Malek

Ici se trouvent les BGs des héros décédés, paix à leurs âmes.

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Message par Malek » mer. 30 avril 2008 à 22h05

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Message par Malek » jeu. 1 mai 2008 à 01h06

Chapitre premier :
Les années de tendresse.


Malek n’avait jamais manqué d’un certain humour. Il aimait à raconter ses histoires de jeunesse aux enfants du village, même si certains épisodes variaient sans cesse d’un jour sur l’autre. Nul ne saurait dire exactement si cet homme d’un certain âge avait réellement vécu ce qu’il disait, mais peu importait. Les enfants se plaisaient à écouter ses histoires, et lui se plaisait à les raconter. Il s’installait là, sa canne à pêche à la main, débitant tout un tas de racontars sur la façon dont il avait rencontré untel ou un autre, faisant mille digressions sur les créatures qu’il avait combattues, sur l’incroyable force des orcs, la duplicité des elfes, la pingrerie des nains. Chaque aventure était plus incroyable que la précédente, et chaque fois un peu moins vraie. Malek adorait raconter des histoires. Il avait fait cela toute sa vie.

Un jour, alors qu'il venait de terrasser en récit un dragon, une liche et une fougère, on lui demanda :
- Malek, tu nous racontes toujours ce que tu as fait quand tu es devenu grand et célèbre... Mais tu faisais quoi quand tu étais petit ?
Un sourire éclaircit le visage du vieil homme.
- Asseyez-vous, les enfants, je vais vous raconter comment tout a commencé...

[ image externe ]

[vingt ans plus tôt, le village Florain]

- Sac à foutre !
C’est sur ces mots pleins de circonspection que Malek claqua la porte de la ferme familiale pour vivre ses propres aventures. Son père, animé de bons sentiments, lui jeta une vieille fourche rouillée et l’insulta, un pied sur le perron et le poing levé, de tous les noms qu’une éducation paillarde pouvait compter de singulier et de pittoresque.

C’est ainsi qu’il partit, sans baluchon, la tête vide mais l’estomac plein, preuve en est qu’il est toujours de bon aloi de se fâcher après avoir dîné. Malek marcha jusqu’au village voisin. Il monnaya son trajet en bateau contre une paire de sandales neuves qui ne manqueraient qu’à ce type en train de se baigner dans le ruisseau, autrement dit, à personne d’important.

Il arriva sur l’île du Murmure, où son arrivée fut reçue avec une indifférence magistrale, ce à quoi il ne put se résoudre. Sans le sou, il n’existe que trois moyens de gagner sa vie : le troc, la charité, le coup de tête. Or Malek était trop orgueilleux pour se résoudre à demander l’aumône, et bien trop narcissique pour prendre le risque d’abîmer un si beau visage. Il lui vint donc naturellement l’idée d’échanger des biens contre de l’argent. Ne possédant rien, il se contenterait de vendre ce que la nature offrait, en l’embellissant ça et là. Cela commença par quelques pommes, tombées d’un arbre sous lequel il rêvassait. Une pomme pourrie lui tomba sur le crâne et révéla le génie qui sommeillait en lui : puisque cette pomme tombe toute seule... pourquoi ne pas attendre qu’il en tombe d’autres ? C’est ce qu’il fit. Il secoua l’arbre de toutes ses forces pour faire choir quelques fruits mûrs, qu’il emballa aussitôt dans sa chemise. Le jour même, il alla les vendre au marché et en tira quelques écus sonnants et trébuchants.

Il recommença son manège plusieurs jours d’affilée, jusqu’à ce qu’il apprenne qu’une compagnie de saltimbanques, de passage en ville, amusaient le public de par leur habileté à maîtriser les vents.
- Voilà qui me serait utile, se dit Malek. Si je commandais au vent, je n’aurai plus besoin de mes muscles pour secouer les arbres... Quel gain de temps et d’énergie considérable ! Si je leur explique ma démarche, aucun doute qu’ils m’apprendront leur "truc" !
Il s’y présenta, il fut reçu. On écouta ses doléances, il fut renvoyé. Le bon sens de Malek semblait incompatible avec les principes de la troupe. - Soit, se dit-il, puisque je ne peux assister à leurs entraînements, les entraînements m’assisteront !

Il épia, plusieurs jours durant, les acrobates et les baladins, usant de tous les prétextes pour s’approcher le plus possible. Déguisé en mendiant, faisant mine de balayer le sol en terre battue, portant les provisions du marché, écoutant aux portes, scrutant aux fenêtres des roulottes. L’énergie qu’il déployait à ne pas se faire remarquer valait à elle seule le titre de travail.

Il lui fallut plusieurs semaines avant de mimer les gestes des illusionnistes et parvenir à un résultat acceptable. Quand ce fut le cas, il s’en donna à cœur joie : tous les arbres du vallon y passèrent. Des milliers de pommes, qui n’en demandaient pas tant, vinrent tapisser le sol. Mais, épuisé d’autant de pétulance, Malek les laissa traîner avant de se rendormir. Ce qui devait arriver arriva : la pluie tomba, et en se réveillant le jeune garçon ne trouva que des fruits moisis. Il en fallait plus à cet ingénieux flemmard pour le décourager ; il les rassembla dans une grande vasque et attendit qu’ils se vident de leur jus. Le liquide fermenté remplit plusieurs flacons, qu’il alla vendre au marché du coin. Malek venait d’inventer un nouveau breuvage : le cidre-dehors. Cidre, puisqu’à base de pommes, et dehors, car quand ceux qui en achetèrent le goûtèrent, ils lui coururent après pour le mettre dehors, tant la boisson était infecte et acide. Plus tard, il lui viendra l’idée de s’en servir comme répulsif pour insectes : de l’infect-y-cide. Mais pour l’heure, Malek courait ventre à terre, embarquant clandestinement dans la caravane des saltimbanques qui quittait la ville ce même jour.
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Message par Malek » sam. 3 mai 2008 à 11h10

Chapitre second :
Jongler avec deux balles.


Malek suivit la troupe dans ses tournées, de village en village. Embauché en tant que commis, il se cantonnait à des tâches subalternes, comme ramener les provisions du marché, recoudre les toiles usées, réparer la toiture des roulottes... qui ne lui procuraient que peu de plaisir. Malek n’était pas de ceux qui se contentent de travailler pour vivre, il voulait faire "quelque chose" qui ne lui donnerait jamais l’impression de travailler. Le rôle d’amuseur public lui convenait parfaitement. Aussi, se présenta-t-il devant Monsieur Loyal, qui lui tint à peu près ce discours :
- Mais donc, vous avez quelque talent ?
- Euh... Je sais faire tomber les pommes des arbres, avec ce même truc que vous utilisez, vous savez, dans les spectacles, les courants d’air...
- Les ballets aériens ? Des chiffons et des fruits qui volent, c’est bon pour les enfants ! Quoi d’autre ?
- Hum, et bien... je peux compter jusqu’à douze...
- Du flan, savez-vous au moins lancer des couteaux ?
- Non.
- Monter à cheval ? Jouer les funambules ? Dresser les fauves ?
- Non... j’ai un peu appris à jongler.
- Avec cinq balles ?
- Non, pas autant !
- Quatre ?
- Même pas.
- Trois alors ?
- Deux. Deux balles. Enfin, pas très longtemps.
- Mais mon jeune ami ! N’avez-vous donc aucune passion ? Que voulez-vous donc faire, si ce n’est servir de cible au jeteur de haches ?
Le regard de Malek se perdit dans le fatras de la roulotte. Des quilles côtoyaient des gants de boxe, un costume en plumes de paon se répandait sur l’épitaphe d’un avaleur de sabre, de vieilles roues en bois étaient appuyées contre une vierge de fer, qui servait de portemanteau à une robe de mariée dont le voile semblait rongée par les mites. Quelque part, au beau milieu de ce foutoir incommensurable, quelque chose l’interpella.
- Je veux faire ça, dit-il en pointant du doigt une affiche.
C’était l’annonce d’un spectacle de magie, "Les contrabuleuses fabtrations du professeur Horatio Hufnagel".
- Mon garçon, fit Loyal en passant ses pouces dans son ceinturon, je ne connais qu’une personne capable de t’apprendre ça !
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Message par Malek » sam. 3 mai 2008 à 11h13

Chapitre troisième :
Ce qu’on peut faire grâce à la sagesse des livres.


Horatio Hufnagel était mort en emportant le secret de sa magie. Mais il avait légué un grimoire à son fils, qui est mort aussi. Le grimoire fut transmis au neveu, décédé également, qui l’avait confié à un ami, qui le revendit au monsieur Loyal de l’époque pour cent pièces d’or. Le grimoire revint donc, après des circonvolutions grotesques, à son point de départ, dans la troupe de saltimbanques.

C’était un certain Donohue qui enseigna son contenu à Malek. Le grimoire contenait des centaines de formules, toutes plus impressionnantes les unes que les autres, auxquelles le jeune homme ne comprenait rien.
- Tout le savoir auquel tu aspires, tu le trouveras dans les livres, lui répétait le vieux Donohue.
- Je n’ai pas besoin d’en savoir autant !
- Gamin, si tu veux aller loin dans la vie, il faudra que tu saches faire davantage que des tourbillons de feu et des sculpture sur glace ! Tu vois, ce loup-garou là-bas ? Trouve la formule qui te permettra de le vaincre. Il y a tout un chapitre sur les poisons là-dedans.
- Bah, ça ne devrait pas me prendre trop de temps...
- Oui, ça c’est certain, dit le vieillard.
Sur ces mots, il lança un imposant galet à la tête de la créature et détala à toute vitesse. Malek se retrouva seul, le livre à la main, tandis que le loup-garou courant comme un dératé envisageait déjà la façon dont il allait le dépecer, en commençant par les deux bras.
- Qu’est-ce que je dois faire ? hurla-t-il au vieil homme planqué dans un fourré.
- Le livre ! Sers-toi du livre !
Quand le loup-garou fut sur lui, Malek suivit à la lettre le conseil du vieil homme : il empoigna le bouquin à pleines mains et en colla une grande claque à la créature, qui tomba assommée.
- Vous avez raison, fit-il, ça a marché !
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Message par Malek » sam. 3 mai 2008 à 11h14

Chapitre quatrième :
Les contrabuleuses faptations de Malek le grandissime.


La première représentation de Malek dans la troupe resta gravée dans les mémoires, mais pas pour les raisons auxquelles il avait aspiré. En raison de la réclame faite autour du spectacle, un nombre importants de villageois s’étaient déplacés, et le chapiteau était plein à craquer.

[ image externe ]

Il y eut les ours, les fauves, les jongleurs, les acrobates, les lanceurs d’objets tranchants, les faux pirates, les ballets musicaux, les musiciens et les trapézistes. Puis vint le tour de Malek.

Si l’on devait donner une mesure aux catastrophes, la tempête de neige, l’inondation et le tremblement de terre viendraient en premiers. Le spectacle de ce soir-là put prétendre à la quatrième place.

Les témoignages recueillis furent tant variés que contradictoires, mais, dans l’ensemble, on en retiendra que le magicien de la troupe, un jeune garçon supposé plein de talent, enflamma spontanément les rideaux au cours d’un numéro où s’ébattaient des animaux de feu. Le pire eut pu être évité si ledit magicien, tenant absolument à corriger sa bourde, n’avait projeté un grand vent pour souffler les flammes, les attisant davantage et répandant ce qu’il est bon d’appeler un incendie jusqu’aux caravanes contenant les costumes et les feux d’artifice, dont les explosions ajoutaient comme une touche de burlesque.

Il fallut tant d’hommes et d’efforts pour combattre le feu que lorsqu’il finit par s’éteindre, on se dit qu’il eut été plus simple de le laisser terminer de lui-même. Le campement était en cendres. Seul le squelette du chapiteau pouvait signaler qu’il y eut ici une quelconque animation. Les spectateurs, furieux, exigeaient le remboursement. Avec la caisse qui avait brûlé, la troupe était ruinée. Monsieur Loyal pesta contre le sort, prêt à manger son chapeau pour qui lui amènerait le responsable de tout ceci.

Mais pour l’heure, Malek grimpait subrepticement à bord d’un navire en partance pour le continent.
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Message par Malek » sam. 3 mai 2008 à 11h16

Chapitre cinquième :
Le monde pour terrain de jeu.


Malek fut rapidement accepté par l’équipage. Ou plutôt, ils n’eurent pas le cœur de le balancer par-dessus bord quand ils découvrirent sa présence. La traversée dura plusieurs jours, durant lesquels il tâcha de se montrer aussi utile que possible. Quand le vent venait à manquer, il utilisait ses talents mystiques pour souffler dans les voiles... qui se déchiraient sous la force du souffle. Il briquait les ponts avec ardeur... si bien qu’ils devenaient glissants et même dangereux pour les matelots les plus aguerris. Il prenait le quart à la vigie en guise de punition, aidé de sa luciole... qui mit le feu à l’étendard.

L’équipage supportait ses frasques avec un enthousiasme modéré, car il était aussi le seul soigneur à bord. Les tours qui amusaient les marins les premiers jours ne leur procurait guère plus que de l’agacement. La tension fut à son comble quand Malek, pétri de bonnes intentions, s’en prit aux provisions du navire. Bien décidé à laisser derrière lui un souvenir impérissable, il assaisonna la viande salée d’une mixture de sa composition, qui lui donnait un fumet savoureux. Le premier repas fut un délice. Le second un peu moins. Le troisième, carrément affreux et le repas du lendemain, même consommé en ragoût, fut tout bonnement immangeable. Les ingrédients contenus dans la mixture avaient réagi avec le sel qui préservait la viande, qui fut gâtée et jetée aux requins, qui n’en voulurent aucunement. Il se fallut de peu que Malek rejoigne la viande avariée, ne devant son salut qu’à sa promptitude à se percher en haut du grand foc.

Les derniers jours du voyage furent un calvaire pour l’équipage affamé. Malek passa deux jours en haut du mat, que certains moussaillons avaient entamé à la hache. Résolu à se racheter, il finit par descendre, et proposa de décupler les réserves de rhum ! Quoique réticent, le capitaine lui permit de réaliser l’expérience avec un seul tonneau. En cas d’échec, quoiqu’il arrive à son contenu, Malek devrait le boire et aurait la langue tranchée. Et pas nécessairement dans cet ordre.

Le jeune homme prit son temps pour réussir son incantation. Il jeta quelques herbes dans le tonneau, récita quelques formules, entreprit une petite chorégraphie qui, si elle n’ajoutait rien à la potion, avait un charme indéniable. Au bout de quelques instants, le rhum se mit à bouillonner, et, ainsi que l’avait promis Malek, le liquide fut décuplé, débordant du tonneau, envahissant le pont, noyant les cales. Le rhum jaillissait à profusion sans que rien ne puisse plus l’arrêter. Les marins, d’abord ravis, se précipitèrent pour constater que le breuvage était à leur goût – et il le fut. Mais au bout de plusieurs centaines de litres, le flot ne cessant pas, ils réalisèrent que le pont, complètement submergé de rhum, dégoulinait jusque dans les cabines, les cales et les soutes. Alourdi, le navire perdit de son tirant d’eau et sombra corps et biens. Le capitaine ordonna qu’on attrape le brigand responsable de ceci et qu’on le pende haut et court.

Mais pour l’heure, Malek ramait frénétiquement dans un canot en direction des côtes de Gludin.

[ image externe ]
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Message par Malek » sam. 10 mai 2008 à 05h01

Chapitre sixième :
L’homme qui vendit une ville pour une bouchée de pain.


En débarquant sur le continent, Malek découvrit tout une population en attente de miracles, prête à vendre père et mère pour un peu de bien-être. Puisque les dieux ne s’intéressaient guère au sort de leurs ouailles, Malek prit sur lui de leur apporter un peu de bonheur en bouteille. Il ouvrit un étal et se mit à vendre des philtres d’amour et des lotions contre la chute des cheveux, concoctées avec à peu près tout ce qu’il ramassait dans les caniveaux. Les onguents contre les verrues à base de pelure de pomme de terre avaient, semblait-il, un certain succès, que le jeune homme mettait au compte de son habileté à distiller les ingrédients.

Malek était devenu un excellent illusionniste. Il pouvait présenter une potion en démonstration avec une réelle efficacité, et la substituer au moment de la vendre par une vulgaire flasque pleine d’urine de yak. Les gens lui achetaient de bon cœur et repartaient avec le sourire, et notre jeune ami était déjà loin quand ceux-ci trouvaient à leur remède une drôle de saveur.

Un jour, pourtant, Malek s’attarda après son numéro de rabatteur. Un peu plus loin, derrière la foule, quelqu’un semblait perdu. Quelqu’un qui avait une aile ; une seule. Cela lui sembla tellement curieux qu’il alla l’importuner, sans se soucier que cette conversation aurait des répercussions fâcheuses, aussi bien pour lui que pour tous les habitants de ce village.

[ image externe ]

L’être ailé était un Kamael – bien qu’il n’apprendra le nom de cette race que des mois plus tard. Il cherchait, disait-il, à en apprendre davantage sur cette région, ses gens, ses croyances, ses coutumes. Celui-là n’avait pas de dieu. Il n’avait ni croyance, ni superstition, ni intérêt ou loisir particulier et, selon ses propres mots, n’avait "que sa peau pour faire ce qu’il avait à faire". C’était un être froid, sans indulgence envers les hommes. Son peuple paraissait avoir été longtemps absent des terres d’Aden et n’aimait pas la façon dont elles avaient changé – ou peut-être, simplement, ne supportait-il pas l’idée que ce monde n’ait plus eu besoin d’eux.
- Le monde actuel est loin de ce qui fut il y a bien longtemps… si loin que les mémoires l’ont oublié. Nous revenons d’un long sommeil…
- Vous devez être excité de redécouvrir cet univers nouveau !
La notion d’excitation semblait échapper à la créature. Trop futile. Un sentiment de malaise s’installait entre eux, tandis que le prêcheur aux portes de la ville annonçait une nouvelle fois les germes de la destruction. Le Kamael n’aimait pas ce qu’il voyait. Pour lui, l’heure était venue de repartir de zéro.
- Les choses qui demeurent figées ne servent à rien, seulement à décorer ! rétorqua Malek, la vie, c’est comme le vent : ça bouge, ça change sans arrêt !
L’aile de la créature frémit.
- Quand vos "décorations" se réveilleront, votre monde tout entier en pâtira.
- Si le changement vous déplaît tant, pourquoi ne pas avoir réagi avant ? C’est bien beau, d’arriver quand tout est bâti et de dire que cela ne vous plaît pas ! Qu’avez-vous construit, vous ?
Le ton se fit plus menaçant.
- Tu ne vivras pas assez longtemps pour le voir… Le regard du Kamael balaya la place du marché bondée de monde. Des paysans, des curieux, des enfants s’y croisaient en toute insouciance. Des guerres ancestrales ont eu lieu ici ; et d’autres se préparent…
- Vos guerres, ça ne change rien pour les gens du commun tels que nous ! Cela n’intéresse que les puissants…
- Et tu préfères voir les tiens mourir plutôt que de donner un sens à ta vie ?
- Pour l’heure, les miens ne meurent pas… Mais si cela doit arriver, je les aiderai autant que possible.
- Ton espérance de vie sera courte, à jeter deux balles en l’air pour amuser la galerie. D’ailleurs… elle est déjà compromise à ce que je vois.
En effet, une bonne partie des clients de Malek avaient fini par découvrir les vertus peu ragoûtantes de l’urine de yak. Les habitants, furieux d’avoir été floués, se regroupaient et une cohue de fourches, de pelles et de râteaux rouillés avançaient dans sa direction. Le jeune magicien se vit dans l’obligation de prendre congé :
- Bien, ce n’est pas qu’il est tard, mais vous m’êtes foncièrement antipathique !
Le garçon ne prit que le temps de ramasser son baluchon et décampa à toutes jambes. Les paroles du Kamael résonnaient comme un avertissement et il se jura de ne pas les oublier. A cause de cet incident, les habitants de la ville louèrent la bienveillance de la créature mi-ailée, qui avait pressenti la filouterie – a posteriori cela va de soi – et retenu le sacripant. Bien plus tard, cette confiance mal placée fit choir les défenses de la ville, qui sera abandonnée aux tourments de la guerre.

Mais pour l’heure, Malek dévalait à en perdre haleine les collines voisines, poursuivi par une horde de villageois mécontents.
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Message par Malek » sam. 17 mai 2008 à 21h12

Chapitre septième :
La grandeur des petits.


Giran était la ville commerçante par excellence. On y rencontrait tous les corps de métier : gantier, armurier, tailleur, apothicaire… Pour peu que l’on sache où chercher, on y trouvait tout ce que l’on désirait, et davantage encore.

Malek était à la fois émerveillé et effrayé d’un tel capharnaüm. La place du marché grouillait de monde et ne restait jamais inanimée, même la nuit. On y croisait souvent des troubadours, des voyageurs de passage, des rabatteurs prêts à s’entre-déchirer pour quelques pièces, et une multitude de personnages qui ne demandaient qu’à raconter leur histoire en échange d’un peu de compagnie.

Noyé dans ce bourbier culturel, notre jeune magicien n’était qu’une tête parmi d’autres. Tous ses tours, ses jongleries et ses bouquins pouvaient bien amuser les habitants d’un petit village comme Dion, ils passaient inaperçus dans un lieu tel que Giran. Il lui fallait donc une autre façon de se démarquer.

[ image externe ]

Il le fit de la façon la plus inattendue, en assistant à une tentative d’enlèvement alors qu’il sortait d’une échoppe. Une jeune naine, avec un chapeau farfelu, se débattait entre les bras d’un ailé. Un Kamael. Celui-là même qui l’avait compromis à Gludio quelques semaines plus tôt.

Un instinct héroïque l’aurait poussé à s’interposer, à saisir son arme, hurler au crime et défendre la victime à coups de boules de feu. Mais Malek n’avait pas cet instinct. Il s’était juste trouvé là, les bras ballants, se demandant comment agir. Il fit la chose la plus sensée et la moins brave : il appela la garde, et s’en tira par un tour de passe-passe. Quand les soldats eurent dispersé la foule, Malek et la jeune naine, Miraa, se découvrirent une répulsion commune pour les Kamael. Leur conversation leur apprit que ceux-ci avaient un objectif bien précis : détruire les dieux de ce monde. Ils en ignoraient le pourquoi, mais cela suffit à leur donner un but :
- Il faut avertir le plus de monde possible. Il y a beau en avoir de plus en plus, ils ne seront jamais aussi nombreux que toutes les autres races réunies.
- Oui, mais comment les réunir ? Ils se mettent tous des bâtons dans les roues. Ils ne voient même pas ce qui est en train d’arriver…
- Il faudra bien qu’ils le voient. Moi, je sais pas qui va m’écouter, mais j’essaierai.
Malek se leva et scruta la place. Tant d’insouciance se dégageait de cet endroit ; il n’aimerait pas perdre tout cela. C’est à ce moment que Malek se surprit à envisager un changement dans sa vie : il ne pouvait plus se permettre de fermer les yeux et de continuer à vendre de l’urine de yak comme si de rien n’était. Malek se devait d’avoir un destin exceptionnel. Il fit alors ce qu’il n’avait jamais fait auparavant : il suivit les recommandations de son père, et se rendit à l’école de magie…
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Message par Malek » ven. 30 mai 2008 à 00h46

Chapitre huitième :
L’Hypothéticaire.


L’opportunité s’était présentée d’elle-même. Ether, capitaine de cavalerie des Loups Bleus, avait, pensait celui-ci, perçu le sens mercantile consciencieux de Malek. Après avoir été valet de ferme, marchand de pommes, détaillant en cidre, saltimbanque, homme à tout faire, magicien, moussaillon, alchimiste, bonimenteur, Malek endossait donc le très respectable rôle de directeur d’une boutique de magie à Dion.

Alors qu’il vidait la roulotte où il avait élu domicile, Malek fit choir tout son fourbi. Ether, qui passait par là, dut penser qu’il préparait quelque étal car il lui demanda s’il possédait une licence pour son commerce.
- Non, répondit Malek. Et c’est bien pour cela que je cherche à quitter la ville !
- Pourquoi ne pas plutôt en demander une ?
Grisé par ce qu’il avait vu dans la cité marchande, Malek était bien décidé à s’y faire connaître.
- A Giran, on peut exercer librement… Et puis, avec une étincelle de lucidité, je suis une calamité administrative ! Je perdrais tous mes papiers si je n’avais pas avec moi mon porte-documents, fit-il en tapotant la crinière de son buffale, dont le harnais débordait de bouquins et de flacons en tous genres.
- Et bien, fit Ether, nous recherchons deux directeurs, pour des commerces un peu… particuliers. Peut-être serez-vous intéressé ?
A ces mots, Malek interrompit son rangement.
- Particulier comment ?
Ether avait ferré son poisson comme Malek ferrait le client.
- Une maison close. Et un magasin qui vendrait des produits dits "illicites" : drogues, poisons… ce genre de choses.
Malek rit de bon cœur.
- Voilà qui me changerait bien ! Tous mes clients m’accusent déjà de les empoisonner ! Là, j’aurai une excuse !
La conversation prit une autre tournure. La question de savoir si Malek acceptait le contrat ne se posait déjà plus, en quelques minutes les deux hommes en étaient passés aux modalités diverses : inspection mensuelle, exonération d’impôts la première année, taxes… Malek y gagnait sur deux points : en confort, à ne plus dormir dans la roulotte du vendeur de graines, et en crédibilité, car il ambitionnait déjà de s’installer sur Giran d’ici un an ou deux. Ether lui laissa donc le champ libre. Les filles de la boutique de magie vendaient, à peu de choses près, la même chose que Malek.
- A toi, ajouta Ether, de trouver ce qui fera le petit "plus". Fais en sorte que cet établissement soit bien tenu.
- Je vais faire de mon mieux, dit Malek. C’est la première fois qu’on me fais confiance sur un truc !
Ether sourit.
- Tout le monde a sa chance, ici, dit-il alors qu’il quittait la boutique avec son escorte. Bienvenue à Dion.

[ image externe ]
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Message par Malek » dim. 8 juin 2008 à 04h15

Chapitre neuvième :
Mésaventures non-amoureuses.


Malek n’avait jamais expérimenté le sentiment amoureux. Il avait toujours délaissé une compagnie pour une autre, sans s’attarder sur les personnes ou ce qu’elles avaient à dire. A vingt-et-un ans, sa rencontre avec Aya bouleversa sa vision puérile des relations entre hommes et femmes.

La jeune fille était originale. Tour à tour têtue, curieuse, spontanée, ingénue, coquine. Elle tannait deux de ses compagnons – Kane et Floryan, à qui Malek essayait de vendre quelque babiole – brûlant de savoir ce qu’avait de si spécial le port de Gludin pour que ceux-ci refusent de le lui dire.
- Moi, je ne sais pas ! mentit l’orc en se roulant une herbe à fumer, tandis que l’autre balançait déjà son mégot.
- Et si on allait voir ensemble ? proposa Aya, s’il vous plaît ! ajouta-t-elle en fléchissant légèrement sur les genoux.
- Allez, fit Kane en donnant un coup de coude à l’orc qui ne tenait visiblement pas à se rendre là-bas. C’est pas souvent que tu as ta chance. Profite.
- C’est valable pour toi aussi, Kane, fit Aya. Et le vendeur drogueur aussi, dit-elle en désignant Malek. Allons-y tous les quatre.
- Aller à Gludin ? dit le jeune homme, surpris. Puis, observant la jeune fille de haut en bas : dans cette tenue ?
- Qu’est-ce qu’elle a, cette tenue ?
- Je ne fais pas ce genre de pratiques à plusieurs, suggéra Kane, un sourire en coin, pendant que Floryan faisait mine d’avoir entendu qu’on l’appelait au loin.
- Pratiquer quoi ? demanda Aya. Il y a des filles de joie ? C’est ça qu’a de si spécial le port de Gludin ?
Chacun y alla de sa propre explication pour ménager l’innocence de la jeune fille, qui n’était pas si candide qu’on pouvait le croire. Malek s’embrouilla dans une sombre histoire d’abeilles, de pistil et d’étamines, qui ne convainquit personne. Finalement, excédé, Kane lâcha :
- Ce sont des prostituées, satisfaite ?
- Ah, ben je l’aurai pas dit comme ça moi…
- Comme si tout le monde avait besoin d’aller à Gludin pour ça.
- C’est un lupanar, alors ?
- Ça serait la capitale des lupanars. Avec juste le côté monétaire, que Malek a omis dans son exposé.
Cela ne découragea pas la jeune fille, qui tenait toujours à voir Gludin.
- Et puis, fit-elle en les désignant un à un : Kane, il a une tête à faire peur. L’orc il est… ben, orc, donc il en impose. Et Malek a une tête d’escroc et de vicelard… alors avec vous, je ne crains rien.
S’entendant décrit de la sorte, Malek prit un vilain coup au moral. Mais il devina qu’il en était de même pour les autres, fâchés d’en être réduits à de simples faire-valoir. Finalement, ils déclinèrent l’offre, avec la promesse que s’il arrivait quelque chose à la jeune fille, ceux-ci s’en prendrait vigoureusement à l’intégrité physique du petit vendeur de babioles.

C’est ainsi qu’ils partirent, sous les quolibets de leurs compagnons. Floryan songeait, à voix haute, que peut-être ce soir Malek deviendrait un homme, un vrai. Il ne croyait pas si bien dire.

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La réputation du port de Gludin était méritée. La devise des matelots de passage avait tout d’une invitation à la débauche : "Une femme dans chaque port, un porc dans chaque femme". Malek découvrit un univers de luxure et de stupre qui le troublait. Aya n’était pas si naïve ; elle avait eu un passé tumultueux. Il lui était arrivé, disait-elle, de faire des concessions peu recommandables. Des choses qu’aucune jeune fille ne devrait pas avoir à faire. Cela l’avait endurci, mais avec Malek elle se laissa aller à dévoiler sa fragilité, à poser sa main sur son épaule, à s’appuyer sur quelqu’un.

Ils s’assirent au bout de l’embarcadère, face à l’océan, les pieds ballant au-dessus de l’eau. Malek, un peu gêné de cette intimité, meublait la conversation de banalités affligeantes. Aya, fatiguée par le voyage, se rapprocha davantage, sentant sa peau dans le cou du jeune homme, le frôlant, humant ses cheveux.
- Tu veux dormir avec moi ?
Malek ne sut que répondre. Il était à la fois fiévreux et déconcerté.
- Juste une sieste, fit Aya.
Elle le prit par la main et, sans un mot, prirent place sous le ponton à l’abri des regards. Ils s’allongèrent dans le sable, l’un contre l’autre, doucement. Aya se colla tout contre le jeune garçon, un bras sur son torse.
- Toi aussi, tu peux me tenir si tu veux.
Malek hésita un instant, avant de passer son bras derrière la tête de la jeune fille et de l’enlacer à son tour. Aya sembla apprécier le geste.
- C’est vrai, dit-elle dans un murmure. A quoi bon dormir, sans chaleur humaine…
- A quoi bon, en effet… songea Malek à voix basse, réalisant qu’il ne s’était jamais posé la question auparavant.
Aya sourit. Ce sourire illumina son visage, et quelque part dans le cœur de Malek, il commença à brûler.
- C’est gentil. Tu es quelqu’un avec qui je vais bien m’entendre, Malek, dit Aya en déposant une bise au coin des lèvres, presque sur ces dernières.
Elle soupira d’aise et ferma les paupières, tandis que la main du jeune homme lui caressait les cheveux. Un délicat parfum de framboise l’enivrait, et il ferma les yeux à son tour. Malek fit tant d’efforts à ne pas la réveiller qu’il finit lui aussi par s’endormir.

A son réveil, Aya était partie. Sans un mot, sans un bruit. Malek déambula pieds nus sur la plage, espérant son retour. Il ne la trouva ni à Gludin, ni ailleurs.

Malek soupirait à l’idée qu’il ne la revît jamais. Pour la première fois de sa vie, son cœur avait battu pour une autre ; une partie de lui avait mûri. Sans s’en rendre compte, il venait de cesser ses enfantillages pour s’enfoncer dans sa vie d’adulte. Mais pour l’heure, Malek espérait surtout que Kane et Floryan n’allaient pas lui tomber dessus avec des questions auxquelles il ne saurait répondre.
Dernière modification par Malek le dim. 16 novembre 2008 à 19h21, modifié 1 fois.
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Message par Malek » mar. 19 août 2008 à 21h03

Chapitre dixième :
Marchand de mort.


Les mois passèrent et bien qu’il ait craint le contraire, Malek revit Aya plusieurs fois. Pas nécessairement dans les circonstances auxquelles il s’attendait le plus, mais toujours de façon heureuse. La jeune femme étudiait désormais à l’hôpital d’Innadril et lui avait présenté plusieurs amis, qui parlèrent de lui à d’autres amis. Le petit réseau de Malek s’enrichissait donc, et l’Hypothéticaire avec.

La boutique regorgeait de choses inutiles et indescriptibles que le jeune homme ramenait de chacune de ses sorties : parfums, philtres, racines pilées, bric-à-brac en porcelaine ou vieilles lampes usagées, tout avait un intérêt. Malek n’hésitait pas à écumer les étals du bazar de Giran ou à vider les greniers de ceux qui venaient de perdre un proche quand ceux-ci ne savaient pas comment se débarrasser du fourbi de toute une vie. Ses employés passaient le plus clair de leur temps à faire l’inventaire de ces babioles, jetant la plus grande partie sitôt que le jeune directeur avait le dos tourné.

Malek vendait de tout, mais s’était spécialisé dans la vente de produits de consommation douteux. Sitôt qu’un produit était étiqueté dangereux, les gens s’empressaient de lui en passer commande. Ses clients ne lui disaient pas de ce qu’ils comptaient faire de ces poisons et lui ne posait pas la question.
- Vous ne vous intéressez jamais à ce que vos clients vont faire de leurs produits ? lui demanda un jour un notable qui venait de lui passer une commande importante.
Le jeune homme, qui énumérait les mille et unes précautions à prendre lors de la manipulation de certains toxiques, s’arrêta dans son geste :
- J’y ai déjà réfléchi, un peu. Il y a des centaines d’applications pour chacun des produits que je vends, bonnes ou mauvaises. Tenez, par exemple…
Il saisit une fiole contenant un liquide ocre et visqueux.
- Ce venin de poisson-lion. Il paralyse le système nerveux au moindre contact avec la peau. Potentiellement mortel. Dilué dans une solution d’un pour mille, il peut devenir un très bon anesthésiant. Et ces herbes… des hallucinogènes puissants – les chamanes s’en servent pour entrer en état de transe. Broyées et malaxées dans du sucre, on obtient un baume antidouleur.
Malek reposa la fiole parmi les ingrédients que le notable venait d’acquérir.
- Mon idée, voyez-vous, est que chacun gagne à apprendre de la science ou de l’alchimie. Ce sont les gens qui choisissent leur usage final.
- Le bien et le mal sont des notions difficiles à formaliser…
- Je sais. C’est pour ça que je ne vends rien sans précautions préalables. Et puis, je préfère juger les gens avant de céder n’importe quoi à n’importe qui…
Malek s’en tenait désormais à ça. Il était loin du temps où il suffisait de faire passer de l’urine de yak pour une panacée : son adage du moment était "un client mort est un mauvais client". Sa prévenance naturelle l’obligeait donc à instruire ses acquéreurs de la dangerosité de ses poisons et de leur manipulation. Et plus il en apprenait sur leur usage, plus il hésitait à leur vendre certains d’entre eux.

Le comble fut atteint le jour où une jeune femme, le visage dissimulé sous une houppelande grise, lui demanda de réunir les ingrédients d’une nouvelle formule dont il ignorait l’emploi. Le breuvage, disait-elle, devait lui permettre de réparer un "accident" imprévu. Sans aucune malice, Malek la pressa de lui en dire plus et elle finit par lui susurrer à l’oreille :
- C’est… pour que je fasse une fausse couche… en dévoilant un sourire triste sous son capuchon.
Ce jour-là, Malek eut le cœur fendu en deux. Il savait que ses ingrédients allaient ôter une vie innocente. Il retint son propre bras, prêt à remettre le paquet sur son étagère. La femme l’empêcha :
- S’il vous plaît. Je n’ai pas d’autre choix. Une larme chut en silence sur le tapis de l’Hypothéticaire. J’y ai déjà réfléchi…
Elle lui confia tout ce que le jeune vendeur avait à savoir : les raisons, les circonstances, les solutions auxquelles elle avait déjà songé, ceux de son entourage qui ne devaient rien savoir… Elle n’avait, pour ultime recours, que cette issue. Il se passa un long moment avant que l’un ou l’autre ne dise quoi que ce soit.
- J’espère sincèrement que vous n’en aurez pas besoin, dit le jeune homme en lui présentant le paquet.
Malek refusa de lui faire payer sa commande. Elle insista. Il lui céda le tout pour un adena symbolique.
- D’accord, fit-elle avec un sourire brisé dans la voix. Mais sachez que pour moi, le prix à payer sera immense.
Cela, Malek en avait bien conscience.

Cette pièce, il la garda dans sa poche, contre son cœur. C’était, de loin, la vente la moins lucrative de toute sa vie. C’était également celle qui lui avait le plus coûté.

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Message par Malek » dim. 16 novembre 2008 à 23h12

Chapitre onzième :
Tête à craques.


Malek rembourra sa pipe vide avant de reprendre le fil de son récit. Le vieil homme qu’il était devenu savait captiver son public.
- Malek, demanda une des petites filles qui buvait ses paroles, c’est là que tu as vaincu le dragon qui a tout cassé Dion ?
Le vieil homme sourit.
- Non, pas encore. A l’époque, je n’en savais pas encore assez sur les dragons. C’est ce qui m’a amené à rencontrer ceux qui savaient comment s’en débarrasser…

[dix-huit ans plus tôt, le château de Dion]

- La ville est assiégée. Les bâtiments sont en ruines, la plupart des habitants sont morts ou se sont réfugiées dans l’enceinte du château, disait un des survivants de la première heure.
Malek regardait les carrioles pleines de vivres et de mobiliers affluer depuis la ville. De hautes flammes léchaient le ciel. Au milieu, un dragon, Antharas.

Dion était devenu son nid. L’Hypothéticaire, sa pissotière. Malek était en rage. Il voulut se rendre sur place pour défier l’importun, mais il en fut empêché. Probablement que ce dernier l’eut mangé tout cru, il aurait essayé de le découper de l’intérieur avec son cure-pipe.

Malek mit au point mille et un stratagèmes pour le faire fuir, comme s’il s’était agi d’un vulgaire rongeur. Il entreprit de construire une catapulte pour lui projeter des potions nauséabondes. De bâtir une cage immense autour de la ville et de la remplir de farine pour l’étouffer. De le nourrir avec des quintaux de viande avariée afin de le rendre malade. Tous ces projets fous qui n’aboutissaient pour ainsi dire jamais ne faisaient qu’agacer davantage la population du château.
- Crois-tu vraiment qu’un dragon est idiot à ce point ?
- Et bien… fit Malek, après un long moment de réflexion : Oui ? Enfin… c’est rien qu’un gros lézard, non ?
L’étranger tourna la tête.
- Un dragon peut-être considéré comme un démon. Leur force est inimaginable, leur magie puissante… Tu penses vraiment qu’une créature ayant traversé tant de siècles soit dépourvue d’intelligence ? Si le dragon est le plus haut maillon de la chaîne alimentaire, ce n’est pas sans raisons.
Puis, regardant la créature rugir dans son nouveau fief :
- Seule une armée de héros pourrait le déloger de là.
- Héros, hein ?
Malek regardait le dragon, plissant les yeux. C’était décidé, pour lutter contre Antharas, il deviendrait un héros. Il étudierait les armes, apprendrait à se battre, compulserait tous les livres de la bibliothèque d’Innadril.

Mais pour ça, il lui fallait apprendre à lire.

[ image externe ]

- Et c’est ainsi que j’ai appris les plus hautes arcanes de la magie. C’en était fini des jeux de cartes et des tours de passe-passe, dit le vieil homme en accompagnant ses mots de grands mouvements circulaires de sa pipe. Il n’en avait fallu pas moins qu’un dragon, pour faire de moi l’homme que je suis devenu…
Les enfants le regardaient, bouche bée. Un petit garçon derrière les autres demanda :
- Et tu es devenu un héros ?
- Certes pas encore, mon garçon. Mais c’est ainsi que j’ai commencé à me faire connaître…
- Et le dragon, tu l’as tué tout seul alors ? fit la petite fille toute éberluée.
- Je n’ai pas tué le dragon, dit Malek tandis que des rides de malice plissaient au coin de ses yeux. D’ailleurs je n’étais pas seul. J’avais rassemblé une armée de héros !
Il tira une bouffée de sa pipe et continua :
- Les plus grands, mages et guerriers, étaient venus des quatre coins d’Elmoreden. Certains pour capturer le dragon, d’autre pour l’aider. Antharas n’était pas n’importe quel dragon. C’était l’enfant de Shilen, vous savez ?
- Donc sa maman Shilen c’était un lézard aussi ? demanda une autre fillette complètement perplexe.
- Et bien, rit doucement le vieil homme, je suppose que les dieux ressemblent à ce qu’ils veulent ressembler… Quoiqu’il en soit, ce fut une sacrée pagaille. Les autres enfants de Shilen, les Sombres, ont protégé le dragon jusqu’à leur dernier souffle. Il y avait des chevaliers de l’ordre du Lys Rouge, de l’ordre des Siannodels, de l’ordre d’Ambre, du désordre et que sais-je encore… J’ai vu les épées des uns se briser contre les armures des autres. A un moment, moi-même je ne savais plus pourquoi je combattais !
Le rire du vieillard se changea en quinte de toux un instant. Malek s’essuya la bouche et vida sa pipe contre la pierre sur laquelle il était assis. Son jeune public bavait d’impatience.
- Raconte-nous la suite, grand-père !
- Voilà, voilà… Les épées, les armures, tout ça… Les hostilités entre ceux qui voulaient protéger le dragon et ceux qui voulaient le sceller ont duré un bon moment. Finalement, l’arrivée de ce dernier aura calmé tout ce beau monde. Alors, hum, j’ai proposé aux mages de sceller le dragon en l’attirant jusqu’à un hexagramme magique qu’ils avaient dessiné. Evidemment, c’était mon plan et j’ai montré l’exemple en servant d’appât… J’ai trébuché devant lui et j’ai bien failli être dévoré tout cru ! Ses naseaux étaient si près que je pouvais sentir ses poils de nez me chatouiller les oreilles, ajouta Malek en mimant la scène, provoquant rires et frayeurs d’enfants.
- Et vous avez réussi à capturer le dragon ?
- Oui, fit Malek. Nous avons scellé le dragon dans un cristal… pas plus gros que la statue qui se trouve derrière moi. Il est rentré tout entier là-dedans.
- Pour toujours ?
- Pour toujours. Enfin, pour des dizaines et des dizaines d’années en tous cas, rassura le vieil homme en caressant une petite tête blonde.
La cloche du village sonna la nouvelle heure. Des mères appelaient leurs enfants pour déjeuner. Les marmots se dispersèrent, la tête pleine d’aventures fabuleuses. Malek se leva péniblement, s’appuyant sur sa canne.
- Dis Malek, fit une jeune fille brune restée là, c’est pas des vraies histoires hein ? Tu y étais pas… Maman elle dit que ça existe pas, les dragons.
Le vieil homme eut un sourire franc, et la corrigea :
- Ça n’existe plus, elle veut dire. Mais pour répondre à ta question : si. J’y étais. Je peux dire que j’y étais… murmura-t-il en claudiquant vers sa boutique.
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Re: Malek

Message par Lotradas » mar. 27 avril 2010 à 16h49

Compte supprimé par conséquent de même pour le perso