Chapitre 12
An 964 - Empire de l'Ouest
Une brève politesse, une rencontre avortée, une histoire qui n’a failli jamais s’écrire,
une approche interrompue par la venue d’une figure qu’il croyait plus importante…
Anvil attendait sa visite depuis quelques jours, il le savait, Kahlaart avait plaidé sa cause auprès du gouverneur. Il ne l’attendait cependant pas là, pas juste là, d'où sa surprise en voyant la garde rapprochée du général arriver par la passeuse. Se rendant compte de l’importance des prochaines heures sur son destin, il éclipsa sa fraîche rencontre avec l’inconnue, s’enquérant de son invité de marque qui s’imposait à lui.
Ils discutèrent longtemps, de la situation, des problèmes à surmonter, de conditions et besoins. Comme toujours, lorsque Anvil traitait avec le gouverneur, les échanges étaient constructifs et sincères. Une entente, une poignée de main et un décret. Ni plus, ni moins, après toutes ces années de services, ne fut nécessaire. Anvil avait maintenant le devoir de protéger la cité qu’il s’était mis à aimer si profondément.
Ce soir-là, il ne parvint pas à s’endormir, passant la nuit à ressasser, imaginer toutes les tâches qui l'attendaient, les changements qui allaient s’opérer, les idées qu’il entrevoyait. Au petit matin, finalement rattrapé par la fatigue il versa, s’abandonnant au monde des rêves, tombant, une dernière fraction de lucidité, un visage flou, une question sans réponse.
- Qui était-elle ?
***
Une missive de l’Aile Pourpre, la protection d’un ami, l’inquiétude d’un père,
il n’en fallut plus pour l'entraîner dans cette expédition dont il pensait les découvertes tout autres…
Alors qu’il les attendaient, sur la plage, adossé à un rocher, Anvil regardait les vaguelettes s’échouer dans une mousse blanchâtre, incessantes, ruisselantes. Il se demandait encore pourquoi vouloir entrer dans ce jardin… il répéta ce mot juste pour lui.
- Pourquoi le jardin d’Eva… Et pourquoi s’en faire tant…
Interrompu dans ses pensées par un petit crabe qui venait de lui monter sur la chaussure, il inspira un soupir avant de hausser les épaules comme pour se répondre à lui-même, chassant le crustacé sur le côté. Après tout il savait très bien pourquoi, pourquoi un père s’en faisait pour son enfant. Et ce père là avait les moyens, alors pourquoi ne pas s’acheter la tranquillité d’esprit en s’offrant ses services. Il porta sa main machinalement sur le fourreau de ses deux dagues, l’air songeur… que redoutait-il, le danger viendrait-il de d’extérieur… ou de l’intérieur ?
La journée était déjà bien avancée et ce n’est qu'à contre jour qu’il les vit arriver sur plage, comme Aurus, Faucon Royal de l’Aile Pourpre, le lui avait indiqué. La petite troupe arrivée, il salua ceux qu’il connaissait, parmi eux le Templier Aether et son ami, Eliadus. D’autres étaient présents, un orc, une humaine, une impression de déjà vu ne le quittait pas. Après une courte pause à passer les objectifs de l'expédition en revue, tous se remirent en route, en direction du sanctuaire, en direction des vagues.
L’architecture du lieu, son harmonie avec la nature, sa finesse, les arts des elfes l'émerveillaient à chaque fois. Et il n’était pas le seul, les autres membres de l’expédition n’en perdaient pas une miette. Mais tout ceci n’était rien comparé à ce qu’il s'apprêtait à découvrir. Des élémentaires… des êtres dont ses compagnons d’aventure semblaient déjà connaître l’existence. Des êtres mû par la magie, peut être magie eux même. La détresse de l’un d’eux les avait mené ici, dans les profondeurs. Enfermé ci bas, un élémentaire de feu ne pouvait repartir sans aide, prison d’eau. Après plusieurs détours une solution fut trouvée, une aide, un élémentaire d’eau.
Anvil ne suivait l’expédition de ses amis que d’un œil, son attention était concentrée sur son propre objectif. Guettant tout risque, chaque recoins, chaque geste brusque, chaque échange avec son ami. Mais plus ils avançaient, plus il était en confiance. Peu à peu persuadé que les autres membres de l’expédition n’étaient pas un danger, il était satisfait de pouvoir mener sa mission à bien. Il ne le portait pas dans son cœur mais Anvil eut à ce moment-là une petite pensée pour lui, dans le fond, le Légat était un père comme un autre.
De fil en aiguille, l'expédition touchait à sa fin, quand il pensait avoir tout vu, elle se mit à parler dans une langue qu’il n’avait jamais entendue sur tout le continent, ni lu dans aucun ouvrage… et l’élémentaire… la comprit.
- D'où venait-elle ?
***
Des bibliothèques entières, des heures de lectures, un secret qui ne se dévoilait,
une aide indispensable qu’il fallait demander…
Elle s’appelait Neijh et semblait venir d’Oren, du moins elle y travaillait. Anvil avait fait quelques recherches, une simple bibliothécaire, sans richesse ni influence apparente, si intrigante. Tout lui était revenu, cette étrangère sur la place, ce visage flou, un soupçon de remords pour s’être éclipsé à peine la conversation débutée.
Mais elle avait piqué sa curiosité et ce ne furent pas ses seules recherches, Anvil profitait maintenant des avantages offerts par sa nouvelle position. En tant que préfet de Giran il avait accès à de nombreuses ressources et surtout de nombreuses personnes pour l’aider. Il s’était donc penché sur cette mystérieuse langue, longuement, ardemment, mais rien, comme si elle avait été complètement oubliée. Rien sauf un document, un parchemin ancien semblant faire vaguement référence à la civilisation derrière ces mots inconnus.
Anvil repoussa le parchemin un peu plus loin sur la table avant de se pencher en arrière sur le dossier de sa chaise. Il savait que seul il n’irait pas beaucoup plus loin, mais cela l’intriguait et elle pourrait sûrement l’aider. Il avait envie d’en savoir plus, de découvrir, de comprendre, mais surtout, envie de la revoir.
Il se releva, parcoura lentement la pièce de part et d’autre, se demandant quoi faire, tiraillé entre passer son chemin ou découvrir ces mystères et tout ce qui les entoures, tout ! Il passait son doigt la planche vernie de l’une des étagères de son bureau, amusé de ne pas y trouver de poussière comme dans son ancienne librairie... Son majeur s'arrêta alors sur la tranche d’un ouvrage qu’il reconnut. Il le sortit et le déposa sur la table de lecture, la reliure craqua un peu au moment de l’ouvrir. Un petit sourire se dessinait sur ses lèvres alors que les souvenirs lui revenaient, cela paraissait si loin pourtant il s’agissait presque du jour précédent. Cet ouvrage, il l'avait rénové de ses propres mains, une de ses fiertés. Une très belle encyclopédie Heinoise qu’il avait récupéré dans un piteux état mais dont il avait eu plaisir à lui redonner vie.
Il y glissa le parchemin sous la deuxième de couverture et referma l’ouvrage. C’était décidé, il se saisit ensuite d’une de ses grandes écharpes et entreprit d’emballer l’encyclopédie, ce sera pour se faire pardonner et qui sait, briser la glace peut-être. Il était impatient…
- Qu’était elle donc ?
***
Une aventure, une passion commune, attirance et méfiance,
une danse dans le vent, pas par trois, délicieux dans le doute…
En fin de journée, maintenant qu’il en avait franchi la porte, le calme de la bibliothèque d’Oren le faisait terriblement douter. Qu’était-il en train de faire… et si elle lui en voulait ? Inspirant, un pas en avant, se ressaisissant, c’était bien pour cela qu’il était ici ! Mais les accepterait-elle, lui, son présent et ses regrets ? La boule au ventre,il demanda à la voir, la dame de la bibliothèque, du sanctuaire elfique, de la place de Giran, de son intrigue. Les yeux brillant elle découvrait le présent qu’il était venu lui apporter avec ses excuses. Certes, l’encyclopédie semblait lui plaire, mais elle paraissait intriguée par l’ancien parchemin glissé entre les pages. Une pièce supplémentaire pour son puzzle, pour sa fresque qui s'agrandissait par fragment. Excusé, soulagé, Anvil s'endormit ce soir-là heureux de la savoir intéressée à travailler avec lui sur ses recherches.
Lancés dans une passion, une quête commune, l’apprentissage et la découverte de ces mystères les avaient rapprochés plus rapidement qu’il ne l’aurait imaginé. Étudier ces écrits avec elle était pour Anvil une bulle de tranquillité, de passion, une fuite pour quelques heures de ses obligations, son refuge. Ils se découvraient, apprenant l’un de l’autre, contant parfois des bribes de leurs vécus respectifs. Tantôt ensemble pour découvrir les mystères de cette langue, tantôt pour se découvrir, leur attrait grandissait, Anvil attiré comme un satellite par son astre, indéniablement.
Cérulys, l’immergée, pourtant au centre de leurs recherches, le mettait tant mal à l’aise. La mer, entouré d’eau Anvil ne l’avait jamais aimé, il ne s’était jamais senti en sécurité de par les flots. Mais là… le grand dôme le paralysait, tant d’eau qui ne se contentait pas de l’entourer, elle était partout, elle le submergeait, le pétrifiait. Les yeux rivés au sol, il n'osait avancer, prêt à faire demi-tour... Mais elle ne le laissa pas seul dans sa torpeur, Neijh lui saisit la main, le rassurait, l'apaisant elle l'entraîna dans les dédales sous marin. Sa raison ayant cédé à son cœur il était maintenant certain, il la suivrait partout où elle voudrait bien de lui.
Mais le voulait-elle, vraiment ? Indécise aux sentiments partagés, il se savait pas seul dans son coeur, ses envies. Jamais il ne forcerait sa présence, peut-être était-il même préférable qu’elle s’en aille avec cet amant, cet orc, être qui semblait la séduire tant. La vie de Neijh ne serait-elle pas plus préférable loin de lui, loin de toute la complexité de sa vie, de ses problèmes et leurs dangers qui le suivaient sans cesse ?
Un mot, un demi-aveux, un présent innocent.
Dans la nuit les astres étincelants me guides
Dans ma quête de savoir peut se sont ouvert
Rares et précieux sont les êtres splendides
Être à leurs côtés me fût rarement offert
...
Une moitié qui ne s'osaient pas, à jamais tu.
...
Ton cœur saura lequel te convient
Plus que tout heureux de t’avoir rencontré
Partageant passions et mystères qui sont tiens
Oublié m’est revenu le sens du mot aimé
- Que serais-je sans elle ?