Première mission
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Le vent frappe les voiles, la coque du bateau tangue et ballote rudement. Les hommes s’activent sur le pont, manœuvrant en osmose leur navire. La côte ouest, connue pour ses grands vents et sa mer agitée ne leur laisse pas le choix, ils se doivent une maîtrise parfaite. Même pour un trajet d’une vingtaine de minutes.
Dans une pièce du navire, se tenant à un baril, une jeune adolescente retenait ses nausées. D’autres passagers, des commerçants pour la plupart, s’amusaient de ses grimaces, lui tendant des rondelles de citron, en lui assurant que ça finirait par passer. Elle refusait poliment ; elle ne mangerait rien d’autres que ses baies jusqu’à son arrivée. De plus, dans son état, il aurait été facile de s’en prendre à elle, qui sait si une drogue était présente dans ce qu’on lui tendait, par amabilité ? De plus, son air malade l’aiderait une fois arrivée. Au moins qu’il serve à quelque chose… À cette pensée, elle s’efforça de manger les quelques baies qui lui restait.
Elle prit une inspiration, cherchant son courage au fond d’elle, mais ne finit que par ressentir un nouvel élan nauséeux. Les fruits étaient aussi efficaces qu’on le lui avait dit. Décidément, sa première mission commençait vraiment bien.
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Arrivée sur le quai, elle aperçut la multitude de rangs de soldats ailés, armés et ses muscles se tendirent. Alors qu’elle attendait son tour, dans la file devant le poste de contrôle, sa nervosité réveilla son estomac, ce qui lui donna la forte envie de régurgiter son dernier repas. Elle se retint jusqu’au-devant des trois soldats ailés, aux visages fermés et froids. Elle ne vit pas tout de suite, que l’un semblait arborer un sourire plus aimable à son égard. Aimable ou moqueur... ? Elle voulut dire son nom, la raison de sa venue, mais un haut le cœur violent la prit. Le Kamaël à l’air moins hermétique vint la soutenir pour la guider au bord du quai, lui tenant les cheveux alors qu’elle dégobillait ses entrailles dans la mer. D’un signe de la tête, elle remercia le Kamaël d’un air peu fier. Elle s’amusa en son fort intérieurs lorsqu’elle l’entendit la rassurer qu’il était courant d’être malade en mer, et qu’il lui proposait-même de se poser un moment avec eux au poste d’accueil. Les acolytes de l’ailé ne semblaient pas très emballés par l’idée mais ne dirent rien. Une interrogation vint à l’esprit de la jeune fille, qui se demandait alors s’il était leur supérieur. Elle se mit à observer leur tenue, cherchant un signe distinctif de leur grade. Elle finit par reconnaître les insignes étudiées quelque mois auparavant ; c’était effectivement cela. Elle souriait intérieurement, excitée de s’en sortir si bien pour le moment. Lorsque le Kamaël se tourna vers elle, une fois son ventre calmé, elle pinça des lèvres quand elle constata qu’il fallait désormais parler réellement :
- Alors, comment t’appelles-tu ? Que viens-tu faire ici ?
- Je m’appelle Olyne. Je viens retrouver ma mère.
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Il avait effectué un travail d’exception en amont. Cette femme de caractère était moins naïve qu’elle ne l’avait imaginée. Érudite, intelligente, efficace. C’étaient les mots qui lui convenaient le mieux. Esthis réalisa à quel point elle allait devoir faire attention, quand bien même cette femme était de leur côté. Qui sait ce que le temps pouvait amener comme doute ou pire, changements d’avis ?
Faelyde, sa «mère» prenait soin d’elle, comme si elle fût réellement sa fille. Son aspect métissé passait étrangement bien, bien qu’elle ne fût nullement demie-Kamaëlle. Sa peau blanche virant au gris, ses yeux sombres, ses oreilles pointues... Esthis pouvait tout à fait être le mélange d’une Kamaëlle et d’un Sombre.
La Kamaëlle s’était éprise de lui, à n’en point douter. Elle était fière de pouvoir s’occuper d’Esthis et lui faire découvrir l’île de ses aïeuls. On lui avait dit que cette petite rêvait de découvrir Gevurah et vouait une passion pour les Kamaëls, qu’elle rêvait d’en être une bien souvent, dans ses jeux. Adoucie par les élans du cœur et les paroles finement choisies de son amant, elle s’était bien évidemment proposée de l’accueillir sur l’île pour un court séjour. Secrètement évidemment, puisque les visites à Gevurah n’étaient pas choses possibles aisément.
Le but d’«Olyne» : parvenir à revenir avec un secret Kamaël. Un savoir. Une méconnaissance des autres races à leur sujet. Son temps sur place était court : un mois. Elle allait devoir se montrer efficace. Très efficace.
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La guerre sur le continent battait son plein. Le nord se fermait. Sur son île, Esthis n’en savait pas grand-chose, sa fausse mère ne lui parlait pas des évènements au-delà de l’océan et prit la décision de garder la jeune fille auprès d’elle. Elle écrivit une missive à son tendre pour lui soumettre son idée. Ce dernier la remerciait en réponse d’avoir un si grand cœur et de prendre soin de sa protégée durant ces temps difficiles.
Le mois se mua en année.
Aden tombait. Désireuse de ne point laisser Esthis dans l’impossibilité de se battre un jour et voyant que les temps ne seraient certainement point meilleurs dans le futur, elle l’inscrivit à l’Académie militaire de Gevurah.
Esthis se retrouvait à n’avoir pas grand-chose à faire pour accéder aux connaissances Kamaëlles. Ce qui l’arrangeait. Cependant, elle se devait de maintenir l’attraction de sa mère à son égard et lui rappeler son lien à son protecteur. Si cet aspect-là de la mission lui était facile, la vie d’étudiante était moins évidente à gérer pour la jeune fille, qui se retrouvait sans cesse en proie à des moqueries lors de ses cours. Forte, elle savait qu’elle valait mieux qu’eux, malgré sa différence. Si elle faisait mine de s’apitoyer sur son sort, en son cœur, il n’en était rien. Elle savait, qu’elle parviendrait à revenir un jour. Victorieuse de sa mission. Pour lui.
Les mots parfois, lui tombaient dessus violemment. Comme une claque violente. Lui rappelant qu’elle était loin. Loin de son monde. Loin de ses proches. Mais elle luttait avidement, se persuadant qu’elle parviendrait à bout de sa mission. Sa première mission.
Esthis révélait une facilité et une aisance dans tous les aspects théoriques de son apprentissage. Cependant, n’ayant aucun sang Kamaël, les exercices et entraînements proposés lui étaient difficiles. Son corps, n’avait rien d’athlétique et se musclait difficilement. Bientôt, les professeurs l’orientaient davantage vers d’autres voies que celles du combat direct. On l’habituait alors à capturer les âmes, et les absorber. Avant de pouvoir apprendre à user de cette essence, il lui fallait endurer l’étape pénible de l’accoutumance. Son corps de métisse subissait l’acte de manière violente ; hallucinations, vertiges, douleurs dans le corps, sensation de manque et amaigrissement. Ses professeurs n’imaginaient pas qu’elle n’avait aucun sang Kamaël et furent surpris qu’elle en souffre autant. Faelyde lui demanda à plusieurs reprises d’arrêter son entraînement, de peur que son corps ne cède définitivement, mais Esthis, entêtée, se convainquait qu’elle devait aller jusqu’au bout. Plusieurs années passèrent avant qu’elle fût réellement habituée à ce processus.
Vint le moment où elle put enfin apprendre à se servir de ces âmes. Absorbées. Humées.
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Le temps passait et Esthis traversait différentes phases. De l’agacement à l’ennui, de la colère à la tristesse, une chose était certaine, elle souhaitait retourner en ElmorAden.
Elle n’était plus une jeune fille, mais une jeune femme. Elle en oubliait parfois même qu’elle se nommait Esthis. Mais Giran tombait et Faelyde mit tout en œuvre pour la garder encore auprès d’elle. Elle le disait et le répétait, ce n’était pas le moment pour elle de retourner sur le continent. Esthis savait bien que si c’était ce qu’elle souhaitait réellement, elle pouvait faire en sorte de rentrer. Mais les paroles de Faelyde faisaient sens et elle accepta de rester encore à Gevurah.
En réalité, cela faisait plusieurs mois que Faelyde n’avait plus de nouvelle de son amant, sans doute tué par l’Ire Bestiale… Et ça, elle se retenait bien de le dire à Esthis.
Cette dernière, aux capacités militaires proches de zéro, trouvait alors satisfaction dans un nouvel apprentissage, celui de l’alchimie et de l’herboristerie. Elle occupait la majeure partie de son temps aux côtés d’un Kamaël qui tenait un atelier-échoppe dans la cité, Abel K3-45340-M. Un nom qu’elle trouvait un peu trop doux pour un mâle qui parlait à ce point avec ironie et sarcasme.
Cinq années encore plus tard, Faelyde informa sa protégée qu’elle quittait l’île. Le comble ! Elle l’empêchait de rentrer chez elle, cependant, elle, y allait ?! Les Inommés avaient traités avec les Kamaels afin de négocier leur participation à la guerre. Elle souhaitait rejoindre les rangs de la délégation envoyée. Et sans doute, d’une certaine manière, venger son amour d’autrefois.
Esthis attendit le retour de Faelyde, en vain. Elle en profita pour terminer l’exploration de l’alchimie Gevurienne, puis lasse d’attendre, décida de rejoindre enfin le continent.
Il était grand temps de faire le point sur sa mission…
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