« Tiens ! » Il m’assène un coup de poing en plein milieu du visage et, tandis que je m’écroule, ses pieds prennent la relève de sa main. Les autres, insensibles à la méchanceté de leur camarade et raillant l’inconfortable position dans laquelle je me trouve, s’agglutinent autour de moi. J’ai envie de hurler, d’occire tous ceux qui, indifférents, m’observent mais je m’efforce de ne pas gémir. Je prends sur moi, tout en essayant vainement de me défendre. Et intérieurement, toujours, je maudis celui qui me frappe et m’humilie. Ce petit prince, à peine plus âgé que moi et qui terrorise déjà son école. Oui, il s’agit bien de son école, car ici tout lui appartient. Il fait partie de l’ancienne noblesse de l’île, et son père, à présent, dirige le royaume d’une main de fer. Moi, je viens d’une autre famille, mais pas la bonne. La mienne s’est retrouvée soumise et a prêté allégeance au nouveau roi. Sachant cela, le petit prince en profite, et il prend d’autant plus de jouissance à me frapper que mon père a inquiété le sien par le passé.
La bastonnade s’achève enfin lorsqu’un responsable vient nous séparer. Le prince jure qu’il fera écarteler ceux qui l’empêchent de me régler mon compte, et moi, je reste seul, en sanglot et étalé sur le sol. L’un des responsables me demande de me relever. Je n’y arrive pas. Je crois que ma dignité n’est pas la seule à être atteinte, je dois bien avoir quelques côtes brisées.
« Bon, tu te relèves ?
—
Je n’y arrive pas, Monsieur.
— Attends je vais t’aider. »
Il me soulève, et me prie de lui indiquer où j’ai mal, ce afin d’éviter d’accentuer ma douleur. Je lui réponds que c’est mes côtes qui me mettent dans cet état. Il grimace, puis appelle un de ses compagnons.
« A la trois, on le soulève, c’est entendu ?
— T’en fais pas, j’ai déjà soulevé plus d’un blessé. »
On me transporte à l’infirmerie, mais je ne peux plus me retenir d’hurler, la douleur est trop vive. Sur le chemin, je perds connaissance.
Chapitre II, La question du changement
« — Tu n'es pas assez rapide, ton ennemi n'aura pas la même patience que moi ! »
L'instructeur lève sa lame vers moi et je m'efforce de parer. Une tâche qui s'avère en réalité bien compliquée lorsque celui d'en face possède le double de votre gabarie.
Voilà quelques semaines que j'ai changé d'école. Celle-ci est plus ancrée sur la maîtrise martiale et mon père a jugé bon que j'apprenne à me défendre. J'en conviens, et ce n'était pas trop tôt. Pendant cinq ans, j’ai dû subir les railleries et les attaques, au quotidien, du prince héritier, sans rien pouvoir dire. Mon père a tenté, en vain, de faire sanctionner ce garçon, mais quand on est fils du roi, rien ne semble interdit. Le seul capable le recadrer restant le roi lui-même, sauf que celui-ci est bien trop occupé par les conflits qui s’annoncent. C’est un homme sage mais il est peu aisé de gérer un royaume en même temps que sa descendance.
Pour ne rien n’arranger, ma famille et la sienne sont rivales depuis des décennies. Il paraît donc invraisemblable que Père rende visite au roi pour une quelconque doléance, même s’il s’agit de son fils. Ainsi, l’on m’a envoyé ailleurs où j’ai pu étudier en paix. Seulement, je n’ai jamais réussi à me défaire de l’image de ces incessantes humiliations. Plutôt impassible de nature, je n’ai jamais répliqué contre Beregond, je me suis simplement contenté de recevoir ses coups, de les encaisser, tout en prévoyant la vengeance à laquelle je pourrai, un jour, me livrer.
« Bon ?! Tu rêvasse en plus ! C'est pas le moment bon sang. » Mes pensées reviennent vers le combat, il me désarme et pointe sa lame vers ma gorge.
« Ben mon petit gars, t'es pas encore prêt, c'est moi qui t'le dis.
—
Je vais faire un effort Monsieur, c'est promis. »
Chapitre III, De l’agitation
La guerre a éclaté, les soldats sont mobilisés et les hommes de notre domaine n’en sont pas exempts. Mon père n’est toujours pas dans les grâces du roi, au contraire. Celui-ci a fait réquisitionné plus de la moitié de nos possessions pour préparer, nourrir et entretenir ses armées. Beregond l’a beaucoup conseillé, et cela s’est traduit par un durcissement du régime, surtout envers notre famille, en laquelle la sienne voit toujours un ennemi potentiel. J’ai choisi moi aussi de combattre pour protéger nos provinces et, même si je déteste ceux qui la dirigent, je n’ai pas l’intention de trahir ma terre, ni mon île. Père, lui, semble plus hésitant et il a déjà entamé des pourparlers secrets avec l’Ennemi. Il s’agit d’ailleurs de l’un de mes points de divergences avec lui. Il voit en l’Ennemi le potentiel garant de la chute de Valendil. Les discours de mon père me font craindre que l’acharnement du roi nous mène à la sécession du domaine. Je n’en suis pas maître et mon père m’accorde de moins en moins sa confiance. Il paraît comme aveuglé par les promesses de l’Ennemi, toujours plus alléchantes.
Je préfère partir, fuir, loin de cette folie qui s’empare de tout le monde. Cet enthousiasme aveugle qui précède toutes les batailles et qui rend leur chute toujours plus horrible. J’ai entendu que Beregond s’en allé, ou plutôt réfugié ailleurs. Qui sait, peut-être nous recroiserons-nous sur cet autre continent que l’on nomme Ether.
Et à ce moment là, je te ferai regretter toutes les atrocités dont tu t’es rendu coupable.