Lors de notre passage dans la région d’Innadril, après notre représentation, un elfe à l’air noble et sage vint à ma rencontre.
« Bonjour, jeune fille. Puis-je te parler quelques instants ?
- Euh… Bien sûr m’sieur, mais j’m’éloigne pas d’mes parents.
- Nous pouvons rester ici. Dis-moi, j’ai vu ton numéro de jonglage aquatique, il est très impressionnant, et poétique par ailleurs. »
Intimidée, je souris sans répondre.
« Que sais-tu sur les Dieux ?
- Euh… J’sais qu’c’est Shilen qui nous a créés, nous les elfes, pis qu’elle est d’venue maléfique, et que maint’nant not’ déesse c’est Eva. Mais nous, on est des nomades, on est sous la protection d’Sahya. Enfin, c’est c’que m’dit mon père !
- Hm hm… Que sais-tu de plus sur Eva ?
- C’t’à peu près tout, m’sieur…
- Tu ne sais pas qu’elle est la déesse de l’eau ?
- Euh, non, non, on m’a jamais rien dit là d’ssus !
- Hé bien je te le dis. Eva est la déesse de l’eau. C’est elle qui t’a accordé ce superbe don que tu as. Je pense que tu devrais l’en remercier, et l’honorer, pour qu’elle t’accorde peut-être d’autres faveurs. Combien de temps restez-vous dans la région, ta famille et toi ?
- C’not’ deuxième jour, on va rester encor’ quat’cinq jours, pis on va r’partir en direction d’Giran.
- Passe me voir demain matin au temple d’Eva, près de la place principale de la ville. Je t’enseignerai les rudiments du culte d’Eva. Demande à voir le grand prêtre d’Eva.
- Euh… Faut que j’demande l’autorisation à mon père, mais j’pense qu’ça’d’vrait aller !
- Bien. Si ton père veut venir avec toi pour se tranquilliser, il peut. A demain. »
Le lendemain, je me rendis au temple avec mon père. Nous dûmes demander notre chemin, car nous n’étions jamais entré dans la ville : mes parents se sentaient mal à l’aise dans les grandes villes, et préféraient se ravitailler dans les petits villages comme Floran. Nous finîmes par arriver devant le temple, et nous entrâmes, intimidés par tant de splendeur. Au centre de la salle, une immense statue représentant une femme entourée de spirales d’eau me fascina immédiatement. Je lui trouvai un air à la fois majestueux et compatissant. Je restai là, immobile, pendant que mon père s’adressait à un des prêtres pour demander une audience avec le grand prêtre d’Eva. Il revint vers moi pour patienter, le temps que le message parvienne au grand prêtre.
« L’est belle, hein ? » me chuchota-t-il. J’acquiesçai en silence. Il resta là, près de moi, sa main sur mon épaule, et nous regardâmes ensemble cette sublime statue, nous laissant pénétrer de l’admiration que nous ressentions.
« Monsieur Volardi ? »
Nous nous retournâmes d’un seul mouvement en direction de la voix. C’était l’elfe qui m’avait parlé hier soir. Il nous invita à le suivre et nous guida jusqu’à son bureau, puis nous invita à nous asseoir.
« J’ai souhaité discuter avec votre fille, Monsieur Volardi, car je pense qu’il est important que son éducation religieuse soit complétée. Le talent qu’elle détient lui a, de toute évidence, été accordé par Eva, notre bien-aimée déesse, qui a en charge notre peuple, mais également l’élément aquatique que votre fille affectionne tant. Aussi, il me semble qu’il est important qu’elle sache qui est Eva, et comment lui rendre un culte, afin que la déesse ne reprenne pas son don. »
Mon père acquiesçait en silence. Je ne l’avais jamais vu aussi intimidé.
« Voilà ce que je vous propose. Je peux prendre votre fille en apprentissage parmi nos jeunes apprenties prêtresses. Bien sûr, elle n’apprendra pas les mêmes choses : elle ne veut pas devenir prêtresse, il me semble. Mais elle aura une éducation religieuse basique chaque matin, et je la confierai, en apprentissage privé, à une de nos professeurs qui maitrise elle aussi l’art aquatique, et pourra lui apprendre à le contrôler. Car son pouvoir, s’il n’est pas consciemment dirigé, pourrait un jour devenir dévastateur. Qu’en pensez-vous ? »
Mon père me regarda. J’avais écouté avec attention le discours du prêtre, et ce que j’avais entendu m’avait à la fois effrayée et intriguée.
« Qu’est-ce t’en penses, ma Thetys ?
- Ada... J’sais point trop. Sûr qu’j’voudrais ben savoir utiliser c’pouvoir correctement, mais j’veux point vous laisser, maman et toi, pis ma p’tite sœur qui va bientôt arriver…
- T’inquiète point pour ça. S’tu veux rester ici, on rest’ra dans l’coin. On a des économies, alors si les gens s’lassent d’not’ spectac’, on aura d’quoi viv’ quelques temps en attendant qu’t’aie fini ta formation. C’toi qui décide. »
Je regardai autour de moi, le temps de peser le pour et le contre. Le bureau était décoré avec beaucoup de goût, mais pas trop d’apparat. On entendait, tout doux, le clapotis des fontaines de la place. Tout résonnait d’une sensation de calme, de paix, de respect. Je me sentais bien, ici. La décision était prise.
Je restais 6 mois au temple d’Eva. J’enfilais chaque matin la robe bleue pâle des apprentis pour me rendre aux cours théoriques sur les différentes religions. J’écoutais attentivement, mais je me rends compte aujourd’hui que je n’ai retenu que ce qui m’intéressait : Eva, son histoire, et ce qui concerne l’eau et sa force dévastatrice ou créatrice. Chaque après-midi, Dame Uriel m’apprenait à dompter mon talent. Peu à peu, je sus utiliser l’eau qui se trouvait autour de moi, dans l’air, les plantes, les êtres vivants, pour créer mes formes aquatiques. Elle m’apprit également à utiliser ce talent en combat défensif, bien que cela ne m’intéressais guère. Je ne m’imaginais pas quitter ma famille : tout ce que je voulais, c’était pouvoir créer un numéro extraordinaire qui attirerait du public et permettrait à ma famille de vivre de mieux en mieux. Le soir, parfois, je retrouvais ma famille au coin du feu, faisait connaissance avec ma petite sœur, Thalyssa, qui venait de naître .
Ma formation toucha à son terme. Après avoir dit adieu à mes enseignants et remercié le grand prêtre, je quittai Innadril pour retrouver ma famille qui campait à l’extérieur, sur les rives de l’océan. J’étais désormais plus sûre de moi. Je commençai alors à monter un nouveau numéro, plus abouti, plus impressionnant. Les volutes d’eau volaient autour de la foule, et l’entouraient tel un mur translucide, les chevaux miniatures que je créais dans les airs devenaient des licornes grandeur nature qui faisaient la course avec celles de ma mère, je créais une bulle d’eau autour de moi qui me permettait, pendant quelques instants, de voler à un mètre au-dessus du sol. Des dragons géants survolaient les spectateurs apeurés, qui se recroquevillaient.
Peu à peu, la rumeur se répandit. Le bouche à oreilles fonctionna. Et notre petite troupe, qui s’était déjà bien agrandie, gagna de plus en plus d’argent, tant et si bien que nous parvenions désormais à faire des projets pour l’avenir.
Eva nous avait bénis, et tant que je respecterai son Saint Nom, notre vie serait joyeuse et vivace, comme l’eau fraîche d’un ruisseau de montagne.