Tout en reprenant mon souffle, je rengainais mon arme lentement, le regard sombre et ancré dans le lointain, encore abreuvé de la grande concentration inhérent au combat le plus intense. J’épongeais mon visage perlé de sueur et de sang mêlé. Après quelques instants immobile, je m’asseyais enfin parmi les hautes herbes dansantes et verdoyantes des collines du point de contrôle Ol Mahum. Au sud, au-delà des arbres en contrebas et de quelques rochers sortant de terre, la mer s’étendait, immense et bleue. A quelques dizaines de pas de moi, la végétation s’était teintée de pourpre, celui du sang de mes ennemis.
Ceux-là, une vingtaine, gisaient au centre de cette tâche. Il s’agissait d’Ol-Mahums de la tribu sud. Ces horribles Mahums pilleurs et ravageurs qui s’étaient attaqués à mon grand-père quinze années auparavant et avaient pris de nombreuses vies depuis. Depuis bien longtemps, ces bêtes étaient connues pour leurs escarmouches et leurs incursions près des villages civilisés. Mandaté par l’aile pourpre pour aider la cause de la lumière, j’avais mis un point d’honneur à affronter cette horde seul.
Peu à peu je fermais les yeux et recouvrais paix et sérénité. Je laissais mes sens s’imprégner du vent doux de la belle saison et de la douceur du soleil du couchant. La respiration lente et profonde je revoyais ce combat. Il avait été le plus intense et le plus dangereux de tous ceux que j’avais connu jusqu’alors, mais je savais pourtant que j’en sortirai vainqueur. Une sorte d’aura m’avait porté, une rare clairvoyance animée sans doute par la volonté de rendre justice et qu’il me faudrait mûrir pour devenir plus fort. Adroit et vif, concentré et précis, je ne leur avais laissé aucune chance. Je revoyais ces corps de bêtes féroces tomber tout autour de moi. L’instant suivant, mon esprit s’arrêtait sur les cadavres que je laissais derrière moi. Ceux de fléaux pour notre civilisation et nos semblables.
Pour autant, ce n’était qu’un point de vue, sans doute étriqué. De leur propre point de vue, ils étaient sans doute de fiers et courageux guerriers qui avaient sûrement familles et amis auxquels je les avais arrachés. Menacés d’extinction et d’asservissement, ils défendaient peut-être noblement une cause qui semblait juste à leurs yeux. Il me fallut un moment pour tâcher de me convaincre, sans me voiler la face pour autant, qu’à semer la terreur ils ne pouvaient que récolter la mort. Aussi, justice avait été rendue, pour les âmes innocentes et bienveillantes qui ne peuplaient plus ces terres par leur faute. Mais je n’étais pas dupe. Les enfants et les petits enfants de ces monstres cultiveraient la haine des cinq races, luttant dans un combat qui serait encore là sans doute bien après ma mort. Je décidais de m’en remettre aux architectes de ce monde quant au jugement final de mes actes, à dire ce qui est bon ou mauvais de manière impartiale. Aussi, je me laissais aller à une profonde méditation sur ce qui m’avait fait tel que j’étais, pour en arriver à accepter cette mission périlleuse, lourde de sens, révélatrice d’états d’âme envers des ennemis de toujours. Depuis tout jeune, mes parents me berçaient de récits héroïques et à travers eux de la voie à suivre, celle qui serait la mienne comme elle avait été depuis des centaines d’années celle de mes glorieux aïeux. Seul au milieu des collines silencieuses, un sentiment de plénitude m’enveloppait désormais. Une phrase prit forme dans mon esprit et se répéta comme un chuchotement lent et fugace.
« Mon âme est un sabre, celui de la justice et de la protection des faibles. »
1. Enfance
Pour autant que j’ai pu comparer à d’autres, j’ai eu une enfance plutôt heureuse, en compagnie de ma mère et de mon père sur notre petit bout de terre au nord de l’ile des Murmures. Ma mère faisait des pâtisseries, un peu d’artisanat et vendait les produits que mon père cultivait. J’avais également mon grand-père paternel, habitant l’un des plus hauts moulins des collines venteuses près de Gludin à qui nous rendions de fréquentes visites. La vie était belle et simple en ce temps-là.
L’instruction était donnée par ma mère, Aduiline, chaque matin dès l’aube. Elle était douce et patiente avec moi, toujours calme. C’était une belle femme, presque trop sage et érudite pour la campagne. Mais elle aimait la paix et la tranquillité, ce qui l’avait sans doute détournée de voies plus prestigieuses. Elle descendait d’une lignée de nobles chevaliers et de guerriers éclairés dont elle me contait parfois quelques histoires. L’un d’eux, mon arrière-grand-père, était un grand général de l’armée de l’empire. Lors de la prise de Goddard par les Ketras en 863, Il était mort vaillamment entouré de ses hommes après un baroud d’honneur pour reconquérir la haute-ville. Ils résistèrent avec acharnement laissant le temps à mon arrière-grand-mère, ma grand-mère alors âgée de 10 ans et des dizaines d’autres habitants réfugiés dans un bâtiment, de fuir et d’en réchapper. De cette époque, il ne restait plus qu’une armure légère que le général avait portée avant d’être promu à ses plus hautes fonctions. Son épouse l’avait revêtue malgré la différence de gabarit et avait mis à sa ceinture l’épée qui la complétait quand les cloches de Goddard avaient sonné l’alerte. Outre le matériel, l’héritage se constituait de nombreux préceptes d’honneur et de vaillance, égrainés au fil de lettres et d’écrits transmis dans la famille jusqu’à ma mère. Celle-ci mettait un point d’honneur à ce que ces préceptes de chevalerie fassent partie de mon apprentissage, et comme ils se constituaient principalement d’histoires et d’aventures palpitantes, je ne m’y étais jamais opposé.
Apres un copieux repas le midi, je passais le reste de la journée à aider aux champs et au grand potager, sous la direction de mon père Kob, de son véritable nom Kobaralt. A moitié Orc, il était très grand, très fort et très impressionnant, pour le petit garçon que j’étais, mais aussi des dires d’autres paysans. Pourtant, au-delà de la silhouette de géant, mon père était toujours souriant et enjoué. Il était infatigable, et avait de l’entrain pour tout, même les taches les plus ennuyeuses et fastidieuses. En effet, il avait une philosophie bien à lui par laquelle il transformait toute activité, tout mouvement même, en un entrainement physique. Parfois sous forme de jeu également, tout mon travail était rythmé par ces exercices fortuits. Ainsi chaque jour j’améliorais ma force, ma vitesse, mon endurance, tout en aidant ma famille et en jouant. Mon père n’avait pas toujours été cultivateur. Autrefois, il était un brillant soldat et avait pris part à de nombreuses campagnes pour protéger les frontières de notre monde. Il fut même sous les ordres de mon grand-père un temps, avant que celui-ci ne quitte ses fonctions à près de 300 ans. Quelques années plus tard, lors d’une patrouille autour de Gludio, une petite troupe menée par le lieutenant Kob tomba sur une importante cohorte de morts-vivants qui ravageait un petit hameau. Avec bravoure, Kob accourut au secours des habitants, les sauvant d’un sort funeste. Il remarqua particulièrement l’une des habitantes, qui contrairement aux autres, s’était dressée face aux monstres avec vigueur malgré son jeune âge. De ce combat côte à côte, un amour naquit et mes parents n’allaient plus se quitter. Mon père quitta sa carrière en 903 afin de démarrer une vie plus paisible en compagnie de ma mère. Après le décès de la grand-mère de ma mère deux ans avant ma naissance, le couple quitta le continent et s’établit sur l’ile des Murmures dans la sérénité toute relative de ces temps troublés.
L’Orc de la famille, Tsomal mon grand-père paternel, était en son temps un grand guerrier. Il était issu d’une lignée comptant parmi les plus grands héros des temps anciens. De cet aïeul hors du commun, qui avait vécu il y a près de 8 siècles, il ne restait malheureusement plus que quelques légendes sur des faits d’armes qui paraissent irréels tant ils sont incroyables, quelques anecdotes, et un nom : Zarak’. Mais il subsistait également de Zarak’ quelque chose d’enfoui, transmis de génération en génération. Des gènes de combattant, des réflexes et une force qui avaient fait de tous les descendants de cet Orc légendaire des guerriers de grande qualité. Ainsi, Grand-père servit pendant près de deux siècles la grandeur puis la longue chute d’Aden en tentant de contenir le déferlement de l’Ire. Promu commandant dans l’armée impériale sous le règne du dernier descendant d’Aurelien, il était assigné aux lignes à l’est d’Aden. Cette suite de défaites et de replis n’avaient pas fait naître en Tsomal de haine envers ses adversaires ou de honte à ne pouvoir en être victorieux. Pour lui, c’était un cycle inéluctable de la vie d’un monde dont la séquence dramatique prendrait fin un jour, comme une tempête surgit, s’abat, puis s’estompe. Il avait néanmoins pris soin de mettre sa compagne, la mère de mon père, à l’abri près d’Aden. Ils n’en parlaient que rarement, sa mort leur avait causé un immense chagrin. Une horde de pillards l’avait égorgée alors que les hommes de la famille étaient absents, peu après le 19eme anniversaire de Kob. Les combats aux frontières et la guerre civile devinrent leur seul foyer, et le moyen pour eux d’oublier ce drame. Finalement, la guerre civile prit fin avec le traité de la tour d’Ivoire. Les frontières semblaient stabilisées et Varen bien installé, aussi Tsomal avait estimé pouvoir prendre sa retraite. Il avait acheté un petit moulin avec sa solde et se permettait d’entamer une nouvelle vie, plus paisible. Il aimait m’apprendre les bases du combat et quand nous le voyions je passais ma journée à suivre son enseignement sage et éclairé.
J’avais donc une vie agréable baignée d’une relative sécurité, entouré de proches aimants et bien attentionnés, aux petits soins pour le fils unique que j’étais. Pour autant que je m’en souvienne, mon quotidien a toujours été teinté de combats, de bagarres, de récits de massacres et d’exodes lointains. Mais ce jour-là, alors que nous rendions visite à grand père Tsomal et arrivions au petit matin au pied de la colline les bras chargés de provisions, des fumées épaisses s’élevaient du moulin. La montée fut pressée et silencieuse. Nous arrivâmes au moulin. Une meule brûlait de manière incontrôlée non loin de l’habitation. Tsomal ne semblait pas être à l’intérieur. Nous nous précipitâmes derrière. Dans le potager, un vieil Orc se tenait dos à nous, torse nu, deux lames rouillées en main, haletant. A ses pieds, une dizaine d’ Ol-Mahums nourrissaient la terre de leur sang. Approchant, je reconnu mon grand-père qui se retourna alors en souriant. Alors que ma mère me prenait dans ses bras, mon père accourut vers lui avec hâte. Il était couvert de blessures, mais semblait heureux. Oui, particulièrement heureux même, comme rarement je ne l’avais vu. Je n’étais pas terrifié, j’étais fier de mon grand-père si fort. Nous rentrâmes dans le moulin, où il nous raconta sa mésaventure. Passionné par son récit, il m’en conta d’autres, parmi lesquels certains de nos aïeux, du grand Zarak’ notamment. Mes yeux brillaient. Mes parents n’étaient pas rassurés car ils savaient que les monstres ne s’arrêteraient pas là. Mais Grand-Père avait fait son choix depuis bien longtemps. Il resterait la quoi qu’il arrive et l’idée qu’il quitte le moulin ne fut même pas abordée. Gludin avait été prévenue de l’escarmouche. Celle-ci avait fait 8 morts parmi les habitants des campagnes au sud de la ville. Nous restèrent avec grand-père quelques nuits, au cas où. Cependant, les choses ne se passèrent pas comme prévu. Un mal rongeait le vieil Orc et grandissait depuis son combat. Les Mahums avaient enduit leurs armes de poison, et celui-ci s’intensifiait dans les veines de l’Orc tricentenaire, le rongeant de l’intérieur. Il fut obligé de rester au lit et on fit venir un mage de Gludin, mais malheureusement, son sort était scellé. Souriant, il nous fit ses adieux, à la manière d’un Orc. Il se leva malgré la douleur et prit ses vieilles armes. Il nous salua, sans une larme, et sortit du moulin d’un pas décidé et fier en direction de son dernier combat. Quelques dizaines de pas plus tard, il s’effondra. Regardant le ciel les armes à la main et un sourire aux lèvres, grand père Tsomal ferma les yeux pour ne plus jamais les ouvrir, à 321 ans. Une grande peine me submergea, puissante, étourdissante. Puis peu à peu, face à cette injustice, elle se mua en une explosion de colère indicible à l’encontre de ces créatures qui s’en étaient prises à lui. Depuis ce jour-là, rien n’a plus été pareil pour moi.
Je me rappelle chaque seconde de cet instant, les impressions sur les visages, la douleur dans mon cœur, la légère brise qui entourait les moulins de la colline. Cet événement fit jaillir en moi l’âme du guerrier. Dès ce jour, je me fis secrètement la promesse de devenir le meilleur, le plus aguerri, un guerrier au cœur noble, honorable et fier comme me l’avait montré Tsomal jusqu’à son dernier souffle. Les autorités de Gludin un peu dépassées et tentant d’instituer un équilibre au sein des puissances locales ne purent rendre justice aux victimes. Mon père souhaita prendre les armes mais ma mère refusa. Du haut de mes treize ans, je promettais alors de venger Grand-Père.
2. L’art du combat
Pour moi, le temps était venu. Autour d’une table, quelques semaines après le drame, mes parents m’expliquèrent. Je ne serai pas paysan comme eux deux. Une autre destinée s’offrait à moi. J’allais devenir un vrai guerrier, afin de coller avec l’histoire de toute la famille. L’apprentissage serait long et douloureux me dirent-ils, mais j’étais prêt. Mieux, j’aspirais à cette ambition depuis longtemps, si bien que j’avais prévu secrètement depuis quelques temps déjà de quitter un soir le logis pour partir à l’aventure et devenir le plus fort, comme les grands héros de jadis. Aussi m’avaient-ils seulement devancés. Mon père me présenta à Cédric, le maître d’arme d’Althena qu’il connaissait bien pour que je débute ma formation martiale. Ils avaient servi ensemble la cause dans leur jeunesse et mes parents lui faisaient toute confiance.
J’entends encore ces mots de Kob quand il me laissa devant la porte de la caserne avec un mince paquetage aux mains du formateur. « Khal, la voie est complexe. Elle est met à l’épreuve le corps et l’esprit. La barrière est mince, l’équilibre est précaire entre la justice et l’horreur, et tu seras toute ta vie tiraillé par tes choix et tes actes. Mais cette remise en question systématique qui est loin d’être simple, elle fera de toi un homme bon, honnête, vaillant et t’empêchera d’agir vainement ou sans discernement. Ton sang ne peut pas se tromper, il fera de toi un très grand guerrier mon fils».
Enorgueilli par ses paroles puissantes, quelques larmes perlèrent sur mes joues tandis que je souriais à mon père qui partait. Mes parents ne m’étaient pas arrachés, j’aurais l’occasion de les revoir souvent. De plus, j’étais fier et pressé d’entamer cette nouvelle étape de ma vie.
L’entrainement à Althéna ne me fit rien regretter. Il était dur et obligeait constamment à repousser mes limites, mais j’adorais cela. Le formateur en était conscient, et me poussait encore d’avantage. Avec deux dizaines d’autres jeunes, je subissais le long entrainement physique du matin, harassant. Ensuite, après une légère collation, nous poursuivions par des heures de stratégie, de savoirs militaires divers pendant lesquels garder l’œil ouvert tenait du miracle. Enfin, arrivait l’entrainement technique jusqu’au couchant. Des répétitions de mouvements à main nue ou avec de nombreux types d’armes, censées permettre de parer à toutes situations, à pratiquer tantôt seul, tantôt à plusieurs. Enfin, l’obscurité nous appelait au dîner, toujours copieux, bon et gras. Il était notre délivrance chaque soir, le meilleur moment de la journée. Nous fraternisions entre camarades dans une ambiance bruyante et joviale. Sans manières, nous remplissions nos ventres jusqu’à n’en plus pouvoir, pour mieux nous effondrer ensuite de sommeil sur nos paillasses. Personne ne tenait très longtemps après le souper, sauf deux ou trois tire-au-flanc qui cédaient à quelques plaisirs offerts par la nuit la qualité de leur entrainement. Ainsi les mois et les années passèrent. Nous formions un petit groupe d’amis solidaires. Chaque année l’instruction devenait plus dure, et mettait à profit le groupe plutôt que l’individu. 6 années s’écoulèrent et nous réussirent notre examen de passage, nous permettant de gagner les rangs des grandes armées du continent parmi les régiments d’élites. Mais ce n’était pas mon envie. Angoissé de pouvoir être amené à tuer et risquer ma vie sans être maître du bien-fondé de ces actions, et de devoir vivre avec un choix qui n’était pas le mien, je préférais choisir une autre branche qui me passionnait : le combat en lui-même. Ainsi je commençais un tour des grands centres d’entrainement de l’ensemble du continent, en quête de nouveaux professeurs, de maîtres d’armes prestigieux et de nouveaux styles de combats. Je changeais chaque année afin de voir tout ce que les arts martiaux avaient à m’offrir. Parfois, je prenais part à une bataille en tant que mercenaire, quand je jugeais le choix de l’ennemi conforme à mes préceptes. Je participais aussi à quelques tournois afin de me mesurer à d’autres combattants émérites, et prouver ma valeur. Jusqu’à mes 28 ans, je ne fis que me battre ou apprendre à me battre.
Mes parents que je voyais plusieurs fois par an me confortaient dans mes choix et se disaient fiers de leur fils. Ils ne cachaient pas leur espoir de voir une fille arriver à mon bras un jour, mais savaient que je pourrai profiter de ma jeunesse plus tard. Le sang des Orcs coulait dans mes veines, aussi avais-je quelques années de plus à ma disposition pour être meilleur que les autres. Certains de mes amis du camp d’Althéna étaient morts au combat, d’autres étaient plusieurs fois papa. Quant à moi, je poursuivais mon étude du combat, et même si j’avais eu quelques aventures, elles ne furent jamais assez fortes pour m’éloigner de ma passion.
En parallèle, je mettais aussi au point mes propres techniques. Perdu dans la campagne sauvage, de nombreuses bêtes me servaient de cobaye pour peaufiner mes bottes secrètes, des esquives, des enchaînements. Je ne vivais que pour ces instants de duels et pour la réflexion qu’ils nécessitent, leur complexité que j’étudiais avec rigueur.
Un jour, je trouvais ce qui allait être mon dernier entrainement, celui qui ferait de moi un maître accompli et non plus un élève. Même en sachant que la pratique martiale est un apprentissage éternel, je sentais en moi la nécessité d’un entrainement final plus dur encore que tous les autres. Je m’étais inscrit au tournoi du printemps de la grande arène de Giran. Devant mes parents et une foule importante, je remportais ce tournoi dans la catégorie arme longue en cette journée ensoleillée, ainsi qu’une coquette somme. Je me rappelle la joie de ma mère et le regard de mon père qui révélait sa pleine reconnaissance de mes talents. J’étais fier et fort, mais j’espérais trouver rapidement quelqu’un pour m’offrir cette dernière expérience que je recherchais. Alors que le tournoi se poursuivait dans d’autres catégories, Kob se mit à discuter avec un Orc massif enveloppé dans une bure noire que j’avais déjà remarqué à plusieurs reprises. Les deux individus semblaient se connaitre et je voyais de loin qu’ils tournaient parfois leurs regards vers moi. L’Orc avait un regard sombre et une mine patibulaire, toujours fermée et intimidante. Mon père me fit signe d’approcher et me le présenta. Il s’appelait Krohr. Il disait diriger un temple d’entrainement, celui des Loups de Pa’agrios. Mon regard s’illumina lorsque j’entendis mon père me dire que Khror serait fier de m’avoir parmi ses élèves. L’Orc se contenta alors de hocher la tête, le regard dur, et de me remettre un parchemin, puis il partit. Les loups de Pa’agrio étaient de ces temples mystérieux aux savoirs martiaux millénaires tenus secrets. Il s’agissait le genre d’endroit dans lesquelles l’élève ne s’inscrit pas mais ou c’est le professeur qui vient le chercher si il l’en croit digne. Il m’était arrivé d’entendre au sujet de cette école quelques rumeurs de soldats au nord d’Aden qui vantait les talents d’un Orc qui se disait avoir été contacté. Mon père aussi y avait fait allusion il y a longtemps lors d’une conversation avec mon grand-père, mais rien ne permettant d’affirmer que tout cela puisse réellement exister. Finalement, ce parchemin dans ma main rendait au mythe toute sa réalité. Kob m’annonça la couleur. L’entrainement serait plus rude que tout ce que j’avais pu vivre jusqu’à présent. Le temple n’entrainait que cinq personnes à la fois, au fin fond des contrées sauvages orcs. Tous n’en sortaient pas vivants. Mais ma décision était déjà prise, je voulais participer à cet entrainement prestigieux, fût-il le dernier. Je confiais mon argent à mes parents que j’embrassais pour la dernière fois avant longtemps. Je pris avec moi un ensemble d’affaires chaudes et mes plus belles armures en direction du nord, suivant la carte secrète qui m’avait été remise.
Le temple était situé dans les régions les plus froides du territoire des Orcs, difficile à trouver même avec les indications fournies. Entre deux pitons rocheux, une porte ornée de glyphes, marquait l’entrée d’une grotte et la fin de ma recherche. Je m’engouffrais sans hésitation dans la bouche de cette montagne. A l’intérieur, je progressais dans de froids couloirs sculptés dans la roche dont l’obscurité était combattue par de nombreuses torches ardentes, illuminant des murs de rocs ornés de nombreuses gravures tandis qu’une forte odeur d’herbes et d’encens enivrait mes sens. Je tombais alors au détour d’une bifurcation sur Khror, le grand maître des lieux, qui m’accueillit froidement. En langue orc que j’avais la chance de comprendre un peu, il m’annonça sans détour que l’entrainement auquel j’étais venu me soumettre ne voyait pas sa réputation usurpée. Mes affaires me furent confisquées, considérées comme inutiles. On me remit à la place quelques affaires chaudes, des protections rudimentaires, et un sac de provisions et d’herbes diverses dont je ne savais que faire. On me remit enfin une arme, qui n’était en fait qu’une lourde barre d’acier, pesant au moins deux fois le poids d’une épée longue traditionnelle. On me conduit ensuite à travers le temple jusqu’à déboucher sur un grand désert de montagnes glacées et brumeuses. L’entrainement était simple en lui-même. Survivre dans cet enfer et accomplir des épreuves. Le premier exercice était de tuer dix loups géants et d’en rapporter les peaux au temple. Je n’avais le droit de rentrer qu’une fois par semaine, afin de suivre un entrainement spirituel, de profiter d’un repas et de m’initier aux méthodes de soins orcs. Le reste du temps, j’étais confronté aux éléments et à la dureté de cet environnement. Les exercices suivants, cinq au total, étaient encore plus durs. Ainsi, je me fondis parmi les loups et les rôdeurs de ces contrées, devant redoubler de force, d’inventivité et de courage pour ne pas mourir. Cet entrainement était celui de la survie permanente. Je crois que pas une nuit n’est passée sans que je ne doive me lever en sursaut pour tuer une bestiole qui en voulait à ma vie, à main nue, avec un rocher se trouvant là, ou bien mon arme de fortune. La rudesse de la nature n’amenait aucun réconfort. Heureusement, l’accès hebdomadaire au temple me réchauffait le corps et l’esprit. J’apprenais de nouvelles techniques de combat, à utiliser ces herbes qu’on m’avait remises et en faire des onguents. Dans la plus pure tradition orc, chaque fin d’exercice était marquée par un rite de passage. Des transes profondes accompagnées de musiques tribales donnaient le ton. Des runes guerrières étaient tatouées dans mon dos le long de la colonne vertébrale. Des scarifications symboliques étaient pratiquées, sur mes bras et mes jambes, afin de me rendre plus fort disait-on. Je goûtais malgré tout ces instants, plus agréables que ma condition là-bas au dehors et surtout, je me rapprochais de mes racines. Ce fut une époque pleine de découvertes, en immersion dans la culture de mes ancêtres.
Je mis près de trois années pour réussir les épreuves mais je réussis. Khror m’accorda même un fugace sourire. Le cérémonial final fut un instant magique, je ressenti surgir en moi la force de mes ancêtres, comme si mon sang devenait celui de ces puissants guerriers. Trois années pour cinq exercices étaient tout juste la moyenne pour un Orc, mais pour un humain, j’étais parmi les meilleurs. Rare d’ailleurs étaient les élèves d’autres race à se présenter et à survivre à cet entrainement taillé pour les enfants de Pa’agrio.
Je quittais fièrement le temple, avec le barda que j’avais apporté trois ans plus tôt et qui me paraissait maintenant tout à fait désuet. Les choses semblaient s’être dégradées sur le continent, et les tensions grandissaient au sein de l’empire d’Aden. Je le traversais alors en offrant mes services à qui en avait besoin jusqu’à retrouver quelques mois plus tard mes parents sur l’ile des murmures. J’étais heureux de les retrouver et eux tout autant de revoir leur fils vivant et en bonne santé. La douce brise du sud était un tel délice et mon estomac craquait du festival culinaire que ma mère m’avait préparé. J’étais maintenant un guerrier accompli avec de nombreux talents que j’avais à cœur de mettre au service des gens, ou d’une cause.