Thine

Ici se trouvent les BGs des héros décédés, paix à leurs âmes.

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thine
Cougar
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Thine

Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h41

Depuis plusieurs jours déjà les deux armées se heurtaient sans relâche. Un fracas de chair et de fer. Sans nom. Sans but. Sans répit. Un seul leitmotiv : une haine farouche réciproque. Un seul désir commun : en tuer le plus possible avant de succomber. Pas de prisonniers. Pas de survivants. Les blessés étaient écrasés par leurs propres frères d'armes. Dans le chaos de la bataille, dans le sang et la fureur, on ne distinguait plus les amis des ennemis.

Les marées de l'alliance et celle des orcs se fracassaient l'une contre l'autre comme des vagues en furie sur des falaises. Thine courait à travers ce charnier géant comme un dément. En tant que prêtre, il restait sur les lignes arrières pour soigner les blessés, assister les mourants. Mais là, il n'était que l'inutile témoin d'un gâchis sans nom. Toutes les guerres sont cruelles et vaines. Celle-ci atteignait le summum en la matière. Des centaines de milliers de morts. Aucun pouce de terrain conquis. Aucun tournant décisif.

En dessous du ciel noir et lourd, une fourmilière de bipèdes s'entretuait pour des raisons que tous avaient oubliées. Était-ce au nom de la liberté, d'un dieu ou juste pour le contrôle d'un territoire ? Personne ne s'en souvenait, personne ne s'en souciait.
La haine. Rien d'autre.

Le sang, les cadavres déchiquetés, la puanteur d'un champ de bataille devenant à chaque instant la nécropole de la bêtise des races.
La boue, le sifflement des carreaux ou des flèches aux oreilles. Le choc sourd des corps qui tombent avec la régularité d'un métronome. La grande faucheuse devait ricaner de toutes ces âmes qu'elle allait posséder pour rien.

Thine, le prêtre de Heaum avait passé sa vie sur les champs de bataille. Assister, soigner, guerroyer. Vaincre ou périr. Orcs, sorciers rouges, tribus soit disant barbares. Au bout d'un temps, l'ennemi n'a plus de nom. Il avait vu tant de morts qu'il ne voulait plus s'attacher à personne. Pas d'amis. L'ami qu'il fallait des mois à connaître et apprécier, on pouvait le perdre en quelques minutes sur le champ de bataille. Pas de femme donc pas de veuve. Surtout pas d'enfants. Les femmes faisaient des enfants pour que leur père les envoie comme chair à canon dès qu'ils atteignaient l'âge fatidique. Si c'était une fille, tant pis, elle fabriquerait les armes et les munitions. En temps de guerre, on réquisitionne toutes les mains disponibles.

Un carreau transperce son pavois. Un orc agonise a trois mètres de lui. Un coup sec. Tuer sans haine mais sans pitié comme si on égorgeait un porc. Tuer pour ne pas être tué. Il trébuche sur les corps d'un elfe et d'un nain morts côte à côte. La mort efface toute considération raciale, tout antagonisme. Ils se sont battus dans le même camp et l'espace d'un instant, alors qu'ils étaient encerclés par l'ennemi, malgré des siècles de culture à s'opposer, se méfier, se défier, ils se sont comportés comme des frères d'arme unis par le même destin, les mêmes désirs. Si seulement les créatures peuplant Féerune pouvaient se considérer de la même façon en temps de paix. Las, il faut la guerre et la mort pour réaliser comme toutes nos cultures, nos différences, nos religions sont dérisoires….

Un grognement inhumain, le sifflement aigu d'un fléau. Il se retourne juste à temps pour voir une masse énorme se découper devant lui. Le coup violent qui écrase son casque et l'assourdit. La chaleur du sang épais sur son visage. Lumière vive qui précède une obscurité une obscurité sans nom.

Thine sait que sa vie vient de finir.

S'il avait le temps, il l'accueillerait à bras ouvert avec un grand sourire…
Une vie consacrée à Heaum. Une mort pour trouver enfin la paix et l'oubli.



La pièce baigne dans une lumière douce et diffuse. Tout respire la calme et la paix. La jeune femme brune aux grands yeux clairs le contemple tendrement. Elle lui adresse un sourire chaleureux en lui caressant la joue du bout des doigts.

C'est donc ça le paradis ?

Cette belle femme lui rappelle quelqu'un. Thine cherche dans ses souvenirs. Un nom semble remonter à la surface mais il ne parvient pas à le saisir.

Soudain, le voile se déchire, la femme pousse un cri déchirant et son visage s'assèche d'un seul coup comme un vieux parchemin. Il n'y a plus de vie en elle : c'est une goule qui l'examine avec haine de ses yeux blancs et vides avant de lui lacérer le visage d'un violent revers de sa main cadavérique.

Le cri se fait plus strident. Une nuit irréelle repousse toute lumière.
Devant lui, la goule se change alors en momie. Des cadavres la rejoignent et l'encerclent. Il ne peut plus s'échapper nulle part. Ils tendent un doigt accusateur devant eux en le fixant du même regard de mort vivant.

- Thine, tu es coupable de notre mort. Coupable d'avoir abandonner ceux que tu disais être tes amis, d'avoir trahi ceux et celle qui t'aimaient…

Les mains se rapprochent jusqu'à presque le toucher. Il sent le froid de leur chair putréfié lui glacer le cœur.

- Thine, tu nous a tué. Tu nous a entraîné dans le néant, l'oubli et l'obscurité. Nous qui t'aimions… Comment as-tu pu faire ça, sans aucun remords ? Maintenant, tu es à nous.

Et voici, la sentence !

Le sol se dérobe sous ses pieds. Happé par un puit avide, il sombre suivi par le spectre de la femme qui plonge avec lui dans un feulement sinistre. Il sent soudain des griffes lui transpercer la poitrine. Dans la fulgurance de la douleur, il voit le spectre se changer en une tieffeline au sourire carnassier.

- As-tu oublié ta petite femme, mon chéri ? Combien de prières à Heaum il t'a fallu pour effacer de ta mémoire la façon dont tu m'as trahi ? Combien de pénitences, il t'a demandé pour qu'il te pardonne ma mort ?.
Elle ouvre une gueule béante garnie de crocs acérés comme des pointes de dague.

- Je suis ton châtiment… Tu es ma chose…à jamais… EThine, mon chéri…
Sang, douleur. A nouveau le voile noir du trépas.

La mort, ce n'est pas la paix.
Il y a des états pires que la mort…

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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h42

La douleur lui vrille le crâne. L'air brûle ses poumons. Son corps n'est que souffrance. Il ouvre péniblement les yeux mais la lumière l'aveugle.

- Sir Thine, n'essayez pas de bouger… cela fait plusieurs jours que vous êtes inconscient… On a bien cru vous perdre mais vous semblez tirer d'affaire….Reposez-vous…

La voix est douce et calme mais il a beau cherché, il n'en trouve pas la source… tout est flou autour de lui. Il sent de nouveau la torpeur l'envahir.

Une morgue.
Allongé sur la table, le marbre lui glace le corps. Il n'arrive pas à bouger. Les murs sont constitués d'une multitude de niches comme s'il se trouvait au centre d'une immense ruche. Sauf que chaque cavité vomit un cadavre, un squelette, une momie.
L'odeur le suffoque.

Autour de la table d'opération, des sorciers rouges de Thay le contemplent calmement comme des araignées qui attentent patiemment que leur proie se soit bien fatiguée dans la toile avant de lui porter le coup de grâce.

- C'est lui Thine Dyfed … le heaumite qui pensait nous duper ?
- Oui, l'imbécile ! Il fait moins le fier maintenant…. Il a perdu de sa superbe et de
son arrogance…
- Qu'on en finisse et n'oubliez pas, ne l'abîmez pas !

L'un des sorciers s'approche de la table, un scalpel étincelant dans la main. Il le brandit en adressant à Thine un sourire cruel avant de le lui planter dans le nombril. Il sent la lame remonter lentement jusqu'à sa gorge… Il ne meurt pas. Le sang gicle de chaque artère tranchée par un chirurgien fou et implacable mais la mort ne vient pas.

Un autre sorcier s'approche et montre à Thine ce qu'il tient dans ses mains, ce qu'il va déposer dans son corps….

Les ricanements des sorciers couvrent ses hurlements.

Il se lève en sursaut de sa couche… Encore la nuit ! Sa tête semble prise dans un étau. Il sent encore le scalpel du sorcier à travers son corps.
En regardant autour de lui, il s'aperçoit qu'il se trouve dans un hospice, entouré d'hommes qu'il ne reconnaît pas.

- Thine… encore un cauchemar ? Vous en faites un toutes les nuits depuis que Heaum vous a tiré des griffes de la mort…
- Nos prières et nos soins vous ont sauvé mais ils n'ont pas réussi à apaiser vos tourments semble-t-il dit une voix moins aimable.

L'un d'eux pousse alors un cri de stupeur en pointant la tête de Thine du doigt. Ils s'approchent alors de lui, lentement, avec moult précaution comme s'il était devenu une bête de foire, une chose curieuse mais dangereuse….

- Regardez ses cheveux … il y a une heure encore, ils étaient noirs comme la nuit !

Comme il ne semble pas comprendre, l'un des prêtres lui tend un miroir. Son visage ne lui dit rien. Toutefois, il constate qu'il a les traits d'un homme d'une trentaine d'années en pleine santé mais ses cheveux ont pris la teinte d'albâtre des morts…

Thine parcourt l'assistance du regard. L'effroi ou l'abjection se lit dans les yeux de certains…

- Mais, qui êtes vous ? Et…. qui suis-je... ?

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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h42

~~7 jours plus tard~~

- Je pense que les frères vous ont informés de mon amnésie.

Le Vigilant Supérieur Teydani le fixa silencieusement quelques instants. Emrys sentit qu'il cherchait à sonder son âme.

- Oui, on me l'a dit…en espérant toutefois que ce n'est pas une de vos ruses…

- Vous n'avez pas confiance en moi ? Je suis un fidèle serviteur de Heaum depuis des années !

Le prêtre toussota d'un air moqueur.

- Fidèle serviteur ? Voilà un titre bien ronflant que vous vous attribuez. Surtout pour quelqu'un qui prétend avoir tout oublier de son passé. Permettez moi d'en douter…. Les quelques rapports que j'ai sur vous ne sont pas très flatteurs. Vous avez été vu dans des régions aussi diverses que La Mer de Lune, La Côte des Dragons qui ne sont pas réputées pour la qualité des fréquentations qu'on peut s'y faire. Vous n'avez jamais été accompagné par un frère heaumite. En revanche, on vous aurait aperçu avec des sorciers dans le Mitan et une drow dans les Vaux. Drôles de relations, n'est-il pas ?

- Je ne me souviens pas d'avoir été dans toutes ces régions mais peut être que j'étais en mission pour Heaum ou pour chercher de nouveaux fidèles ? Quant à cette elfe noire… c'est… Non, ça ne me dit rien du tout !

- Vraiment ? Et pourtant, vous venez de dire « elfe noire » et non pas drow et avec un tel respect dans votre voix…

Teydani le fixa de nouveau droit dans les yeux avec un sourire ironique.

- En fait, Sentinelle Dyfed, c'était une prêtresse d'Eilistraee…parait-il. Enfin, passons ! Quant à votre soit disant mission d'évangélisation dans ces régions, je vous informe que je n'ai encore jamais vu quelqu'un me dire que c'était vous qui l'avait converti à Heaum. A moins que vous n'ayez été envoyé là-bas par Heaum lui-même, (de nouveau ce sourire sardonique sur les lèvres) je crois que vous agissiez pour votre propre compte… De plus, vous avez disparu pendant des années. On a même pensé que vous étiez mort…

La voix de son supérieur se faisait de plus en plus sèche et coupante.

- Enfin, toujours est-il que maintenant vous partagez un point en commun avec les drows… (il lui désigna du doigt sa chevelure blanche). Bref, pour résumer ce que je sais de la vie de Thine Dyfed, on peut dire que nous avons affaire à un prêtre aussi discret qu'un fantôme, n'ayant pas mis les pieds chez ses frères durant des années mais présent sur tous les champs de bataille quelque soit la cause… et vu de temps à autres avec des persona non grata…

Thine soutint le regard du Vigilant en serrant des poings :
- Ca fait plaisir de se sentir apprécié par ses supérieurs….

Il ne releva pas l'ironie.
- Je vous laisse quelques jours pour bien vous remettre sur pieds. Ensuite, vous partirez poursuivre votre convalescence à Beckrunes. Non, ne cherchez pas dans vos…souvenirs. Vous ne connaissez pas cette ville. Elle se trouve sur une île au-delà de la Mer Inviolée et la traversée en bateau dure deux mois.

- Autrement dit, vous m'éloignez de ces terres… ?

- Pour votre bien et le notre aussi ! Et puis, vous avez prouvé que vous êtes un grand voyageur…

- Sauf qu'en général, je choisis les lieux où je me rends…

- Il suffit ! En ce qui vous concerne, deux nouvelles sont susceptibles de me réjouir : apprendre que vous avez prouvé enfin votre loyauté à Heaum ou savoir que vous avez fini dans la gueule d'un dragon. D'ailleurs l'un n'est pas incompatible avec l'autre. Vous pouvez disposer…

- Je souhaiterais vous poser une dernière question : ces personnes qui m'ont soit disant accompagnés, savez-vous ce qu'elles sont devenus ?

Le Vigilant esquissa un sourire

- Vous avez la réputation fâcheuse de laisser vos « amis » derrière vous… morts généralement. Mais peut être que ce ne sont que des rumeurs ?

Quatre jours après, Thine rassemblait ses maigres affaires et prenait le bateau pour Beckrunes.

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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h43

Beckrunes… la fin du voyage.

Quelle étrange situation que de débarquer après deux mois de traversée et avec juste un pauvre balluchon sur les épaules sans personne pour vous attendre sur les quais.

On est dévisagé par des visages inconnus… Les regards se détournent quand vous essayez de les accrocher.

Premier visage sympathique, celui de damoiselle Aurore Calus. Après deux mois sur un bateau remplis d'hommes… un visage féminin, avenant de surcroît redonne du baume au cœur.

Son supérieur sur l'île lui présenta rapidement la situation. Elle était toute sauf brillante et paisible. Comme lieu de convalescence, il aurait espéré trouver mieux.

L'aimable Aurore Calus espérait qu'il ne reprenne pas de sitôt le chemin des champs de bataille. Il le souhaitait aussi. Il pouvait mentir aux autres pour ne pas les blesser mais impossible de s'abuser lui-même. Il était chimérique de croire qu'on pouvait vivre en se moquant de tout cela. Il devrait tôt ou tard s'engager. Mais dans quoi ? Pour qui ? Sa seule certitude : des batailles l'attendaient, certainement. Surtout intérieures dans un premier temps…




Au bout de 3 semaines sur l'île, il trouvait la situation des plus comiques. Ses supérieurs sur le continent l'avaient envoyés sur Beckrunes pour le mettre à l'épreuve. Le racheter en quelques sortes de ces actes passés dont Teydani ne lui avait parlé qu'à mi-mots.

Plus il repensait au dernier entretien avec le Vigilant, plus il était persuadé que finalement, ce dernier n'en savait pas plus sur son compte que ce qu'il lui avait dit.

Mais Teydani connaissait-il Hayami Sakebi ? Son Vigilant sur Beckrunes était l'être le plus indéfinissable qu'il soit. Ils avaient un seul point en commun : d'être tous deux prêtres. Pour le reste, le comportement de cet homme était tout simplement aux antithèses dans la ligne de conduite des heaumites. Ses décisions semblaient la plupart du temps plus dictées par l'instinct ou des impulsions que par l'exercice de la réflexion ou inspirées par la sagesse.

De plus, pas un jour ne se passait sans qu'il ne se fasse remarquer. Et cela n'était pas forcément dans le bon sens du terme. La réputation des heaumites était loin d'être reluisante. Peu de gens les prenaient au sérieux.

Sans parler d'Hayami, les quelques personnes avec qui il avait eu l'occasion de s'entretenir étaient toutes animés par le même désir : combattre l'injustice, la tyrannie, préserver la paix…

Il ne suffit pas de parler de la paix pour la faire.

La soif de pouvoir, l'ambition ou la certitude aveugle de détenir la vérité avait conduit des générations à s'entretuer.

Quoiqu'il fasse, il savait qu'il se trouverait toujours des personnes pour le critiquer ou le brocarder. Il ne gagnerait pas la confiance par des mots mais par ses actes… Il attendait juste l'occasion de montrer qu'il pouvait en être digne…




Lors du procès de Frène, le Vigilant avait encore oublié de se taire…

Une erreur de plus à son « passif ». Une de trop sans doute…
Hayami Sakebi n'avait pu s'empêcher d'exprimer haut et fort ses doutes sur l'équité du jugement et surtout sur ses réels motifs.
En quittant le Temple de Lathandre, il avait balancé à l'Intendant avec son attitude fanfaronne coutumière que si ce dernier voulait l'Orbe, il n'avait qu'à lui demander…
Ultime bravade qui n'avait fait sourire personne. Surtout pas Fergus.
Ordre fut donné à la soldatesque d'arrêter Hayami Sakebi.
Il réussit néanmoins à s'enfuir.
Après deux jours de recherches infructueuses par la Garde, l'aboyeur annonçait à la populace que la somme de 250 mille pièces d'or serait offerte pour sa capture. Mort ou vif. Voilà qui en disait long sur la détermination du pouvoir en place.
Il s'était alors rendu au temple de Heaum. Espérant naïvement le trouver là-bas. Il ne trouva qu'une courte lettre où son Vigilant exposait ses théories habituelles et surtout lui donnait rendez-vous aux ruines.

Evana Flammeneige et Lychnis…
Une semaine auparavant, il avait juré de ne rien cacher à la Triade.
Règle importante chez les heaumites : Ne jamais trahir en promesses.
Il s'en suivait une autre toutefois : Ne jamais sacrifier personne.
Il ne pouvait pas reprocher aux deux paladines d'arrêter Hayami avant qu'il ne soit tué par des chasseurs de prime peu scrupuleux. Après tout, pour 250 000, il suffisait juste de rapporter la tête du Vigilant au bout d'une pique….
Il se détestait lui… d'avoir été si naïf. Confiant en l'humanité. Elle, qui devrait avoir des millénaires de sagesse. Mais retombait en enfance à chaque nouvelle génération.
Il n'était ni meilleur ni pire. Rien qu'un homme.
Facile de juger ses semblables. Et si il examinait son propre cœur, que trouverait-il ?

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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h43

La première fois qu'Aurore changea de forme devant lui, il ne fut même pas surpris. De toute façon, il n'en eut pas le temps. Pourtant, voir une femme se changer en dragonnet n'a rien de commun.

Elle lui avait caché ce don. Par méfiance ? Par crainte de sa réaction ?

Mais, au beau milieu d'une embuscade orque, alors qu'il sentait qu'ils allaient s'écrouler sous la brusquerie de l'attaque, il vit la femme qu'il avait serré si souvent dans ses bras, se transformer en dragonnet rouge. Il s'écarta juste à temps pour ne pas être carbonisé par son souffle et rejoindre les orques dans un tas de cendres.

Un long silence s'ensuivit. Il ressentit un profond malaise mais ne le montra pas. Prenant un air faussement détaché, il tourna son talent en dérision en la taquinant comme il avait coutume de le faire.

Si elle pouvait changer de forme, lui savait adopter différents masques. Aucune magie là-dedans. Rien de contraires aux lois. Dans un monde où on vous juge d'abord sur votre apparence, c'était un don bien utile…

Avec les autres, il s'efforçait d'être toujours posé, calme, sérieux et courtois comme l'incombait son statut de sentinelle.

Avec Aurore, il pouvait se libérer du fardeau de cette responsabilité qui l'accablait chaque jour un peu plus. Au fil des semaines, elle était devenue une amie, une confidente, la femme qu'il aimait.

Elle le faisait se sentir libre, loin de toute obligation. Pourtant, elle avait tissé autour de lui un filet invisible mais aux mailles solides de sentiments et de passion entrelacés.

Ironie du sort ?

Ses nuits étaient déjà hantées par un spectre multiforme qui le tirait du lit, en nage, le cœur au bord des lèvres… Ce cauchemar restait toujours le même, sans réponse, sans nom comme ce jury de morts qui le déclarait coupable…nuit après nuit.

Et de jour, il arpentait les contrées de l'île aux côtés d'une métamorphe dont il avait cessé de quantifier les différentes formes depuis longtemps. La plupart auraient été tenu pour abominables par la majeure partie des « braves gens ». Il n'en avait cure. Au fond de lui, quelque chose disait qu'elle n'était pas la première métamorphe qui croisait sa route. Il maudissait alors sa mémoire en guenilles.

Sans s'apercevoir de rien ou en paraissant ne rien voir de son trouble, elle lui faisait découvrir une nouvelle forme presque chaque jour. Embarrassée ou narquoise. Amusée ou terrifiée. Elle contrôlait ce pouvoir mais ne pouvait s'empêcher de se transmuter. Cela faisait partie de sa vie, de son être. Ses multiples formes constituaient paradoxalement son identité…

Mais ce n'était pas au goût de tout le monde.

Dans un monde où seule l'apparence prime, c'était un don néfaste…

Surtout quand elle se changeait en elfe noire.

Le jour où elle lui fit découvrir cette nouvelle forme, ce fut tout un pan de souvenirs qui ressuscita en lui. Comme un voile opaque qui se déchire.
Nathraë…
La drow qui avait eu confiance en lui. Qui l'avait aimé. Qu'il avait trahi. Livré. Le passé est une punition quand il nous rappelle le plus noir et le plus mauvais de nous.

Mais le pire n'était pas les souvenirs qu'elle avait rouverts comme une plaie purulente. Elle avait attisé la convoitise de deux chasseurs de prime peu scrupuleux qui voyaient l'occasion de se faire de l'or facilement en la livrant morte ou vive aux autorités. Il était trop tôt pour lui parler de tout ça… il fallait d'abord la protéger de ces rapaces qui tournaient autour d'elle comme une future charogne. Car sur Beckrunes, tous les elfes noirs étaient tués a vue !


C'était il y a deux mois. Déjà…


Le soir tombait doucement dans le jardin de Dame Riftana. Elle lui avait fait l'honneur de découvrir sa maison. Première fois. Dernière aussi, sans doute. Il espérait pourtant au fond de lui-même que ce ne fut pas le cas…

Mais tout cela paraissait si loin dorénavant.

Comme Beckrunes qu'il avait fuit tel un voleur avec Aurore. Par le premier bateau. Il n'avait informé personne de ses projets. Ni Evana qui le considérait pourtant comme un ami, ni Hayami, ni la prêtresse Kali. Il savait ce que cela signifiait : une nouvelle désertion était inacceptable. On l'avait envoyé sur Beckrunes pour prouver sa loyauté au culte. Il venait de désobéir et de tourner le dos à ses obligations, une fois de plus. Une fois de trop. Il ne serait sans doute plus jamais heaumite.

Riftana, cette dame elfe au visage si sévère mais aux paroles et aux manières si douces, au cœur aussi grand que sa sagesse. Il l'avait écouté… mais comme un humain... sans vraiment la comprendre. Son mari avait toujours été partagé entre la foi et sa mission envers sa divinité et leur amour. Finalement, il avait choisi Dieu.

Lui avait fait le choix contraire.

Aujourd'hui, il savait ce que Riftana avait voulu lui faire comprendre : il n'existait pas que deux solutions, deux choix possibles. Rien de pire que de ne voir qu'une seule alternative.

Mais les dés étaient jetés dorénavant…
De là où il survivait maintenant, elle lui manquait beaucoup...

Comme un phare perdu dans la nuit, inaccessible... trop loin pour lui montrer comment éviter les récifs sur lesquels il allait bientôt s'échouer.
De là où il survivait dorénavant, elle lui manquait beaucoup...
Comme un phare lointain mais inaccessible... trop loin pour lui montrer comment éviter les récifs sur lesquels il allait bientôt s'échouer.

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h44

Retour sur le continent. L'errance. La fuite en avant sur les routes.

Eviter les villes. Trouver chaque nuit un abri, un toit différent. Ne plus se lier ni se fier à personne. Vivre de peu et toujours de moins en moins, jours après jours.

Tout ça pour elle.

Les premiers temps, la force de leur amour apaisait tout. Effaçait tout. Il suffisait que ses grands yeux clairs se penchent sur lui et son découragement s'envolait comme feuille au vent.

Grisée par sa liberté, le sentiment de ne plus avoir de limites, Aurore ne cessait d'aller plus loin dans ses explorations. Rien ne semblait pouvoir étancher sa soif de pouvoir.

Mais tout pouvoir a un prix à payer.
On ne change pas de forme impunément.
Comme la soif de sang pour un vampire, elle devient vite incontrôlable quand on se laisse porter.
Et certaines formes ne sont plus seulement des apparences. Elles réclament leur tribut et prennent possession de celui ou celle qui les adoptent.

Une nuit alors qu'il était encore en proie à ses cauchemars qui ne le quittaient plus, il sentit une main glacée sur lui. Au moment même où le spectre lui plantait rituellement ses griffes à travers le corps. Sauf que là, c'était encore plus réel que d'habitude.

Il se réveilla en sursaut.
Là, en face de lui : la peau blême d'un cadavre, les yeux couleurs de cendres, les lèvres rouge sang, un froid glacial qui lui traversait le corps jusqu'au bout des doigts : la vampire le contemplait comme son futur festin.
- N'aie pas peur mon cœur, ce n'est que moi…
Il ne reconnut pas la voix. Sensuelle et sépulcrale.
Il chercha son épée des yeux dans la pénombre mais elle se jeta dessus, la sortit du fourreau et la pointa sur lui avec un rire caverneux en l'espace d'un souffle.
- Tu as vu ? Plus personne ne pourra m'atteindre désormais. Je suis par delà la vie et la mort. A leur tour d'avoir peur !
- Aurore ?
La vampire gloussa avec cruauté.
- Qui veux-tu que ce soit d'autre ?

Elle laissa tomber l'épée et s'approcha de lui. Alors qu'elle avait le visage tout contre le sien, il sentit son haleine fétide et du sang frais coulait encore de ses lèvres. Il s'écarta de sa couche, horrifié. Elle lui adressa le sourire le plus cruel qui lui fut donné de voir.
- Ah oui, j'ai oublié de te dire que ma nouvelle forme réclame aussi les attributs qui lui sont liés.
- Aurore ! Tu, tu…veux dire que tu as mordu quelqu'un ?
- Il faut bien se nourrir…
- Je n'ai pas quitté Beckrunes, mes amis, mon ordre, tout ce qui faisait ma vie pour vivre avec une telle…aberration. Il cracha presque ce dernier mot en la regardant ulcéré.
- Tout ce qui faisait ta vie n'était que du vide… tu n'as jamais su me protéger. Maintenant, je n'ai plus besoin de toi ni de personne. Je saurais me défendre seule ! Toi, tu n'es rien et ne sera toujours rien !



Les jours, les semaines s'écoulèrent.

Il passait ses journées de plus en plus souvent seul.

Aurore ou ce qui restait d'elle s'enfonçait dans les forêts sombres, les temples abandonnés ou les souterrains ; poussée par une pulsion indicible. Il n'avait plus les moyens de la suivre. Elle était trop rapide, pouvait se fondre dans l'ombre, traversait des lieues sans aucune fatigue apparente.

Chaque nuit pourtant, elle revenait vers lui. Toujours plus pâle, fiévreuse, les traits tirés, les yeux vitreux mais paradoxalement l'air satisfaite.

Elle ne l'écoutait plus. Lui parlait à peine. Repartait dés l'aube. Ses nouvelles métamorphoses la laissaient chaque jour un peu plus exsangue mais elle n'arrêtait pas : succube, illithid et d'autres créatures plus innommables les unes que les autres.

Qui était le plus à blâmer ? Elle, qui ne faisait qu'essayer d'assouvir l'ambition qui la dévorait comme un feu intérieur inextinguible ? Ou plutôt lui, qui la regardait sans rien dire ni agir ? Tantôt avec une admiration non feinte en pensant qu'aucune femme ne saurait plus jamais l'étonner comme elle. Tantôt avec haine et convoitise car il savait qu'il n'atteindrait jamais une étincelle de ces pouvoirs qu'il ne comprenait même pas. Cette haine, elle lui renvoyait d'un seul regard mais il pouvait lire aussi la douleur en elle :
« Pourquoi me méprises-tu ainsi ? Je croyais que nous nous aimions, que tu me comprenais et maintenant que je te montre tout ce que je peux devenir, tu me repousses…».

Celui qui ne dit rien, ne s'oppose plus, baisse les bras en se disant qu'il n'y a plus rien à faire est aussi complice que celui qui donne les outils du crime. Fermer les yeux, c'est consentir.

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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h45

Il restait dorénavant des semaines entières sans la voir.

L'amour ne se conjuguait plus qu'au passé. Il continuait de s'accrocher à l'idée qu'il retrouverait Sa Aurore comme le marin en plein naufrage qui voit le bateau couler mais s'accroche quand même au mât, devenu pourtant dérisoire…

Elle finissait pourtant toujours par revenir vers lui. Il ne savait plus trop si elle le faisait par habitude ou pitié pour lui. Puis, elle lui disait qu'elle repartait mais cette fois dans un autre royaume et que si il voulait la suivre, c'était tout de suite et maintenant…

Dans le Cormyr, il ne put résister à contacter ses frères heaumites. Il avait besoin de reparler à quelqu'un, se confier, faire le point. Toutes ces longues semaines de solitude l'avaient vidé. Le monde ne lui apparaissait plus que comme un immense linceul. Il avait erré en lui-même sans jamais rencontrer personne, aussi seul qu'une bête.

L'accueil fut aussi glacial que dans l'Epine Dorsale du Monde quand il déclina son identité.

- Sentinelle Thine, cela fait 4 mois que la Prêtresse Kali vous fait rechercher. J'espère que vous avez de bons motifs pour avoir quitté Beckrunes… De très bons motifs…

Deux heaumites se jetèrent alors sur lui et le conduirent au Vigilant sans ménagement.

Face à un tribunal improvisé, il leur raconta tout par le détail. A mesure qu'il avançait dans son récit, les visages se décomposaient, les yeux se révulsaient, des murmures de protestations s'élevaient… Il sentait bien que sa promotion au sein du culte ne serait pas pour aujourd'hui.

Le Vigilant ne prit pas plus de cinq minutes pour rendre son verdict :
- On dit communément que l'amour pardonne tout, c'est faux quand il conduit à l'aveuglement et à la lâcheté. Car vous êtes un lâche Dyfed… Même un gobelin n'abandonne pas ainsi ses frères. Vous avez tourné le dos à vos amis, à votre ancien Vigilant Sakebi, à l'amitié de la paladine de Torm : Dame Flammeneige… Et pire que tout, à vos devoirs…C'est comme ça que vous aimez ? Pour un seul être, vous reniez tout ce qui fait votre identité ? Vous avez trahi une fois de plus la confiance de vos frères. Tout ça pour une femme semblable à un enfant qui, lasse de son jouet l'a brisé comme un vulgaire pantin…

Le Vigilant claqua des doigts. A ce signe, deux Sentinelles saisirent Thine pendant qu'un troisième lui arracha la chaînette qu'il avait autour du cou. Celle qu'il portait depuis des années avec le symbole de Heaum en médaillon. Le Vigilant le posa délicatement sur la grande table de pierre qui les séparait depuis le début de leur discussion. Il dégaina son épée en regardant Thine avec tristesse.

- Ma peine est grande, Sentinelle. Ce que je vais vous infliger me remplit de honte mais c'est la peine réservée aux traîtres et déserteurs de l'ordre.
Il leva son épée devant lui puis, après un long moment de silence où il resta immobile, les yeux mi-clos, il abattit sa lame sur le médaillon.

La main de Heaum avec l'œil incrusté dedans était dorénavant brisée en deux. Signe de sa déchéance qu'il devrait arborer jusqu'à la fin de ses jours ou sa rédemption…

Thine garda un visage impassible jusqu'à sa sortie du temple.

Il s'était mis à pleuvoir. La pluie se mêla à ses larmes de rage alors que le Vigilant lui criait une dernière fois :
- Dommage qu'elle doive mourir Dyfed mais c'est notre lot à tous … En tout cas, Féerûne regorge de suffisamment d'abominations. Tuez celle-ci dans l'œuf avant qu'elle n'éclose !

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h45

Sur un velin bon marché et d'une écriture tremblante adressé à Evana Flammeneige:


~~Ma chère Evana,


J'aurais du t'écrire depuis bien longtemps. C'était la moindre des choses que je devais à une amie que j'ai si lâchement abandonnée. Mais, voilà que je t'écris enfin. Je suis depuis deux jours dans le royaume du Cormyr. J'ai suivi jusqu'ici la femme que je croyais aimer mais je me suis lourdement trompé.

Il pleut sans cesse dans cette région et ce temps gris se reflète dans le cœur des gens. Aucune chaleur ici, pas même humaine… De toute façon, loin de toi, j'aurais toujours froid même au milieu d'une armée.

Tu me manques Eva. Je pense tout le temps à toi ces derniers temps, avec beaucoup d'émotion. Quand nous étions ensemble, chaque mot de ta part mettait du baume sur mon âme.

J'espère que tu vas bien. Il m'arrive certaines nuits sans sommeil de m'imaginer que tu es quelque part, blessée, ou emprisonnée voire pire. Je n'ose pas imaginer qu'on puisse te faire du mal même si je sais que tu as appris à te défendre bien avant de me connaître et que tu dois continuer aujourd'hui. Je sais que tu n'as pas besoin de moi. En fait, c'est même tout le contraire. Et comme un imbécile, je suis parti.

Eva… je ne suis plus heaumite, j'ai été banni par mon clergé. Ils m'ont mis en main un marché simple : si je veux réintégrer les rangs, je dois tuer Aurore car elle est devenu trop dangereuse à leurs yeux. Il faut que tu saches qu'elle n'est plus celle que tu as connue. Elle peut prendre des enveloppes charnelles terrifiantes. Même devenir une vampire. Le pire de tout, c'est qu'elle ne contrôle plus ses formes. Elle a déjà goûté au sang. J'ose espérer qu'il n'était pas humain. Mais je n'ai pas eu la force de lui demander. Le Vigilant du Cormyr veut que je l'empêche d'atteindre le stade ultime de son développement : celui de Dragon ancien.

Mais comment pourrais-je la tuer ? Elle est devenue bien trop puissante. Et comment frapper celle qu'on a aimée ? C'est comme si on me demandait de te renier…

Parfois, je rêve d'être de retour sur Beckrunes et contrairement à la première fois, quelqu'un m'attendrait sur les quais quand je descendrais du bateau. Et ce quelqu'un ce serait toi : dans ta belle armure de Tantras. Resplendissante comme toujours. M'accueillant d'un sourire chaleureux.

Mais ce n'est qu'un rêve mon amie.
J'ai peu d'espoir.
D'ailleurs, m'attends-tu encore ? Est-ce que j'existe encore pour toi ?


Ma dernière pensée sera pour toi.

Thine.~~


Thine remit 2000 pièces d'or au coursier, tout ce qui lui restait, pour que cette lettre parvienne le plus rapidement possible sur l'île ...

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h46

Il déambulait à travers le royaume, traquant Aurore sans relâche. Pressé d'en finir. De voir sa vie finir… Les jours ressemblaient aux nuits. Courbé sous la pluie battante qui ne cessait plus depuis son départ du temple, la main crispée sur la poignée de son épée. Cette épée que lui avait offert la prêtresse Kali en signe de bienvenue et d'admission chez les heaumites de Beckrunes.

Le spectre qui hantait ses nuits le suivait aussi durant la journée maintenant. A moins que ce ne soit le délire apporté par tant de jours sans sommeil. Il égrenait une série de noms dans un ricanement ininterrompu. Des noms de morts. Amis ou ennemis. Il les avait tous tué ou fait tué. Voilà tout ce qu'il était : un assassin au nom d'un dieu.

Que signifiait encore pour lui d'être prêtre de Heaum ? Qu'était-il devenu ? Les heaumites luttaient pour maintenir la paix et pourtant ils avaient été dans toutes les guerres. Ils cherchaient à préserver la vie mais il a envoyé de nombreux êtres vers la mort. Il s'était juré d'aider à faire respecter la justice et servait des royaumes qui sombraient dans la corruption.

La plupart des royaumes étaient corrompus : on se moquait des esclaves, des prisons illégales, des travailleurs dans les mines du moment que les nobles avaient les poches pleines.

Etait-il resté le même ? Etait-il encore un prêtre ? Il cherchait toujours le vrai chemin…

Combien de morts seraient encore nécessaires ? Comment servir ce qui est corrompu sans se corrompre soi-même ? Et surtout, comment savoir si le pouvoir qu'on servait ne deviendrait pas pire que ce qu'il est ?

Il ne savait que deux choses : il était bon de s'interroger même lorsqu'il n y avait pas de réponse. Et la guerre changeait toujours ceux qui la faisaient… nul ne pouvait prévoir comment. Il avait tellement changé, tant posé de questions sans réponses qu'il s'était perdu lui-même. C'était ça, sa vraie déchéance… quand on n'a plus assez de lucidité, quand on ne voit plus clair en soi : on ne peut plus être heaumite. On n'est même plus un homme…
Vaincre ou périr face à Aurore… La clé de sa rédemption n'était pas là.



- Ainsi donc, tu es venu me tuer, comme toutes les autres… ?

Il avait brandi son épée en la voyant surgir devant lui mais dès qu'elle avait plongé son regard dans le sien, il avait compris qu'il ne pourrait pas…

- Combien de femmes as-tu tué pour rester l'esclave officiel de Heaum ? Combien de prières dis-tu chaque soir pour le salut de leur âme ? Pas assez, je pense puisque leurs spectres te traquent dans tes rêves !

Il tentait de soutenir son regard, en serrant la poigne de son épée de toutes ses forces, sans trembler. Mais, les souvenirs se bousculaient dans sa tête : tous les moments de bonheur, de complicité qu'ils avaient connus. Tout cela allait prendre fin dans quelques instants. L'épée n'était qu'un prétexte. Le mot de la fin appartenait à elle.

- Tu ne réponds pas évidemment… Secret confessionnel, je suppose… Où bien la qualité principale d'un prêtre, c'est de croire, pas de réfléchir…

Il serrait des dents sans rien dire. Pourquoi répliquer ? Les mots sont inutiles. Quand on veut tuer quelqu'un, on ne fait pas de longs discours. A quoi cela sert de parler à un futur cadavre ? On ne découvre pas la vérité dans les dernières minutes de sa vie…

- Je t'avais pourtant prévenu que tu serais choqué par ce que je deviendrais mais tu m'avais assuré que tu me comprendrais, que tu continuerais de m'aimer… Et moi, je t'ai cru comme une sotte ! Mais voilà, pour ton dieu, je suis une erreur de la nature … un monstre de plus !

Le ciel s'obscurcissait un peu plus à chaque instant de lourds nuages noirs comme une réponse aux prières muettes de Thine. Bientôt, des rafales couchèrent les herbes autour de lui. Aurore, immobile dans la bourrasque, la tête renversée en arrière, semblait attirer à elle un souffle magique, un vent venu de loin, au-delà des plaines. A présent couché à terre, cinglé par de soudaines risées de pluie, Thine perçut un message diffus dans le souffle de la tempête.

« Mais comment pourras-tu me tuer si tu n'as pas la capacité de bouger ? »

- Arrête, espèce de folle ! Je ne veux pas te tuer, ça ne servira à rien de toute façon ! hurla-t-il stupidement, dans un tumulte tel qu'il entendit à peine sa propre voix.

Aurore, bien sûr, ne répondit pas. Assourdi, aveuglé, terrifié par ce tumulte absurde surgi de nulle part qu'elle avait crée, Thine était incapable de comprendre les mots qu'elle criait dans les éléments en furie.

Il releva les yeux vers Aurore et vit alors ce qu'elle était devenu : indifférente au chaos ambiant, la peau luisante d'embruns. Ses cheveux battus par le vent avaient l'air animés d'une vie propre et pour cause : ils étaient fait de serpents qui ondulaient autour de sa tête. Son buste, ses membres inférieurs, sa tête étaient recouvertes d'écailles cuivrées.

Quand il croisa ses yeux, il sut que tout était fini… Toute personne qui regarde une méduse…

La rigidité toucha d'abord ses pied puis gagna en quelques secondes ses membres inférieurs qui prirent l'aspect du granit. Il se sentit étouffer. Ouvrit la bouche d'effroi, essaya de puiser de l'air mais ses poumons étaient comprimés comme s'il avait un énorme rocher sur le ventre. Le crépitement de la pierre atteignit ses oreilles. Il pensa une dernière fois à Evana, comme il se l'était promis. Une nuit sans fin ni sensations s'abattit sur lui.

Peu à peu le vent dissipa les sombres nuages. Le vent lui-même tomba aussi vite qu'il était venu. Aurore regarda la forme de pierre à ses pieds, essuya d'un revers de la main les larmes qui coulaient de ses yeux. Elle était redevenue Sa Aurore mais il ne pouvait plus la voir, comme il ne pourrait plus rien sentir, écouter.

Thine était aussi muet et mort qu'une pierre. Ni le temps, ni les éléments n'auraient plus de prises sur lui. Bientôt, il serait recouvert par les feuilles mortes et personne ne soupçonnerait l'humain sous cette gangue de granit.

- Si tu ne peux pas être à moi, tu ne seras à personne…
Aurore lui tourna le dos et s'enfonça rapidement dans la campagne.



Cette douleur, cette souffrance cinglante qui irradie tout le corps, ce n'est pas la mort, hélas… C'est encore la vie.
Cette chaleur qui renaît en lui, la lumière brûlante du jour…

Des images se bousculent et lui vrillent le crâne.
La tempête, Aurore, la méduse….
Il se souvient des derniers instants, et de son amie aux cheveux argentés…

Cheveux blancs comme les siens…
Comme ceux….
Comme ceux des drows qui se penchent sur lui alors qu'il rouvre les yeux.

Oh non, pas ça…. Pas des drows maintenant…

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h46

Quelqu'un lui releva la tête et porta une gourde à ses lèvres. La drow hocha la tête en signe d'encouragement avec un plissement des yeux qui pouvait passer pour amical. De toute façon, vu son état… il ne risquait plus grand-chose.

- Nuruhuine I vaháya sin atalante….

Thine sourit faiblement et souffla :
- Je ne suis pas certain que l'ombre de la mort soit aussi loin que tu le dis…

L'elfe noire le dévisagea d'abord avec suspicion puis lui adressa un énigmatique sourire.
- Vel'bol zhah dosst kaas, lotha rivvil ?

Le liquide qui coulait dans son gosier lui brûlait les entrailles et il avait l'impression de manquer d'air. Il toussa en rejetant du liquide sur elle.

- Thine.... Dos Phuul ilythiir ?
- Alors ça, je n'en reviens pas… Un humain qui parle notre langue presque à la perfection… Je te dois donc la pareille. Car moi aussi, je connais bien ta langue… prêtre ! Je m'appelle Zilvra, prêtresse de la Vierge Noire.

Elle remit sa gourde à sa ceinture et se redressa. Il était étendu sur un tapis de feuilles mortes mais ne sentait plus ses bras ni ses jambes.

- Je t'ai libéré de ta gangue de pierre mais, cela doit faire longtemps que tu étais emprisonné là-dedans…alors tes muscles ont du s'atrophier.
Elle se retourna vers deux ou trois silhouettes floues et claqua des doigts :
- Allons mes sœurs, aidons ce mâle en détresse et voyons si il sera encore bon à quelque chose….

Il se sentit attrapé puis déposé sur une sorte de civière.
- Courage humain, ton calvaire est terminé. Nous allons t'aider à revivre.

Thine esquissa une grimace avant de plonger dans l'inconscience. Une drow lui disant que son calvaire était fini : la mort a de ces ironies….


Les elfes noirs vivaient au cœur de la sombre forêt de Brumêche. Aucun humain ne s'était risqué plus loin que les abords. La végétation était trop dense. La lumière rare et les arbres semblaient repousser ceux qu'ils ne voulaient pas voir pénétrer dans leur royaume.

Il se rendait compte qu'il était le seul humain dans cette clairière aménagée par la communauté d'Eilistraée. Il avait déjà rencontré des membres de la Dame de la Danse vers Lunargent. C'était même là-bas que son chemin avait croisé celui de Nathraë. Ils ne désiraient qu'une chose : vivre en paix sur les Royaumes du Dessus. Malgré tous leurs efforts pour apporter aide, paix et réconfort envers n'importe quelle race civilisée, ils étaient encore traqués et combattus par les imbéciles qui ne voyaient que malfaisance chez les drows. Ce devait être le cas dans le Cormyr puisqu'ils restaient cachés.

Thine s'ébroua, assis en tailleur dans l'espèce de hutte de Zilvra. Elle était trop basse pour lui et peu confortable. Ces elfes noirs n'aimaient ni l'or, ni les meubles, ni les riches tissus, tout ce qui paraissait représenter l'essence même du bonheur pour tout citadin. Il contempla tousceux et celles qui travaillaient autour de lui. Encore fatigué par les efforts de ces derniers jours. Les « sœurs » l'avait nourri, soigné pour ensuite le forcer les jours suivants à remarcher. Les premiers temps furent rudes. Il pensait qu'il ne retrouverait plus jamais l'usage de ses jambes. Mais les elfes noirs le tançaient comme un enfant, se moquaient de sa faiblesse d'humain. Elles avaient fait mouche. En piquant son orgueil, en blessant son amour propre, elles lui avaient donnés suffisamment de haine pour qu'il retrouve le goût de se battre… contre lui-même. Puis, une fois qu'il pouvait se déplacer seul, on lui avait confié de menus travaux. Une façon de payer son séjour mais surtout de se faire accepter. Dans les premiers temps, les regards étaient tous sauf amicaux et bienveillants. Si il avait eu l'audace de venir jusqu'ici sans être aux côtés de Zylvra, il se demandait si l'accueil aurait été le même. Il ne devait surtout pas oublier qu'il avait quand même affaire à des ilythiirs…
Il chercha Zylvra et sentit alors la main de la prêtresse posée sur son bras. Elle s'était glissée derrière lui sans qu'il la voie, calme et silencieuse…

- Comment m'avez-vous retrouvé ?
- Disons que tu as eu beaucoup de chance… La plaine où nous t'avons déniché est peu traversée. Que ce soit par nous ou… les autres mais je n'avais encore jamais vu un rocher en forme d'homme couché pointant une épée vers les nuages… Au départ, j'ai cru que c'était l'œuvre d'un mauvais artiste, tellement je trouvais la sculpture laide. Et en enlevant le tapis de feuille morte qui avait commencé à te recouvrir, j'ai compris que j'avais affaire à quelqu'un qui s'était fâché avec un mage ou un sorcier….
L'ironie de Zylvra était plus que palpable.

- Ni l'un ni l'autre, c'est la femme que j'aimais qui m'avait fait ça…. Elle est métamorphe.
- On sent tout de suite que tu es un vrai séducteur… Mais je crois que son charme à elle t'a laissé de pierre….
Il dut faire un effort sur lui-même pour ne pas lui en retourner une. Cela aurait été sans doute son arrêt de mort. De toute façon, elle avait raison.

- Désolée Thine mais je n'ai croisé aucune métamorphe ces derniers jours. La femme de ta vie doit être loin maintenant.
- Aucune importance.

Zylvra pressa fermement son épaule jusqu'à la broyer. La démonstration d'amitié drow était toujours assez vigoureuse même chez les femmes.

- Je voulais te remercier pour tes efforts au sein de notre communauté. Tu t'es bien intégré. Je sais que tu dois avoir l'impression qu'on te regarde comme un ennemi potentiel mais les rivvils ne nous acceptent pas encore très bien dans le Cormyr.
- Je suis comme vous maintenant. Plus personne ne m'acceptera nulle part.
Il caressa son médaillon brisé.
- Ton dieu ne t'a pas renié puisque je sens encore ses pouvoirs en toi. Simplement, c'est toi qui a perdu la foi.

Zylvra se mit en face de lui pour regarder son ventre et il repensa à Sheren qui le faisait souvent aussi. Curieuse manie….
Elle releva la tête avec un sourire froid :

- Magie thayenne…. Décidément, tu es un humain plein de ressources…
Thine sursauta.
- De quoi parles-tu ?
Elle secoua la tête sans le quitter des yeux puis tendit la main vers lui…

- Je ne sais pas pourquoi ils t'ont fait cela, mais je la vois à travers toi, je la sens et je vais te la faire sentir à ton tour…
- Quoi ? Je ne suis pas sur de vouloir….

A cet instant, une atroce douleur naquit dans ses entrailles. Thine se releva en haletant, les yeux écarquillés de stupeur, le souffle coupé par la souffrance… L'elfe noir referma sa main et l'écarta de lui. Alors, le feu qui avait pris naissance dans son ventre et ses intestins cessa…
Thine dévisagea la drow, avec une furieuse envie de tuer mais sa tête lui tournait. Elle continuait de le contempler de son regard clair, posé sur lui, avec son calme sourire…

- Tss, tss, magie de rivvil, je peux l'éveiller mais pas la faire disparaître…
- Dis-moi au moins ce que c'est !
- Je ne suis pas thayenne…au cas où tu ne l'aurais pas remarqué…
- Alors comment as-tu pu éveillé en moi quelque chose que je ne vois même pas ? Comment savais-tu que c'était de la magie Thayenne ?

Elle ricana en lui caressant la joue du bout des doigts.
- C'est toi le heaumite, tu es sur ? Arrête-moi, si je me trompe : « Observez et connaissez vos ennemis », ça fait partie de ton dogme, non ? D'ailleurs, c'est une excellente règle à laquelle on ajoute chez nous : l'alurl abbil zhah dosstan
- « Ton meilleur ami est toi-même… »

Elle hocha la tête avec son sourire immuable.
- Cherche dans tes rêves, jaluk. Et dans tes souvenirs…. En tout cas, fais attention, cela peut te tuer…
Thine n'insista pas. Il poussa un long soupir et baissa la tête. Elle avait raison : la clé de tout était enfouie en lui. Elle jeta un coup d'œil au fond de la hutte l'invitant d'un hochement de tête à faire de même. Dans un coin, les drows avaient rassemblés ce qui lui restait de bagages.
- Prend ton épée et rejoins moi dans la clairière.

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h47

Lentement, avec des précautions de convalescent, il se releva et, le corps a demi fléchi, se saisit de son épée sans trop savoir pourquoi.
D'un pas hésitant, il la rejoignit jusqu'à un bosquet de bouleaux. Zylvra le regardait s'approcher, sans le quitter des yeux, avec une telle insistance, qu'il se sentait gauche et ridicule avec cette épée dans les mains.

- Tu tiens ton épée comme une ssinss d'Aerth ! Réveille-toi, mon beau, tu ne vas pas danser avec ton amie métamorphe, mais avec moi !

Thine serra des dents mais ne bougea qu'à l'ultime instant, ainsi qu'on lui avait enseigné. Son épée, tenue à deux mains, reposait à terre sur son côté gauche, de sorte qu'il semblait dévoiler son flanc à Zylvra. Alors que la drow se penchait pour frapper sa longue épée brandie d'une main, Thine pivota d'une brusque détente. Sa lame fendit l'air en vrombissant, de toute la force de ses bras. Le coup était puissant mais bien trop pour la souplesse de l'elfe qui plongea pour parer le coup non sans lui asséner un coup de pied dans la jambe droite. Déséquilibré et emporté par son élan, Thine tomba face contre terre.
Pendant un long moment, il n'entendit plus que des rires et des gloussements. Il était la risée du camp. Du sang s'échappait de ses lèvres et de son menton tuméfiés par la chute.

- Un bien beau coup en vérité, le prêtre. Je n'ai pas dis non plus que tu allais coucher avec une paladine. Alors relève-toi, je te le dirais quand on pourra se faire des baisers fourrés sous la cascade !

Nouveaux éclats de rire.
Thine s'assit boudeur, ses mains tremblaient.

- Je veux juste t'aider à survivre et à te faire respecter, fit doucement Zylvra avec ce petit sourire indéfinissable qui semblait ne jamais la quitter.
- Je ne suis pas un guerrier.
- Mais ton corps et ton âme portent les traces de nombreuses guerres. Trop, peut être…

Thine se sentit rougir sous le regard de Zylvra. Elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. Le cœur encore battant de honte, il se releva pour reprendre l'engagement…
Dans la fièvre de la joute, il ne vit plus le temps s'écouler. Le bois résonna longtemps des épées qui s'entrechoquaient, de ses cris de rage ou de douleur, des ricanements de la drow. Jusqu'à ce que, haletant, les côtes douloureuses, les blessures de son bras et de sa jambe battant au rythme de son cœur, il se retrouva incapable du moindre geste. L'elfe noir rejeta ses longs cheveux en arrière d'un coup de tête et lança un bref sourire à Thine. Elle n'avait pas une seule égratignure et ne semblait même pas fatiguée !
- Vous, les mâles, vous êtes tous pareils. Si on vous veut, il faut vous prendre ! Mais, tu te défends bien !

Son sourire lui saisit le cœur. Mais elle se détacha aussitôt de lui, mutine en lui tournant le dos. Le laissant à son évidente frustration.

- Va te laver et soigner ces petits accrocs pour être paré pour la seconde leçon, demain à l'aube… !



Troisième semaine dans la forêt de Brumêche…

Thine laissait le fusain glisser sur le papier tentant de donner une forme à ses souvenirs…
Il n'entendit pas Zylvra s'approcher derrière lui. Elle avait ce don de se déplacer d'un pas glissant, imperceptible. Elle s'inclina sur ses dessins.

- Qui est cette darthiir et cette rivvil ? Des jabress ?
- Non, ce sont des personnes que j'estime. La première est une barde au chant et à la musique envoûtante. Elle chante quand elle désire qu'on l'écoute enfin. Elle joue pour oublier sa peine. La sagesse et le calme qui émane d'elle me manquent… La seconde est paladine de Torm et… tout me manque d'elle.

Zylvra ne cilla pas.
- L'artiste aurait sa place ici, nous aimons le chant et la musique… Les paladins : ils nous frappent d'abord et parlent de paix ensuite… Mais, c'est bien thine, tu as des racines…
- Je ne dessine pas très bien.
- Suffisamment pour que je puisse voir qu'aucune d'elle ne semble t'être destinée… Tu as une façon de représenter les yeux qui en dit plus qu'un long discours… L'elfe a trop souffert et tu ne sauras pas lui apporter ce qu'elle attend… Quant à l'autre, le défi est de taille : on n'a encore jamais vu le feu se marier avec la glace…

Thine se retourna sans comprendre. Elle lui posa une main sur l'épaule, le regard ailleurs.
- Il est temps pour toi de retourner vers ces personnes et de découvrir si ce sont vraiment des amies ou si tu es ce que je pense : un chasseur de chimères. Les vrais amis n'oublient jamais.
- Je suis certain qu'ils m'ont tous oublié là-bas. Et de toute façon, je n'ai plus rien.
- Si ! La possibilité de refaire ta vie. Ne gâche pas les années qu'il te reste à regretter le passé, à penser à ceux et celles que tu as perdus. Retourne vers eux. Peut être qu'un ou deux se souviendra de toi. Après tout, cela fait moins de 6 mois…
- J'en doute…
- Alors, si ça peut te rassurer Dyfed, c'est quand on n'a plus d'espoir ni de raison de croire qu'on est enfin libre. La peur du regard des autres, la crainte de déplaire est la marque des esclaves…



Ils s'étaient mis en route à la nuit noire, à la seule lueur des étoiles ce qui était bien suffisant pour Zylvra. Thine butait souvent sur les racines des arbres, les pierres ou trébuchait dans un trou alors l'elfe lui prenait la main fermement mais il sentait une certaine moiteur dans sa poigne. Et quand elle le regardait, il constatait non sans un certain malaise qu'elle était triste…

Rappelle-toi la leçon de Rifftana… Il n'y a pas qu'une seule alternative, partir ou rester…
Tu pourrais refaire ta vie ici, tu sens bien que Zylvra n'attend que ça même si elle préfère se couper une main que de te le dire. Tout ne sera pas rose, il te faudra te cacher, vivre la nuit, te battre. Et surtout, lui avouer qu'un jour une de ces sœurs s'était déjà sacrifiée pour toi…
Tu peux retourner sur Beckrunes avec tes rêves dans la tête et être déçu sans aucun doute. Tu tenteras alors de reconstruire ta vie mais y parviendras-tu ? Tu as déjà échoué une fois…
Enfin, tu laisses tout derrière toi : Zylvra, Beckrunes, Heaum…et tu reprends ta vie d'errance. Celle que tu as toujours eue. Car finalement, c'est peut être ça qui t'attend : être toujours seul. Poursuivre l'écriture de ton existence appelée aussi « Eloge de la fuite en avant ».

A la sortie du bois, il faisait déjà un peu plus clair, il fit quelques pas en direction du sentier où il avait croisé Aurore sans doute pour la dernière fois… Comme il n'entendait pas les pas de Zylvra derrière lui, il se retourna, la chercha des yeux dans la pénombre.

- Alors ta décision est prise Thine ? C'est là que nos chemins se séparent ?
Il sursauta. Comment faisait-elle pour être si discrète ? Pour se glisser vers lui sans bruit ? Il ne savait que répondre. Une constante chez lui. Pour briser le silence, elle enleva la chaînette qu'elle portait à son cou et lui tendit, à bout de bras, d'une main tremblante.
- Pour toi, abbil.
Le médaillon d'argent représentait une femme drow aux longs cheveux, dansant devant une lune pleine avec une épée longue dans les mains. Et elle venait de l'appeler « ami »…
- Si tu pars, alors rappelle-toi que tu devras dorénavant assister tous les ilythiirs dans le besoin. Particulièrement les notre. N'aide pas ceux de Lolth sauf si tu lis dans leur âme qu'ils ont reniés leur foi. Et encore, reste prudent. Ouvre toujours ton cœur mais ne te laisse pas subjuguer par le mal. Combat-le avec la même fougue que lorsque nous nous entraînions ensemble. Tu montreras ce médaillon à nos frères et sœurs, ça leur prouvera qu'ils peuvent avoir confiance en toi. Tu nous dois bien ça, on t'a sauvé la vie.
- Tu n'avais pas besoin de me dire ça. Tu sais que je l'aurais fais même sans ta bénédiction.
Zylvra baissa légèrement la tête, le visage pudiquement voilé par ses longs cheveux blancs. Elle ne souriait plus, elle le fixait gravement. Elle effleura sa joue de ses longs doigts fins, il sentit sa chaleur se communiquer à lui, par ce simple contact.
- Ssussun! Eilistraée kyorl dos !
Emrys se mordit les lèvres. Ca, c'était un adieu….
- Que la lumière soit avec toi aussi. Je prierais Heaum qu'il te protège…
- Allez, va-t-en vite avant que je ne décide de faire toi la proie de notre prochaine grande chasse !

Rien ne dure sauf la solitude. Celle-là c'est sur, elle lui était fidèle…



On dit que le monde est petit pour les amoureux.
Quelle bêtise : chaque lieue qui nous sépare de la personne aimée est une chaîne, une entrave, une pointe à travers le cœur.

Le retour sur Beckrunes fut long…

Quand on a passé trop de temps dans le désert, on s'imagine apercevoir un oasis. On se précipite dans sa direction, les larmes aux yeux alors qu'on ne se croyait même plus capable de pleurer. Plus que quelques lieues, quelques coudées, quelques instants…
Mirage, chimère, illusion…
Tu n'es qu'un coureur de chimères Dyfed.

Un voyage bien long pour des désillusions si rapides.


Thine se redressa de son mieux malgré les points brillants qui dansaient devant ses yeux, malgré le vertige, la douleur. Le monde n'était plus qu'une valse folle autour de lui.
Du sang coulait de ses multiples blessures. Son corps n'était que plaies ouvertes. Son harnois était maculé. Chaque pas était une épreuve mais il avançait toujours, traînant son épée sur le dallage, fer contre pierre dans un raclement aigu.
- J'aurais voulu savoir aimer, chuchota-t-il.
Il s'appuya contre la stèle de pierre, saisit le pommeau de son épée de ses deux mains souillées de sang coagulé. Un sang qui n'était pas le sien. Il se redressa une dernière fois.
- J'aurais voulu que tu m'aimes…
La tombe semblait rougeoyer d'une aura sanglante et l'aspirer à lui.
- Evana…
Dans un ultime sursaut de vie, consumant en un instant ce qui lui restait d'énergie vitale, il transperça la pierre tombale de son épée.
Elle portait les noms de toutes les personnes qu'il avait connu et aimé. Un hurlement inhumain se fit entendre derrière lui : l'assemblée des spectres le fixait.

Il sortit du cauchemar au bord de l'asphyxie. Comme chaque nuit mais là, c'était un nouveau rêve et encore plus réel que les précédents.


Zylvra dans la forêt de Brumèche poussa un cri aigu et s'extirpa de son lit le cœur battant à tout rompre.
Elle avait senti la mort.
L'évocation de Thinel'avait attirée et elle avait vu la Mort l'embrasser.
- Que se passe-t-il grande prêtresse ?
Zylvra les regarda douloureusement :
- Thine le rivvil souffre. Il est en colère et il a mal. Il ne trouve pas la paix. Ni en lui ni auprès des autres…
Elle détourna les yeux pour qu'ils ne voient pas les larmes perler.



Ils lui avaient mentis. Tous.
Il avait essayé de gagner leur confiance, leur amitié, leur respect.
Ils avaient profité de sa gentillesse. De sa crédulité.
Seule la grande dame elfe lui avait montré sa sincérité. Peut être qu'au fond ils partageaient la même souffrance ou les même sentiments d'incompréhension, de solitude.

Non.
Ce que vivait Dame Riftana aurait été au-dessus de ses forces depuis bien longtemps. La musique, le chant, la sagesse et le temps, voilà ce qui lui permettait de garder une raison d'être.

Et ta raison d'être a toi rivvil, quelle est telle ? Retrouver ta mémoire, ton passé ? Au risque de découvrir que tu n'étais pas meilleur qu'eux voire pire ? Trouver enfin quelqu'un qui ne ment pas ? Mais on ment à tout le monde en ce bas monde abbil…

Ils ont tué une de tes sœurs et je n'ai pas pu la protéger. Ils ont dis que ça n'avait pas d'importance car c'était un monstre. Mais ce sont eux qu'il faudrait tuer, jusqu'au dernier.

Nous pourrions débarquer demain. Egorger tous ces nobles. Pendre tous ces gardes. Empaler ces paladins ridicules. Ils se croient forts, ils sont justes pathétiques. Même leurs démons sont ridicules. Nous avons vaincu les souterrains, remonté a la surface, affronté l'hostilité de toute part mais nous sommes toujours là. Eux, ils ne survivraient même pas une journée. Oui, ça serait une victoire facile… Ca ne la ferait pas revenir. Elle est morte Dyfed. Comme tant d'autres. Ne porte pas le poids du monde sur les épaules, tu as assez de tes propres fautes.

Evana a osé dire que j'étais son ami.

Elle n'a pas voulu me dire ce qui s'était passé dans cette maudite taverne. Elle m'a simplement affirmé qu'on ne lui avait fait aucun mal. J'ai laissé traîner mes oreilles, j'ai entendu des rumeurs. Je sais cette nuit qu'elle m'a menti.

Comme les autres. Et comme un imbécile, je l'ai aimé…


Va donc savoir Dyfed. Peut être que pour elle, on ne lui a pas fait de mal, effectivement….Tout est une question de point de vue. La pureté est illusoire. Elle n'a existé que dans les premiers instants du monde…Ne sois pas si prompt à juger. As-tu renié tes belles résolutions ?

Je n'aurais jamais du revenir…

Je t'avais laissé le choix et il est toujours viable. Ne te laisse pas emporter par ta haine. Surmonte là ou pars rejoindre notre communauté.

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h48

Thine prit un vélin. Trempa la plume dans l'encrier et commença à écrire.

Vigilante Kali,

Après avoir mûrement réfléchi, je pense que je ne peux plus exercer mes fonctions de prêtre de Heaum. Sur cette île ou ailleurs. Je vous informe donc….

Partir, revenir…c'est facile. Mais les questions qui te harcèlent, ton passé, ce que tu étais… te suivront. Sur cette île ou ailleurs…


Tremblant de rage, il saisit l'encrier et l'écrase contre le mur. La table vole et le papier chiffonné dans ses mains.

Il se couche alors et se prépare pour une nouvelle nuit de cauchemars.

Il reprendrait l'écriture de sa lettre... demain.



Temple de Cyrik

Soit disant béni, purifié, nettoyé…
N'est-ce pas Hayami ?
Sauf qu'en descendant dans son antre, à ses côtés, force est de constater qu'il est bien entretenu, prêt à resservir. Il va même reprendre du service. Là. Maintenant.

- Tu n'as pas peur que quelqu'un te voit ? Kali pourrait te demander des comptes sur ce que tu fais ici.

Il regarda la mage passant devant lui. Lui offrant le dos en toute confiance. Comme une amie qui le guide dans sa demeure. Fière de ce qu'elle va lui montrer. Calme comme une maîtresse de maison.

- Je viens chercher des réponses, Flamme noire !

Elle se retourna avec un sourire ambigu avant de s'approcher de l'autel. Il était drapé d'un tissu sombre. Les candélabres qui l'entouraient supportaient de grosses bougies noires. Quand elle passa la main au-dessus des mèches en remuant légèrement les lèvres, elles s'enflammèrent en un instant. L'odeur acre qui s'en échappa lui confirma ce qu'il pensait : elles étaient faites de graisse humaine.

La mage resta un long moment immobile à contempler les flammes, répondant vaguement aux questions de Thine.
Elle écarta doucement de son front moite une longue mèche de cheveux plaquée par la sueur et s'efforça de sourire, malgré l'étrange sentiment d'angoisse qui la tenaillait. Thine ne lui faisait pas peur. C'était ce qu'il y avait en lui qui l'inquiétait. Quel genre d'opération lui avaient-ils fait subir ? Il émanait du prêtre une onde oppressante qu'elle ressentait physiquement. Et en plus, il lui demandait de l'aider… Elle voulait oublier Thay. Après tout ce temps, elle avait presque fini par croire que sa vie était ici. Et voilà que ce heaumite lui demandait de réveiller ce qu'elle voulait enterrer. C'était comme retourner là-bas.
Au moment même où son père se manifestait à elle avec le dessein de la faire revenir parmi eux.

Elle ferma les yeux, savourant les quelques secondes de répit mais l'image de son père vint hanter son esprit.

- Allonge toi sur l'autel Thine dit-elle d'une voix aussi calme que possible.

Le rituel commença.

Les abords de l'autel devinrent flous. Même Lykela commença à devenir diaphane alors qu'elle poursuivait son incantation muette… Tout le décor devint gélatineux puis se condensa en un vortex noir. Il entendit la jeune femme pousser un hurlement avant de disparaître totalement.

Alors sous ses yeux s'ouvrit un dédale sinueux, l'immense tanière percée de tunnels infinis, si oppressante et si sombre que nul, hormis les sorciers rouges n'aurait pu y vivre sans perdre la raison. Au pied de l'immense esplanade surélevée de Kossuth, toute une population allait et venait dans la moindre veine et veinule de cet essaim. Une ruche vivante dont chaque thayen était une goutte de sang, l'essence vitale.

Il était là, au milieu de cette fourmilière rouge.
Et tous les regards malveillants se braquaient sur lui, malveillant, haineux ou moqueur. Et pourtant personne ne l'attaquait. Mieux encore, les thayens s'écartaient devant lui. A contrecoeur. Ils le laissaient s'approcher de la chapelle ardente.
Thine connaissait ce lieu, savait maintenant qu'il était déjà venu ici… Il avançait crânement sous les regards meurtriers.
Arrivé au pied du grand escalier d'albâtre, il commença à escalader les marches. Suffoqué de voir un heaumite grimper librement vers leur chapelle, un bourdonnement de colère et de rage vibra dans tout l'essaim.
Au sommet, bras croisé, enveloppé d'une chasuble noire et rouge brodée de runes en fil d'or, leur chef l'attendait.
Au moment même ou Thine arriva à sa hauteur, l'assistance répondit par des grognements et des hurlements. Les cheveux argentés du sorcier brillaient tandis qu'il l'accueillit avec un rictus méprisant.

- Que veux-tu Dyfed le Banni ?
A sa grande surprise comme si sa bouche s'était désolidarisée de son corps, il s'entendit répondre tout naturellement :
- J'ai accomplis ma part du marché. Je t'ai livré ce que tu voulais. Respecte à ton tour la part du contrat. Quand va commencer le rituel ?

Pour toute réponse, le sorcier fit un signe et une femme sortit de l'ombre. Elle était vêtue d'une cape noire sur laquelle ses cheveux de jais tombaient aux épaules. Elle se tint rigoureusement immobile quand son regard croisa celui de Thine. A la lumière des bougies, il reconnut Lykela.

Au moment où il se retournait furieux vers le sorcier, le temps sembla s'accélérer comme aspiré par un puit béant apparu au centre de la ruche et dans un bruit assourdissant, il se retrouva de nouveau à Beckrunes dans le temple de Cyrik. Lykela était allongée livide sur le sol.

Pour lui, c'est comme si le temps ne s'était pas arrêté, il descendit d'un bond de l'autel pour se précipiter sur elle. Une colère folle se lisait dans ses yeux. Son corps secoué d'une rage qu'il ne se connaissait pas et qu'il ne parvenait pas à maîtriser. Il souleva Lykela sans ménagement, la décollant du sol en hurlant :
- Qu'est-ce que ça signifie ? Qu'est-ce que tu faisais là-bas ? Pourquoi ça s'est arrêté ? Pourquoi ?

Il la secouait comme une bête et elle n'opposait aucune résistance sinon qu'un pâle sourire ironique.

Sa rage commença de tomber et il se sentit se vider peu à peu de toute la force qu'il avait ressentie quand il était là-bas. Il la relâcha.
- Je n'ai pas pu continuer : cela a mobilisé trop d'énergie en moi et puis… tu n'as pas perdu la mémoire, on te l'a effacé !

Il releva la tête, incrédule…
- Oui, le heaumite, les miens te l'ont effacés. Il faudra qu'on essaye autre chose pour que tu retrouves qui tu étais…

- Qu'est-ce que tu faisais là-bas ?

Un sourire sadique se dessina sur ses lèvres.

- Je n'y étais pas… C'était un des effets de mon invocation. Ou bien, tu ne veux pas l'avouer mais tu en pinces pour moi ?

Il se releva, la fixa un moment avant de quitter le Temple. Son Temple à elle seule dorénavant.

- Tu peux partir Dyfed mais ce n'est pas terminé, ça ne fait que commencer.

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h48

Il ne s'était pas rendu au récital de Riftana. Pourtant revoir la grande dame elfe en pleine santé après l'avoir vu au seuil de la mort n'aurait pu que le remplir de joie La joie… Un sentiment bien rare. Il avait cru l'attraper plusieurs ce sentiment fugace qui donne envie de vivre. Il n'avait fait que l'effleurer. La joie, comme l'attention des amis, comme l'amour, ça se mérite…

Plusieurs jours qu'il ne s'était pas non plus rendu au Temple. Pour quoi faire ? Assister encore à une scène entre Lucile et Hayami ? Retrouver le quartier pauvre et ses rats ? Dès qu'il mettait un pied dans le quartier des docks, le claquement des voiles des bateaux agitées par le vent lui donnait de nouveau l'envie de partir.

Il était parti à Fang. Le camp des druides. Le druide Kerorn l'avait d'abord accueilli chaleureusement comme à son habitude puis voyant que le heaumite posait tout un barda en faisant même mine d'installer un campement, il fut surpris, sceptique et nettement moins enthousiaste.

Thine s'efforça d'être le plus discret possible et planta son abri assez loin du druide et de son épouse ne venant les rejoindre que quand ils l'invitaient à partager leurs modestes repas avec eux. Ils ne lui posaient aucune question et il gardait les yeux baissés sur sa gamelle pour éviter de croiser leurs regards interrogateurs. Un jour, passant près du camps, ils les entendit tous deux parler de lui sans soupçonner sa présence près d'eux.

- Ces fidèles de Heaum sont tous un peu foqués mais au moins celui-là ne fait aucun mal. Il respecte tellement la nature qu'il vit presque comme une bête…

Les yeux rougis par la contemplation du feu, bercé par le crépitement du bois se tordant en sifflant dans les flammes et les cris mornes des animaux nocturnes, il rêvait éveille. Il attendait…
Attendre qui ? Personne ne viendrait le chercher. Attendre quoi ? Les réponses ne viendraient pas toutes seules… Ni la joie ni la reconnaissance. Un ermite ne recherche pas tout ça. Seule la paix lui importe.

Torse nu, juste vêtu d'un pantalon déchiré, de ses bottes. Avec un bâton et son épée pour seules armes. Les cheveux emmêlés de feuilles et de brindilles, les joues creusées par des nuits sans sommeil et des jours sans manger à sa faim mais recouvertes heureusement d'une barbe hirsute, les jambes brûlées par les orties et les ronces.

Loin des hommes il essayait de redevenir humain. Il essayait d'oublier la dernière personne qui lui avait affirmé qu'elle l'aimait. Il essayait d'éviter Amok.

Il avait grelotté sous les averses, tremblé dans le froid. Certaines personnes lui manquaient. Mais il restait là. Il resterait le temps qu'il faudra. Sous son abri de bois menaçant de tomber au moindre coup de vent, sa tente de fortune… il continuerait de payer.



Kodiak avançait à grandes enjambées à travers la forêt. Ses épaules larges chargées d'énormes fagots de bois mort, il rentrait vers la ferme de Barnabé.

Un filet d'odeur familière le fit s'arrêter net. Levant le nez, il cueilla dans la brise une piste et la suivit. Il entendit au loin les ahanement d'un homme qui s'entraîne au combat. Reconnaissant la voix de Thine, il sourit et s'approcha.

-Thine, tu fais quoi ici? demanda t il simplement.

Le prêtre n'avait guère envie de parler, mais son regard en disait long sur son désarroi. Et Kodiak connaissait bien cette envie de solitude, qui finit par ronger l'hermite...
Il posa ses fagots, détacha une outre de vin de sa ceinture, et la tendit à Thine.
Ils restèrent un long moment sans rien dire, juste à écouter les chants des oiseaux, les murmures des animaux, au fond des bois. Kodiak gratta machinalement l'écorce d'un arbre de sa grosse main griffue, des petits copeaux tombèrent entre les racines noueuses.

-On est bien dans ce bois, quand on sait se contenter de peu. Mais... Crois moi Thine. On n'est humain que chez les humains. Qu'avec les humains. Ils sont bons, mauvais, mais tu es comme eux. Sur deux pattes, et couvert d'un pelage artificiel. L'apparence compte.

L'homme-ours repenti se leva, reprit ses fagots.

-A bientôt dans le monde des hommes Thine.

Il eut un sourire énigmatique, et ajouta:

-Un jour, je te raconterais mon histoire. Peut être y trouveras tu quelque chose qui puisses te servir. Peut être pas. Ouvre les yeux Thine. Et juste vois le monde.

Il disparut entre les arbres en fredonnant doucement de sa voix grave.



Kodiak puis Sheren l'avaient renvoyé à la « civilisation ».

Thine, seul dans sa chambre à l'auberge de Marvin se souvenait du soir où Damoiselle Lison l'avait fait danser. Sans doute que la jeune fille avait déjà oublié ce moment si doux et agréable pour lui. Elle paraissait si gaie, si insouciante. Mais était-elle ce qu'elle paraissait ? Il secoua la tête : on ne peut pas aider quelqu'un ni s'immiscer dans sa vie contre son gré.

Thine se souvenait. La musique qui courait dans les salles en bas sous sa chambre, le rire cristallin des serveuses, les murmures qui provenaient des chambres voisines apaisaient son esprit troublé. Peut être même qu'en tendant l'oreille, il aurait pu entendre les ronflements d'Amok qui venait de prouver une fois de plus ce soir qu'on ne pouvait pas décemment rivaliser avec un nain dans un concours de "dégustation" de bières.

La danse avec Lison remontait déjà à plusieurs lunes mais curieusement cela le ramenait à des années en arrière. Elle venait de lui ouvrir une page de son histoire personnelle.

Bercé par la musique en sourdine, il ferma les yeux.

Une petite auberge de campagne. Les bardes recrutés pour l'occasion jouaient une musique criarde pour couvrir le brouhaha des clients déjà bien avinés. Lui, il n'était venu que pour la danse. Pour danser avec elle. La jeune semi elfe serrée contre lui le regardait de ses grands yeux verts en souriant. Le temps s'était arrêté autour d'eux. Le monde, la musique même n'étaient plus qu'un décor. Il n'avait d'attention que pour elle, pour son adorable sourire. La chaleur de ses mains, ses cheveux souples et longs qui lui frôlaient parfois le visage le transportaient.

- On dit qu'on n'oublie jamais son premier amour Thine.
- Je ne t'oublierais jamais car je resterais toujours avec toi.

Pour toute réponse, elle lui adressa un triste sourire avant de l'emmener tournoyer avec elle dans un coin plus reculé de la salle et éviter ainsi le contact d'autres danseurs plus maladroits. Qu'elle dansait bien ! Chacun de ses pas gracieux le faisait se sentir léger, lui qui d'habitude dansait comme un ours.

- Thine, si tu veux être heureux : ne regrette pas les chemins que tu as pris ou ceux que tu n'as pas su prendre. La vie est un spectacle dans lequel, on découvre son rôle à mesure…

Il la regardait sans comprendre et avec un sourire niais, se penchait déjà pour l'embrasser. Elle recula la tête pour éviter son baiser avec un rire léger. Si la bouche des femmes est le siège de leur âme, la sienne devait être belle et douce comme ses lèvres.

-Tu rencontreras d'autres femmes, certaines plus belles que moi. Certaines seront aussi mauvaises mais aveuglé par ton amour, tu ne le verras pas. Ou trop tard. Tu souffriras comme je vais souffrir de te perdre mais on n'oublie jamais son premier amour. Tu te souviendras toujours de mon visage, certaines de nos discussions, quelques-uns de mes mots, nos fous rires, ce moment que nous partageons là. Ainsi quoiqu'il arrive, je vivrais toujours en toi.

Il la serra encore plus fort contre lui comme si il avait peur qu'elle disparaisse dans ces bras à l'instant. Il sentit un vent glacé lui traversait l'échine. Il connaissait cette sensation : le souffle de la mort. Il appuya sa joue contre la sienne comme pour sentir sa peau une dernière fois et murmura :

- Pourquoi dis-tu que je vais t'abandonner ? Je ne partirais pas, je veux consacrer ma vie à t'aimer.

Pour toute réponse elle éclata d'un rire sardonique.

Le monde bascula de nouveau. La femme le repoussa avec haine.

Le spectre le regardait de ses yeux vides et il sentait ses mains squelettiques s'enfonçait dans la chair de ses bras. Le groupe de bardes, les clients de la taverne, les autres couples qui virevoltaient sur l'estrade avec lui n'étaient plus que des morts-vivants immondes. La musique n'avait plus rien d'une douce carmagnole.

C'était la valse de son entrée en enfer.

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h49

Origines...

C'était à Procampur, une cité du Vaste, dans le quartier du Thultyrl.

Un nouveau jour se levait au-dessus des toits d'ardoises bleutés de ce port séculaire du Bief des dragons. La ville était réputée pour sa beauté, ses grandes murailles qui séparaient chaque quartier et sa grande prospérité. Tous les jours, des caravelles débarquaient dans le port et charriaient leurs cargaisons de pierres précieuses qui inondaient ensuite les devantures des orfèvres et des diamantaires.

Cette opulence attirait les tire-laine de tout poils mais hélas pour eux, la garde de la ville était aussi présente que vigilante. Voilà pourquoi les voleurs étaient si rares.
Le jeune gamin aux vêtements sales et à la figure noire de crasse qui venait d'arriver la veille l'ignorait sans doute. Il avait tenté sa chance sur le marché, comptant sur l'affluence des badauds pour soulager quelques bourses. Il n'avait trouvé que la poigne de fer du Lieutenant Ubald qui le trimbalait maintenant depuis le marché malgré les hurlements stridents du môme.

Sans tenir compte de ses coups de poings ni de ses pieds et de ses genoux qui traînaient sur le sol il le tirait sans ménagement à travers les rues. Les gens s'écartaient devant eux. L'homme avait l'air craint et respecté. Personne n'avait s'interposer entre eux ni lui demander des comptes sur ce qu'il comptait faire du gamin. Ils arrivèrent enfin sur une petite esplanade dominée par un temple aussi massif et froid qu'une forteresse.

Le gosse avait les jambes en sang quand Ubald ouvrit à la volée les grandes portes en bois du Temple et le jeta à travers le couloir central devant l'autel de marbre. Les prêtres présents se retournèrent en sursautant, surpris de cette entrée fracassante. Le môme avait l'air aussi frêle qu'une jeune fille, le teint si pâle qu'il paraissait au seuil de la mort et les cheveux aussi noirs qu'un corbeau. Ses bras et ses jambes étaient nus et il ne portait qu'une chemise trop grande pour lui et un pantalon en lambeaux. Il percevait les regards obliques que lui jetaient les hommes, les murmures de dégoût dans son dos et la gêne que provoquait sa présence dans leur lieu sacré.

- Ce sale mouflet a essayé de voler de braves citoyens sur le marché.

La voix de Ubald ne semblait pouvoir souffrir d'aucune forme de contestation. Tout ce qui sortait de sa bouche devait être pris pour une évidence, une vérité infaillible, aveuglante.

L'un des hommes s'approcha du gamin qui essayait de se relever péniblement les larmes aux yeux. Ses genoux avaient laissés une traînée sanglante dans le petit couloir entre les bancs des fidèles. Le Temple était vide heureusement. Seuls les prêtres contemplaient sa détresse. Il essaya de saisir l'enfant par l'épaule sans rudesse pour l'aider à s'asseoir sur un banc. La pitié se lisait dans les yeux de l'adulte quand le garçon croisa son regard. Une lueur mauvaise éclaira alors le visage du gamin qui repoussa le bras du prêtre d'une claque. Il se retourna pour se précipiter vers la sortie mais Ubald, resté derrière l'avait saisit par les cheveux manquant de lui briser la nuque au passage tant la torsion de son cou fut vive et brutale.

- Comment t'appelles tu gamin ?
Dans un rictus de haine, l'enfant hurla :
- Qualma llie, yassen alta qualme !


Ubald éclata de rire :
- Non mais voyez moi donc ça : un petit humain d'à peine 15 ans qui nous parle en elfique. Il a de la ressource ce petit voleur. Et en plus, il nous dit de crever d'une mort lente. Charmant !

Ils le regardaient avec étonnement et défiance. Ils n'avaient encore jamais rencontrés un enfant aussi déplaisant. Pourtant chaque jour la ville déversait dans les ruelles son lot de petites frappes vite arrêtées et punies. Mais ce crapoussin était différent. Malgré sa crasse et son allure de broche à foin, il paraissait instruit et connaissait une langue qu'ils ne maîtrisaient pas eux-mêmes ou avec grand peine. Deux prêtres s'approchaient pour rejoindre Ubald. L'enfant apeuré hurla avec une haine inimaginable pour un enfant de son âge :
- Gurth an Glamhoth !

Cette fois Ubald relâcha sa prise. Toute l'assistance était horrifiée. L'un des prêtres avait déjà une main sur le pommeau de son épée prêt à pourfendre l'enfant avec un rictus de mépris. Tout semblait fini quand une voix de femme s'éleva pour demander le silence. Une voix qui elle aussi réclamait obéissance et respect pourtant plus douce presque maternelle.

Elle paraissait calme mais son regard le transperçait comme un épieu acéré. On sentait une détermination sans faille dans chacun de ses gestes. Incontestablement la supérieure de ce temple. Il tremblait devant cette nouvelle personne qui venait sur lui mais plus de colère ni de peur. La paix semblait marcher au devant de cette femme qui se déplaçait avec une étonnante légèreté malgré son harnois. Un curieux symbole qu'il ne connaissait pas était gravé sur son blason. Son épaulette gauche représentait un preux terrassant une créature d'apparence maléfique et la droite un autre qui mourrait devant une aberration en essayant de protéger une jeune fille. Elle s'accroupit devant lui. Frôlant son visage. Ses longs cheveux noirs et son teint de neige prirent tout le champ de vision du garçon.

- Mon enfant, je ne sais pas qui t'a appris à parler comme ça mais la langue noire est interdite sur tout le royaume et honni dans notre lieu sacré. C'est une profanation et une souillure indicible surtout venant de la bouche d'un si petit homme. Où sont tes parents ?

L'enfant lui répondit par un silence misérable, les yeux embués de larmes. Elle comprit alors qu'il ne savait pas. Ce gamin devait errer depuis longtemps sans famille. Vu l'état de ses vêtements et sa maigreur, ses parents l'avaient abandonnés ou étaient morts, le laissant seul et sans protection sur les routes, livré à tous les vices, toutes les rencontres même les plus avilissantes.

- Qui t'a apprit l'elfique et la langue bannie ?
Nouveau silence pesant. L'enfant baissait la tête, prêt à fondre en larmes.
Elle lui adressa un sourire chaleureux, caressant sa joue du bout de ses doigts avec une douceur qui contrastait avec son regard adamantin.

- Sais tu au moins comment tu t'appelles ?

L'enfant redressa alors la tête, le visage fermé. Le désespoir et le chagrin avaient fait place à une fierté qui glaça le cœur de l'assistance. Il leur répondit dans le langage commun avec un mépris évident.

- Je m'appelle Thine Dy' Elinfed.

La femme s'efforça de garder un visage impassible. Etonnée de la force de caractère qui émanait de cet enfant. Il avait pourtant l'air aussi fragile et perdu que ceux des rues mais quelque chose naissait en lui. Colère et souffrance. Haine et passion. L'âme de cet enfant ne connaissait aucune paix.

- Tiens, un prénom humain mais un nom elfique. Tu n'es pourtant pas un sang mêlé !

Sans attendre de réponse, elle prit l'enfant dans ses bras comme une mère aimante. Il était émacié et ne devait pas peser très lourd mais il fut surpris de constater comme elle le soulevait avec une telle facilité. Les autres prêtres ne disaient plus un mot. Même le grand Ubald. Le silence était presque palpable.

Elle le conduisit jusqu'à l'autel avec un sourire serein.

- Thine, je m'appelle Meriagern et je suis Vigilante de Heaum. Il n'est pas question que tu retournes dans la rue et son lot de perdition. Dorénavant, nous allons t'élever, t'instruire sous Son attentive protection.

Thine tourna alors les yeux dans la direction du regard de la Vigilante qui le tenait maintenant à bout de bras sans vaciller. Il regarda ce dont elle parlait avec tant de respect.

Les yeux de l'enfant furent alors remplis de ce qu'il voyait :

Au-dessus de l'autel, un œil ouvert à la pupille bleue dans une grande main gantelée semblait le fixer avec sévérité cherchant à sonder son âme. Ce n'était qu'une statuette faite de métal et d'orfèvrerie mais elle paraissait vivante.

Meriagern le déposa au pied de l'autel et il s'agenouilla de lui-même malgré la douleur qu'il ressentait aux genoux.

- Tu t'appelleras dorénavant Thine Dyfed car tu n'as rien d'un elfe et tu serviras La Sentinelle pour expier tes fautes. Servir la Loi et l'Ordre. Nous t'apprendrons tout ça. Lui s'occupera de ton âme.

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h50

C'était le cinquième hiver rude que connaissait le Procampur depuis l'arrivée de cet enfant sans famille, sans origine…

En passant devant l'embrasure d'une fenêtre, la Vigilante Meriagern jeta un bref regard aux premières lueurs de l'aube. Le ciel était gris et morne. Encore une froide journée en perspectives…

La salle de réunion des officiers du culte était plongée dans une quasi obscurité, faiblement éclairée de loin en loin par quelques lumignons. Loin de se sentir réconfortée par ces ténèbres, la Vigilante se rappelait de sa solitude depuis qu'elle avait décidé de consacrer sa vie à Heaum et surtout le but premier de cet entretien si matinal avec Ubald : il s'agissait de décider si Thine était paré à devenir enfin Sentinelle et quitter le Procampur pour rejoindre sa nouvelle affectation.

Assis dans un grand fauteuil, Ubald semblait perdu dans la contemplation des flammes de l'âtre qui réchauffait la pièce avec autant d'efficacité que les chandeliers l'éclairaient.

- Le gamin est prêt, du moins en théorie lâcha-t-il en guise d'introduction.
- Ce fut si rapide répondit Meriagern en frissonnant. Jamais nous n'avions formé un jeune prêtre en si peu de temps.
- C'est bien pour ça que je dis en théorie !

Le ton de Ubald restait au fil des années sec et coupant même si l'arrivée de Thine et les progrès rapides de l'enfant, son abnégation, ses silences quand on lui demandait à quoi il pensait, d'où il venait l'avaient quelques peu désarçonnés. Jamais il n'avait eu en face de lui un cœur si dur, un regard aussi froid. On avait l'impression que ce gamin pouvait tout endurer sans jamais montrer une seule faiblesse. Quand on le pressait de s'exprimer, il répondait avec une telle ironie narquoise qu'on avait envie de lui arracher la tête. Quand il le voyait s'entraîner à l'épée bâtarde avec les autres prêtres, il mettait une telle rage dans le combat et la portée de ses coups que plus d'une fois, il voyait les adultes reculer sous ses assauts. Au début, il s'était montré peu adroit et ils avaient même eu peur de le blesser. Mais au bout de quelques mois, les coups parfois vicieux de ce jeune apprenti entraînaient un malaise dans la salle d'armes.

- Nous pourrions le garder une année ou deux de plus…
- Mais lui le voudra t-il ? Et que pourrions-nous lui apprendre de plus ? Ce gamin a dévoré tous nos livres sacrés à la vitesse d'un vampire. Il a une facilité pour apprendre qui force l'admiration et surtout une telle hargne de réussir qu'il ferait peur même à l'inquisiteur au cœur le plus endurci. Je l'observe depuis un moment. Ce n'est pas un rat de bibliothèque. On ne pourra le confiner éternellement dans un temple. C'est un pigeon voyageur !

Meriagern eut un geste fataliste de la main et baissa les yeux tristement comme si le sort du jeune Dyfed venait d'être décidé d'avance. Ubald grommela en se tournant dans son fauteuil.

- Il y a toutefois un problème Vigilante ! Ce jeune prêtre possède tous les acquis pour nous quitter et servir Heaum dans des royaumes plus agités que le notre. On a toujours besoin de prêtres sur les champs de bataille et les lignes arrières, notamment le long des frontières aglarondiene et rashémi …
La Vigilante se retourna vivement comme si elle avait été mordue par une vipère.
- Si près de Thay ? Ne pourrait-on pas l'affecter à des royaumes plus calmes comme Eauprofonde ou le Golfe de Vilhon…?

Ubald secoua lentement la tête les paupières presque closes, toujours perdu dans les brumes de ses pensées terrifiantes sur ce Dyfed qu'il avait eu le malheur de faire entrer dans ce temple. Il ne détestait pas ce gamin : il en avait peur, tout simplement. Il sentait une telle colère en lui malgré la piété qu'il mettait dans ses devoirs de clerc et ses prières envers le Gardien. Il y a avait aussi une telle souffrance qui passait dans ses regards. Violence et souffrance… menaient toujours au mal.

- … il est jeune, poursuiva-t-il sans tenir compte de la remarque de sa supérieure, certes pour voir la mort et la souffrance des guerres mais je crois que cela sera nécessaire pour attendrir son cœur, je sens trop d'agitation dans son esprit.

- Et c'est en l'envoyant près de cet empire sombre et malfaisant que vous espérez changer son cœur !
- Vigilante, vous vous êtes beaucoup occupé de Thine durant toutes ces années presque comme une mère mais même si vous avez gagné sa confiance et son amour, il n'a jamais pu vous dire d'où il venait !

Meriagern frémit douloureusement.
- Vous le savez comme moi, Lieutenant ! Il a été abandonné par ces parents et élevé par des elfes.
- Et vous a-t-il dis qui lui a appris la langue noire grommela Ubald pas convaincu. Tous ses compagnons de chambrée se sont réveillés plusieurs fois complètement terrifiés quand Emrys se mettait à le parler durant ces cauchemars. Et vous a-t-il raconté comment et pourquoi ses parents elfes l'ont abandonnés ?

Il s'interrompit et passa une main sur son visage fatigué et ses joues piquetées de barbe. Il lui fallait un barbier et puis il avait faim. Et il devait attendre l'heure des premières prières avant de manger. Quelle idée de se lever si tôt pour ce gamin !
Meriagern se tourna vers lui qui attendait en silence, et hocha la tête.

- Demandons son avis avant. Si nous le faisons partir trop tôt, ce sera terrible.



Revétus de leurs armures de fer aux rayures cuivrées, les douzes officiers heaumites étaient réunis dans la salle du Conseil. C'était tous des hommes ou des elfes qui avaient un jour reçus l'illumination, un signe qu'ils devaient suivre La Sentinelle. A côté des elfes, les hommes avaient l'air lourdauds et empotés, engoncés dans leurs cuirasses.

Le bâton de la Vigilante claqua comme pour les rappeler tous à l'ordre. Thine fit une entrée lente prenant le temps de contempler les regards de chacun avec un léger sourire. Face à Meriagern, il inclina légèrement la tête.

- Que Heaum vous garde, Vigilante.

Meriagern se cala au fond de son fauteuil, jouant distraitement avec une mèche de ses longs cheveux ne pouvant réprimer un triste sourire.

- Thine, nous sommes réunis à la demande de ton instructeur le Lieutenant Ubald. Il pense que ta formation parmi nous est terminée et qu'il est temps pour toi de rejoindre ta nouvelle affectation. En revanche, je crois humblement que tu pourrais rester une année de plus pour parfaire ton édification.

Elle regarda le jeune prêtre intensément. Elle lui sourit. Cette boule dans sa gorge, ce nœud dans son cœur. Elle priait intérieurement. Reste encore avec nous Thine. Je prendrais soin de ton cœur. Je soulagerais tes tourments. Laisse-moi encore essayer.

- A toi de décider Sentinelle Dyfed…

Meriagern baissa la tête. Supporterait-elle seulement son départ, cette absence définitive ?

Thine sourit gravement et s'inclina.

- Joindre ses mains pour prier c'est bien mais les ouvrir pour aider les autres, c'est mieux. Je me sens prêt à servir Heaum au-delà du Bief des dragons.

Les dés étaient jetés.

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h50

Thine marchait d'un pas faible et mal assuré dans la fraîcheur de l'aube. Ses pieds s'enfonçaient et glissaient dans la boue du campement. Voilà plusieurs jours déjà qu'il ne cessait de pleuvoir. La terre avait bu trop d'eau. Trop de sang. Elle dégorgeait.

Une langue d'air glacial s'engouffra entre les plaques de son armure. Il lui avait fallu du temps pour s'habituer à ce poids supplémentaires. Dans le Procampur, il ne l'avait revêtu que rarement. Essentiellement à l'entraînement. Mais sur le front de la guerre, c'était devenu son unique vêtement. Le contact froid du métal formant une seconde peau. Comme cette bâtarde qui battait le haut de sa cuisse. Il en effleura le pommeau. Les premiers temps, ce simple geste lui avait donné l'impression d'être invincible. Après quelques batailles et la vision de tous ces morts, ces lentes agonies, les corps déchiquetés, broyés ou profanés, elle lui rappelait juste qu'il était encore en vie.

Il contempla un moment les corps recroquevillés dans des couvertures de fortune à travers l'échancrure des tentes battues par le vent. Chacun essayait d'arracher encore quelques instants de repos avant les premières morsures d'un nouveau jour de guerre. C'est à cette époque qu'il avait commencé à fuir le sommeil. A rêver de ses premiers spectres. Comment dormir au milieu des gémissements des blessés ? Qu'importe. A 20 ans et au bout de deux saisons sur cette frontière incertaine entre Thay et le Aglarond, il n'espérait plus connaître d'autres terres. Il se reposerait bientôt. De l'ultime grand sommeil.

Il faillit s'étaler de tout son long en s'approchant du cimetière où l'on brûlait les corps pour éviter d'attirer la vermine et les maladies. Les quelques rares vivants déjà debout à cette heure le contemplaient avec dédain. Il se remémora son arrivée au premier campement. Se présentant immédiatement à ses supérieurs, il fut toisé de haut.


- Heaum, Torm, Tyr, Correllon, Tempus ou Ilmater, on s'en moque ici. Maintenant, tu es prêtre de guerre. Finies les prières au chaud à l'abri d'un joli temple de pierre. Tu vas vivre dorénavant sous une toile à moitié déchirée et tu prieras pour les morts, pour ceux qui vont mourir ainsi que pour ta misérable carcasse de griffton. Tu n'es pas là pour chanter ou évangéliser, bige. Tu vas te battre comme les autres. Ne crois pas que tu vas passer ton temps les fesses sur un banc à méditer les écrits sacrés pendant que les braves crèvent aussi vite qu'un péquenot fauche son blé. Jette encensoir, toge, cierge, autel de campagne et tout ton barda… Chair pour les neufs enfers, c'est tout ce que tu es et resteras jusqu'à ce que tu repartes d'ici. Debout sur tes jambes ou les pieds devant !
Thine était resté bouche bée.
- Mais qu'est-ce que tu fiches encore là, le prêtraillon ? Ote-toi de mon soleil, par le sang ! Que je profite enfin de l'éclaircie. Quand ces chiens de Thay ne nous balancent pas des boules de feu, on a droit à cette pluie poisseuse. Va branler du râtelier ailleurs et surtout si je crève, ne va pas me recommander à Heaum. Qu'il aille se faire crever l'œil celui-là qui voit tout mais ne fais rien !


Il secoua la tête. Il ne parvenait plus à détacher son regard de cette montagne de corps carbonisés. Il en avait connu certains. Echangés quelques mots. Avant de les voir tomber. Sous une volée de flèches. Par les flammes. Sans même avoir eu le temps de lever leur épée.

Qu'est-ce qui peut changer la nature d'un homme ?
La guerre offrait certainement une des nombreuses réponses pertinentes à cette question. Elle altérait n'importe qui. Meriagern avait raison : il n'était pas prêt. La paix intérieure qu'il avait commencé à ressentir dans le Procampur paraissait loin maintenant. Evanouie.

- On doit aborder chaque nouveau jour en pensant tranquillement à sa dernière heure et en imaginant les différentes façons dont nous allons mourir…

Il se retourna au son de cette voix familière mais ne put apercevoir qu'une silhouette dans la bruine qui s'abattait de nouveau sur le campement. Il s'essuya les paupières d'un revers de manche, tenta de percer du regard le mince rideau de pluie.
La jeune semi elfe s'arrêta devant lui. Un long manteau de moire recouvrait sa broigne de cuir et elle posait sur lui le plus doux mais aussi le plus distant des regards.

- Le vrai courage consiste à vivre quand il est juste de vivre et à mourir quand il est temps et juste de partir.

Thine n'hésita pas un instant tant le ton doctoral des elfes et leurs « cousins » l'exaspérait. Ils étaient toujours si surs de détenir la vérité.

- Dis-le à tous ceux qui reposent là ! Mourir pour une cause ne suffit pas à prouver que cette cause soit juste !

Il s'était malgré tout rapproché d'elle. Sa peau était aussi froide que l'aube blafarde mais ses yeux verts rayonnaient d'une chaleur qui l'embrasait des pieds à la tête.

- Aucune cause n'est juste. Simplement, il est bon de considérer le monde comme un rêve. Quand tu fais tes cauchemars Emrys et que tu te réveilles, tu te dis que ce n'était qu'un rêve. Dis-toi que le monde dans lequel nous vivons n'est pas très différent d'un rêve lui répondit-elle avec ce calme inaltérable qui semblait la caractériser.
Amywien Ahadîn ne parlait à personne d'autre qu'à lui. Elle était d'ailleurs la seule et unique personne qu'il pouvait sans doute considérer comme une amie au milieu de toute cette sauvagerie. Il ne faisait aucune différence entre la brutalité des troupes thayennes et celle de l'Alliance. Quant à Amywien, elle affichait une telle froideur qu'elle décourageait toute approche d'un simple regard. Ils s'étaient connus au hasard de la première bataille qu'il avait livré. Il s'en souvenait encore comme si c'était hier.


Lente, inexorable. Comme une coulée de lave. Les armées de l'Alliance s'agglutinaient en rangs compacts. Sous les oriflammes, un flot de guerrier, d'archers et de cavaliers noyait la plaine.
Aucun cris, aucunes cornes. Juste le pas lourd des hommes, le cœur battant au même rythme que le grondement de leur pas. Le hennissement des chevaux. L'attente, les yeux levés sur la colline que descendaient les thayens et leurs bannières ardentes.
L'armée thayenne avançait lentement sur celle d'Aglarond. Au son des tambours. Une marche funèbre. Devant la marée rouge qui descendait vers eux, les archers commencèrent à planter leurs volées de flèches devant eux dans l'herbe noircie des combats précédents. On sentait la haine et la frayeur dans les rangs. Quelqu'un le bouscula rudement et il sentit alors au milieu de toute cette peur, une odeur d'herbe fraîche et de rosée : Amywien Ahadîn. Son allure martiale et son regard froid et dur ne pouvaient effacer sa beauté. Elle l'avait bousculé et pourtant il lui demanda pardon en elfique. Elle se retourna avec un sourire indulgent.
- Je ne suis pas elfe.
Il la dévisagea un instant et alors qu'il s'apprêtait à lui rétorquer que du sang elfe coulait visiblement dans ses veines, elle lui rétorqua comme si elle avait lu dans ses pensées :
- Je ne suis pas une semi elfe. Je suis semi humaine et je ne revendique que cette moitié là !
Alors qu'il allait lui demandait le pourquoi de cette distinction, une voix forte éclata loin devant eux, rappelant que le moment n'était pas aux discussions rhétoriques.
- Archers, premières volées quand ils seront à cent toises des lignes avancées ! Puis douze flèches en cadence avant l'assaut des cavaliers. Les hommes d'hast protègent nos tireurs. La prêtraille, vous vous chargez des blessés ! Si ils ne peuvent plus marcher, vous les tirez vers l'arrière. Si vous ne pouvez plus rien faire pour eux, ne les laissez pas à l'agonie entre les mains des rouges !

Pendant ce temps, les thayens continuaient de progresser lentement. Immense dragon rouge qui se coulait vers eux. L'éclat des armes et des heaumes sous le soleil faisait comme une peau aux écailles luisantes. Leurs pas et le son des tambours faisaient vibrer la terre.

A environ deux cent toises, ils s'élancèrent en vociférant sur les piquiers aglarondiens. La première volée de flèches assombrit le ciel. A peine les traits eussent fauchés au hasard dans la masse des guerriers rouges que les archers tiraient de nouveau mais rien ne semblait pouvoir arrêter la rage et cette soif de conquête qui couraient dans les veines de ces hommes dès la naissance. Ils foulèrent sans compassion leurs propres morts et se jetèrent sur les lignes avancées d'Aglarond avec un rugissement bestial. Ils enfoncèrent les rangs des guerriers puis ceux des archers dans un tournoiement d'acier. Armures transpercées, chairs ouvertes, sillons sanglants. Alors, comme un barrage cédant sous une déferlante, les cavaliers de l'Alliance enfoncèrent à leur tour le mur thayen, fracassant leurs rangs dans un vacarme de cris, de fers et de corps broyés.

thine
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Message par thine » dim. 8 juillet 2007 à 21h51

Cela n'avait pas été une bataille mais une boucherie. Des dizaines de milliers de morts inutiles. Chaque camp se retirant de la plaine avant la tombée de la nuit sans que la victoire ne se soit dessinée, sans que le front n'ait avancé, sans même entamer la détermination, de part et d'autre.

On avait entassé les blessés les plus graves dans des charrettes pour les reconduire au campement. Certains, malgré tous les soins et la magie divine des Hospitaliers ne survivraient pas. D'autres resteraient infirmes à vie Tout ça pour servir les desseins de quelques puissants en soif de conquête, ou au nom de la liberté, de dieux, de nations… Couverts du sang de tous ces blessés ou moribonds, Thine et Amywien qui avaient passés une partie de la nuit à soulager les souffrances des mourants, à panser les meurtrissures, entailles et mutilations diverses contemplaient ce conglomérat de supplices et de vies brisées. Lui avec peine et colère. Elle avec cet apparent détachement qui la rendait inhumaine à cet instant précis.

- Thine, dit-elle à voix basse. Ne me rejette pas comme les autres. Nous sommes pareils, tu sais…
Il se tourna vers elle, étonné qu'elle connaisse son prénom et qu'elle ait pu lire dans ses pensées. Il fut alors frappé par l'expression de son regard. Il lisait une rage froide, une colère sourde. La même qu'il ressentait quand les prières à Heaum ne parvenaient plus à le maintenir en paix.

- Je m'appelle Amywien Ahadîn, je suis originaire d'Aglarond mais ce royaume pour lequel je me bats m'a toujours considéré comme une étrangère. Nous suscitons jalousie et crainte à cause de notre sang mêlé. Je suis partie dans le Téthyr puis la Sembie et là-bas c'est pire : nous sommes considérés comme dangereux. Partout ailleurs, chaque regard posé sur moi me rappelait ma différence. Finalement, c'est ici que je suis la moins mal accueillie.

- Je sais ce que c'est que d'être perçu comme différent, murmura-t-il d'une voix blanche. Mais je suppose que tu ne me croiras pas.
Amywien attrapa son bras brusquement et le tira en dehors de la tente et des gémissements incessants des blessés. Ils marchèrent vivement à travers la nuit durant de longues minutes sans rien dire. Quand ils furent assez loin du camp, elle se serra contre lui en sanglotant convulsivement.

- Tu te trompes Thine. Je ne crois qu'en toi. Pourtant on t'a décrit avec dégoût et crainte. On dit que quand tu rêves, tu parles dans la langue noire, que personne ne sait d'où tu viens. Tu es comme moi, tu es venu ici dans l'espoir de te rendre utile, d'être enfin accepté grâce aux services rendus. Pourtant, on te rejette encore. Etranger dans le Procampur. Etranger ici et sans doute partout ailleurs, toute ta vie…
Sous la clarté laiteuse de la lune, il contemplait la finesse de ses traits, sa peau cuivrée aux reflets étranges, sa taille étroite. Pour la première fois, il éprouvait du désir pour quelqu'un.

En une nuit, bercés par les clameurs du camp et oubliant la morsure du froid de la nuit, ils se racontèrent leur vie. Pour la première fois, il parvenait à se confier à quelqu'un en toute confiance. Après un long silence où ils restèrent enlacés l'un contre l'autre comme des amants, Amywien se tourna vers lui :

- Thine, chuchota-t-elle, tu es humain. Je peux même dire que tu es calishite sans trop me tromper. Comment as-tu appris l'elfique ?
- Je n'ai jamais connu mes vrais parents, dit-il douloureusement. Ce sont des elfes des bois qui m'ont trouvés. J'étais abandonné. Condamné à mourir de froid, de faim ou dévoré par les bêtes. Ils m'ont élevés, appris leur langue et le commun. Une communauté calme et souveraine qui ne faisait qu'une avec la nature…

Il faillit ajouter « ton peuple » en caressant sa longue chevelure brune et sa peau cuivrée aux reflets vert mais il se rappela qu'elle rejetait son ascendance elfique. Il voulait continuer mais un nœud lui bloqua la gorge. Sa mère adoptive l'avait aimé comme son propre enfant mais pas son père. Il était le seul humain dans la communauté. Les enfants elfes prenaient maturité, aisance et habileté plus rapidement que lui mais ils restaient cruels comme tous les enfants du monde. Leurs moqueries le blessaient. Il avait encaissé frustrations, aigreur et ressentiments. Non pas avec sagesse comme un elfe mais comme un homme avec colère refoulée. Et, un jour de ses 15 ans, il découvrit à quel point cela pouvait mener à des effets destructeurs. Il voyait encore le regard douloureux et frappé de stupeur de son demi-frère alors que lui contemplait la lame souillée de sang. Puis ce fut les cris, les rictus de haine, les coups de poings, les jets de pierre, les larmes de colères et la répulsion de sa mère qu'il avait tant aimé, le bannissement, l'errance sur les routes et ce sentiment d'incompréhension et de rancœur qu'il avait traîné jusqu'au Procampur.

Ses derniers mots n'avaient été qu'un murmure et Amywien s'en émut en lui jetant un regard inquiet tant il semblait proche de s'effondrer. L'espace d'un instant, elle vit ce que Thine était vraiment : un enfant ayant grandi trop vite, trop seul, plein de tristesse et d'amertume envers toute la création.

- Comment as-tu appris la langue noire ? Tu sers un dieu censé être bon mais tu connais la langue honnie.
Il ne lui répondit jamais.

On peut être amants même au cœur de la violence la plus insoutenable. Etre capable d'aimer malgré la souffrance. Cela paraissait inconcevable pourtant Amywien et Thine s'aimaient; En secret. Loin des regards.
Mais toujours l'un près de l'autre. Sur le champ de bataille. Près des blessés. Sous la même tente. A côté du feu. Ils se soutenaient.

Ils connurent de nombreuses batailles. Toutes meurtrières, aucune décisive. La guerre était devenue une guérilla. Malgré cette nouvelle tactique, l'issue était toujours incertaine. Mais le malheur, la tristesse et la détresse sont toujours moins lourds à porter quand deux cœurs se réconfortent.

Et il y eut cette permission où ils purent rejoindre la ville la plus proche qui se trouvait à cent lieues de la guerre. Cette nuit à l'auberge. Les bardes qui essayaient de couvrir le brouhaha. La danse. Leur première et dernière danse. Ce qu'elle essaya de lui faire comprendre…

On n'oublie jamais son premier amour…

Puis il fallut retourner à la guerre.
Un matin à l'aube, l'horizon fut éclaboussé d'oriflammes rouge sang. Cette marée guerrière donna l'assaut et les submergea telle une lame de fond. Ils furent séparés par la fureur du combat. Quand la vague fut repoussée, il retrouva le corps d'Amywien en si piteux état qu'il lui fut impossible de savoir ce qui l'avait tué.

On n'oublie jamais son premier amour mais on le perd à tout jamais…
Il arrive aussi que le premier soit le seul. Vrai et unique.

Il ne réussit pas à la pleurer. Il emporta le corps loin de cette nécropole géante à ciel ouvert. Loin du campement. Loin du front.
Il la brûla lui-même en lui rendant tous les honneurs et recommandant son âme à Heaum. Ensuite, il déserta, franchissant seul et de nuit, les lignes thayennes. Les imprudents qui se mirent sur sa route, volontairement ou non, rendirent leur dernier souffle.

C'était une folie. Un défi à la mort et à tout ce qu'il croyait. Il fonçait à travers les terres avec l'inconscience d'un aléax. Insensible à toute supplique, toute pitié…Il n'y avait plus de guerre, plus d'Alliance, plus de devoirs… Que la vengeance....

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Lotradas
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Re: Thine

Message par Lotradas » jeu. 15 avril 2010 à 12h10

Compte supprimé par conséquent de même pour le perso