Telinu [Portée disparue]

[nelfe_noire]

Le vieil homme entre dans son étude, d'un pas pesant, chargé du poids des ans. Il saisit un petit manuscrit, vérifie en tournant ses pages qu'il est bien vierge et, le sourire aux lèvres, s'installe confortablement sur une table aussi ancienne que lui.
-Bien... Par où vais-je donc commencer...

Il trempe délicatement sa plume, ouvre le petit carnet et écrit alors :

Notes et récits à propos d'une jeune sombre : Telinu

Il relève la tête et fronce les sourcils, en pleine réflexion.
Saisi d'une soudaine illumination, il poursuivit :

Rassemblement de notes à l'usage d'un prochain conte.
Compte rendu des derniers jours passés en sa compagnie.
Bien que je ne sache pas encore grand-chose de cette sombre, j'ai pourtant décidé d'y consacrer un manuscrit, car je pense que son histoire vaut la peine d'être contée..
Je l'ai rencontrée par hasard, au détour d'une rue, et après un court échange de bonnes paroles, je lui avoue être conteur en quête d'histoires à entendre et à raconter.

-Cette conversation a commencé vraiment stupidement, ricane-t-il.

Elle a hésité à me suivre à la taverne, mais nous nous sommes assez vite liés d'amitié. Je vais donc essayer de rendre compte au mieux ce que j'ai pu apprendre sur elle. Je ne sais pas grand-chose de ces origines mais elle semble cacher un bien sombre regard derrière son masque (je pense qu'elle ne le quitte jamais d'ailleurs).
Elle m'a dit qu'elle se nommait Telinu mais peut-être s'agit-il d'un nom d'emprunt. Elle cherche à fuir les fantômes de son passé... D'après mes déductions, je pense que c'est parce qu'elle a commis quelconques atrocités.
J'ai aussi appris qu'elle fut longtemps en exil, près d'un demi-siècle pendant lequel elle ne fit que voyager pour atterrir finalement ici, en Aden, où elle semble se plaire.
Quand je l'ai revue, elle m'a même annoncé qu'elle avait repris un entraînement intensif
"Mais cette fois-ci pour aider les autres !" m'a-t-elle dit, avant de réaliser la portée de sa phrase.

Le vieillard soupire, avisant l'aube qui se lève.
-Hum, je continuerai après un repos bien mérité.
Il sourit alors, se prenant pour un fou à soliloquer ainsi. La dernière bougie soufflée, le manuscrit se retrouvera abandonné jusqu'au prochain jour.

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Elle est revenue me voir. Apparemment contente de m'annoncer qu'elle s'adaptait à cette nouvelle terre, et qu'elle se faisait même des amis, plus ou moins proches. Me remarquant boudeur, elle se mit alors à rire, d'un rire sincère et si rare : "Ne t'inquiètes pas, tu resteras le plus proche ami ici pour moi !"
Que j'aimerais entendre sa joie plus souvent... J'espère réellement qu'un jour elle sera libre de son passé...(et que cela arrive avant ma mort.)
J'en apprends chaque jour un peu plus sur sa personnalité, et bien qu'elle paraisse bienveillante au premier abord, j'ai vite compris qu'elle a son caractère... Je crois même qu'un garde doit en garder un souvenir cuisant à la joue.

Le conteur s'étire, réprimant un fou rire spontané.
-Ahh.. Si seulement je l'avais connue avant que les années me transforme en vieux décrépi, j'aurais su la séduire avec tact !..

Je lui ai aussi demandé pourquoi elle cherchait ma compagnie si elle ne voulait même pas me raconter sa propre histoire, ni même me donner son vrai nom... Sa première excuse fut de me mentir en m'affirmant aimer mes histoires à moi.

-Foutaises, je ne suis qu'un vieux radoteur, plus personne n'écoute les histoires de grand-pères aujourd'hui..

Ensuite, elle m'avoua qu'après tant d'années, elle ne supportait plus la solitude. C'est d'ailleurs une des raisons qui l'a poussée à s'installer sur ces terres. Elle m'a raconté qu'elle vivait au sein d'une grande famille et qu'elle n'était par conséquent presque jamais seule. Je n'ai pas pu en apprendre plus, notamment sur les raisons qui l'auraient poussée à quitter les siens.

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Elle m'inquiète. Elle est venue tout à l'heure, alors que la nuit était déjà très entamée, en assez mauvais état. Elle tenait à peine debout et moi-même, vieillard croulant, ait dû la soutenir jusqu'à une chaise. Je remarquais alors les deux petites blessures sur son cou et m'inquiétais alors :

"-Ne t'en fait pas, je suis encore vivante..
Elle soupira : J'ai juste faim.. besoin de force.. t'aurais quelque chose à grignoter ?
-Mais enfin, si j'en crois mes yeux fatigués, tu as été mordue ! Et par un vampire. Ca n'est pas rien.. Tu imagines s'il t'avait pris la totalité de ton sang ? Tu serais entrain de croupir quelque part à l'heure qu'il est !
-Et bien, non, je suis encore là pour t'embêter un peu.. J'ai simplement rendu service.. Et ma foi..
Elle sourit alors : Ca ne m'a pas tellement déplu..
-C'est la meilleure celle-là.. J'aurais tout entendu.. Je lui apportais alors quelques victuailles.
-Et c'était qui, ce vampire agréable ? Je n'en croyais pas mes oreilles, comment pouvait-on apprécier la morsure d'un suceur de sang ?
-Seigneur Ombres... Et bien sache qu'il est très charmant.
-Tss. N'as tu donc aucune peur de la mort pour avoir accepté de rendre un tel service ?
-La mort.. Je l'ai cotoyée bien assez souvent pour ne plus la craindre.. Mais s'il te plait, c'est arrivé maintenant et tu n'y pourras rien. Je peux manger un peu tranquille ?

Je n'en tirais rien d'autre d'elle. Elle est encore restée silencieuse alors qu'elle semblait ouvrir une porte de son passé. J'espère seulement qu'elle sera assez lucide pour ne pas se (re)plonger dans des problèmes plus gros qu'elle.

Le conteur referme alors lentement le petit manuscrit et soupire longuement.
-Oui... Espérons..

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[nelfe_noire]

Nouveaux éléments de l'histoire : (après de nombreux jours sans nouvelles d'elle).

Je crois qu'elle a rencontré quelqu'un, un nouveau confident peut-être, car elle est restée très silencieuse lors de sa dernière visite... Moi qui pensait être la seule personne à qui elle tenait..

Le vieux conteur est soudain prit d'une quinte de toux, qui lui semble interminable. La main qu'il met alors devant sa bouche se couvre de gouttelettes de sang.
-Mpff... à croire que je ne guérirai jamais ..

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Elle m'a un peu parlé de celui qu'elle a rencontré. Il s'agit d'un sombre, Laolyth, si j'ai bien compris. Elle aurait accepté un rendez-vous en l'échange d'une pierre de vie, si recherchées ces temps-ci. Elle lui a alors fait découvrir un des nombreux endroits qu'elle aime sur ces terres, mais je n'en sais pas vraiment plus.
(J'aimerais aussi l'accompagner lors de ces escapades mais je ne crains que mon corps ne le supporte pas..).

-Eheh, j'en serais presque jaloux de ce sombre inconnu... ricane le conteur avant de refermer le petit livre.

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Le vieillard entre dans son étude, le pas lourd et de moins en moins sûr. Il a l'air bouleversé, presque fébrile.
-...Je n'y crois pas...

Dialogue avec elle. Je connais enfin la majeure partie de son passé à présent, et j'avoue que cela me fait un peu peur..
-Je t'avais promis.. m'a-t-elle dit.
Mais puisque je lui ai révélé une partie de ce que j'étais (ou "de ce que je suis" ??), il est normal que tu le saches toi aussi.
-Je suis prêt à t'écouter... (mais j'étais aussi déçu de n'être que le deuxième..).
-Bien..
Elle prit alors une profonde inspiration :
-Je suis née au sein d'une grande maison et fut entraînée dès mon plus jeune âge, à ne ressentir ni joie, ni douleur..
Elle hésita :
-Mon seul plaisir résidait dans une discipline où je devins vite habile..
Je lui demandais alors, ressentant un léger malaise :
-Et.. Quelle était-elle ?
-La torture.
Je ressentis alors la brûlure de son regard posé intensément sur moi, même si son éternel masque me cachait cette vue. Je soutenais alors ce "regard" et attendit la suite, car je pressentais bien que cela n'était pas fini.
-Je..Je devenais alors l'assassin de la famille, utilisant le pouvoir des ombres et mon agilité pour traquer et trouver ma victime. Je pouvais alors lui faire subir milles supplices, tout comme je pouvais la tuer en une seconde..
-...
-Mais cela ne suffisait pas.
Sa voix se fit à nouveau hésitante, comme si elle ne se souvenait plus très bien, ou, au contraire, comme si elle ne s'en rappelait que trop bien.
-Je..J'ai alors accepté d'accueillir un esprit en moi. Un esprit venu des froides et hostiles montagnes.
Elle ôta délicatement son masque, de cette grâce naturelle liée aux races elfiques et me révéla alors, pour la première fois, son visage dans toute sa splendeur. Ses yeux... Ses yeux sont comme deux joyaux issus d'un lac glacé... Les iris presque blancs, où une lueur d'azur et de défi brûlent doucement.
J'avoue que cela m'a surpris, et j'appris quelques instants plus tard que son regard avait changé depuis ce jour, et qu'elle avait donc décidé de le masquer. Trop reconnaissable sans doute, je pense qu'elle devait rester anonyme pour continuer à pratiquer son "métier".
-J'ai donc subi un long et fastidieux sortilège, pour préparer mon corps et mon esprit. Mais quand l'union fût enfin faite..
Elle soupira longuement :
-L'esprit avait totalement prit possession de mon corps.
Elle secoua lentement la tête :
-Quand j'ai repris le contrôle, j'étais au milieu d'un véritable massacre... La fureur déchainée de l'esprit les avaient tous transformés en glaçons déchiquetés. Les prêtresses, mes frères et soeurs... J'étais seule et l'esprit semblait calmé.
Je pris enfin la parole, après ses longues minutes de silence. Il faut dire que ses révélations m'avaient laissé sans voix :
-C'est alors que tu es partie en exil et tenté de te racheter... Ici.
-Oui.
-Mais cet esprit... (existe-il vraiment ? Je me demande.)
-...Est encore en moi, en sommeil, et je ne sais comment m'en débarrasser.
-Et... As-tu arrêté ? La torture.
-Je..
Elle passa alors instinctivement la main à son côté, effleurant le fourreau d'une longue dague.
-On ne peut pas vraiment renier son passé... J'ai repris un entrainement à la dague. Je ne veux pas perdre mes moyens de défense.
Elle me regarda alors d'une façon étrange, comme si elle se rendait compte qu'elle en avait peut-être trop dit. Je me sentais de moins en moins rassuré.
-Et bien... Je te remercie de m'avoir raconté tout cela...
-Velkyn.
-...Pardon ?
-C'est l'un des noms que l'on me donnait parfois.
Puis elle est partie. Elle a remis soigneusement son masque, et, sans un mot ni un regard, a quitté la maison.

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Une jeune sombre entre dans l'étude, se glissant parmi les ombres et atteint sans un bruit le bureau où repose le petit livre. Elle s'assoit alors, telle une plume qui s'échoue au sol, et dépose un masque blanc à côté du manuscrit. Elle le feuillette rapidement, un sourire apparaissant sur son visage fin.
C'est alors qu'elle étudiait plus précisément certains passages écrits, qu'un rat immaculé jailli sur son épaule.
-Shh...Elijah'.
Il la regarde alors quelques instants, et ses yeux rouges reflètent furtivement le mince rayon de soleil filtrant par la fenêtre aux volets clos.
-Allons-y... murmura-t-elle.
Elle glisse alors le livre dans une de ses sacoches et repart dans le même silence, laissant derrière elle le léger parfum de sa présence.

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[nelfe_noire]

«La mort n’est rien. Il y a bien pire.»

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-Quelle idiote.
Telinu se tient au bord d’une falaise, surplombant la ville qu’elle aime tant.
Elle serre entre ses mains un petit manuscrit, à l’apparence très abîmé, comme s’il avait été manipulé de trop nombreuses fois.
Son regard se perd dans le lointain, les souvenirs d’un passé pas très glorieux repassant dans sa tête.

-Comment ai-je pu m’oublier ainsi...? Murmure-t-elle.

Elle repense à tout ce qu’elle a vécu depuis la fin de son exil, comment des sentiments d’amour et de bonté s’étaient infiltrés en elle et comment les ténèbres l’attiraient toujours plus. Elle se sent un instant déchirée entre ces deux pensées contradictoires, mais reprends bien vite son calme et sa froideur habituels.

Prise soudainement d’une impulsion, elle se rapproche alors du précipice, jusqu’à son extrême limite et songe un instant à laisser son esprit s’échapper à tout jamais de la prison de son corps. Mais c’est le petit manuscrit, parcouru tant de fois, qui prends son envol et disparaît dans la brume matinale.
La sombre recule alors d’un pas et saisit dans une poche bien cachée deux pièces d’une apparence peu habituelle ainsi qu’un blason.

-Devrais-je...

Elle regarde une dernière fois le soleil couchant sur la cité de Rune puis s’éloigne vers la forêt maudite, laissant les ombres l’envahir de plus en plus...


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