirs la clé de voûte, et demanda à Ikrel d'en faire autant. Cela les forcerait à jouer les portiers, mais au moins, les blessés seraient en sécurité.

Après cela, elle s'attela à chercher dans le livre des sortilèges pour retrouver une mémoire perdue, probablement victime d'un sort, comme elle avait cru déceler chez Nilith.


Un jour, ses nouvelles décisions furent mises à mal. On apprit que Yui s'en était pris à Serlina et l'avait torturée à l'aide d'aiguilles. Sans savoir ce qu'il cherchait exactement à lui faire dire, mais il était question d'une conspiration venant des vampires contre les sombres. Myrfanwy ne put que s'interroger une nouvelle fois sur les raisons qui avaient poussé Yui à la séduire. Elle était certaine à présent qu'il s'était joué d'elle depuis le début. Prenant les aiguilles, elle entra dans une rage folle.

Elle le retrouva à Giran quelques jours plus tard et les lui lança à la figure. Il la regarda un long moment, ne répondant à aucune de ses questions. Puis il s'approcha. Myrfanwy ne put résister quand il la prit dans ses bras et elle comprit vite son erreur quand elle sentit la première aiguille s'enfoncer dans son dos. Il eut tôt fait de la jeter au sol et la seconde aiguille suivit, lui imprégnant une douleur vive et incessante, telle qu'elle n'en avait jamais connue.

Heureusement pour elle, Jalel ne perdit pas de temps à réagir et s'attaqua au vampire, lui laissant ainsi le temps de fuir. Elle dut s'imposer plus de souffrance pour retirer les aiguilles et se rendit dans un état second à Kyon Qu'ellar où elle pourrait profiter des soins d'Ikrel et se remettre. Ses vêtements étaient en lambeaux, bon à jeter.

Ikrel lui reprocha sa crédulité face au vampire. Mais comment pouvait-elle lui expliquer ?

[Myrfanwy]

Le temps passait, les soins se succédaient, les rencontres s'espaçaient. Puis finalement, moins de gens avaient besoin d'eux. Elle espérait qu'ils ne fuyaient pas Kyon Qu'ellar qui existait pour eux. Mais elle décida de mettre ce temps à profit pour accroître ses capacités et sa maîtrise.

L'idée lui vint que pour développer ses sens et son énergie, elle devait se passer de ses yeux. Elle en eut la certitude une fois qu'elle discutait avec l'aveugle, celui-ci lui expliquant qu'il avait dû développer d'autres façons de "voir". Elle posa sur ses yeux un bandeau, se promettant de ne pas l'enlever avant qu'elle soit satisfaite de son entrainement.

Elle eut du mal à s'adapter et les premiers temps furent réellement épuisants car elle utilisait toute son énergie pour pallier à son aveuglement. Mais cela faisait partie de ce qu'elle devait acquérir : la maîtrise de son énergie. Elle s'y habituerait.

Un événement vint tout remettre en cause, cependant. Un jour à Giran, elle entendit la voix de Tyralith. Se faisant discrète, elle passa par chance inaperçue. Ikrel, discutant avec son frère, détourna l'attention de celui-ci, cherchant à obtenir des renseignements de lui, avant qu'il ne quitte la ville. On lui conseilla de retirer son bandeau mais elle s'y refusa. Elle l'affronterait ainsi. Elle s'exila quelques temps pour s'entrainer avec ses épées, apprenant à se battre sans ses yeux.

Elle ne reviendrait que lorsqu'elle serait prête.

[Tyra]

Il se trouva face à une affiche plus qu’étrange. Il ne comprit tout d’abord pas ce qu’il voyait. Ce qu’il avait sous les yeux, c’était un portrait, plutôt fidèle, de lui-même. Comment cela pouvait-il être possible dans cette ville si éloignée de chez lui ? On ne demandait que des renseignements. Le seul nom en dehors du sien était « Su’aco ». Insaisissable ? Mensonge ? Le vent… Sûrement pas un vrai nom… Etrange.

Sans vraiment savoir pourquoi, il resta dans cette ville. Elle empestait l’humain, des orcs s’y bagarraient ou cherchaient querelle, des nains avaient envahi le moindre espace libre pour y poser chacun son petit étal de babioles à vendre. Quelques elfes s’affairaient. On y voyait même quelques créatures étranges dotés d’une aile en plein milieu du dos. Il n’en avait jamais entendu parler et ne savait pas quoi penser d’eux. Néanmoins, il se demanda quels seraient leurs cris s’il arrachait une par une les plumes immaculées.

Tyralith finit par se dire que s’il avait pris une chambre dans cette ville, c’était sans doute à cause de cette mystérieuse affiche. Quelqu’un le connaissait ici. Giran était une ville très étalée et très fréquentée. Savoir qui le recherchait, et pourquoi, ne serait pas chose aisée. Plus il réfléchissait à cette affiche, plus il sentait l’excitation le gagner. Un certain danger le guettait. Il en était persuadé et cela n’était pas pour lui déplaire. L’ennemi connaissait son visage, l’ennemi connaissait son identité. L’ennemi connaissait sa famille.

Il passa en revue les ennemis de sa famille. Le départ de Myrfanwy avait dû se savoir, ainsi que le laissait à penser les étranges remarques de Xune Olonrae. Savait-elle qu’il était parti de la demeure familiale et cherchait-elle à le capturer ?

Quelques semaines après son arrivée, il fut abordé par un sombre masqué. Immédiatement sur ses gardes, il ne dévoila pas son identité. Savoir son portrait si reconnaissable affiché à la vue de tous le rendait méfiant. Tyralith en vint rapidement à se prétendre un ami de la famille envoyé sur les traces de Myrfanwy pour la ramener à la maison.

L’inconnu lui apprit alors qu’il avait connu sa sœur mais qu’elle était morte en couche quelques mois plus tôt et le mena sur la tombe de Myrfanwy, non loin d’une tour d’Ivoire, pour qu’il puisse noter le lieu de la tombe et en référer à la famille. Il se recueillit un moment sur les lieux, paisibles et retirés.

Ses pensées étaient contradictoires, à la fois soulagé et contrarié. Comment avait-elle p mourir si facilement ? Et surtout… Surtout… quel était son rôle dans l’affaire ? S’il rapportait à Xullrae que sa fille était morte en couche, elle voudrait savoir qui l’avait mise enceinte pour en apprendre plus sur les raisons de la fugue de Myrfanwy. Cela le mettait en danger, encore une fois. Il n’avait pas pensé à cette alternative quand il l’avait chassée.

L’inconnu interrompit le cours de ses pensées en s’approchant de lui, dangereusement près. Il ne comprit le véritable danger que lorsqu’il fut pris à la gorge, sentant deux pointes acérées s’enfoncer dans son cou et son sang lui échapper. Un vampire.

Tyralith retournait sa dernière rencontre dans sa tête. Un vampire l’amenant sur la tombe de Myrfanwy. Le nom sur la pierre ne laissait aucun doute, c’était bien le sien. Le vampire n’avait pas été dupe de son identité. Il se posait de plus en plus de question sur le lien entre sa sœur et ce vampire, ainsi que le degré d’exactitude dans les paroles du sanguin.

Quelques jours après, il fut interpelé par un drow qui semblait désireux d’engager la conversation. Il se présenta à nouveau comme un ami de la famille et parla de la tombe. La surprise évidente du sombre mit un doute dans son esprit déjà troublé. Celui-ci prétendait aussi avoir rencontré Myrfanwy mais ne savait rien d’un accouchement. Tyralith le laissa là pour se rendre sur la tombe.

Une fois sur place, il entreprit de faire ouvrir la tombe par un fossoyeur trouvé à Oren. Il ne fut qu’à moitié surpris de la trouver vide. Sans autre forme de procès, il tua le fossoyeur et le jeta dans la tombe qu’il laissa ouverte et retourna à Giran où errait toujours le sombre. Il lui raconta que la tombe avait été profanée et ils discutaient toujours lorsqu’au loin une silhouette attira son attention et qu’il dit sur une impulsion à cet Ikrel Kressen qu’on avait vu quelqu’un ressemblant à Myrfanwy.

Cette silhouette ressemblait de loin à Myrfanwy mais ses déplacements étaient incohérents et manquaient d’aisance. Et ce loup l’intriguait.

Il surveillerait tout cela de près.

[Myrfanwy]

Les patients se faisaient plus rares mais certains revenaient très souvent. Des mâles impulsifs qui aimaient visiblement risquer leur vie. Quelque part, elle les enviait de pouvoir jouer avec leur vie comme ils le souhaitaient. Mais elle restait calme et reniait son envie de hurler et de se battre jusqu'à l'effondrement.

Elle finit par délaisser sa cape, attendant que Tyralith vienne la trouver, qu'elle puisse laisser exprimer sa rage interne. Mais non... Il restait loin. Elle se sentait prête à l'affronter. Le temps viendrait bien où il serait face à elle.


Je t'aimais, mon frère, mon égal
Il ne reste plus rien à présent
Mon cœur saigne mais nul ne le sait
Une seule épaule pour partager
Pour comprendre cette peine
Le vide que tu laisses
Ne sera-t-il pas comblé un jour ?

Les mots tournaient et retournaient dans sa tête. Il avait disparu, sans doute mort. Elle ne montrerait rien. Elle enterrerait cette douleur avec les autres. A quoi bon s'étendre, maintenant ?

Elle soignait, attendait, préparait la venue de Tyralith. Et pendant ce temps, elle veillait de son mieux sur les intérêts du peuple. Crepuscule semblait compter sur elle. Waeress espérait aussi son soutien. Et elle se posait tant de questions.

[Myrfanwy]

Tout changeait autour d'elle. Elle perdait ses repères, un par un. Un simple amusement la jetait au bas rang du peuple. N'avait-elle pas le droit elle aussi de s'amuser ? N'avait-elle pas le droit de vivre ? Non. On le lui refusait tout simplement. On lui faisait comprendre qu'elle n'existait que pour le peuple.

Mais quel peuple ? Le peuple de ceux qui reniaient leurs alliés ? De ceux qui reniaient leurs soutiens les plus fidèles et se retournaient contre eux ? De ceux qui ne respectaient pas ceux qui veillaient sur lui ?

Elle l'avait compris ce jour-là. La porte de Kyon Qu'ellar enfoncée, Murmure blessée à l'intérieur, Ney qui l'invectivait parce qu'elle la voyait en colère. Elle n'avait eu conscience de sa colère que tardivement, mais confusément, elle savait qu'elle n'était pas en état de soigner Murmure.

Plus tard quand elle repensa à son comportement, elle se rendit compte qu'elle avait éprouvé un sentiment. Elle hésitait à s'en réjouir ou non. Mais elle comprenait ce que cela signifiait. C'était en partie effrayant. Mais c'était aussi intrigant. C'était utile et nécessaire. Elle osa même s'avouer que c'était excitant, quelque part aussi. Peu importait. C'était indispensable pour elle. Elle aurait dû s'en réjouir, au final, mais n'y arrivait pas franchement.

Les questions qu'elle se posait ne trouvaient pas vraiment de réponse et se multipliaient, la perdant toujours d'avantage. L'histoire de Kyon Qu'ellar la laissa perplexe, sa rencontre avec Xaszs la fit douter du peuple, ses discussions avec Szyl lui montrèrent que le peuple se perdait dans sa complaisance à se croire supérieur.

Elle commença d'entrevoir une solution. Se retrouver seule la marqua beaucoup. Ce fut alors qu'elle prit sa décision et qu'elle parla à Sua'co, à Morelwing et à Erenwy. Elle reçut l'aide de Dyvhim et se retrouva pleinement libérée du poison. Elle ne l'avait pas revu depuis qu'il lui avait déclaré ses sentiments pour elle. Elle en était restée interdite, ne sachant que lui dire. Il lui avait demandé de le laisser seul et elle était partie.

Tyralith restait un fantôme. Elle doutait qu'il vienne un jour. Il devait trop la craindre. Il avait tellement à se reprocher. Elle attendrait le temps qu'il faudrait. Ou bien elle partirait à sa recherche...


Le temps passa. Elle se sentait de plus en plus mal à l'aise à la Cité. Rejetée, ignorée ou en proie à certaines hostilités flagrantes. Antharas libéré. Lors d'une grande discussion à Giran avec une dizaine de sombres, elle comprit. Elle avait été rejetée du peuple et de la Cité pour être préservée. Elle devait restée en vie. Elle avait encore beaucoup à faire. Même si elle ne savait pas quoi exactement. Son Destin ne s'arrêterait pas à la destruction de cette Cité où il n'y avait plus personne à sauver. Tous ceux qui le méritaient étaient saufs.

[Myrfanwy]

Finalement, le Dragon n'avait pas détruit la Cité, mais il s'en était fallu de peu. Ceux qui avaient voulu empêcher que le Dragon soit de nouveau scellés étaient morts, tués par les agresseurs du Dragon en voulant défendre celui-ci. Elle ne doutait pas que la ville eut été détruite si le Dragon n'avait pas été scellé.
Le peuple en avait été divisé, plus que jamais. La survie pour les uns, la fidélité à la Déesse Mère de l'autre. Elle ne savait que penser. Elle était plus perdue que jamais. Elle ne comprenait pas ce qui avait pu faire autant de mal au peuple malgré tous ses efforts depuis des années pour le préserver, dans l'ombre. Etait-ce un échec ? Est-ce qu'il était vraiment impossible que le peuple puisse être uni et maître de lui-même ?

Szyl avait visiblement raison... Qu'est-ce qui en valait la peine ? Ce peuple qui s'alliait à des êtres sans valeur la répugnait. Voir les siens, ceux en qui elle avait cru, se compromettre dans ce genre de relation l'affectait bien plus qu'elle ne se l'imaginait. Oui, elle avait échoué.

Xaszs lui avait fait ses adieux, d'une étrange façon qui l'avait laissée perplexe. Ce fut Szyl qui lui apprit que le borgne était parti tuer quelqu'un qu'elle croyait mort, suite à une conversation qu'il avait surprise entre eux.
Il était hors de question de laisser faire cela. C'était son choix, un des seuls qu'elle ait jamais fait. Elle en assumerait les conséquences mais empêcherait que quiconque les subisse sans y être mêlé.

- M'accompagnez-vous ? lui demanda Szyl.
- Je ne peux pas le laisser le tuer.
- Vous avez bien mérité de le revoir.

Elle fit ses bagages, laissa quelques directives et messages, revit quelques personnes en hâte, puis elle partit sur les traces de Xaszs en compagnie de Szyl. C'était un départ à l'aventure, vers l'inconnu. C'était un renouveau. Elle était prête à aller de l'avant désormais.